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dimanche 22 mai 2022

L'ART POPULAIRE AU PAYS BASQUE NORD EN 1897

L'ART POPULAIRE AU PAYS BASQUE NORD EN 1897.


A partir de 1892, ont été organisées, à Saint-Jean-de-Luz, en Labourd, les 15 août, à plusieurs reprises, des Fêtes de la Tradition.



pays basque autrefois tradition fêtes
FÊTE DE LA TRADITION ST JEAN DE LUZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta au sujet de la 3ème édition des ces fêtes, le journal La Libre 

Parole, le 12 août 1897, sous la plume d'O' Divy :



"L'Art au Pays Basque.



Les fêtes de Saint-Jean-de-Luz. — La tradition au Pays Basque. — Le génie musical d'un peuple. — L’âme d’une race



L’esprit des vieux âges, qui parfois sort de terre durant les nuits calmes, aux heures où dorment les êtres perturbateurs de nos jours, l’esprit des vieux âges commence sans doute de planer dans l’air autour de lui... Pierre Loti. (Ramuntcho, chap. XIII.) 



En débarquant à Saint-Jean-de-Luz, je fus tout de suite pris par le charme un peu solitaire d’une baie qui semble fuir le bruit des houles et unit la grâce des Pyrénées naissantes à la splendeur de l’Océan épanoui. Un casino tranquille, qui regarde le large, et—jusqu’ici, du moins — a l’esprit de laisser à l’écurie les petits chevaux, me mit de bonne humeur. Je vis que cet endroit serait mon ami ; il en est des lieux comme des hommes : la première rencontre décide des intimités. 



Mais ce que je ne soupçonnais pas, je l’avoue, c’est que j’étais au cœur d’un pays qui souvent hanta mes songes, d’un pays qui a la chance d’échapper encore au nivellement brutal de l’époque, qui n’a point perdu son âme dans le tohu-bohu contemporain, conserve jeunes ses vieilles traditions, garde sa foi, son caractère, sa physionomie, son allure, ses villages, ses vallées, ses chapelles, ses cimetières, sa façon de naître, de vivre, de rire, de prier, de s’amuser, de se recueillir, de mourir, sa fantaisie et sa vigueur, ses danses et ses rythmes, ses rêves et ses jeux. 



Ce que je ne soupçonnais pas, c’est que des originalités que je croyais défuntes, à jamais disparues de la terre, reléguées dans l’imaginaire domaine du roman, allaient surgir sous mes yeux, animées et réelles, et que deux amis que j’aime me serviraient de guides à travers le savoureux labyrinthe de ces authentiques résurrections. 



Laissez-moi vous conter ma surprise. 



Avant-hier, je travaillais dans ma chambre de l’hôtel de France lorsque, par ma fenêtre ouverte, entra soudain un vaillant écho. Je fus stupéfait : Cela n’était-il pas le chef-d’œuvre de Vittoria, l'admirable messe Quarti toni, révélée aux modernes oreilles par les Chanteurs de Saint-Gervais et dont naguère j’ai parlé aux lecteurs de La Libre Parole ? Saint-Gervais à Saint-Jean-de-Luz ? Pas possible ! Et si, pourtant...



L’église est située juste en face de moi ; je supposai qu’on y répétait le chef-d'œuvre pour quelque cérémonie, et j'y courus. Elle se taisait, et nul chant ne réveillait son extase. 



Il est exquis, ce sanctuaire, comme d'ailleurs tous ceux du pays Basque ; un triple étage de tribunes, dont les bois élancés, patinés par le temps, dessinent sur le sot des arabesques d’ombres s’agrippe aux murs coloriés ; derrière l’autel, un peuple de statues dotées, armées de croix et de palmes, monte jusqu’aux soleils et aux étoiles qui brillent dans le ciel harmonieusement polychrome de la voûte. Je savourai, une minute, la paix ardente et forte du lieu, et je rentrai à l’hôtel. 




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EGLISE DE ST-JEAN-DE-LUZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Comme je regagnais ma chambre, je heurtai presque, sur les marches de l'escalier, un assez grand monsieur que je ne regardais pas, et qui, d’une voix vibrante de cordialité, s’exclama : 

— Tiens ! O’ Divy ! A Saint-Jean-de-Luz !.. 



journaliste paris autrefois
EMILE DE ST AUBAN DIT O' DIVY



Je levai le nez, et reconnus... Comme dans la chanson, je ne puis vous le nommer, car, bien qu'il soit très répandu dans le monde artistique où l'on raffole de ses suggestifs aperçus et où il cause, en badinant, des feuilletons que bien peu seraient capables d’écrire, il a le travers de se croire obscur, et veille jalousement sur sa pseudo-obscurité, comme d’autres sur leur pseudo-célébrité.



