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mercredi 19 juin 2019

AU PAYS DE "RAMUNTCHO" EN 1908


AU PAYS DE "RAMUNTCHO" EN 1908.


Le 28 février 1908, est jouée pour la première fois, au Théâtre de l'Odéon à Paris, la pièce en cinq actes "Ramuntcho", adaptée par Pierre Loti lui-même.


douanes frontiere pays basque autrefois
DOUANIERS BIRIATOU 1908
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta le journal Les Annales Politiques et littéraires, dans son édition du 23 

février 1908, sous la plume de Raoul Vèze :


"La représentation de Ramuntcho, à l'Odéon, nous transporte de façon bien pittoresque, très vivante, en un pays et chez un peuple aussi accidentés l'un que l'autre. Mais tout le talent de Pierre Loti, aidé de la prestigieuse ingéniosité d'Antoine, ne peut faire que nous apprenions à connaître, en une action condensée, la personnalité profonde du Basque, si nettement marquée, pourtant, à travers l'histoire. Quelques notes précises permettront aux spectateurs de suivre avec plus d'intérêt le drame de Ramuntcho. Elles suffiront, peut-être, à donner aux autres l'impression d'une force traditionnelle peu banale aujourd'hui.



litterature pays basque autrefois
LIVRE RAMUNTCHO DE PIERRE LOTI


Au dire même d'érudits ethnologues, la population basque a plutôt l'apparence d'une colonie étrangère transplantée parmi nous : elle parle un langage auquel les savants n'ont pu déterminer aucune parenté philologique, et son origine est si mystérieuse qu'aucune autre nation de la terre ne peut se dire ethniquement sa soeur.




Les Basques comprennent, aujourd'hui, plus de 900 000 âmes, dont 750 000 environ en Espagne, le reste en France, occupant plus du tiers du département des Basses-Pyrénées, c'est-à-dire l'arrondissement de Mauléon et la majeure partie de celui de Bayonne. Ils ne se sont jamais mêlés aux autres peuples, ayant toujours gardé de l'horreur pour toute fusion qui risquerait de diminuer leur personnalité. Ils se sont, en quelque sorte, recueillis dans une indépendance un peu farouche, même à l'égard de leurs plus proches voisins.




L'attachement au foyer familial est un des sentiments les plus puissants de la race, dont il n'a pas peu contribué à assurer l'intégrité à travers les siècles et les révolutions. Dès l'adolescence, l'aîné s'identifie avec son père, travaillant à améliorer son bien ; les cadets tentent de se constituer un douaire ailleurs et fondent, à leur tour, une nouvelle famille. 




Presque invariablement coiffé du béret bleu penché sur l'oreille, vêtu d'une petite veste jetée sur l'épaule et d'une culotte courte, la taille serrée dans une ceinture rouge, chaussé de sandales ou d'espadrilles attachées autour du pied par des lanières, portant presque toujours au poignet le makila, bâton de néflier plombé à la partie inférieure, le Basque est laboureur, bûcheron, ou berger sur les hautes montagnes, dans les environs du mont Orhi et du pic d'Anie. Mais toutes ces occupations nourrissent mal leur homme, tandis que la frontière est là, avec sa barrière fictive, opposant au commerce de certaines denrées des tarifs onéreux. Il existe bien une armée de douaniers chargés de faire respecter la loi ; mais, la loi, ce n'est guère, pour ces âmes frustes, que la consécration du droit du plus fort, aujourd'hui celui-ci, demain un autre. Et, depuis qu'ils sont établis au pied des montagnes, les Basques en ont tant vu passer, de dominateurs, qu'ils se sont habitués à n'en respecter aucun. Il y aurait peut-être aussi la crainte du péché, du larcin ; mais la sagesse proverbiale du peuple répond que "voler un voleur, c'est mériter cent années de rémission"... Le voleur, en la circonstance, c'est l'Etat. Les plus malicieux, même, vous assureront qu'un évêque, consulté sur la question, a répondu en substance : le péché de contrebande n'existe pas ; la religion ne réprouve que le fait de corruption du préposé à la garde de la frontière. Et, ce dernier, à quoi bon le corrompre ?




frontiere pays basque autrefois
GENDARMES ET CARABINIERS BEHOBIE
PAYS BASQUE D'ANTAN


— La douane et la contrebande, dans le fond, ça se ressemble ; tout ça, c'est jouer au plus fin et au plus hardi.




Le jeu, si périlleux soit-il, n'a jamais effrayé les Basques.




Par les nuits bien noires d'hiver, montés sur des barques longues et plates, qu'ils poussent du fond avec leurs rames, ils traversent la Bidassoa dans le plus grand silence, et vont jeter sur la rive espagnole des caisses chargées de produits imposables.



hendaye bidassoa fontarrabie
PASSEUR BIDASSOA HENDAYE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Braves jusqu'à la témérité, les Basques sont aussi, aux heures de loisir, gais comme des enfants. Dans les jeux au grand air, où la force et l'adresse trouvent leur développement et leur récompense, ils manifestent une joie exubérante, souvent bruyante. On connaît leur ardeur pour le jeu de paume, que les pelotaris ont exporté jusqu'aux frontons parisiens.





