LES SORCIÈRES AU PAYS BASQUE.
En 1609, des centaines de personnes, en grande partie des femmes, sont accusées de sorcellerie au Pays Basque.
Voici ce que rapporta à ce sujet la publication mensuelle La Revue du Palais, le 1er septembre
1897 :
"Le crime de sorcellerie.
...Sur une grande lande, auprès d’un vieux dolmen celtique, à la lisière d'un bois, le peuple se rassemble pour boire et manger. Sur un tertre voisin, on allume des feux résineux d’où montent vers le ciel d’épaisses vapeurs. "Au fond, dit Michelet, la sorcière dressait son Satan, un grand Satan de bois, noir et velu. Par les cornes et le bouc qui était près de lui, il eût été Bacchus ; mais par les attributs virils, celait Pan et Priape...." Sur ce tertre la sorcière célébrait la messe noire en commençant par parodier les premières prières de la messe. "Puis vient le reniement à Jésus, l’hommage au nouveau maître, le baiser féodal, comme aux réceptions du Temple, où l’on donne tout sans réserve, pudeur, dignité, volonté.... Le dieu de bois l’accueille comme autrefois Pan et Priape. Conformément à la forme païenne, elle se donne à lui, siège un moment sur lui comme la Delphica au trépied d’Apollon. Elle en reçoit le souffle, l’âme, la vie, la fécondation simulée. Puis non moins solennellement elle se purifie. Dès lors, elle est l’autel vivant." La première partie de la messe est terminée et l’on interrompt à ce moment la cérémonie pour procéder au repas. La danse achève l’ivresse que les boissons ont commencée. C’était une danse tournoyante, "la ronde du Sabbat", où l’on tournait dos à dos, les bras en arrière sans se voir. "Au moment où la foule unie dans ce vertige se sentait un seul corps et par l’attrait des femmes et par je ne sais quelle vague émotion de fraternité, on reprenait l’office au Gloria. L’autel, l’hostie apparaissaient. Quels ? la Femme elle-même. De son corps prosterné, de sa personne humiliée, de la vaste soie noire de ses cheveux perdus dans la poussière, elle (l'orgueilleuse Proserpine), elle s’offrait. Sur ses reins, un démon officiait, disait le Credo, faisait l’offrande...." Elle présentait du blé à l’Esprit de la terre et des oiseaux s’envolaient de son sein, symbolisant sans doute l’émancipation que l’on demandait à Satan. Puis, elle distribuait l’hostie. Quelle hostie ? L’hostie d’amour, dit Michelet, un gâteau cuit sur le corps de la sorcière. Enfin, on déposait sur elle deux offrandes, les simulacres du dernier mort et du dernier né de la commune, "Ils participaient au mérite de la femme, autel et hostie, et l’assemblée communiait fictivement avec l’un et l'autre."
SABBAT ET SORCIERES |
A ce moment le sacrifice était accompli. La sorcière se relevait et jetait vers le ciel un appel à la foudre, "un défi au Dieu destitué". Il convient d’ajouter qu’en dérision de la rupture de l’hostie elle se faisait apporter un crapaud habillé qu’elle mettait en pièces. Les traits convulsés, roulant effroyablement ses yeux, elle menaçait et insultait Dieu sous le nom de Philippe au moment précis où elle décapitait le crapaud.
C’est ainsi que Michelet a cru pouvoir reconstituer une nuit de sabbat au XIVe siècle. A défaut d’une vérité scrupuleuse, il y a dans ces descriptions fantastiques de quoi imiter un peintre épris de merveilleux satanique. Si l'on compare ce tableau émouvant aux descriptions de sabbats que l’on peut lire dans Del Rio ou Michaëlis, le mot de "sorcellerie de décadence" paraît pleinement justifié. Les récits du jésuite et du dominicain sont, en effet, grotesques. Déjà Pierre de Lancre, dont l’esprit est plus judicieux, paraît faire un choix entre les extravagances que racontaient les sorcières dont il fut chargé d’instruire le procès. Voici quelques détails empruntés à une description des sabbats qui se seraient produits en pays basque au commencement du XVIIe siècle (1709).
LIVRE DE PIERRE DE LANCRE |
"...Les courriers ordinaires du sabbat sont les femmes ; elles volent et courent échevelées comme furies, ayant la tète si légère qu’elles n’y peuvent souffrir couverture. On les y voit nues, ores graissées, ores non : elles arrivent ou partent perchées sur un balai ou portées sur un banc, un pauvre enfant ou deux en croupe... On y voit encore de grandes chaudières pleines de crapauds et de vipères, cœurs d’enfants non baptisés, chairs de pendus et autres horribles charognes, des eaux puantes, pots de graisse et de poisson qui se prêtent et se débitent à cette foire comme étant la plus précieuse marchandise qui s’y trouve... Le diable s’y représente parfois en bouc, puant et barbu, quelquefois en tronc d'arbre épouvantable et il parait écartelé et comme estropié et sans bras... