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vendredi 1 avril 2022

LA SORCELLERIE ET LES SORCIÈRES AU PAYS BASQUE AUTREFOIS (deuxième et dernière partie)

LES SORCIÈRES AU PAYS BASQUE.


En 1609, des centaines de personnes, en grande partie des femmes, sont accusées de sorcellerie au Pays Basque.




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SABBAT
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet la publication mensuelle La Revue du Palais, le 1er septembre 

1897 :



"Le crime de sorcellerie.


...Sur une grande lande, auprès d’un vieux dolmen celtique, à la lisière d'un bois, le peuple se rassemble pour boire et manger. Sur un tertre voisin, on allume des feux résineux d’où montent vers le ciel d’épaisses vapeurs. "Au fond, dit Michelet, la sorcière dressait son Satan, un grand Satan de bois, noir et velu. Par les cornes et le bouc qui était près de lui, il eût été Bacchus ; mais par les attributs virils, celait Pan et Priape...." Sur ce tertre la sorcière célébrait la messe noire en commençant par parodier les premières prières de la messe. "Puis vient le reniement à Jésus, l’hommage au nouveau maître, le baiser féodal, comme aux réceptions du Temple, où l’on donne tout sans réserve, pudeur, dignité, volonté.... Le dieu de bois l’accueille comme autrefois Pan et Priape. Conformément à la forme païenne, elle se donne à lui, siège un moment sur lui comme la Delphica au trépied d’Apollon. Elle en reçoit le souffle, l’âme, la vie, la fécondation simulée. Puis non moins solennellement elle se purifie. Dès lors, elle est l’autel vivant." La première partie de la messe est terminée et l’on interrompt à ce moment la cérémonie pour procéder au repas. La danse achève l’ivresse que les boissons ont commencée. C’était une danse tournoyante, "la ronde du Sabbat", où l’on tournait dos à dos, les bras en arrière sans se voir. "Au moment où la foule unie dans ce vertige se sentait un seul corps et par l’attrait des femmes et par je ne sais quelle vague émotion de fraternité, on reprenait l’office au Gloria. L’autel, l’hostie apparaissaient. Quels ? la Femme elle-même. De son corps prosterné, de sa personne humiliée, de la vaste soie noire de ses cheveux perdus dans la poussière, elle (l'orgueilleuse Proserpine), elle s’offrait. Sur ses reins, un démon officiait, disait le Credo, faisait l’offrande...." Elle présentait du blé à l’Esprit de la terre et des oiseaux s’envolaient de son sein, symbolisant sans doute l’émancipation que l’on demandait à Satan. Puis, elle distribuait l’hostie. Quelle hostie ? L’hostie d’amour, dit Michelet, un gâteau cuit sur le corps de la sorcière. Enfin, on déposait sur elle deux offrandes, les simulacres du dernier mort et du dernier né de la commune, "Ils participaient au mérite de la femme, autel et hostie, et l’assemblée communiait fictivement avec l’un et l'autre."



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SABBAT ET SORCIERES


A ce moment le sacrifice était accompli. La sorcière se relevait et jetait vers le ciel un appel à la foudre, "un défi au Dieu destitué". Il convient d’ajouter qu’en dérision de la rupture de l’hostie elle se faisait apporter un crapaud habillé qu’elle mettait en pièces. Les traits convulsés, roulant effroyablement ses yeux, elle menaçait et insultait Dieu sous le nom de Philippe au moment précis où elle décapitait le crapaud.



C’est ainsi que Michelet a cru pouvoir reconstituer une nuit de sabbat au XIVe siècle. A défaut d’une vérité scrupuleuse, il y a dans ces descriptions fantastiques de quoi imiter un peintre épris de merveilleux satanique. Si l'on compare ce tableau émouvant aux descriptions de sabbats que l’on peut lire dans Del Rio ou Michaëlis, le mot de "sorcellerie de décadence" paraît pleinement justifié. Les récits du jésuite et du dominicain sont, en effet, grotesques. Déjà Pierre de Lancre, dont l’esprit est plus judicieux, paraît faire un choix entre les extravagances que racontaient les sorcières dont il fut chargé d’instruire le procès. Voici quelques détails empruntés à une description des sabbats qui se seraient produits en pays basque au commencement du XVIIe siècle (1709).



