LA RÉSIDENCE IMPÉRIALE DE MARRAC EN 1910.
Le domaine de Marrac se situe sur la commune de Bayonne et comprend les ruines du château construit au 18ème siècle par Marie-Anne de Neubourg, reine d'Espagne en exil.
Voici ce que rapporta à ce sujet le Bulletin de la Société des Sciences et Arts de Bayonne, le
1er janvier 1910 :
"Le château Impérial.
... La chapelle de Marrac.
Le domaine de Marrac possédait une chapelle dans laquelle Anne de Neubourg, pendant sa résidence à St-Michel, allait faire ses dévotions ; jusques à la Révolution, tous les Dimanches, une messe était célébrée à son intention, suivant ses dernières volontés.
La chapelle fut de nouveau livrée au culte lors du séjour de S. M.. L'abbé Pradh, archevêque de Malines et grand aumônier, célébrait, tous les dimanches, le service divin à l'issue duquel l'Empereur tenait ses grandes audiences.
Après le départ de la Cour, la chapelle fut désaffectée et transformée en garde-meuble. Parmi les différents objets en dépôt, on remarquait deux magnifiques tapis de la Savonnerie estimés, l'un 5 572 francs et l'autre 5 700 francs ; une pièce de moquette de Tournay d'une valeur de 160 francs ; un somno en acajou ; un bidet couvert de basane, une table à bouillotte ; une chaise d'affaire, et la jolie tente en crépon de soie bleue et cramoisie envoyée par le Préfet des Hautes-Pyrénées, le 22 Septembre 1808.
St-Michel, annexe de Marrac, avait aussi son garde-meuble. Il renfermait un somno en bois d'acajou ; une chiffonnière à trois tiroirs garnis de filets de cuivre et galerie en cuivre ajourée ; une chaise gondole recouverte de damas jaune ; un fauteuil en bois d'acajou, de grandes dimensions, avec accotoirs portés sur pilastres à gaines, le haut des accotoirs en velours cramoisi cloué de galons en or fauve et terminé par des palmettes dorées, la traverse du fond ornée de deux griffons tenant une lyre en bronze doré au mat ; la traverse du dossier ornée d'un foudre le fauteuil estimé 400 francs. Un autre fauteuil en tout point semblable au premier. Ces deux sièges servaient de trône à LL. MM. les jours de grande réception et étaient complétés par deux tapis en velours de soie cramoisi d'une valeur de 900 francs.
RUINES MARRAC BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Lorsque Marrac et St-Michel furent livrés à l'administration de la guerre, ces meubles partagèrent le sort du mobilier impérial et rendus au mobilier national ou vendus aux enchères.
Marrac après 1809.
Depuis 1809, le Palais n'a plus reçu la visite des Souverains. Au moment du blocus de 1813, l'Empereur se souvint de Marrac et donna l'ordre d'incendier le Château si les Anglais entraient à Bayonne.
Les meubles furent transportés au Château-Vieux où ils restèrent jusqu'à la levée du siège. A la cessation des hostilités, le Colonel St.-Martin, Commandant d'armes et provisoirement du "Palais", (le général Sol avait succombé, pendant le blocus), reçut l'ordre de faire réintégrer les meubles dans la résidence impériale dont l'entrée fut interdite au public. Le général Abbé, avait été invité à placer une garde "pour la conservation de l'immeuble et afin qu'il n'y soit établi aucun logement militaire." (Ordre du Général Thouvenot du 17 Avril 1814).
Le 25 Mai, sur l'invitation du Commandant Supérieur, le Maire de Bayonne, Detchégaray, désignait un de ses adjoints pour procéder, de concert avec le Juge de Paix à l'inventaire de ces meubles. Quel fut le résultat de cette opération ? Nous l'ignorons Toutefois un inventaire dressé trois ans auparavant (Janvier 1810) par Barthélemy, le concierge, vu par l'Adjudant du Palais, Général Sol, vérifié par Lefuel, Conservateur de la Couronne et approuvé par Desmazis, administrateur du domaine impérial, estimait à 79 082 francs la valeur marchande des meubles meublant le Château.
En 1817, on songea à fonder à Marrac un collège.
