LE PELOTARI CHIQUITO DE CAMBO AU PAYS BASQUE EN MAI 1902
LE PELOTARI CHIQUITO DE CAMBO EN 1902.
Bernard Joseph Apesteguy, surnommé Chiquito de Cambo, né le 20 mai 1881 à Cambo-les-Bains (Basses-Pyrénées) et mort le 27 décembre 1950 à Saint-Jean-de-Luz (Basses-Pyrénées), est un célèbre joueur de pelote Basque.
PELOTARI CHIQUITO DE CAMBO 1902
Voici ce que rapporta à son sujet Le Journal, dans son édition du 26 mai 1902, sous la plume de
Très loin à la ronde, autour d'Hendaye, c'était certes le plus beau couple, celui de Chiquito le Pelotari et de la Dominica. Ils portaient si bien en eux tous les traits de la race ! Lui, l'air tragique comme le sont les hommes et les choses du pays basque, petit et maigre, harmonieusement bâti pourtant avec de larges épaules évasant un torse étroit et des membres fins, aux muscles durs ; elle, brune, pâle, d'une beauté à la fois sauvage et gracieuse, tonte souple en sa démarche, avec des pieds nerveux faits pour rythmer les battements rapides du fandango, et des doigts secs pour claquer, en dansant, comme des castagnettes. Quand ils allaient ensemble, c'était, avec eux, toute la beauté basque qui passait ; et le désir faisait se retourner les jeunes hommes que le dur regard de Chiquito avait empêchés de fixer la femme. C'est qu'il était jaloux d'elle, le Pelotari, comme un fauve de sa proie ; et, de fait, un peu comme une proie il l'avait conquise.
Longtemps avant de forcer son amour, il l'avait poursuivie et priée, la belle fille dédaigneuse. Indifférente et rieuse, elle l'écoutait à peine. Une nuit d'été, une de ces nuits chaudes où le vent du Sud souffle là-bas sa langueur, alors qu'assoiffé d'amour il était allé rôder autour de sa maison, sur la falaise, il la vit sortir doucement et descendre vers la mer.
Caché dans les rochers, Chiquito eut le spectacle inespéré de la Dominica se dévêtant devant lui. Le cœur battant, la gorge sèche, il vit le corps admirable de la vierge jaillir des vêtements écroulés autour d'elle. Toute nue, avec ses cheveux noirs flottant à la brise et ses seins ronds pointés tout droits, la Dominica s'admirait un moment, avant le bain dans la clarté de la lune. Et tout d'un coup, Chiquito s'était élancé, l'avait prise et, après un cri de terreur perdu dans le bruit de la mer, elle s'était abandonnée avec la joie sauvage qui dort au cœur des femmes de subir la violence du mule.
... Il y avait trois ans qu'ils étaient mariés, et Chiquito à présent devenait plus sombre de sentir autour de sa femme. Quelque temps il avait ressenti une certaine jouissance à donner aux autres la convoitise de son bien. Mais maintenant il était moins sûr d'elle, il la sentait lui échapper peu à peu ; elle n'avait plus pour lui les coquetteries provoquantes qui cherchent l'amour, et dans ses yeux trop souvent rêveurs derrière ses impatiences inexplicables il devinait un désir nouveau qui l'éloignait de lui. De son regard pénétrant, il l'avait observée longuement, sans rien dire, sans un reproche qui eût pu précipiter la crise. Avant de rien tenter, il voulait savoir, être sûr. De-ci, de-là, par les allusions, les mots couverts qui couraient autour de lui, méchamment lancés, il recueillit des indices, puis des faits.
Comment ! il ne savait donc pas ? Mais oui, bien sûr, on; l'avait vue sa Dominica, plus d'une fois, et la veille encore, appuyée contre la remise des Etchegaray, cambrer sa taille en riant aux propos d'Oyarsun.