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LIVRE DE PIERRE DE LANCRE



"...Les courriers ordinaires du sabbat sont les femmes ; elles volent et courent échevelées comme furies, ayant la tète si légère qu’elles n’y peuvent souffrir couverture. On les y voit nues, ores graissées, ores non : elles arrivent ou partent perchées sur un balai ou portées sur un banc, un pauvre enfant ou deux en croupe... On y voit encore de grandes chaudières pleines de crapauds et de vipères, cœurs d’enfants non baptisés, chairs de pendus et autres horribles charognes, des eaux puantes, pots de graisse et de poisson qui se prêtent et se débitent à cette foire comme étant la plus précieuse marchandise qui s’y trouve... Le diable s’y représente parfois en bouc, puant et barbu, quelquefois en tronc d'arbre épouvantable et il parait écartelé et comme estropié et sans bras... Enfin on y voit en chaque chose tant d'abominables objets, tant de forfaits el crimes exécrables que l’air s'infecterait, si je les voulais exprimer plus au long...."



Il est manifeste qu’en de tels récits on ne saurait faire trop grande la part de l’hallucination. Ces sorcières qui ont vu une telle fantasmagorie étaient sans doute atteintes de maladie nerveuse. On les soignerait aujourd'hui à la Salpêtrière. Il est probable que la plupart de ces prétendues sorcières assistaient de leur lit et en rêve à ces imaginaires sabbats. Toutefois ne convient-il pas d’admettre, toutes réserves faites sur le caractère satanique (à cette époque) de ces réunions nocturnes, que, vers la fin du XVIe siècle et le commencement du XVIIe, il était d'usage en certains pays que des assemblées rustiques se tinssent, la nuit venue, au milieu des bois, comme dans le Jura et en Auvergne, ou sur la grève, comme dans le Labourd, pour célébrer, à l'abri de toute surveillance redoutable, des fêtes assez grossières où le peuple dansait et buvait copieusement ? On avait perdu la tradition des sabbats primitifs du moyen âge. Ces assemblées nocturnes n'exprimaient plus aucune pensée de révolte. Le diable, sans doute, devait s’en désintéresser. 



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SABBAT ET SORCIERES



Mais les inquisiteurs et les les juges étaient encore fort loin d'envisager ces choses avec notre indulgence. Il fallait payer de sa vie l’aveu d'avoir assisté au sabbat. Nous allons voir, en effet, après avoir fait connaître le diable, ses suppôts et les rites de son culte, comment la chrétienté organisa sa défense.



L'on ne se faisait pas faute, à l'occasion, de jouer au diable quelque méchant tour, mais, en dépit du zèle le plus farouche, il ne fallait pas songer à exterminer un tel adversaire. Sans doute il est moins puissant que Dieu et le glaive de l'archange Michel le lui fit bien voir, mais il dépasse infiniment en malice et en puissance tous les inquisiteurs et tous les juges, qui doivent se résigner à prendre leur revanche sur les sorciers et les sorcières. C’est ce qu’ils n'ont pas manqué de faire durant plusieurs siècles avec une intrépidité et une allégresse qui déconcerteraient tout à fait notre raison, si nous pouvions ignorer que la foi fut atroce en ces temps-là et qu’elle s'excusait de l’être sur l’infaillibilité du dogme et le salut éternel des âmes.



"Le crime de sorcellerie étant exceptionnel, dit un vieil auteur, tant pour l’énormité d'iceluy que pour ce qu'il se commet le plus souvent de nuit et toujours en secret, tellement qu’à cette occasion le jugement doit être traité extraordinairement, sans qu’il soit besoin d’observer en cela l’ordre de droit ni les procédures ordinaires." Voilà qui n’est pas rassurant ! On sait ce qu’était la procédure lorsque le crime n’était pas exceptionnel, on devine ce quelle elle va devenir contre les personnes soupçonnées de sorcellerie.



