LA RÉSIDENCE IMPÉRIALE DE MARRAC EN 1910.
Le domaine de Marrac se situe sur la commune de Bayonne et comprend les ruines du château construit au 18ème siècle par Marie-Anne de Neubourg, reine d'Espagne en exil.
Voici ce que rapporta à ce sujet le Bulletin de la Société des Sciences et Arts de Bayonne, le 1er
janvier 1910 :
"Le Domaine et la Résidence Impériale de Marrac.
Le Domaine de Marrac.
Le voyageur ou le touriste que les nécessités du commerce ou les plaisirs du "Camping" conduisent au pays basque, trouve, à petite distance de Bayonne, au milieu d'arbres séculaires, des murs lézardés, noircis par le temps, qui se profilent silencieusement de la route de Cambo.
Ce sont les ruines du château de Marrac, rendu un moment célèbre par le séjour de Napoléon en 1808; Du château, de ses salons témoins de tant d'événements tristes et joyeux, politiques et mondains que reste-t-il ? Des murs branlants qu'un enchevêtrement de plantes parasites maintient sur leur base comme par miracle !
Le domaine de Marrac est fort ancien et nos Archives Municipales possèdent de nombreux documents où il est cité.
En 1490, vivait à Bayonne un Esteben de Marrac. Etait-il propriétaire du domaine ? Lui a~t-il donné son nom? La chose n'a rien d'invraisemblable car, Estében était marié à Marie Lahubiague et le domaine de Lahubiague était, et est encore voisin de celui de Marrac.
RUINES MARRACQ BAYONNE 1902 |
Les rapports de bon voisinage ne devaient pas être étrangers à cette union.
L'Hôtel de la Monnaie avait en 1501, un maître-particulier du nom de "Jean de Marrac", propriétaire d'une maison, rue de la Salie et une autre au Vergier du Roy, au territoire de Palaytz. Plus tard en 1560, ce nom se retrouve dans un procès-verbal de saisie faite à l'entrée du "Boucault", par ordre du Conseil de Ville, de galions de brai et rézine appartenant à un négociant, originaire de Capbreton, du nom de "Etienne Baille, dit Marrac".
Dans le rôle des héritages "des quatre portes" plantées en vignes, il était fait rapport, en 1634, de l'héritage de Largenté-Chauron-Larrondouette-La Floride-Saint-Forçets-Lahubiague et Marrac.
Qui était à cette époque lointaine, le propriétaire du domaine ? Nous n'avons pu le savoir, le registre en question ayant été détruit dans l'incendie de l'Hôtel-de Ville, en Décembre 1889.
Le domaine devint en 1660, la propriété de Jean de Sorhaindo, bourgeois et marchand qui mourut à Marac le 14 Octobre 1677.
Marrac est encore cité dans deux décisions du Corps de Ville, l'une en 1774 pour un alignement du grand chemin de Bayonne en Espagne "entre l'héritage Saint-Michel ou Marrac appartenant à J.-B. Picot et les terres dites Destanquet, appartenant au Séminaire". L'autre en 1784 "pour l'alignement du mur de clôture d'un héritage, dit Largenté sur le chemin royal en face du mur.de Marrac".
La Reine douairière, Marie-Anne de Neubourg, Veuve de Charles II, obligée de quitter l'Espagne, à la suite d'intrigues politiques vint, en 1706, fixer sa résidence à Bayonne. Le Gouverneur de la Ville avait mis à sa disposition le Château-Vieux où elle logea en attendant que les maisons de Bénac et Montaut qu'elle avait louées fussent prêtes à la recevoir ; elle faisait choix, en même temps, pour passer la saison d'été, du domaine de Lissague, situé à St.-Pierre d'Irube.
Lissague, après quelques années de séjour estival, lui ayant paru monotone et sans agrément, elle alla se fixer à St.-Michel, (l'héritage appartenait alors à la famille Picot) où de nombreuses années elle tint cour royale et reçut la haute société de Bayonne et des environs.
RUINES CHÂTEAU MARRACQ BAYONNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Son esprit romanesque, fantasque, capricieux ne pouvait se complaire longtemps dans les mêmes lieux ; elle se décida, disent les chroniqueurs bayonnais, à faire construire, à grands frais, dans le domaine de Marrac, un château connu depuis sous le nom de Palais de la Reine.
On prétend même que, contrariée de voir une dame de sa suite y occuper un appartement sans son autorisation et avant l'achèvement des travaux, elle ne put se résoudre à l'habiter. Voilà la légende ! La vérité est autre !