 — Quelle chance de vous trouver ici ! 

— Ici, c'est gentil, repris-je. 

— Mieux que gentil, superbe. Vous doutez-vous que vous respirez en plein pays Basque ? 

— Quoi ? Le pays de Gracieuse ? 

— Et de Ramuntcho, parfaitement !

— Alors Loti ne l’a pas inventé ? 

— Du tout ; il l'a copié pas mal, du reste, au moins quant aux choses, car sa psychologie des personnes est plus douteuse.

— Je verrai donc la Ghizune ? 

— Vous la voyez chaque fois que vous sortez ; c'est la montagne qui ferme le vallon et semble garder là baie. 

La Rhune

— Oui. 

— Et le village de Ramuntcho ? Il existe, lui aussi ? 

— Je crois bien ; il se nomme Sare ; à peine est-il distant de quelques kilomètres ; je vous y conduirai ; nous visiterons son église, son cimetière, son jeu de paume ; je vous présenterai mon ami l’instituteur... 

— Et Ramuntcho

Ramuntcho n’y est plus ; Loti, je crois, l'a pris à son service. 

— Comme mon frère Yves ; Loti n’a pour domestiques que des héros de roman, à moins que son imagination ne fasse des héros de roman de ses domestiques, ce qui revient au même. 

— Quelle région, mon ami ! Une sérénité particulière l’enveloppe ; elle semble dire : "Mangez, priez et mourez" ; elle est humaine, au sens profond du mot, je veux dire appropriée aux hommes, mais à des hommes spéciaux, capables de peupler une solitude sans la gâter. Et puis, vous qui êtes un provincial, je veux dire un fervent de l’autonomie provinciale, vous goûterez ici d’ineffables jouissances ; l’exportation demeure prohibée ; tout est Basque... 

— Même la messe Quarti toni, qu’on répète là, à côté ? 

— Ne riez pas ; savez-vous qu’il y a des chances pour que Vittoria ait été Basque ? 

— Je le croyais simplement Espagnol. Je m’explique, alors, sa popularité. 

— Elle tient à une autre cause ; et cette cause porte le nom d’un musicien que vous aimez : elle s’appelle Charles Bordes. 




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COMPOSITEUR CHARLES BORDES


— Comment ! Bordes, notre ami, Bordes, le capitaine de cette phalange des Chanteurs de Saint-Gervais, qu’il façonne à son noble et pur idéal, dont il est l’énergie et le souffle, Bordes, l’audacieux qui a tiré du tombeau, où l’ensevelissaient nos décadences, les merveilles du Plain-Chant et de l’art palestrinien, qui sert hors des couvents, l’idée bénédictine et travaille à la purification du Plain-Chant grégorien, la partition sublime de l’Eglise, la sonore émanation du Dogme dont l’impérieuse for mule résonne en lui éperdument, le Bordes de la Schola cantorum, ce Bordes-là est Basque ? 

— Ou peu s’en faut ; s’il ne l'est de naissance,  il l'est par naturalisation. En 1889, le ministère de l’Instruction publique le chargea de recueillir les chants populaires de la contrée ; depuis, chaque été, il y revient ; il y passe un mois ou deux ; je l’accompagne ; nous louons une maisonnette où nous mangeons la délicieuse garbuze ; nous y installons notre petit piano portatif ; les passants nous apprennent les antiques mélodies de la montagne ; Bordes les note au fur et à mesure ; bientôt il les publiera et vous goûterez ces bijoux, délicieuses ciselures où vibre l’âme d’une race. En attendant, demandez-lui de vous en jouer quelques-unes. 

— Bordes est donc ici ?

— S'il est ici ! Mais sa présence est plus que jamais nécessaire. Vous ne savez donc pas ? 

— Quoi ? 

