LE "FESTIVAL DU FILM MAUDIT" DE BIARRITZ EN 1949.
Du 29 juillet au 5 août 1949, a lieu, à Biarritz, le premier "Festival du Film Maudit", organisé par Objectif 49, le plus célèbre des ciné-clubs tourné vers l'avant-garde autour d'André Bazin et sous l'égide de Jean Cocteau.
C'est au cours de l'été 1948, au festival de Venise, que l'idée de ce ciné-club est lancée par Jean
Cocteau, Orson Welles et André Bazin.
En avril 1949, Jean Cocteau lance l'idée d'un "Festival du Film Maudit" à Biarritz, afin de
mettre en lumière des films que leur court métrage ou leur indifférence aux censures et aux
exigences de l'exploitation maudissent.
JEAN COCTEAU |
Ce festival se veut "réactionnaire", en opposition aux festivals de Cannes et de Venise, jugés
commerciaux ou politiques.
Le festival est préparé par le cercle cinéphile Objectif 49, dans un bureau de la Maison
Gallimard, dans le 7ème arrondissement de Paris, par Jean Cocteau et ses ami(e)s.
Il est prévu à Biarritz, du 29 juillet au 5 août 1949.
Il n'y aura qu'un seul prix fixé à un million d'anciens francs, attribué à un film non commercial.
Quant aux vedettes, sont prévues Marlene Dietrich, Gérard Philippe et surtout Orson Welles.
Cannes ayant été préféré à Biarritz pour accueillir le festival du film international, Biarritz est le
"cadre idéal au complot cinématographique". De plus, le président du syndicat d'initiative, le
marquis Pierre d'Arcangues, qui devient le principal mécène du festival, est un ami de Jean
Cocteau.
Après un court trimestre de préparation, le festival peut commencer. La première liste des films
prévus a été un peu modifiée. Les vedettes attendues se sont décommandées et d'autres
personnalités les remplacent, comme Graham Greene.
Le festival est déclaré ouvert le vendredi 29 juillet 1949 et son jury n'est composé que de
membres d'Objectif 49, hormis Jean-Georges Auriol, critique de cinéma et scénariste.
La municipalité de Biarritz et le marquis d'Arcangues ont mis à disposition le Casino Municipal
pour projeter les films et l'école hôtelière de la ville offre 25 chambres pour recevoir des
journalistes.
La presse parisienne, avec Le Figaro, Le Parisien Libéré, Le Monde, Combat et d'autres, est
présente et suit le festival.
Le samedi 30 juillet, journalistes et photographes sont convoqués sur la plage et la séance de
presse se passe en smoking, les pieds dans l'eau.
Le côté "sulfureux" de ce festival attire l'attention du Ministre de l'Intérieur Jules Moch, avec
une menace de censure puis par le seul envoi d'un observateur.
JULES MOCH MINISTRE DE L'INTERIEUR 1950 |
Pendant la semaine que dure le festival, 20 longs métrages sont présentés, qui peuvent être divisés
en 3 catégories : films d'amateurs, films maudits (injustement boudés par le public), et films
inédits qui concernent essentiellement des films étrangers dont les producteurs craignent l'échec
commercial en France. Parmi ces films, il y a 11 onze films américains, 4 français, 3 italiens et 2
allemands.
Chaque journée est organisée en fonction des trois catégories : les matinées sont réservées à la projection des films d'amateurs et expérimentaux, généralement des courts métrages. L'après-midi, les films maudits et méconnus sont à l'honneur. Enfin, la séance du soir est consacrée aux films inédits. Immédiatement, André Bazin cherche la rencontre avec le public en organisant quotidiennement de 15 à 16 heures, au casino municipal, un débat autour des films vus la veille.
CRITIQUE DE CINEMA ANDRE BAZIN |
Parfois, le dialogue s'engage aussitôt après les projections. Cette séance devient un rituel du public dont Bazin relate l'engouement dans l'Écran français, soulignant que "l'essentiel du festival n'aura pas été sur l'écran mais dans la salle". Certains cinéastes se confrontent directement au public, tel Jean Grémillon dont on présente Lumière d'été. Jean Cocteau vient lui aussi disserter de la malédiction de ces films jugés ici en appel.
FILM LUMIERE D'ETE 1943 DE JEAN GREMILLON |
Dans le domaine des courts métrages, les films anglo-saxons témoignent de l'élaboration de nouvelles techniques. La présence de tous ces essais expérimentaux est en partie due au travail d'André Bazin qui s'est notamment battu pour programmer pour la première fois en France les bandes animées ludiques de Norman McLaren, saluées par la critique. Ces films côtoient ceux d'autres animateurs comme Len Lye, ou d'innovateurs tel James Whitney. Outre les chercheurs obstinés de nouvelles formes et de sons, le festival découvre d'autres réalisateurs tels que Kenneth Anger et son sulfureux poème visuel : Fireworks. Ce festival du film maudit joue donc un rôle de révélateur pour ces cinéastes discrets, opérant dans une catégorie de films souvent déconsidérée, mais qui autorise davantage d'audaces esthétiques et idéologiques. Le seul prix du festival est décerné à Jean Rouch, auteur d'un premier court documentaire en couleur sur le Niger : l'Initiation à la danse des possédés. Bien que le montage fût inachevé et la bande son inexistante, Jacques Doniol-Valcroze avait tenu à faire venir ce film à Biarritz, obligeant Jean Rouch à prononcer un commentaire simultané durant la projection.