La Reine douairière avait, comme dame d'honneur, une de ses voisines de campagne, Josèphe de Laborde, née d'Urtubie, femme d'un riche négociant de Bayonne et propriétaire à Marrac d'une belle maison de plaisance avec chapelle, fontaine, jardin, bosquet. A la mort de J. de Laborde, sa veuve épousa le Comte Pierre de Bruix, majordome de la Reine ; le comte et la comtesse abandonnèrent leur charge à la Cour pour habiter Paris. C'est alors qu'Anne de Neubourg, par amitié ou reconnaissance des services rendus par sa dame d'honneur lui acheta Marrac.
L'acquisition fut faite pour "Douze cents livres de rente foncière du bail d'héritage" stipulé rachetable au nom de la Reine douairière par Léon Brethous, écuyer, gentilhomme de la Grande Vénerie de France, demeurant à Bayonne, rue du Pont-Majour, paroisse Notre-Dame, représenté par son frère Bernard Brethous, demeurant à Paris en vertu d'une procuration du ministère de Pierre de Lesseps, notaire royal à Bayonne, du 10 Septembre 1729.
Les actes furent signés à Saint-Germain-en-Laye, rue du Marais, domicile du comte de Bruix.
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Un certain aventurier allemand le baron de Polnitz, qui avait couru les capitales à la recherche d'une position et s'était fait présenter à la douairière, nous a laissé dans ses mémoires publiés en 1725, le tableau de la Cour espagnole et un portrait assez irrévérencieux de la dame d'honneur de la Reine : "Il y avait à la Cour une femme qui, par ses manières assez libres et qui tenaient un peu de la folie, avait su faire sa cour si adroitement, que la Reine avait pour elle plus de bontés que ne méritaient les services qu'elle pouvait rendre. Cette femme s'appelait "La Borde". Elle était veuve d'un marchand, et depuis s'était remariée avec le Majordome de la Reine. C'est elle qui gouvernait la maison de S.M. chez laquelle elle ne manquait pas de se rendre tous les jours. La princesse avait permis à cette femme de s'asseoir en sa présence ; ce qui l'avait rendu si vaine ; qu'elle ne se souvenait plus son premier état. Elle affectait un air de princesse qui ne lui allait pas du tout et qui lui attira bientôt la haine non seulement des officiers de la Reine, mais de tout Bayonne."
Le baron allemand a dû se faire, dans ces lignes, le porte parole des sentiments d'envie, de jalousie, de rancune de tout le personnel de la "Camarilla" car la favorite appartenait à la riche bourgeoisie bayonnaise, (un de ses frères était bailli de Labourd), et elle était alliée aux meilleures familles du pays, les de Roll, les Dulivier, les Lespès de Hureaux, etc.
Ces extraits des mémoires du baron de Polnitz, nous permettent de faire remarquer le côté fantaisiste de certaines légendes qu'il est souvent difficile de détruire. C'est le cas pour Marrac et le lecteur verra, à la suite de cette étude, que la belle maison de campagne avec toutes ses dépendances, chapelle, fontaine, mur de clôture, etc, existait bien avant la prise de possession du domaine par la douairière.
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Pour quel motif Anne de Neubourg, au moment de quitter la terre d'exil, a-t-elle rétrocédé Marrac ? Etait-ce un nouveau caprice ? La loi espagnole interdisait-elle aux membres des familles régnantes de posséder hors du royaume ?
