ARTHUR RUBINSTEIN À BAYONNE EN 1933.
Arthur Rubinstein est un pianiste polonais naturalisé américain, né le 28 janvier 1887 à Lodz (Empire russe, actuelle Pologne) et mort le 20 décembre 1982 à Genève (Suisse).
Artiste mondain, très médiatisé et populaire, un des musiciens ayant donné le plus de concerts au cours de cette période, il figure parmi les plus grands pianistes du 20ème siècle.
Voici ce que rapporta La Gazette de Bayonne, de Biarritz et du Pays basque, le 4 mars 1933 :
"Les grands concerts de Bayonne.
Arthur Rubinstein au Théâtre Municipal.
Je reviens du concert que donnait au Théâtre Municipal M. Arthur Rubinstein. Les mains me font mal d'avoir tant applaudi. Quel magnifique concert et quel merveilleux pianiste ! Comment analyser son jeu quand tout y a été la perfection même avec en plus ce quelque chose d’indéfinissable qui fait passer de la virtuosité pure à l’art sublime.
La technique de M. Rubinstein est extraordinaire. Du pianissimo léger comme un souffle au fortissimo d'une puissance fantastique, quelle richesse de nuances des éléments sonores ! Par fois, entre deux accords, on éprouve l’impression que l'artiste a changé d'instrument tellement son jeu est coloré. Les difficultés semblent ne plus exister pour lui. La netteté, la limpidité, la vélocité, la force, la précision sont incomparables.
M. Arthur Rubinstein est un grand, un très grand virtuose. Mais jamais il n’en abuse. Sa virtuosité sans pareille est toujours animée par une musicalité merveilleuse, par la sensibilité compréhensive et le goût sûr d'un vrai artiste. Et c’est pourquoi je crois ne pas me tromper en le plaçant parmi les plus grands maîtres du clavier de l’heure actuelle.
DISQUE D'ARTHUR RUBINSTEIN |
Le programme commençait par Chopin. Dès les premières notes de la Polonaise, on était conquis, envoûté. J'ai retrouvé un vieux numéro de "Bravo" avec une enquête sur Chopin. Permettez-moi de transcrire ici la réponse de M. Rubinstein à cette enquête :
"Une opinion sur Chopin ? Impossible ; je l’aime tout simplement. J'ai compris cela un jour quand à une question banale sur le choix de mon compositeur de prédilection, au lieu de prononcer le nom de Bach, réponse naturelle aux musiciens, je déclarai que c'était Chopin."
Ceci, je crois, peut illustrer l’interprétation des œuvres du génial compositeur par Rubinstein. Il ne l’analyse pas, il ne cherche pas des effets "à côté" ; il l’aime, il le sent et il le fait revivre pour nous par les sons.
Après la Polonaise (op. 54) ce fut la Sonate en si mineur. Connaissez-vous beaucoup d'œuvres plus belles que cette sonate ? On écoute comme dans un rêve l'allegro maestozo qui a l’allure volontaire et la flamme des derniers ouvrages beethoveniens; le scherzo vivace — originale fantaisie pleine de sentiment ; l’élégant et gracieux andante d’un sentiment si sincère et profond ; enfin le finale où apparaissent une fougue et un génie qui permettent de dire de Chopin qu'il est le dieu du piano.
DISQUE POLONAISES DE CHOPIN PAR ARTHUR RUBINSTEIN |
Après une très courte interruption, ce fut au tour de Debussy de nous charmer. La où il se livre à l'expression large et grandiose ; le Prélude en la mineur, l'Ondine, L’Isle joyeuse, sorte de Venusberg français et les Poissons d’or où règne toujours l’ordre d'un riche et parfait équilibre naturel dans les imaginations des sons simultanés, qui se succèdent sans apparente recherche d’originalité tant elle est ici innée. Debussy ne laisse vraiment à l’auditeur que la jouissance se refusant à lui en permettre sur le moment l’analyse. Il a le secret des évocations directes, immédiates (ainsi certaines mesures de Pelleas) sans qu’il soit possible de se rendre compte pour quoi cela est si parfait — et si simple. "Art impressionniste", disait-on dédaigneusement. Impressionniste ? Soit. Mais chez Debussy, sauf de rares exceptions, "impressionniste" ne doit jamais signifier écrit par taches, sans ligne nette. Impression, oui ; mais d’abord sentiment ; et dans la forme, unité parfaite.
Ce furent des œuvres de Ravel qui suivirent. Sa production pour le clavier en général peut sembler à première vue fort influencée par la manière de Debussy, et très probablement Ravel a été en partie amené à ses procédés ; propres par ceux de son aîné. Mais quand on regarde de plus près les œuvres de Ravel on peut constater à quel point son style, sa personnalité sont loin de ceux de l'auteur de Pelleas. Même les qualités qui leur sont communes ou qui ont entre elles une certaine parenté — je pense au côté spirituel — se présentent chez l'un et l'autre sous l’aspect le plus différent. Ravel est avant tout lui-même. Une personnalité nerveuse, colorée, hardie jusqu'à la témérité.
DISQUE D'ARTHUR RUBINSTEIN |
Les deux œuvres de Ravel inscrites au programme : Vallée des Cloches et Alborado del gracioso, forment avec trois autres pièces (Noctuelles, Oiseaux tristes et Une barque sur l’océan) une série intitulée "Miroirs". Les titres seuls indiquent la tendance au romantisme — mais dépouillé en même temps aussi complètement que possible de toute sentimentalité ; des dessins, des arpèges composés, l’absence généralement de "phrases »" pour s'en tenir à l’emploi de simples éléments thématiques. Dans la Vallée des Cloches, nous rencontrons une véritable phrase largement chantée et déclamée : mais la froideur des tintements qui s’éloignent en ensevelit bientôt le souvenir dans le suaire d’un lointain oubli. La verve d'Alborado del gracioso est un réconfort et une joie. Les glissandos, les notes répétées, les arpèges sèchement détachés et serrés forment un ensemble magnifique de pittoresque et de vie.
La troisième partie du programme était entièrement consacrés à Albeniz. Le temps me manque pour en parler longuement. Constatons seulement que M. Rubinstein est particulièrement à l’aise dans les œuvres des maîtres espagnols et de leurs rythmes si caractéristiques ; il sait dégager comme personne, avec une égale maîtrise, les côtés pittoresques, humains et musicaux. Evocacion, Cordoba, Triana, El Albaicin, Navarra déchaînèrent l’enthousiasme du public qui fit au célèbre artiste une ovation prolongée. Il dut revenir au piano pour enrichir ce programme, si riche déjà, d’une Mazurka de Chopin et du Rêve d’Amour de Liszt.
Et voici, en terminant, une bonne nouvelle ; nous aurons mercredi prochain, dans la même salle du Théâtre municipal, un autre régal artistique : Georges Thill, le grand ténor du moment présent, se fera entendre.
TENOR GEORGES THILL |
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