Oyarsun ! son meilleur ami ! La tête lourde et le cœur troublé, il s'en alla courir sur la grève pour faire balayer sa douleur par le vent. Et puis, quand la marée monta vers le pied des falaises, ayant mûri des résolutions, il revint lentement vers la ville. L'ombre du Jaïsquibel faisait descendre la paix du soir sur la Bidassoa : c'était l'heure où tout s'apaise, et, sans colère, poussant du pied la porte, Chiquito répondit au bonsoir accoutumé de sa femme.
Or, c'était le temps où s'ouvre la maison des parties de pelote. Pour le début, il se jouait à Guéthary une grande partie, une de celles où les gens du Guipuscoa viennent lutter contre les Basques de France. Dans la chaleur du soleil printanier, le fronton blanc et son enceinte s'animaient ; les gradins grouillaient de vieux Basques très graves avec leurs antiques profils rosés, de jeunes Basques à l'air hardi, de filles et de femmes en cheveux, égayant de leurs corsages clairs la masse sombre des hommes, vêtus tous de la courte blouse noire, et coiffés du petit béret bleu. Au milieu, dans le grand vide rectangulaire, les pelotaris, habillés de blanc, se préparaient. Comme il y avait parmi eux Chiquito et Oyarsun, Dominica, aussi était là, assise près du grand mur, un peu soucieuse aujourd'hui. Depuis le matin, Chiquito ne lui avait presque pas parlé ; voilà maintenant qu'il semblait éviter Oyarsun ; et même, pour la première fois, elle le vit se faire aider par un autre pour lacer le "chistera" autour de son poignet. Mais dans le soleil, les cris et les rires, ses inquiétudes s'en allèrent, et elle sourit doucement à Oyarsun qui la regardait.
... Maintenant, la partie était en train : les joueurs bondissaient de tous côtés, les yeux fixés sur la petite chose rapide, presque invisible, que les grands ongles d'osier saisissaient pourtant et relançaient éperdument dans le soleil, vers le mur blanc où elle claquait, claquait, pour s'envoler encore et sans cesse... Oyarsun était près du fronton juste au niveau de Dominica ; Chiquito loin, en arrière, au poste d'honneur pour les coups difficiles. Les pensées qu'il agitait lui donnaient du trouble au cerveau, et une sorte d'ivresse : machinalement, il poursuivait la lutte adroite avec la vivante balle. Il jouait sans entendre les acclamations, sans rien voir autour de lui qu'Oyarsun et Dominica. Quels yeux elle avait, la perfide, pour ce bellâtre ! Et voilà, maintenant, qu'après un coup heureux du rival, elle l'applaudissait, elle détachait une fleur de son corsage... elle la lui jetait... Oh ! c'était trop, cela ! assez attendu comme ça. Un flot de sang monta à la tête de Chiquito ; fiévreusement, il tentât son bras à la grande courbe que la balle traçait vers lui, il la cueillit dans la gouttière courbe, et puis, de tous ses muscles, il lança vers Oyarsun le geste du "chistera". Le dur noyau gainé de soie en sortit comme d'une fronde, vint siffler à ses oreilles, et frapper le mur, très bas. Chiquito eut à peine le temps de saisir dans leurs regards l'angoisse de Dominica et l'étonnement d'Oyarsun : déjà il tenait de nouveau la balle ; d'un effort total, à deux mains, il balaya l'air en cercle, et tout de suite il vit s'affaisser, là-bas, la masse blanche qu'il visait. De cris.. Une dégringolade des gradins ; tout le monde qui courait au fronton...Comme les autres, lui aussi, vers le cercle formé autour du corps inerte, il courait déjà pour le voir et surtout pour voir Dominica.
Justement, il l'aperçut qui venait vers lui, toute pâle et muette, le regard suppliant et passionné comme là nuit où il l'avait prise. Confusément, il sentit qu'il avait réveillé dans cette petite âme sauvage, toujours la même depuis des milliers d'années, l'instinct d'amour craintif pour la force du mâle qui ravit et qui tue, et alors, emportant l'émotion du meurtre, il lui vint au cœur une grande joie d'avoir reconquis sa femme."
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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