LE "RENDEZ-VOUS DE BIARRITZ" EN 1950.
Du 11 au 18 septembre 1950, a lieu, à Biarritz, la seconde édition du "Festival du Film Maudit", intitulée "le rendez-vous de Biarritz", organisée par Objectif 49, le plus célèbre des ciné-clubs tourné vers l'avant-garde autour d'André Bazin et sous l'égide de Jean Cocteau.
VUE AERIENNE BIARRITZ 1950 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je vous ai parlé dans un précédent article du "festival du film maudit" en 1949, je vais vous
parler aujourd'hui de la seconde édition de ce festival, qui changea de nom, l'année suivante en
1950.
Le cercle cinéphile Objectif 49 continue durant l'année 1949-1950 sa programmation de ciné-club.
Ses membres commencent à préparer une suite au premier festival, attendue par la presse et les
nouveaux cinéphiles.
Le festival va se dérouler du 11 au 18 septembre 1950. En changeant de nom et en supprimant le
mot "maudit", les organisateurs retirent au festival une partie de la curiosité qu'il suscitait et de
l'originalité qui le protégeait.
La programmation est constituée de films en majorité inédits.
Lors de cette seconde édition, deux meneurs du festival de 1949, André Bazin et Jean Cocteau
sont absents. L'esprit de famille et l'anticonformisme ont disparu, ainsi que le dialogue entre
artistes, critiques et public. C'est René Clément qui est le président du festival, et Jacques Doniol-
Valcroze en est l'organisateur principal.
REALISATEUR JACQUES DONIOL-VALCROZE |
Le marquis d'Arcangues ouvre le festival et René Clément fait un discours d'ouverture,
annonçant défendre des films émérites.
Le début du festival est laborieux, avec un film d'ouverture, "The Capture" de John Sturges, peu
apprécié par la presse. De même, le premier concert de musiques de films dirigé par Roger
Désormière, l'une des attractions originales du festival, est décevant.
Les stars sont une fois de plus absentes. Lors du cocktail d'ouverture organisé au Casino
Municipal, on aperçoit néanmoins quelques personnalités, telles qu'Odette Joyeux, Simone
Simon, Juliette Gréco, Raymond Queneau, Jean Grémillon, Geneviève Page, Maurice Escande ou
Alexander Mackendrick. Plus tard, Jean Marais viendra inaugurer l'exposition consacrée au
Printemps de la liberté.
Le "rendez-vous de Biarritz" s'ouvre à tous les cinémas du monde.
Après trois ans d'absence, c'est le retour de l'Urss dans un festival occidental. Elle vient y
présenter un film inédit d'Igor Savtchenko, "Le Troisième Coup", un classique de Mark Donskoï,
"l'Enfance de Gorki" ainsi que plusieurs courts métrages.
Le Royaume-Uni propose cinq long métrages, dont "The Spider and the Fly" de Robert Hamer,
une reprise de "The Thirty-Nine Steps" d'Alfred Hitchcock, ainsi que le premier film d'Alexander
Mackendrick "Whisky Galore".
FILM 39 STEPS D'ALFRED HITCHCOK 1935 |
Les Etats-Unis proposent également cinq films dont trois inédits parmi lesquels "They Live by
Night" de Nicholas Ray.
L'Italie apporte, pour sa part, deux longs métrages, tandis que la Tchécoslovaquie présente un
court métrage de Jiri Trnka.
L'une des particularités de cette programmation est l'absence de longs métrages français. Les
organisateurs loupent les films de Jean Cocteau et de Robert Bresson, parrains du festival. Seule
la catégorie des courts métrages accueille des films français, tel le documentaire inédit de René
Clément, tourné au Yemen en 1937, "Arabie interdite" ou le "Guernica" d'Alain Resnais.
FILM GUERNICA D'ALAIN RESNAIS 1951 |
Il y a quelques rares reprises présentées, dont le Tombolo, paradiso nero de Giorgio Ferroni,
mélodrame néoréaliste italien, qui ne put accéder aux écrans qu'après quelques coupures.
