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jeudi 5 mai 2022

LE NATIONALISME DANS LES PROVINCES BASQUES EN 1904 (première partie)

LE NATIONALISME DANS LES PROVINCES BASQUES EN 1904.


Dès la fin du 18ème siècle, l'idée de nationalisme Basque commence à naître, en Pays Basque Sud (Hegoalde).





pais vasco antes nacionalismo
SABINO ARANA GOIRI



Voici ce que rapporta La Petite Gironde, le 8 avril 1904, sous la plume de C. Béguin :



"Le Nationalisme dans les Provinces basques.



Aux deux extrémités de sa frontière, sur les bords de la Méditerranée et sur ceux de l'Océan, l'Espagne possède des provinces animées d'un patriotisme local très ardent et qui, sous l'influence de leur histoire, de leurs traditions, de leur langue, tendent vers une existence indépendante. Eu Catalogne et dans les provinces basques, il y a antagonisme entre le pouvoir central, qui s’efforce de maintenir ou d'accroître ses privilèges, et l'esprit national, qui aspire à s'affranchir de tout contrôle. Cet antagonisme existe de longue date, il explique que ces provinces aient été le foyer et le principal point d’appui des insurrections carlistes qui à deux reprises ont désolé l'Espagne dans le courant du siècle dernier. Le grand succès du carlisme vint, en effet, de ce qu'il sut exploiter les deux sentiments les plus enracinés au cœur des populations basques et catalanes : je veux parler du rattachement aux libertés locales et de la foi religieuse.



Aujourd'hui, le carlisme semble avoir renoncé à l'action violente, soit qu’il considère celle-ci comme ayant peu de chances de succès, soit que le représentant de la légitimité, désabusé sur le caractère providentiel de sa mission, soit faiblement tenté par l'activité pleine d'aléas et de dangers qu'exigerait une entreprise sur la couronne de Castille. Aussi, les revendications qu'il avait pris l'engagement de satisfaire ont-elles dû s’abriter sous une autre bannière. De là l'entrée en scène, depuis quelques années, de partis nationalistes, voirie même séparatistes, en Catalogne et dans les provinces basques. Il ne faudrait pas s’y tromper, en effet ; le catalanisme et le biskaïtarrisme — c'est ainsi qu'on désigne l'opinion nationaliste dans les provinces basques — représentent tout simplement une évolution du carlisme. Le programme est différent, mais les tendances politiques et sociales sont les mêmes. On objectera peut-être que le catalanisme compte dans son sein des éléments d'une nuance républicaine très caractérisée. Cela est exact. Mais ceux-ci sont noyés dans la masse cléricale et ultra-réactionnaire, et, du reste, il semble bien qu’ils aient reconnu depuis quelque temps la nécessité de secouer une solidarité aussi gênante pour leur action que compromettante pour leur dignité, et de se rallier purement et simplement aux partis républicains espagnols. Par contre, dans les provinces basques, le parti nationaliste présente une homogénéité parfaite et se compose uniquement d'éléments ultramontains. 



Je le répète donc : le nationalisme espagnol, qu’il soit basque ou catalan, se rattache au carlisme au double point de vue de ses origines et de ses tendances. Ces révolutionnaires qui dénoncent la tyrannie de l’Espagne sont les défenseurs de l'absolutisme politique et religieux. La liberté qu’ils réclament est celle de revenir vers le passé et de faire revivre un état de choses archaïque, en contradiction avec les idées et les besoins modernes. Ce sont là des points sur lesquels on ne saurait assez insister auprès du public français, trop enclin souvent à encourager de ses sympathies des mouvements sur la nature desquels il est insuffisamment renseigné et qu’il juge par analogie, sans se rendre compte que certains termes, suivant les milieux, peuvent servir à désigner des aspirations très différentes. L‘erreur serait grossière de considérer le nationalisme tel qu'il se manifeste dans la Catalogne ou dans les provinces basques comme une tentative d’émancipation inspirée par la notion de progrès.  



Jusqu’à une époque qui n’est pas encore très éloignée de nous, les provinces basques et la Navarre, en vertu du régime foral ont vécu à l’état de petites républiques et formaient comme une nation à part. Elles possédaient leurs lois propres, se gouvernaient et s'administraient elles-mêmes, sans que le gouvernement de Madrid intervînt en quoi que ce fût dans leurs affaires intérieures ; en un mot, elles jouissaient de l'autonomie la plus large et la plus complète. J'ajoute qu’elles avaient le droit de battre monnaie et qu’au point de vue douanier elles constituaient un territoire indépendant. Les souverains espagnols n'étaient pas rois dans les provinces basques, mais simplement seigneurs, et à leur avènement l'usage voulait qu’ils prêtassent le serment de respecter le fuero ou charte des franchises de la province. Dans chacune de celles-ci, le roi d’Espagne était représenté par un fonctionnaire désigné, sous le nom de corregidor, sorte de ministre résident dont les attributions se bornaient ou à peu près à présider les assemblées délibérantes locales, et qui notait même pas investi d'un droit de veto à l'égard des décisions votées par ces dernières. 