LYCEE MARRAC BAYONNE 1907 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le Conseil. d'Arrondissement dans sa session d'Août s'était occupé de la question. il pensait que ces deux immeubles (Marrac et St-Michel) achetés 120 000 fr. en 1808, et dont le revenu n'était que de 1 500 fr. (vente de foins), tandis que ses frais de régie s'élevaient à 2 400. fr., pourraient être cédés à la Ville, et que cette session dégrèverait le domaine d'une charge fort onéreuse. Le Conseil estimait qu'avec 200 000 francs on pourrait faire un premier établissement. Trois instituteurs au traitement de 1 800 fr. formeraient le noyau de l'Institution Universitaire projetée. Les années suivantes, un pensionnat fractionné en deux Divisions, selon la capacité de Marrac d'une part et St-Michel de l'autre, "ne manqueraient pas de combler les désirs des parents qui ne veulent pas éloigner leurs enfants ou ne peuvent les envoyer au dehors".
Le Conseil faisait suivre ces considérations du voeu suivant : "Il appartient à l'administration de développer cette idée et de lui donner la suite dont elle est susceptible" (Séance du 23 Avril 1817), et le Conseil ajoutait : "c'est à Marrac qu'un homme parvenu à une puissance colossale prépara sa chute et une leçon utile aux Souverains par la perfidie la plus révoltante ; c'est à Marrac qu'un roi, modèle de bonne foi et de sagesse, autorisa la propagation des principes d'honneur et de probité, vrai mais unique fondement solide des Etats".
A la suite de ce vœu, notre assemblée communale, saisie de la question, dans sa séance du 10 Mai suivant en accepta le principe et nomma une commission pour étudier les voies et moyens de créer cet établissement universitaire.
Le 2 Juin, le Conseil Municipal votait la création du collège et chargeait le Maire de solliciter le don gratuit du Château. Mais à cette époque, Marrac, devenu bien national, n'appartenait plus au Roi ; il n'en pouvait faire l'abandon gratuit et la Ville pour réaliser son projet n'avait d'autre moyen que de faire l'acquisition du domaine. Ses ressources financières ne lui permettant pas cette grosse dépense, le projet fut abandonné.
Marrac et St.-Michel furent cédés en 1822 pour l'installation du grand parc d'Artillerie et servir de magasins aux immenses approvisionnements destinés à l'armée, en formation à Bayonne, que le duc d'Angoulême devait conduire en Espagne.
RUINES MARRAC BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Vers cette époque, les meubles du Château furent, en partie, remis à l'Administration et renvoyés au garde-meuble, et en partie, vendus aux enchères publiques et dispersés au gré des acquéreurs. Le salon de l'Empereur acheté, dit-on, par la famille Van Duffel, devint, par la suite, la propriété de Madame Castandet, née Bordeux, (elle habitait alors Saint-Martin-de-Seignanx, maison Lordon) elle en avait hérité de sa tante Mme Bordeux, née Van Duffel.
Il fait aujourd'hui l'ornement du salon de M. Hambro, directeur de la Banque d'Angleterre, à Londres.
La remise officielle de Marrac et de St.-Michel à l'administration de la Guerre eût lieu, seulement le 22 Avril 1824. Un an après, le 22 Juin 1825, le Château devenait la proie des flammes. Le sinistre fût attribué à diverses causes.
On prétendait que les Espagnols, pour venger le guet-apens de 1808, avaient résolu la destruction de Marrac. D'autres insinuaient que les officiers d'artillerie avaient mis le feu à l'immeuble, pour empêcher les jésuites d'y fonder un collège. Ce qui donnait créance à ces bruits malveillants, c'est que la population accourue, en hâte, pour porter secours, était tenue à distance par un cordon de soldats. Or, cette mesure n'était que la stricte observance des règlements militaires. Par prudence, il est prescrit, en effet, lorsqu'un incendie éclate dans un établissement de l'Artillerie ou du Génie, de fermer les portes et de ne laisser pénétrer que les autorités civiles et militaires et les pompiers. Ces établissements contiennent des poudres et des pièces d'artifice qui, en explosant, pourraient causer des malheurs autrement graves que des dégâts matériels.