FIREWORKS 1947 DE KENNETH ANGER |
En ce qui concerne les films maudits, la programmation témoigne d'un large éclectisme. Les œuvres des cinéastes opérant dans le cinéma commercial (Long Voyage Home de John Ford, Shangaï Gesture de Joseph von Sternberg, The Flame of New Orleans de René Clair) côtoient des productions marginales comme Adress Unknown (Rudolph Maté). Les inspirateurs et les sympathisants d'Objectif 49 se mêlent dans la programmation. Ainsi, les Dames du bois de Boulogne et Lumière d'été, croisent The Southerner de Jean Renoir et l'Atalante de Jean Vigo, œuvres de deux cinéastes canonisés par le ciné-club.
SHANGAÏ 1941 DE JOSEPH VON STERNBERG |
ADDRESS UNKNOWN 1944 |
L'ATALANTE 1934 DE JEAN VIGO |
La malédiction touche parfois les films inédits, victimes de censure politique ou économique. Ces derniers sont pour cette raison très divers : Adress Unknown, The Southerner, Kuhle Wampe de Slatan Dudow, Ride the Pink Horse, la Nuit porte conseil, Unter den Brücken de Helmut Kautner, Mourning Becomes Electra de Dudley Nichols, Forgotten Village de John Steinbeck et Ossessione de Luchino Visconti. Kuhle Wampe, film allemand d'inspiration communiste tourné en 1932 en étroite collaboration avec Bertolt Brecht, fut interdit par les Nazis bientôt au pouvoir. Ossessione était quant à lui interdit d'exploitation depuis son tournage parce que les droits du livre adapté (The Postman Always Rings Twice de James Cain) appartenaient à la Metro-Goldwyn-Mayer. Eisenstein et son inachevé Que Viva Mexico ! parviennent à être représentés grâce au travail de Mary Seton, dont on projette le film Time in the Sun, réalisé au moyen des images tournées par le cinéaste russe. Ce documentaire est le témoignage indirect d'une malédiction, celle d'une œuvre inachevée retirée à son auteur, en même temps qu'elle évoque la carrière souvent difficile du maître soviétique. Certaines "malédictions" sont en revanche discutables ou à définir comme celle du film d'Alessandro Blasetti, 1860. Quant à la Nuit porte conseil, The Southerner ou Ride the Pink Horse, achetés par des distributeurs parisiens, leur présence relève plutôt de l'avant-première.
Voici le programme du "Festival du film maudit" :
Vendredi 29 juillet : Cérémonie d'ouverture.
21 h 30 : la Nuit porte conseil (Roma città libera, Marcel Pagliero, Italie, 1946).
LA NUIT PORTE CONSEIL 1946 DE MARCELLO PAGLIERO |
Samedi 30 juillet :
10 h : Zéro de conduite et l'Atalante (Jean Vigo, France, 1933 et 1934).
16 h : Le Long Voyage (Long Voyage Home, John Ford, Etats-Unis, 1941).
22 h : Address Unknown (Rudolph Maté, Etats-Unis).
ZERO DE CONDUITE 1933
DE JEAN VIGO
DE JEAN VIGO
Dimanche 31 juillet :
10 h : Notre petite ville (Our Town, Sam Wood, Etats-Unis, 1940).
16 h : Lumière d'été (Jean Grémillon, France, 1943).
22 h : l'Homme du Sud (The Southerner, Jean Renoir, Etats-Unis, 1945).
Lundi 1er août :
10 h : les Rendez-vous interdits (court métrage, Pierre Bailly, 16 mm, France). Huit heures sous l'horloge (court métrage, Fred Sarlié, France), court métrage de Norman Mc Laren (Canada).
16 h : Kühle Wampe (Saltan-Theodor Dudow, Allemagne, 1932).
22 h : court métrage de Cogan à l'aide de masques animés. Et tournent les chevaux de bois (Ride the Pink Horse, Robert Montgomery, Etats-Unis, 1947).
Mardi 2 août :
10 h : courts métrages de Norman Mc Laren (Canada), Oskar Fischinger (Allemagne/Etats-Unis), Len Lye (Nouvelle Zélande/Etats-Unis), James Whitney (Etats-Unis) et Kenneth Anger (Fireworks, Etats-Unis, 1947).
16 h : Unter den Brücken (Helmut Kautner, Allemagne, 1945).
22 h : Rien qu'un coeur solitaire (None but the Lonely Heart, Clifford Odets, Etats-Unis, 1944).
Mercredi 3 août :
10 h : Une regrettable affaire (court métrage, Roger Livet, France), le Square du temple (documentaire, Zimbacca, France), Pensée 580 (court métrage, France).
16 h : les Dames du bois de Boulogne (Robert Bresson, France, 1945).
22 h : Documentaire sur le Jésus Oxford college. La Kermesse funèbre (Time in the sun, documentaire de Mary Seton utilisant des images tournées par Eisenstein au Mexique, prévues pour Que viva Mexico !).
Jeudi 4 août :
10 h : Initiation à la danse des possédés (Jean Rouch, France, 1949).
16 h : la Belle Ensorceleuse (The Flame of New Orleans, Etats-Unis, 1941).
22 h : le Deuil sied à Electre (Mourning Becomes Electra, Dudley Nichols, Etats-Unis, 1947).
Vendredi 5 août :
10 h : Forgotten Village (John Steinbeck, Mexique).
15 h 30 : 1860 (Alessandro Blasetti, Italie, 1933).
Shangaï Gesture (Josef von Sternberg, Etats-Unis, 1941).
0 h : Ossessione (Luchino Visconti, Italie, 1943).
Prix du Festival : Initiation à la danse des possédés (Jean Rouch, 1949).
OSSESSIONE 1943 DE LUCHINO VISCONTI |
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