pais vasco antes fueros carlistas
PROVINCES VASCONGADES ILLUSTREES
PAYS BASQUE D'ANTAN

Les Basques étaient très jaloux de leurs privilèges et se défendaient énergiquement contre toute entreprise pour porter atteinte. Au commencement du dix-huitième siècle, le pouvoir royal s'étant avisé de transporter les bureaux de douane à la frontière, il en résulta un commencement d’insurrection devant lequel il dut capituler. Plus tard, au début de 1808, Ferdinand VII se vit obligé, devant les représentations des députés de la Biscaye, de rapporter une mesure créant à Bilbao les emplois de gouverneur militaire et de capitaine du port. Le fuero de cette province spécifiait, en effet, que le seigneur ne pourrait entretenir sur le territoire de celle-ci ni amiral, ni officier quelconque. 



En échange de la situation spéciale qui leur était garantie, à quelles obligations étaient tenues les provinces basques envers la monarchie espagnole ? En droit, il semble bien qu’elles aient toujours été exemptes de toute charge. En fait, elles lui fournissaient des subsides et des troupes lorsqu’elles en étaient sollicitées ; mais elles discutait ni librement la nature et l’importance du concours qu’elles étaient appelées à prêter. 



Quant au régime intérieur, il avait un caractère patriarcal, ce qui se conçoit aisément si on considère qu’il s’agissait d'une population de mœurs très simples, adonnée presque exclusivement aux choses de la mer ou aux travaux agricoles. L’organisation municipale variait avec les villes ou les villages. La législation était peu compliquée et résidait autant dans les usages que dans les textes écrits. 



A la suite de la première guerre carliste, la situation privilégiée reconnue jusqu’alors aux provinces basques subit une sérieuse atteinte. Un décret du général Espartero du 29 octobre 1841 supprima les corregidors, introduisit l’organisation judiciaire en vigueur dans le reste de l’Espagne, et ordonna le transfert des douanes à la frontière. Quelques années plus tard une ordonnance royale appliqua aux provinces basques la loi municipale espagnole. La seconde guerre civile porta le coup définitif aux fueros ; la loi du 29 juin 1876, proposée par M. Canovas del Castillo, les abrogea, en effet, complètement. C’était la rançon imposée par l’Espagne à ceux qui trois ans durant l'avaient couverte de ruines et de sang. Le vote de cette loi inspira à Emilio Castelar ces paroles profondément mélancoliques, prononcées devant la Chambre des députés espagnole, et que je crois utile de rapporter parce qu’elles caractérisent l'importance historique de l’événement qui venait de s'accomplir, en même temps quelles peignent la générosité d’âme du grand orateur : "Nous assistons ici, disait-il, aux funérailles de la liberté d'une race avec le recueillement et la douleur qu’inspirent toujours les sublimes tristesses de la mort. Les feuilles de l’arbre de Guernica gisent desséchées, et, sur ces dalles, elles ne font pas même le bruit qu'elles feraient sur la terre détrempée par les pluies de l'automne. Ce qui frappe surtout notre oreille, ce sont les lamentations de ceux qui naquirent sous son ombre bénie et qui ne pourront pas la transmettre à leurs descendants. Il importe de le dire : quelque chose de grand meurt aujourd’hui dans la nationalité espagnole ; des libertés antiques disparaissent qui unissaient à la vertu du droit le prestige de la poésie et de l’histoire. Mais en voyant le peuple euskarrien défendre avec l’énergie du désespoir les derniers vestiges de ses fueros, il me semble entendre la voix de ses pères qui lui disent comment les libertés acquises et conservées par le bon sens et la prudence se perdent par les folies de la guerre." 



Depuis 1876, les provinces basques ont perdu l'immunité fiscale, l’indépendance douanière, le droit de pourvoir aux emplois publics ; elles sont soumises au recrutement militaire et à la conscription maritime. En un mot, elles sont aujourd'hui, à peu de chose près, assimilées aux autres provinces du royaume. Des privilèges dont elles jouissaient autrefois, il ne leur reste plus qu'une certaine autonomie en matière administrative et financière. C'est ainsi que les députations provinciales assurent la direction de certains services qui ailleurs sont du ressort de l'Etat, comme par exemple la construction et l'entretien des routes. D'autre part, elles fixent et répartissent l'impôt. Les rapports financiers de chaque province avec le pouvoir central sont déterminés par la voie d’accords désignés sous le nom de conciertos economicos, renouvelables de dix en dix ans, et qui fixent pour cette période le montant de sa contribution aux impenses du budget espagnol. 



Dans le domaine financier et administratif, on conçoit qu’il y ait matière à discussion et que les organismes régionaux éprouvent le besoin de se défendre contre l'action toute puissante de l'Etat. Mais le parti nationaliste a porté ses revendications sur un terrain tout à fait différent. J’examinerai dans un prochain article la nature de ccs revendications."




Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

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