Le désastre était tout à fait fortuit. La femme du Garde d'Artillerie logé à Marrac, en se rendant au bucher, avait mis, par mégarde, le feu à des copeaux. Affolée, à la vue de la flamme, elle se précipita au dehors en criant : "Au secours !". Des ouvriers du Génie travaillant non loin de là accoururent à son appel ; il était déjà trop tard, l'immeuble était à demi consumé.
RUINES MARRAC BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le rapport adressé le 23 Juin 1825 par le Chef du Génie au Colonel de Lamarre va nous faire connaitre les diverses phases du sinistre :
"Hier, vers cinq heures après-midi, le feu s'est manifesté dans la partie Ouest du Château de Marrac ; il s'est communiqué avec une telle rapidité que, dans l'espace de moins d'une heure, la charpente des combles a été en feu dans toute l'étendue du bâtiment. Sur les 6 heures la toiture s'est effondrée : le plancher, les boiseries se sont enflammés et l'incendie est devenu général. Tout a été la proie des flammes et aucune partie du bâtiment n'a pu être conservée. Ce matin, les poutres et poutrelles brûlent encore et le feu ne cessera probablement que dans la soirée ou peut-être plus tard.
Le poste de Marrac, le train d'Artillerie, logé à Saint-Michel, les ouvriers employés à la construction d'un hangar se portèrent principalement sur les lieux, à la première alerte, ne purent pénétrer dans l'intérieur du bâtiment. L'activité du feu a été telle que tous les moyens possibles ont été impuissants à l'arrêter.
Le bâtiment est entièrement détruit, les murs des faces qui restent encore debout sont lézardés et calcinés et l'on ne pourrait en tirer aucun parti ; dans la matinée, on a fait enlever les fers et les plombs tombés à l'extérieur du bâtiment.
Le Château n'était habité que par un Garde d'Artillerie et par un Officier du Train de la compagnie casernée à St.-Michel. Le feu a commencé dans la partie occupée par le Garde d'Artillerie, mais on ne sait comment il a pris ; il s'est communiqué avec une telle promptitude que l'on pense qu'il devait être dans les charpentes depuis quelques jours".
RUINES MARRAC BAYONNE 1902 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le Directeur du Génie, Colonel Lamarre, envoyait au Ministre de la Guerre, le marquis de Clermont-Tonnerre un rapport sur le même sujet :
"J'ai l'honneur de rendre compte à Votre Excellence que le Château de Marrac a été incendié hier. M. le Général Janin a dû vous instruire de cet incendie ce matin, par télégraphe. Depuis plusieurs mois, ce bâtiment qui avait servi de casernement, n'était plus occupé ; il n'y avait qu'un Lieutenant du Train et un Garde d'Artillerie chargés de surveiller les effets d'Artillerie qui avaient été déposés à Marrac pendant la Campagne d'Espagne et dont quelques-uns sont encore emmagasinés dans la Chapelle.
Ce garde d'Artillerie était à l'Arsenal de Bayonne, faisant son service. Vers les 4 heures et demie de l'après-midi, sa femme ayant eu besoin d'aller à son bûcher rempli de copeaux les trouva en flammes. Elle cria : "Au feu !" Les charpentiers employés à Marrac accoururent tous et voulurent pénétrer dans le bâtiment par l'escalier contigu au bûcher du Garde d'Artillerie ; mais il était déjà en feu et les flammes avaient gagné, par cet escalier, les mansardes dans lesquelles se trouvaient plus de soixante paillasses laissées suivant l'habitude des lits militaires, sur les bois de lits. Il parait que la paille et les bois de lits ont produit une grande flamme qui s'est communiquée en même temps, aux planchers, à la charpente et aux boiseries, de façon que l'intérieur du Château s'est trouvé embrasé en même temps. On prétend que les flammes sortaient par toutes les cheminées du Château avant qu'elles fussent ailleurs. Enfin vers cinq heures après-midi, l'incendie éclata en dehors du toit. En moins de dix minutes, le faîte parut en flammes d'un bout à l'autre. Le plomb fondu qui coulait de toutes parts était un obstacle pour s'approcher, et le feu des mansardes, ayant percé les planchers des chambres, tombait et enflammait les paillasses restées aussi sur les lits du rez-de-chaussée. Encore une demi-heure, les combles, en s'écroulant sur les planchers, rendirent l'incendie général.