Le Palais de Marrac fut rétrocédé en 1738, au Marquis de Peñafuente, au rapport de Piquessary, notaire : "Aujourd'hui, troisième de Juin Mil sept cent trente huit, dans le Palais de Marrac, Saint-Gabriel, par devant Nous, notaire royal et apostolique, a été présent Sieur Léon Brethous, citoyen de la Ville de Bayonne y demeurant, lequel nous a déclaré que par contrat passé par devant Melin, notaire à Paris, le douze Novembre Mil sept cent vingt-neuf, il a acquis de défunte dame Joséphine, d'Urtubie, épouse du Comte de Bruix, le présent Palais de Marrac, sa chapelle et ses dépendances, entourées de murailles, ayant fait cet achat par ordre de la Sérénissime Reine douairière d'Espagne, le payant des deniers de S. M. et voulant S. M. qu'il en soit passé une rétrocession à Mgr. Don Tomàs de Aguilera de los Rios, Marquis de Peñafuente, Majordome et Gouverneur de sa Royale Maison et écuries, le dit Brethous a, par ces présentes rétrocédé la dite acquisition à mon dit Marquis de Peñafuente, au nom et comme représentant S. M. ; et comme le d. Brethous depuis le dit achat a fait agrandir la cour du dit Palais et construire sur un terrain dépendant de l'héritage de Sanguinel qu'il a ci-devant acquis du dit Sieur Comte de Bruix, mon dit Seigneur de Peñafuente a trouvé que pour les commodités et le service du Palais de Saint Gabriel, il convenait de laisser la cour telle qu'elle était et d'ajouter encore au dit Palais ce nouveau bâtiment ; en conséquence, le dit Brethous a fait vente et cession, par le présent acte, de la dite cour et bâtiment à mon dit Seigneur le Marquis de Peñafuente, au nom et comme représentant de S. M. pour la somme de douze-mille quatre-cent cinquante-deux livres pour le paiement de laquelle mon dit Seigneur le Marquis de Peñafuente a délivré au dit Brethous, une ordonnance de pareille somme, en date de ce jour, signée de mon d. Seigneur de Peñafuente, sur le Marquis de Ugena, trésorier de S. M. moyennant lequel paiement, le dit Palais de Marrac-Saint-Gabriel et le dit bâtiment, cour et toutes ses dépendances, demeurent totalement déchargés.
Fait et passé en présence de Don Nicolas Portillo y Léon, avocat et contador de la Maison de S. M. et de Etienne Léglise, négociant de la Ville de Bayonne y habitant, ci-signés avec mon d. Seigneur Marquis de PeÑafuente, au nom de S.-M. les témoins et Nous.
Signé Marquis de Peñafuente-Nicolas Portillo y Léon, Léon Brethous, E. Léglise. Piquessary, notaire royal.
Contrôlé et insaisiné à Bayonne le 25 juin 1738,
Gratis, en conséquence de l'Ordonnance de Mgr de Saint Contest, intendant, de ce jour : Demarmaïou".
Anne de Neubourg, atteinte d'une maladie grave, s'éteignait, le 22 Août 1740, à Gudalaxara où elle s'était retirée, laissant pour héritière unique et universelle, sa nièce Elisabeth Farnèse, qui s'empressa d'exécuter les dernières volontés de sa tante et de payer les dettes par elle contractées pendant son séjour à Bayonne.
Lorsque la Reine-mère Elisabeth mourut, ses biens furent partagés entre ses héritiers, à l'exception du Palais de Marrac qui avait reçu une affectation spéciale.
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Un article du testament de la douairière portait en effet :"qu'elle avait fait construire le palais sur un terrain qui ne lui appartenait pas que sa volonté de rester propriétaire, après avoir payé un juste prix au maître du terrain qu'elle recommandait à ses héritiers de le retirer des mains de ceux qui en jouissaient, afin de faire une fondation perpétuelle, pour l'honneur de son nom et le repos de son âme."
Le Consul d'Espagne, à Bayonne, reçut l'ordre de mettre en vente, aux enchères publiques, contrairement aux volontés de la douairière, le Palais et ses dépendances.
De nombreuses compétitions surgirent alors pour entrer en possession du domaine réservé.
Un riche colon de Saint-Domingue, J.-B. Picot, propriétaire de plusieurs héritages sur le plateau St-Léon, fit des propositions d'achat au gouvernement espagnol, par son fondé de pouvoir à Madrid, Don Patricio Toyes. Il offrait, outre le prix de vente, de verser à l'hôpital de Madrid la somme de soixante mille réaux de Vellon et prenait l'engagement de faire célébrer dans la chapelle de Marrac, une messe à perpétuité chaque dimanche et fêtes de l'année pour le repos de l'âme de la Reine.
Ces propositions furent agréées par le Conseil de Castille et soumises à l'approbation royale. Par ordonnance du 15 Juillet 1775, le Marquis de Campomanes, fiscal du Conseil était chargé au nom de S. M. C. de faire dresser l'acte de vente en faveur de J~B. Picot, Marquis de Clermont.
L'acte fut passé le 14 Juillet par devant Don Simon Rozas y Negrete, notaire royal à Madrid.
Quinze ans plus tard, le 9 Mars 1784, l'Evêque de Bayonne, Pavée de Villevielle, achetait Marrac pour en faire sa maison de campagne et St.-Michel pour y fonder un séminaire.
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