Mais c'est encore dans la danse que les Basques se complaisent le plus. Et ce n'est pas d'aujourd'hui. Voltaire les a appelés "un petit peuple qui danse au haut des Pyrénées", tandis que Boileau, voyageant dans leur pays, constatait qu'"un enfant y sait danser avant que de savoir appeler son papa ou sa nourrice". Ils sont, en effet, d'une agilité extraordinaire, et tout leur corps est en mouvement perpétuel. Les polkas, scottishs et quadrilles ont bien, tout récemment, pénétré clans leurs programmes chorégraphiques, mais sans faire disparaître les danses traditionnelles si étroitement adaptées à leurs moeurs patriarcales, et qu'accompagnent des instruments tout spéciaux : la flûte à trois trous, en bois léger ; le tambourin de Gascogne, sur lequel le ménétrier frappe avec sa baguette sculptée ; la gaïta, ou flageolet en cuivre, aux sons aigus et stridents ; la manjureta, sorte de corne à bouquin, dont les sons prolongés ont, le soir, dans les pâturages, une si poétique mélancolie. Au pays basque français, le musicien est ordinairement seul, jouant à la fois de la flûte et du tambourin. La danse la plus populaire y est le fandango, dont Pierre Loti a rendu, en quelques lignes de Ramuntcho, tout le charme séducteur, toute la puissance d'expression. 



danse basque autrefois
FANDANGO
PAYS BASQUE D'ANTAN


Chez ce peuple simple et fruste, l'attachement aux traditions prend des formes de rite sévère et devient la plus chère, la plus sacrée des religions. Le lien familial étant, en pays basque, d'une solidité que n'ont pu ébranler des siècles d'existence, les cérémonies qui l'intéressent de plus près, celles du mariage et de la mort, ont conservé un caractère de gravité très impressionnant. Au Labourd, comme en pays souletin, les fiançailles sont célébrées longuement et avec apparat ; et c'est solennellement que les présents matrimoniaux sont dirigés vers la maison nuptiale : moutons gras aux cornes dorées et à la toison peinte, vins des crus du pays, liqueurs aux étiquettes flamboyantes, volailles, pâtisseries montées, et, principalement, le pyramidal gâteau à la broche, dont les Basquaises du bourg de Méharin ont la spécialité. Les offrandes sont placées dans des paniers enrubannés portés sur la tête de jeunes femmes qui vont en chantant les vertus des époux et les charmes de l'hyménée, tandis que le jeune "muthil", qui conduit en tête le mouton à la grosse sonnaille, tire, de temps en temps, des coups de pistolet répercutés par les échos de la montagne. A la suite du cortège, viennent les meubles de la mariée. Sur le devant du char, dans une pose hiératique, la couturière qui a confectionné le trousseau porte un miroir ; puis, au-dessus des meubles, bien en vue, une quenouille chargée de lin et ses fuseaux, un dévidoir, un balai, un léger râteau et un sarcloir symbolisent les occupations qui attendent la femme dans son ménage.




basse navarre autrefois
NOCE BASQUE ST JEAN PIED DE PORT
PAYS BASQUE D'ANTAN

Le deuil a, lui aussi, ses rites, plus graves et plus touchants. Les obsèques, au pays basque, sont toujours imposantes : les parents, les amis et les voisins y assistent. Le voisin dont la demeure est la plus proche, du côté du soleil levant, porte la croix des morts, creuse la fosse et préside au repas funéraire. Les hommes sont revêtus du capac, et les femmes les suivent, couvertes de leur manteleta, sorte de manteau avec capuchon garni de dentelles. Au retour du campo santo, une prière est dite devant la chambre mortuaire, et tous les parents et amis se réunissent en un repas triste : il n'y a ni chansons ni rôti.




Les Basques sont, en effet, bons chrétiens ; tous, hommes et femmes, suivent ponctuellement les offices religieux. Toutefois, leur orthodoxie, leur morale religieuse est sujette à caution. Un pèlerin du douzième siècle constate déjà que les Basques ne manquent jamais d'aller à l'église et d'y faire les offrandes prescrites, mais que cela ne les empêche pas de se livrer à tous les excès et de détrousser régulièrement les voyageurs, pèlerins ou non, de Saint-Jacques de Compostelle. Ils sont, d'ailleurs, eux-mêmes restés fidèles aux processions dont les ancêtres ont légué la tradition. Les lieux de pèlerinage sont nombreux : Jaca, Saint-Antoine, Saint-Jacques de Compostelle, etc. Mais celui qui a conservé la plus grande faveur est le monastère de Roncevaux. Chaque année, le mercredi qui précède la fête de la Pentecôte, les pèlerins se rendent à Roncevaux de tout le pays basque. La procession se forme, à huit heures du matin, à Burguette, à deux kilomètres du monastère. Les pénitents, pieds nus, les sandales pendues à la ceinture, sont revêtus d'une cagoule qui les couvre de la tête aux pieds, et chargés d'une lourde croix de bois faite d'un tronc d'arbre. Ils assistent à la grand'messe, toujours porteurs de leur croix ; puis, après les vêpres, la procession se reforme pour rentrer à Burguette. Ce jour-là seulement, on découvre la statue de la Vierge miraculeuse de Roncevaux.




navarra antes
PROCESSION RONCEVAUX NAVARRE
PAYS BASQUE D'ANTAN

C'est, sans doute, la fermeté de ses croyances, comme aussi son attachement à des formes que notre scepticisme déclare surannées, qui ont contribué à maintenir intacte la personnalité du Basque à travers les bouleversements mondiaux des siècles ; c'est à ce sentiment qu'il doit d'avoir été touché si lentement par ce qu'on nomme les progrès de la civilisation. Mais il n'en est pas moins certain qu'il sera fatalement absorbé par l'unification administrative, peut-être aussi, hélas ! par la délétère politique. La science fait payer cher ses bienfaits : elle aime la lumière crue, vive, et nous refuse ces coins d'ombre et de mystère qui sont, à certaines heures de la vie, comme des retraites précieuses pour l'esprit et le coeur accablés de la médiocrité triomphante."



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