J'étais accouru à la première nouvelle de ce malheur. M.. le Général Janin, M. le Sous-Préfet et le Maire ; le Chef du Génie et les Officiers s'y sont rendus aussi, ainsi que les troupes de la garnison.
Des pompiers arrivèrent, mais les progrès du feu étaient si rapides que nous avons été réduits à reconnaître l'insuffisance et l'inutilité de nos efforts pour arrêter le désastre. Dès lors, nous les avons dirigés pour empêcher l'incendie de se communiquer à la chapelle servant de magasin d'artillerie aux écuries, aux bâtiments et aux bois vers lesquels un grand vent portait les flammes, et les charbons allumés nous avons réussi à les préserver. Il a suffi pour garantir les bois, de couper les branches des arbres que les flammes approchaient de trop près.
Je ne me suis retiré que vers onze heures, après m'être assuré qu'il n'y avait plus aucun danger pour les autres établissements. M. le Général Janin avait fait rester un détachement d'artillerie et un bataillon pour fournir des sentinelles et des secours en cas de besoin. Le Maire a fait rester les pompiers de la Ville et leurs pompes. Un officier du Génie, deux Gardes du Génie, le Maître-charpentier et six ouvriers ont aussi passé la nuit par mes ordres.
En moins de deux heures, Monseigneur, toutes les charpentes, les planchers, les cloisons et toutes les boiseries furent en flammes de fond en comble. Il ne reste de ce bâtiment construit il y a plus d'un siècle, que des murs construits en pierres calcaires, qui sont probablement trop calcinées par l'effet de l'incendie pour qu'on puisse s'en servir".
Pendant la guerre franco-allemande une fabrique de cartouches avait été organisée dans les bâtiments de Marrac et St.-Michel, par notre concitoyen M. Marcqfoy, ancien élève de l'Ecole Polytechnique. La fabrique fonctionnait dès le 10 Octobre 1870 et son développement fût si prodigieux qu'elle était parvenue à charger jusques 1 200 000 cartouches par jour.
Le 20 Novembre suivant on avait entrepris avec succès la fabrication du fulminate. Ces deux établissements où tout était à créer, parvinrent à se développer et produire des résultats merveilleux et cela sans être le théâtre d'aucun accident. Un jeune savant, M. Mascart, professeur de physique au Collège de France, l'éminent collaborateur de M. Marcqfoy, afin d'activer la production et rendre la fabrication moins dangereuse, avait substitué au fulminate de mercure, un fulminate à base de chromate de plomb, d'après les procédés de l'Ingénieur des mines Linder, Directeur de la Capsulerie de Bordeaux.
RUINES MARRAC BAYONNE 1913 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Cartoucherie et Capsulerie furent fermées le 25 Mars 1871 et les deux cents ouvriers, parmi lesquels un grand nombre de femmes, licenciés.
Le voeu de 1817 allait enfin s'accomplir. Un magnifique établissement d'Instruction, dû à l'initiative et énergique persévérance de notre dévoué concitoyen Vital Biraben, était construit dans le parc de Marrac ; il ouvrait ses portes le 24 Novembre 1879.
Le temps et le progrès ont complètement modifié les lieux ; le parc a disparu et fait place à un superbe lycée international.
Depuis 1825 des batteries d'artillerie venues de Toulouse, ou des Escadrons de Cavalerie, détachés d'Auch ou de Tarbes, ont occupé les divers bâtiments de Marrac et de St-Michel. Saint-Michel sert actuellement de salle de rapport, de mess, de cantine, d'ateliers, de magasins des trois compagnies logées dans les casernes nouvellement construites. Celles-ci ont été implantées sur le plateau de St.-Michel. Les logements sont installés avec un souci de l'hygiène et un luxe inconnus, jusqu'à ce jour par nos troupiers.
CASERNE ET TOUR NAPOLEON MARRAC BAYONNE |
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