— Le 15 août, commence à Saint-Jean-de-Luz, pour finir le 22, la troisième série des Fêtes de la Tradition Basque, déjà célébrées deux fois en 1892 et en 1894, sous les auspices de la Société Nationale d'Ethnographie. C’est un vrai Congrès d’art populaire qui va se tenir. On y dansera la danse nationale "Aurrescu", exécutée par les jeunes danseurs de Villafranca ; on y jouera une grande partie internationale de Paume au Rebot et de Blaid au Chistera ; rythmes traditionnels et héroïques, courses et jeux d’agilité pour les femmes, pastorale souletine  "Abraham" représentée par les jeunes gens de la commune du Barcus, concours de Tambourinaires Basques, Espagnols et Français et Irrintzinas, grande mascarade souletine ; je ne puis vous énumérer tous les articles du programme, toutes les attractions piquantes ou grandioses des prochaines solennités. 



saint jean de luz 1897 pays basque autrefois
FÊTES TRADITION BASQUE ST JEAN DE LUZ 1897
PAYS BASQUE D'ANTAN


La partie musicale est de premier ordre : d’abord, les chants populaires recueillis par Bordes ; et puis, cette messe Quarti toni qu’on répète, sans compter le Diffusa est gratia de Nanini, l'Alleluia et l'Introït de la messe grégorienne de l’Assomption, des motets de Josquin des Prés, de M. l’abbé Boyer... Au surplus, voici Bordes ; je lui passe la parole. 

— Et moi, je la passe à mes interprètes, me dit le jeune maître en me serrant la main ; précisément, ils vont répéter ; venez avec moi... Cette répétition sera pour moi inoubliable. Imaginez des hommes de tout âge et de toutes conditions, des petites ouvrières bien habillées et bien coiffées, comme la Gracieuse de Loti, gravement rangés en deux groupes, côté des messieurs, côté des demoiselles, et entonnant avec une fermeté imperturbable les complexités les plus redoutables de Nanini et de Vittoria. Les têtus qui persistent à dire que cette musique n’est point à la portée des chanteurs populaires, feront bien de s’offrir le voyage de Saint-Jean-de-Luz ; on pourrait leur accorder une réduction de tarif, mais personne n’en profiterait, car, pour en profiter, il faudrait avouer qu’on est têtu... 



Elle est enlevée d’une sorte vraiment remarquable par nos Basques des deux sexes la messe Quarti toni, surtout le Gloria. Une tendance, quelquefois, à s’emballer, un entrain presque excessif ; on dirait, en écoutant ces voix chaudes, que la montagne se grise de sa force, qu’elle exhale avec trop d’ardeur l'agreste symphonie de ses vigoureux parfums ; mais la bonhomie joyeuse du professeur tempère les exubérances : "Mesdemoiselles, quand il y aura un forte, nous ferons un mezzo forte ; quand il y aura un mezzo forte, nous ferons un piano" ; et, subitement adoucies, les demoiselles exécutent d’adorables piano. M. l’abbé Flément, le collaborateur de Bordes et son sous-chef, a rudement discipliné ces jeunes énergies groupées par le prestige de M. le Curé-Doyen dont la forte autorité les inspire et les domine. 



M. le Curé, M. le Docteur Goyenèche, maire de Saint-Jean-de-Luz, dont l’intelligente initiative opère des miracles, et Charles Bordes ; telle est la trinité autour de laquelle gravitent les précieux concours qui assurent le triomphe des prochaines fêtes. 



L’un des principaux éléments de succès sera, à coup sûr, la journée du 21 consacrée aux Assises régionales de la Schola cantorum ; avec la musique grégorienne et palestrinienne, on y entendra les admirables chants nationaux. Ils sont au Pays Basque ces chants, ce qu’est la Liturgie à l’Eglise : la vibration d'une âme, l'écho d'un intime idéal. En eux toute la contrée rêve, palpite, s’exhale, avec sa grâce robuste, son élégante fierté, son énergie souriante, ses riches verdures, les sinueux contours de ses rivières, ses villages et leurs maisons séparées par des coins de nature, par des morceaux de solitude, juste assez rapprochées pour ne pas avoir l’air de se fuir, mais assez éloignées pour ne pas non plus se gêner, et ses sanctuaires exquis, et les cimetières charmeurs où l'on doit si bien dormir à l’ombre de la chapelle, tout près des demeures vivantes — où les morts, à vrai dire, ne quittent pas la vie, n’abandonnent pas le champ des traditionnels jeux de Paume, et, à travers le tapis de fleurs qui les couvre, regardent l’agilité, la beauté, la souplesse des êtres qui les continuent... 



paris école chants autrefois
SCHOLA CANTORUM SALLE DE CONCERTS
75 PARIS 5EME ARRONDISSEMENT



Puissent-ils toujours rester Basques, les paysans que protège la Rhune ! Puissent-ils comprendre que ce sont les petites patries qui créent la grande, que le département n’est rien, que la province est tout, et que la conservation des locales vigueurs est le meilleur garant de la vigueur française !



   






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