Dès qu’un homme ou une femme — il s’agit presque toujours d’une femme — est accusé de maléfice par la rumeur publique, sans qu’aucune dénonciation particulière et motivée se soit produite, l’Eglise se croit en droit d’intervenir et de commencer le procès. Tout d’abord, les inquisiteurs sont chargés de rechercher les indices. Bien que cette recherche puisse paraître délicate, il ne faudrait pas supposer que les inquisiteurs seront empêchés d’aboutir. Leur perplexité ne saurait être longue, car ils sont armés de livres très complets, que l'on nomme directoria et dans lesquels tous les cas sont prévus et tranchés. Ces gros livres, rédigés d'ordinaire par demandes et réponses, font preuve de cette subtilité d’argumentation où excellaient, en ce temps-là, théologiens et philosophes. Ce sont les manuels du parfait inquisiteur. Il y trouvera des solutions à tous les cas et n’aura aucune peine, en sachant les consulter pertinemment, à confondre les malices des suppôts de Satan. Le chef-d’œuvre en ce genre est le "Marteau des Sorcières (malleus maleficarum)" de Sprenger et d'Henri Institor, qui, ayant été envoyés sur les bords du Rhin par le pape Innocent VIII pour y combattre des épidémies de sorcellerie, acquirent une rare et redoutable expérience en ces sortes de procédures. Comme ils pensèrent, en bons chrétiens, que le fruit de tant de combats livrés par eux contre le diable ne devait pas être perdu, ils firent dans le Marteau un minutieux récit de leur mission. Tous les pièges sataniques y sont décrits et l’on y apprend également la manière de les déjouer. Ce livre devint indispensable aux inquisiteurs, aussi en fit-on un abrégé d’un format très commode que l'inquisiteur put au besoin glisser dans sa poche et emporter en voyage. Armé de son petit manuel comment eût-il pu errer longtemps à la recherche des indices ? 



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LIVRE LE MARTEAU DES SORCIERES SPRENGER



Donc, la rumeur publique, si prompte au soupçon, si encline à la crédulité, propage contre une pauvre femme dont le nom est prononcé, une accusation de sorcellerie. On a cru l'entendre parler seule dans la nuit ; on a cru la voir courir à travers champs en poussant des cris d'animaux. Il n'en faut pas plus pour que l’Église s’inquiète et qu’un inquisiteur soit chargé de découvrir la vérité, d’établir si la présomption de sorcellerie est fondée. A la rigueur, la rumeur publique peut suffire à justifier l’emprisonnement et l’interrogatoire de la prétendue sorcière. Il est recommandé toutefois de se procurer des témoins. L'inquisiteur devra donc découvrir des témoins et au besoin en susciter. D’ordinaire, la chose sera facile. Cette pauvre sorcière a des voisins qui, peut-être, ont à se plaindre d’elle ou qui, dans leur ignorance superstitieuse, lui imputent les mauvais coups du destin qu’ils ont subis. On les amènera devant l'inquisiteur, et il est permis de supposer qu'en présence de cet homme redoutable, qui peut user de rigueur contre eux, ils manqueront de sang-froid et d’indépendance. Ils seront à la discrétion du juge pour accuser la sorcière. Déclareront-ils qu'elle est belle, qu'elle a les cheveux longs et noirs et qu’on ne l'a jamais vue pleurer ? De telles déclarations à l’appui des faits dont l’accuse la rumeur publique aggravent singulièrement le cas de la pauvre fille. Et si un témoin habilement sollicité par l’inquisiteur vient à reconnaître que la mère de l’accusée ne fut pas à l'abri de tout soupçon de sorcellerie il n’y a plus de doute, le diable est dans l'affaire. Le "malleus" est formel en pareil cas. Le devoir de l’inquisiteur est de procéder à l'arrestation de la sorcière, car il s'agit d'une sorcière.



