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jeudi 7 avril 2022

JEAN D'ALBARADE CORSAIRE BASQUE DE BAYONNE EN LABOURD DEVENU MINISTRE DE LA MARINE EN AVRIL 1794 (troisième et dernière partie)

 

JEAN D'ALBARADE CORSAIRE BASQUE DEVENU MINISTRE DE LA MARINE EN 1794.


Jean Dalbarade dit "Le Bayonnais" (né à Biarritz en 1743 et mort à Saint-Jean-de-Luz, le 31 décembre 1819) est un officier de marine, corsaire et homme politique français des 18ème et 19ème siècles. Il fut Ministre de la Marine entre le 10 avril 1793 et le 2 juillet 1795.




corsaire ministre revolution française
LETTRE MANUSCRITE DE JEAN D'ALBARADE




Voici ce que rapporta à son sujet le journal La Dépêche coloniale, le 25 juin 1926, sous la plume 

de Maurice Besson :



"Chronique historique.


Un Corsaire devenu Ministre de la Marine.


Jean d'Albarade ( 1743-1819)



"Après tant de courses et de combats honorables, j’étais enfin parvenu à commander la plus belle frégate de l'Europe, l’Aigle, et de prouver le premier, par l’expérience d’un combat très vif (contre l’opinion de tous les marins) qu’avec l’échantillon du 12 on pouvait porter et tirer du 24. Après cette épreuve je ne dois plus regretter les travaux accablants, faisant deux fois le tour des Trois Royaumes et les navigations des mers les plus dures depuis que je monte cette frégate. Cela me flatte beaucoup plus que le bonheur stérile pour moi d’avoir pris dans cet intervalle "vingt-huit navires anglois" dont il est résulté pourtant un avantage réel pour l'Etat et le commerce puisque dans ce nombre il y avoit "six corsaires".



Mon plus grand chagrin est de voir qu'avec tant de prises mes armateurs ont fait jusqu’à présent des pertes immenses dont la plus considérable est occasionnée par le retard et les entraves que j’éprouve depuis si longtemps de n’avoir pu faire l’expédition pour laquelle l'Aigle étoit armée, dont le roy avoit connaissance et dont le succès aurait été du plus grand avantage pour le gouvernement.



Quel a été le fruit de mon zèle, de mes combats et de mes blessures, dont la dernière m’a fait tenir pour mort ? C'est la prison que j'ai subie à Lorient et la menace d’y retourner. J’espère qu’un boulet terminera plutôt mes jours et mes malheurs : ce sera ma récompense.



Si je naviguais par l’apât du gain, je ferois comme tant d'autres capitaines marchands et me bornant à la navigation des colonies, j’aurois un bénéfice sûr avec peu ou point de risques pour ma personne.



Cette côte est infestée de corsaires ; ils viennent jusque dans les rades et y ont fait plusieurs prises. Il n'y a pas de vaisseau du Roy pour les en chasser. Avant de désarmer (si l'on s’obstine à m’y forcer), j’aurois la satisfaction de courir sur eux de tous côtés et de rendre ce dernier service au Roy, à l’Etat, au commerce. 



Dès qu’ils sauront que l’Aigle est sur leur trace, ils s'en éloigneront. Les Anglois, Monseigneur, connaissent bien celte frégate.




Je suis, avec un profond respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

D’Albarade."






revolution francaise navire fregate corsaire
FREGATE L'AIGLE 1792



Le commandant de l’Aigle ramena sa belle frégate doublée de cuivre à Saint-Malo, coulant en cours de route deux vaisseaux ennemis. D’Albarade se rendit à Paris et à Versailles où il avait, selon sa propre expression, quelque crédit, notamment auprès de la duchesse de Polignac qui avait été sensible à l'hommage de notre officier qui avait appelé un des bâtiments de course placé sous son autorité du nom de la gracieuse duchesse. D’Albarade n’eut point de difficultés à prouver que l’accusation qui pesait sur lui était l'œuvre de quelque envieux et le ministre de la marine le fit rentrer dans la flotte régulière avec le grade de capitaine de frégate.



C'était l’époque des armements effectués par le bailli de Suffren contre les Indes ; les flottes se rassemblaient à l'île de France et le capitaine de frégate partait de Lorient en septembre 1782 pour conduire au bailli une frégate bien armée, nommé le Fier ; arrivé au Cap, d’Albarade y trouvait l’ordre d’aller mouiller dans la baie de Trincomalœ à Ceylan ; à peine parvenu dans ce point de concentration que Suffren chargeait d’Albarade d’escorter du cap à Bourbon quelques vaisseaux portant des troupes et du matériel pour l’expédition des Indes. Puis le gros de l’escadre étant parti, d’Albarade reçut mission de faire la guerre de course dans l'Océan Indien.



Il s’acquitta fort bien de cette tâche et le Fier assura plusieurs fois le ravitaillement des îles de France et de Bourbon grâce à la capture de vaisseaux de la Compagnie des Indes, la 'Vieille Dame de la Tour de Londres" selon l’expression d’alors. Revenu à Brest en 1785 le capitaine dut traîner une inactivité pesante durant les années qui précédèrent la tourmente révolutionnaire dans les dépôts de la flotte où la politique tenait alors la première place, entravant toute initiative.