Quant à Brighton Rock, King's Row, et Major Barbara, tous trois avaient été ignorés par le public
parisien à leur sortie.
La programmation de 1950 est fortement connotée par un retour au "sujet".
Les expériences avant-gardistes du premier festival cèdent la place à des œuvres riches en thèmes
graves et contemporains.
En effet, Intruder in the Dust de Clarence Brown, sur un scénario de William Faulkner, traite du
problème noir, Crossfire d'Edward Dmytryk, du problème juif, Give Us this Day {idem) des
difficultés de la vie ouvrière new-yorkaise, They Live by Night du crime comme produit social.
Ce retour au "sujet" va de pair avec la situation économique et politique du moment.
Les considérations esthétiques sont dépassées par le débat politique mondial, les conflits de fond
cèdent la place à de piteux conflits d'opinion. La programmation va d'ailleurs se trouver placée
directement dans le débat idéologique de l'époque et ceci à deux reprises.
Le Troisième Coup irrite la presse qui dénonce la béatification de Staline et de l'Urss, reprise
dans les courts métrages Oural et Premier Mai à Moscou.
L'esclandre va surtout venir le 15 septembre, lors de l'hommage rendu au cinéaste emprisonné
Edward Dmytryk, appuyé par un court manifeste de soutien, cautionné par Pierre Kast, Jean-
Charles Tachella, Raymond Queneau, Jean Grémillon et René Clément. Si le texte ne dissimule
aucune provocation perfide, Claude Mauriac se désolidarise de cet hommage, en essuyant les
huées des spectateurs présents dans la salle du casino.
REALISATEUR CANADIEN PUIS AMERICAIN EDWARD DMYTRYK |
L 'incident Dmytryk s'étend et fait apparaître une fracture à l'intérieur d'Objectif 49, contaminé
par la guerre froide. Le festival de Biarritz connaît là son premier et unique scandale, qui se
poursuit à travers les rubriques de journaux au moyen de mesquineries idéologiques.
A travers l'éclectisme de cette programmation, l'unité du festival est cependant difficilement
perceptible et, à l'heure des bilans, "Le Rendez-vous de Biarritz" n'a pas réellement convaincu.
Sa formule assagie laisse au spectateur un sentiment d'inachèvement, face à une programmation
décousue, dénuée de débats.
Cependant, le festival s'affirme une fois de plus comme un découvreur de talents, programmant
les premières œuvres de cinéastes bientôt célèbres : Alain Resnais, Nicholas Ray, Michelangelo
Antonioni et Alexander Mackendrick.
Un ultime conflit, à la fois significatif et symbolique, va marquer la fin du festival de Biarritz en
opposant Jacques Doniol-Valcroze au jeune Jacques Rivette, pigiste dans la revue de Maurice
Schérer : la Gazette du cinéma. Rivette y rédige un accablant "Bilan pour Biarritz", dans lequel il
dénonce le cinéma "littéraire" défendu par Objectif 49.
La fracture est consommée. La jeune critique, constituée de Kast, Tachella, Doniol-Valcroze, est
déjà prise à partie par une nouvelle génération de dix ans sa cadette, encore plus virulente et
passionnée. Embarrassé et blessé, Doniol-Valcroze ne peut que constater le fossé déjà creusé, qui
l'éloigne de ces jeunes gens qu'il va retrouver au sein d'un journal alors en projet : les Cahiers du
cinéma.
La lente dispersion des animateurs d'Objectif 49 en 1951 enterre définitivement le festival.
Bien qu'éphémère, cette manifestation se révèle finalement avoir été un pivot, un point de
confluence de plusieurs générations de critiques. A Biarritz, les futurs "jeunes turcs" se
revendiquent des parrains d'Objectif 49, mais aussi des auteurs présentés (Jean Vigo, Nicholas
Ray, John Ford, Alfred Hitchcock), comme autant de passeurs d'une génération à une autre. Sur
les vestiges du festival apparaît le spectre d'un nouveau groupement qui rassemblera de
nombreux membres d'Objectif 49 et les jeunes silhouettes inconnues, présentes à Biarritz, de
François Truffaut, Jacques Rivette, Éric Rohmer, Jean Douchet et Charles Bitsch.
Voici le Programme du "Rendez-vous de Biarritz" en 1950.
Lundi 11 septembre :
12 h : Vernissage prévu mais annulé des expositions sur les films de Jiri Trnka et Jean Grémillon (reconduit le jeudi 14 à 12h30).
18 h : Fedia Zaïteff (dessin animé, URSS), la Capture (The Capture, John Sturges, États Unis, 1950).
21 h 30 : Concert de musiques de films dirigé par Roger Désormière, avec le concours d'Irène Joachim.
COMPOSITEUR ROGER DESORMIERE 1941 PHOTO STUDIO HARCOURT |
Mardi 12 septembre :
16 h : le Gang des tueurs (Brighton Rock, John Boulting, Royaume-Uni, 1947).
21 h 30 : Arabie interdite (documentaire, René Clément, France, 1937). Story of Time (court métrage, Royaume-Uni). Les Amants de la nuit (They Live by Night, Nicholas Ray, États-Unis, 1949).
FILM THEY LIVE BY NIGHT 1949 DE NICHOLAS RAY |
Mercredi 13 septembre :
17 h : courts métrages soviétiques : Oural, Aux sources de la vie, 1 mai à Moscou ainsi que trois dessins animés.
21 h : Concert de musiques de films dirigé par Roger Desormière, avec le concours de Jacques Jansen.
22h30 : The Spider and the Fly (Robert Hamer, Royaume-Uni, 1949).
FILM THE SPIDERR AND THE FLY 1949 DE ROGER HAMER |
Jeudi 14 septembre :
12 h 30 : Inauguration des expositions sur le film de Jiri Trnka (le Rossignol de l'empereur de Chine) et sur le projet de Grémillon (le Printemps de la liberté).
17 h : l'Enfance de Gorki (Detstvo Gorkogo , Mark Donskoï, URSS, 1938).
21h30 : le Troisième Coup (Tretij udar, Igor Savtchenko, URSS, 1948).
Vendredi 15 septembre :
11h30 : Fête basque à Arcangues.
17 h : les Fêtes galantes (court métrage de Jean Aurel, France, 1950). Feux croisés (Crossfire, Edward Dmytryk, États Unis, 1947).
21h30 : Jammin'the Blues (court métrage / documentaire de Gjon Mili, États Unis, 1946). Donnez nous aujourd'hui (Give us this Day, Edward Dmytryk, Royaume-Uni, 1949).
FILM CROSSFIRE 1947 D'EDWARD DMYTRYK |
Samedi 16 septembre :
17 h. : King's Row (Sam Wood, États-Unis, 1945).
21h30 : Guernica (court métrage d'Alain Resnais, France, 1948). Le Rossignol de l'empereur de Chine (Cisaruv Slavik, Jiri Trnka, Tchécoslovaquie, 1948). L'Intrus (Intruder in the Dust, Clarence Brown, États-Unis, 1949).
FILM INTRUDER IN THE DUST 1947 DE CLARENCE BROWN |
Dimanche 17 septembre :
15 h : Tombolo, paradiso nero (Giorgio Ferroni, Italie, 1947). Chronique d'un amour (Cronaca di un amore, Michelangelo Antonioni, Italie, 1950).
16 h : les 39 marches (The Thirty-Nine Steps, Alfred Hitchcock, Royaume-Uni, 1935).
22 h: Représentation scénique du Printemps de la liberté (Jean Grémillon).
CRONACA DI UN AMORE 1950 DE MICHELANGELO ANTONIONI |
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