La descente sur les lieux pour procéder à l'arrestation de l’accusée exigeait certaines précautions. Peu de personnes mettaient en doute que le regard d’une sorcière pût causer la  mort ou, tout au mieux, provoquer la lèpre. Ou attribuait une telle origine à certaines maladies de peau. Il était donc naturel de se garantir contre le mauvais œil de la malheureuse et pour cela on pénétrait chez elle à reculons. Il était également recommandé de s’emparer de la sorcière à l'improviste avant quelle ait eu le temps de frapper le sol du pied. On citait, en effet, des exemples de suppôts du diable qui avaient réussi à échapper à la justice en s’envolant dans les airs. C’était là une des ruses du "Malin" que l’on déjouait en empêchant la sorcière de toucher le sol où se trouvait, paraît-il, la force mystérieuse qui lui permettait de prendre son vol. Toutes les précautions ayant été prises, la pauvre fille étant arrêtée et ligotée, il convient maintenant de visiter sa demeure, de s’emparer de ses misérables outils, des philtres diaboliques, des paquets d'herbes sèches. Tout cela est suspect et servira de pièces à conviction. Il est bien entendu que si l'on vient à découvrir des complices ou même des servantes, il ne faudra pas hésiter à les arrêter.



Voilà donc la pauvre sorcière aux mains de l'inquisiteur. On devine qu’elle a peu de chances de se justifier de l'accusation chimérique qui pèse sur elle. En attendant que l’inquisiteur l’interroge, on la met au cachot. Les cachots, en ce temps-là, n’étaient pas précisément confortables. Il arriva souvent que l'on devint fou à les habiter trop longtemps, à moins qu’on n’y mourût dès les premiers jours de captivité. C’étaient des "pourrissoirs", selon l’expression d’Axenfeld, dont M. Ch. Richet, dans son étude sur les démoniaques d'autrefois, cite cette description : "D’aucuns sont assis par un grand froid, que les pieds leur gèlent et se détachent, et s’ils réchappent, ils demeurent estropiés pour la vie ; d’autres, en l’obscurité, sans une lueur de soleil, ne savent jamais s’il fait jour ou nuit et, parce qu'ils ne peuvent remuer pieds ni mains, ils sont mangés par la vermine et les rats. Ils sont mal nourris, joint que le bourreau et ses valets à toute heure les raillent et les injurient. Ils ont des pensées lourdes, de mauvais rêves, des frayeurs continuelles. Aussi voit-on pareilles gens, de patients, sensés et hardis qu'ils étaient auparavant, devenir moroses, impatients, mal courageux et demi-fols...."



Après quelques jours de réclusion dans cet infect cachot, cette malheureuse fille des champs, dont l’esprit est à peu près égaré, doit répondre à un premier interrogatoire. L’inquisiteur, à qui on ne saurait supposer un visage débonnaire, procède à cet interrogatoire. Si l’accusée ne cède pas à l’intimidation et fait mine de ne vouloir pas avouer son prétendu crime, la chambre de géhenne n’étant pas loin d’ordinaire de la chambre de justice, on pourra lui faire entrevoir les tenailles, les coins, les chevalets, les colliers et les cordes. Nul doute que la vue d’un pareil arsenal n’invite aux aveux. Or, le juge n'est satisfait de sa procédure que lorsqu’il a obtenu l’aveu de l’accusée. Toute l’habileté du juge tend vers ce but. Aussi l’interrogatoire de l’accusé contre lui-même était-il poussé, avec la minutieuse logique qui caractérisait l’esprit des inquisiteurs, jusqu'à ses plus atroces conséquences. C’était une sorte de lutte passionnée qui s'engageait entre le juge et l’accusé. Il semble que la démonstration de l’innocence d’un prévenu tournât nécessairement à la confusion de la justice et de ses représentants. Il fallait donc à tout prix épargner à la justice cette confusion. On y réussissait d’ordinaire assez bien grâce au secret, aux tortures, à la double question. Un innocent s’avouant coupable, voilà qui devait assurer la réputation d’un juge !