La Révolution promut d’Albarade, qui n avait pas cru devoir émigrer et qui d’ailleurs ne cachait pas ses convictions républicaines, capitaine de vaisseau. Le nouveau promu reçut le commandement d’une excellente unité du port de Brest l'Astrée. D’Albarade instruit, expérimenté, représentait pour la jeune administration révolutionnaire une force réelle qui devait rendre des services précieux. Le ministre de la marine Lacoste qui connaissait la valeur professionnelle de d'Albarade et qui avait servi sous ses ordres comme lieutenant en second attira l'attention du gouvernement sur cet officier. La marine de guerre, profondément ébranlée par l’émigration de ses cadres, était dans un état piteux. Quelles mesures prendre pour la réorganiser, créer des escadres dignes de ce nom, organiser des centres, des arsenaux, redonner vie en un mot à ce corps quasi mort ?



revolution francaise navire corsaire
FREGATE L'ASTREE 1778



En décembre 1792 le capitaine de vaisseau d’Albarade, devenu Dalbarade en un seul mot, déposait son rapport. C’est un document fort complet qui cache quelque peu l'état de désorganisation où étaient tombés les ports et les flottes de la République faute de cadres, faute d’argent et surtout faute de discipline ; "l’esprit marin" était remplacé aussi bien à bord que dans les arsenaux par le "démon du club". De précieuses indications étaient fournies néanmoins dans ce rapport ; un plan précis de regroupement des forces navales y était établi et surtout il y était démontré la nécessité urgente de "faire naviguer les escadres pour redonner du ton et de l’exercice aux officiers comme aux matelots". Le ministre de la marine Lacoste pria d’Albarade de rester auprès de lui comme adjoint et celui-ci prit possession de son poste le 1er mars 1793.



Un an après, le 10 avril 1794, la Convention désignait Jean d’Albarade comme ministre de la marine ; on a reproché à ce sujet à l'ex-corsaire bayonnais d'avoir fait montre en cette occasion d'une...certaine souplesse politique et d’avoir renié trop facilement son passé ; on en a même conclu que cet officier manquait de caractère. C'est, semble-t-il, faire aisément table rase de ses multiples actions d’éclat. Et du reste le nouveau ministre ne tarda pas à être accusé de faiblesse à l’égard "des ci-devants" encore en service dans la manne. D’Albarade avait pourtant besoin de cadres instruits et où pouvait-il les prendre sinon dans les anciennes formations ; pendant deux ans il lutta pied à pied pour empêcher le "sans-culotisme" complet de la marine, effondrement absolu des derniers vestiges de nos forces maritimes. Ancien corsaire, le ministre donna tous ses soins à la lutte menée par les capitaines qui armaient en course "contre la coalition". Mais toujours accusé de "modérantisme" il dut se démettre de ses fonctions le 2 juillet 1793 et prendre un commandement.



Le Directoire le trouvait contre-amiral et commandant du port de Lorient. Un événement tragique vint alors briser sa fortune militaire ; le 11 floral an II, alors que le vaisseau de haut-rang Le-14-Juillet était au radoub dans l’arsenal de Lorient, le feu se déclarait sur ce bâtiment. Il brûla en entier et la perte de cette unité coûtait non seulement plus de 3 millions à l’Etat, mais privait la flotte républicaine d’une de ses meilleures unités. D’Albarade, commandant le port de Lorient, fut tenu pour responsable, un arrêt du Directoire, signé le 18 floral, déclare cet officier "mis en disponibilité d’urgence" et le traduit en cour martiale. Celle-ci décide que d’Albarade devait être jugé "incapable de tout commandement". Le contre-amiral fit appel de cette dure sentence et l'affaire vint devant un conseil de guerre qui siégea à Paris le 19 brumaire an V. Ce tribunal acquitta d’Albarade, mais le mal était fait et sa carrière brisée.



Le capitaine se retira dans la maison paternelle de Saint-Jean-de-Luz. Mais lors de l’expédition d'Egypte il écrivit au général Buonaparte une lettre personnelle qui a été versée au dossier de notre officier pour lui demander un commandement "pour partir contre les Anglois une fois de plus." Aucune réponse ne lui fut faite. Aussi le contre-amiral s’embarqua sous un faux nom sur un corsaire de Saint-Jean-de-Luz, la Légère, commandé par son propre frère, d'Albarade, dit le Jeune, qui en l’an VIII prit un vaisseau portugais de 8 alors que la Légère n’était qu’un mauvais petit voilier. 



La marine octroya une pension de 2 000 francs à l'ex-corsaire ministre en y ajoutant la croix de la Légion d’honneur. La Restauration, en souvenir de la duchesse de Chartres probablement, porta de 2 000 a 4 000 francs ladite pension. 



L’amiral put faire chaque jour son tour de rempart et humer l’air du large dans le port de la vieille ville de Saint Jean de Luz. Puis ses blessures s’étant rouvertes, ses rhumatismes devenant plus cuisants, Jean d’Albarade qui avait remis sa croix de Saint-Louis à son habit, s'éteignit en 1819 ; correct jusqu’au bout il avait attendu pour quitter cette terre le soir même du 31 décembre.



Après sa mort Louis XVIII qui avait connu le corsaire à Versailles, donna l'ordre de faire chercher au domicile du défunt la croix et le brevet de l’Ordre de Saint-Louis donné par son frère au contre-amiral le 11 août 1787. Ce faisant, le roi voulait s'assurer si ces pièces avaient été déposées à la municipalité, conformément à un décret de la Convention du 28 juillet 93 ou bien si d'Albarade ne leur avait pas substitué d'autres comme on le fit souvent à cette occasion. On eut beau chercher on ne trouva qu'une modeste petite croix de Saint-Louis que le vieil officier portait toujours sur lui depuis le retour des Bourbons. Et le bruit courut à travers la ville de Saint-Jean de Luz que l'amiral d'Albarade tenant à emporter par-delà ce monde le témoignage certain de sa belle existence de marin valeureux...avait avalé sa "vraie" Croix de Saint-Louis, celle donnée par Louis XVI, le jour où il mourut qui était la Saint-Sylvestre de l'an de grâce 1819."







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