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lundi 18 avril 2022

RAPPORT DU CAPITAINE DU STEAMER "NORMAND" AU LARGE DE LA CÔTE BASQUE EN SEPTEMBRE 1905

RAPPORT DU CAPITAINE DU "NORMAND" EN 1905.


De tous temps, il a existé des "fortunes de mer" pour les navires, et en particulier dans le Golfe de Gascogne.





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PORT DE NANTES 1905




Voici ce que rapporta le journal Le Phare de la Loire, le 1er octobre 1905 :



"Une mauvaise traversée.



Le steamer "Normand" — Rapport de mer du capitaine. 



Voici le rapport de mer du capitaine Nicoulai, du navire "Normand", qui eut à subir, du 22 au 26 septembre dernier, une traversée particulièrement mouvementée, entre les Sables-d'Olonne et Bayonne :


Je soussigné, capitaine du steamer Normand, du port de Nantes, jaugeant 99 tonneaux 57/100, armé de 10 hommes d’équipage, certifie :


"Je suis parti des Sables colonne le vendredi 22 septembre, à 8 heures du soir, avec un complet chargement de 302 tonneaux de blé et divers marchandises embarquées à Nantes, et de ce dernier port plus deux passagers à destination de Bayonne.



Le navire en parfait état de navigabilité, la machine fonctionnant bien, les pompes franches et 17 tonneaux de charbon dans les soutes.



J’ai fait route au S. 1/4 S O., O. 15° N.-O. Au départ, j’ai trouvé mer belle et légère brise de S. ; le baromètre tendant à descendre.



Dans la nuit du 22 au 23, les vents varient du S. à l'O., augmentent de force, et font grossir la mer. Je donne la route 5° au vent.



A 10 heures du matin, le samedi 23, le chef mécanicien me demande à prendre la cape pour visiter la pompe de cale qui ne fonctionne pas et vider l’eau que contient la machine. Je mis debout à la lame, l’allure "le plus lent possible", ma position estimée était L. 44° 35’ N. G. 3° 37' O., le loch : 115 milles.



La mer, très grosse, fatigue beaucoup et couvre continuellement le navire, les deux pompes auxiliaires employées à épuiser la cale ont leur aspiration continuellement engorgées par suite du roulis. Je mis les matelots à vider l’eau avec des seaux.



A 3 heures du soir, la cale de la machine étant normale et m'estimant à environ 65 milles du Socoa, après avis du chef mécanicien que nous pouvions atterrir avant d’être gagnés par l’eau, j'ai remis en route cap au S. malgré la mer du travers pour tâcher de gagner ce port de relâche. A 8 heures du soir, entre deux grains, nous avons aperçu le feu de Contis que j'ai estimé à 12 ou 14 milles, je fis gouverner à l'O. 1/4 S.-O. et mis la machine à demi-vitesse pour moins fatiguer le navire ; les appareils d’épuisement étant insuffisants, je remis l'équipage à vider l’eau. A minuit, repris la cape le plus lentement possible, la mer étant de plus en plus grosse et le temps bouché complètement, avec grêle, pluie et grains violents.



A 4 heures du matin, le 24, le chef mécanicien me prévint que les parquets de la chaufferie et machine ont été défoncés, ainsi que le fond des soutes par suite du fouettement de l’eau par le roulis, entraînant le charbon a fond de cale et qu’il ne lui en reste que pour chauffer une heure à peine. Je mis le cap immédiatisent à l'O.-N.-O. pour m'éloigner le plus possible de la côte et fis établir les signaux de détresse, donné l’ordre de démolir touts les boiseries et logement pour alimenter les feux, sans toucher aux embarcations, échelles et espars.



Notre position estimée était de 25 milles à l’O.-N.-O. de Cap-breton. A 6 heures du matin, le même jour, les feux s’éteignirent faute de combustible et la machine se stoppe. A l’aide de la voilure, je prends la cape tribord-amures cap au S.-S.- O., route et dérive estimées au S. E., et pour protéger le navire des coups de mer je fais filer de l'huile, résultat assez appréciable. Je fais parer les embarcations, embarquer des vivres, compas, etc., et désigne le poste de chacun. Le navire n’est plus qu'une épave balayée par la mer, qui s’enfonce de plus en plus par suite de l’eau qui envahit la machine.