Armé d’un bon manuel, assisté d’un bon bourreau, autorisé à exploiter la menace et la promesse, quitte à ne pas tenir celle-ci au cas où le crime serait trop grief, tout juge avisé devait, semble-t-il, amener les pauvres sorcières à confesser leurs prétendus crimes. La vérité est qu’on n’y réussissait pas toujours. Il arrivait assez fréquemment que les sorcières s’obstinaient à nier ou à garder le silence. En pareil cas, l'inquisiteur devait avoir recours à diverses épreuves. Parmi les épreuves usitées, toutes, au dire des inquisiteurs, n'étaient pas également décisives. C’est ainsi que l'épreuve de la balance, fondée sur la légèreté dont les corps habités par le diable avaient la réputation de jouir et l’épreuve de l’eau qui paraît se rattacher à la même croyance sont déconseillées par plusieurs inquisiteurs et exorcistes. A la suite de nombreuses expériences contradictoires, on dut également condamner, comme n’étant pas concluante, l’épreuve qui consistait à placer un fer rouge dans la main de l’accusée. Quelquefois aussi on avait recours à l’épreuve du fromage. La sorcière devait pétrir un fromage avec le lait de certaines vaches, puis, le fromage pétri, on le traversait avec une aiguille dans le but de faire apparaître, en le partageant ainsi, la griffe du diable. On reconnut que cette épreuve bizarre ne présentait pas de garanties absolues et l’on y renonça le plus souvent. Restait comme épreuve tout à fait grave, celle du stylet. L’importance que l’on attribuait à cette expérience fait la preuve que la plupart des sorcières étaient atteintes de maladies nerveuses. Cette épreuve reposait, en effet, sur la croyance que le diable possédait le don de rendre insensibles certaines parties du corps de ses suppôts. Ces points insensibles que le bourreau cherchait sur le corps des prévenues, c’étaient les stigmates du diable. Quand on réussissait à les découvrir, on précisait l’épreuve en enfonçant dans la chair un stylet, ou une aiguille. La sorcière subissait-elle cette épreuve sans jeter de cris de douleur ? Son cas ne laissait plus d’être très grave. Le fait de ne pouvoir pas verser de larmes était également interprété comme une présomption très forte de sorcellerie.



Ces épreuves subies par la sorcière, le juge ne devait pas hésiter à la faire conduire dans la chambre de géhenne afin de la déterminer à l’aveu. Si elle faisait des aveux, on la ramenait à la chambre de justice. S’obstinait-elle à nier ? On pouvait l’appliquer à la torture jusqu’à trois fois.



A l’égard des suppôts de Satan, l’indulgence aurait ressemblé fort à de l’impiété. C’est ce que disent les inquisiteurs, c’est ce que plus tard répéteront à l’envi les les juges laïques de la fin du XVIe siècle, et plus frénétiquement que tous les autres le terrible Bodin d'Angers. Aussi avant d’envoyer les sorcières au bûcher, était-il recommandé de les soumettre à la question. On commençait par les priver de sommeil, par les suspendre par le cou ou les épaules après avoir attaché à leurs pieds des poids fort pesants. Quelquefois, on continuait par l’estrapade, le chevalet et le collier. On pouvait aller encore plus loin, selon l’obstination de la victime et l’atrocité du juge. Il y eut des sorcières à qui on arracha les mamelles et dont on brisa successivement tous les membres avant de jeter au feu leur pauvre corps ainsi martyrisé. Toutefois, il faut signaler qu’au commencement du XVIe siècle, Louis XII rendit un édit pour que la question ne pût être appliquée que dans le cas où il y avait des présomptions graves de culpabilité. Le pape Paul III intervint un peu plus tard pour prescrire que la torture ne durât pas plus d’une heure. On ignore si la volonté du roy et le désir du pape furent toujours obéis. L’Eglise, en accordant au juge et à l’accusateur la confiscation des sorcières, invitait à multiplier les procès et à ne jamais relâcher les accusées.



En présence des abus qui se perpétuaient dans l’Empire, Charles-Quint résolut de supprimer la confiscation et de donner aux poursuites pour crime de sorcellerie le caractère d'affaires civiles. En dépit de ces prescriptions de l’Empereur, la juridiction ecclésiastique continua, dans la plupart des villes d’Empire, à juger sorciers et sorcières et à confisquer leurs biens. La procédure devint de plus en plus sommaire : "Les choses allèrent si loin, dit Michelet, chez certains princes-évêques, que plus tard l’empereur le plus bigot qui fut jamais, l’empereur de la guerre de Trente ans, Ferdinand II, est obligé d’intervenir, d’établir à Bamberg un commissaire impérial pour qu’on suive le droit de l’Empire, et que le juge épiscopal ne commence pas ses procès par la torture qui les tranchait d’avance, menait droit au bûcher."



En France, à partir de la seconde moitié du quinzième siècle jusqu’au règne d’Henri II, les procès de sorcellerie devinrent rares. Le procès de Jeanne d’Arc, encore que le crime de sorcellerie n’y figurât que par dessus tous les autres et pour masquer les vrais desseins de ses accusateurs, contribua, peut-être, à raison de sa révision par le Parlement et de la réhabilitation qui s’ensuivit, à jeter le discrédit sur les tribunaux ecclésiastiques. Quoi qu’il en soit, sous Charles VIII, Louis XII, et François 1er, aucune condamnation ne fut prononcée pour crime de sorcellerie. Le diable laissait la France en paix. Il va de nouveau lui déclarer la guerre avec fureur à partir du règne d’Henri II. A ce moment, des épidémies de démonomanie éclatent de toutes paris. On en signale en Alsace, en Savoie, en Lorraine, dans le Jura, en Auvergne et jusque dans le Béarn. Ce retour offensif de Satan va provoquer une explosion de fanatisme. Les passions religieuses sont en pleine fermentation. Les juristes disputent aux moines et aux prêtres le droit de poursuivre et de juger les sorciers. La juridiction ecclésiastique est soupçonnée d’indulgence. Songez qu’il n'y a pas eu de procès pour crime de sorcellerie depuis près d’un siècle ! N’est-ce pas à cette excessive tolérance qu'il convient d'attribuer les terribles épidémies qui viennent d’éclater? Au surplus, on commence à s’aviser que des prêtres pactisent avec les suppôts du diable. En pays basque, de Lancre fera emprisonner cinq prêtres accusés de prendre part aux sabbats. Comme nous l’avons déjà dit, les juges laïques ne laissèrent pas de justifier par leur zèle et leur crédulité la mission dont ils se chargèrent...




... C’est en pays basque, dans cette partie du Béarn appelé le Labourd, que fut allumé, en 1609, le dernier bûcher collectif pour crime de sorcellerie. L'épidémie de démonomanie qui sévit au bord de l’Océan, parmi une population de marins et de pécheurs, au commencement du XVIIe siècle, semble avoir pris des proportions exceptionnelles. Des prêtres se mêlèrent à ces désordres, ainsi que des magistrats. L'assesseur criminel de Bayonne reçut Satan chez lui, c'est-à-dire qu'il y laissa organiser un sabbat. Jeunes filles et vieilles femmes passaient également pour sorcières. Une sorte de folie s'emparait peu à peu de tous les habitants de cette région. Ces excentricités duraient depuis longtemps déjà lorsque le seigneur de Saint-Pé, qui avait permis qu'un sabbat eût lieu dans son château, pris sans doute de peur et de remords, s’en fut conter la chose à Bordeaux et réclamer l’assistance du Parlement. On fit droit à sa requête, car deux conseillers au Parlement, de Lancre et d’Espagnet, furent investis de la mission de rechercher et de punir les coupables. Ils prirent leur mission au sérieux. D’Espagnet ne fit que traverser le Labourd, ayant à se rendre aux Etats de Béarn ; mais Pierre de Lancre y séjourna durant plusieurs mois. Il s'est expliqué sur sa mission dans un livre relativement judicieux, où il expose les maléfices de la sorcellerie et fixe les règles de la procédure à suivre contre les accusés. Certes, ce serait lui taire injure que de prétendre qu’il ne croyait pas au diable. II est fort loin de faire à la tolérance et au scepticisme toute leur juste part. Toutefois, ce jeune conseiller du roi au Parlement de Bordeaux n’a ni la foi solide et naïve de Boguet, ni la sombre frénésie de Bodin. Il est homme de robe et prétend démontrer l'excellence de la juridiction laïque. Notez qu'ayant fait brûler quatre-vingts sorcières en quatre mois, sa démonstration ne laisse pas d’être impressionnante. Il est également homme d’honneur et se pique plus, au fond, de courage que de foi. Le fait est qu’il lui fallut quelque courage pour mener à bien son œuvre de répression. Quand il arriva dans le pays où sévissait l’épidémie, il y fut fort mal accueilli. Une sorte de ligue de sorciers et de sorcières se forma contre lui. On annonça que le premier bûcher lui serait réservé. De Lancre paraît avoir été intrépide. Il paya d’audace et fit dresser les potences royales sur les lieux mêmes consacrés par la présence du diable. Il brava superbement le "Malin". Cette audace lui réussit, car certaines sorcières prirent peur et les dénonciations commencèrent. La situation étant périlleuse et assez comparable à celle du dompteur dans la cage des fauves, de Lancre accéléra la procédure. Il adjugea au bourreau quelques douzaines de sorcières qui avaient avoué leurs fiançailles avec le diable sous l’intimidation des menaces, ou le mensonge des promesses. Au demeurant, le diable ou le bon Dieu étaient chargés de faire leur choix. Mais il advint que la plupart rétractèrent leurs aveux au moment du supplice, parce que la foule, indignée qu’elles aient trahi des secrets ou inventé des fables compromettantes, s’acharnait après elles et voulait les frapper. De Lancre raconte, non sans une pointe de fanfaronnade gasconne, qu’il ne se laissa pas émouvoir et alla jusqu’au bout de sa mission, en faisant brûler trois prêtres sur les huit qui avaient été arrêtés. Le diable avait, paraît-il, facilité à cinq d’entre eux les moyens d’échapper au supplice. En somme, le commissaire avait acquis le droit de rentrer Bordeaux en triomphateur. Et c’est ce qu'il fit.



Bien qu’on ne puisse mettre en doute que Boguet, Le Loyer, Rémi, De Lancre et quelques autres encore ne se soient acquittés de leur mission avec autant de zèle pieux que de compétence juridique, les bûchers collectifs allumés sur leur ordre en Lorraine, dans le Jura, à Toulouse, en pays basque n’avaient pas eu raison de tous les suppôts du diable. C’est, je crois, Pierre Le Loyer qui estime qu’il y a encore en France, au commencement du XVIIe siècle, plus de trois cent mille sorciers ou sorcières. Quelle formidable armée ! La piété la plus atroce n’a réussi, tout au mieux, qu’à la décimer. Que n’a-t-elle qu’une tête, ainsi que le souhaite le farouche Bodin, un seul bûcher suffirait à débarrasser la France de cette engeance d’enfer ! Mais dès le commencement du XVIIe siècle, un tel fanatisme ne rencontrait plus dans la crédulité publique un concours aussi complaisant qu’autrefois. Le fameux Marteau du dominicain Sprenger a beaucoup perdu de son autorité.



... L'homme se décide difficilement à changer de préjugés. Il faut arriver au XVIIe siècle pour apercevoir, au point de vue qui nous occupe dans celle étude, les premiers effets des leçons de tolérance et de bons sens d’un Jean de Wier et d’un Montaigne. Encore ces effets sont-ils bien précaires. Toutefois, même chez l'intrépide conseiller du roy au Parlement de Bordeaux Pierre de Lancre, on sent déjà l'influence des idées nouvelles. Nous savons qu’il s’est acquitté très allègrement de sa mission en pays basque, mais le livre où il raconte ses prouesses témoigne en plus d’un endroit que ce compatriote de Montaigne était fort loin de posséder la foi frénétique et totale des inquisiteurs d’antan. Il est certain qu’une réaction se prépare, combien timide encore et inconsistante ! contre des croyances sans autre fondement qu’une superstition grossière et qui aboutissent à des répressions atroces. S’il y a encore en France trois cent mille sorciers ou sorcières, ainsi que le déclare Le Loyer, ils sont maintenant à peu près assurés d’échapper au bûcher. Les farouches adversaires du diable doivent se résigner à subir une défaite partielle. On pourra sans être inquiété, tourner leur crédulité en dérision, mépriser leurs écrits et tenter l'apologie des grands personnages faussement accusés de magie. C’en est fini des accusations sans preuves, formulées par la rumeur publique et qui suffisaient autrefois à provoquer l’arrestation des prétendues sorcières. L’opinion publique se sentant moins encouragée à ces dénonciations, sans cesser de croire aux maléfices, hésite maintenant à réclamer le châtiment de leurs auteurs. De leur côté, les parlements saisis d'affaires de sorcellerie vont exiger, pour motiver leurs arrêts, que les accusations reposent sur des faits susceptibles d’être vérifiés..."





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