A 7 heures 30, nous apercevons un vapeur sous le vent, lequel, voyant nos signaux de détresse, se dirige sur nous. Nous reconnaissons le Boucau, capitaine Gicquel (de d'Orbigny, Fostin et Cie), qui, ne pouvant nous accoster, nous convoye et essaye sans succès de nous prendre en remorque.



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NAVIRE LE BOUCAU 1882
PAYS BASQUE D'ANTAN



A 1 heure de l’après-midi, le temps ne se calme pas, le baromètre baisse toujours et l’arrière du navire commence à immerger. Après avoir consulté les principaux de l’équipage et, sur leur avis, je décide d’abandonner le navire et signale cette résolution au Boucau. Ce dernier nous répond que, vu l’état de la mer, il ne peut mettre aucune embarcation à l’eau, mais va se tenir le plus près possible de nous.



Je donne l’ordre aux deux passagers et à tout l'équipage d’embarquer dans la baleinière de sauvetage qui se trouvait sous le vent et en dehors est parée à amener. Avec le second capitaine, je reste à bord pour couper les palans de cette embarcation qui ne pouvait contenir tout le monde, ayant convenu d’essayer d’attendre le navire sauveteur sur un espar quelconque. Dans un violent coup de roulis, le bossoir avant cassé au ras de la lisse, l’embarcation apique précipitamment l’équipage à la mer et se démolit le long du bord. Tout le personnel a pu être sauvé par nous et rembarqué à bord, mais l’embarcation dont l'autre palan a cassé est perdue avec son gréement, vivres et effets de l’équipage. J'essaye de faire amener le canot du vent, il se démolit malgré nos précautions avant d’être à la mer. Je décide de construire rapidement un radeau avec une échelle et deux fûts vides pour sauver l'équipage partie par partie, mais avant la fin de cette opération survint une accalmie et le Boucau renouvelle ses essais, réussit à prendre notre remorque vers 3 heures de l'après-midi. Dès qu'elle fut à bord, je filai 4 maillons de chaîne de bossoir sur l’autre extrémité et avec beaucoup de précaution il put nous traîner an large.



Le navire, surchargé par le poids de l’eau, donnait fortement de la bande sur bâbord, je réunis les principaux de l'équipage et, pour notre salut, celui du navire et de la cargaison, nous jetâmes une partie de cette dernière à la mer, puis tout le monde fut employé à vider l’eau de la cale de la machine avec toute sorte de récipients. Le Boucau nous tint au large toute la nuit et, la mer s'étant embellie, le lundi matin il fit route sur Bayonne, où nous arrivons devant la barre à une heure de l’après-midi. Au moment de passer cette dernière, la remorque cassa, le Boucau vira, nous reprit à la remorque et fit route sur le Socoa, la barre lui ayant été refusée. Notre deuxième remorque fut établie au moyen de toutes nos amarres et d’une des siennes. Arrivés et mouillés en sûreté à 4 heures, j’ai donné de mes nouvelles par sémaphore et ai demandé du charbon au vapeur Boucau pour allumer nos feux et mettre en marche nos moyens d’épuisement.



Le capitaine Gicquel y consentit immédiatement et, à minuit, la cale était relativement vide. Le lendemain, 26, le vapeur "Adour n° 3" nous prit en remorque pour nous conduire à Bayonne où nous sommes arrivés à deux heures du soir.



Je fais toutes réserves concernant les avaries que le navire et la cargaison ont dû éprouver et pour tout ce qui a été sacrifié pour le salut commun, me réservant d'amplifier le présent rapport si besoin est et d’établir une liste des dégâts subis par le matériel.



Je remercie sincèrement le capitaine, les officiers et tout l’équipage du navire Boucau pour la brillante conduite qu’ils ont tenu dans cette occasion, malgré les dangers qu’ils couraient eux-mêmes. Je suis heureux de le signaler, ainsi que le sang-froid et l’endurance de mon propre équipage qui travailla sans repos et sans presque rien prendre pendant 60 heures consécutives tout mouillés et ayant perdu leurs effets pour le salut du navire.



Bayonne, le 27 septembre 1905. 



Nota. — Un des marins du Boucau avait son frère à bord du Normand et fut témoin de toutes les péripéties, ainsi que du naufrage de la baleinière contenant l’équipage et les passagers, sauf le capitaine et le second.

Le Normand venait depuis quelques jours d’être vendue M.. J. Larrau, de Bayonne, et devait être attaché à ce dernier port incessamment."




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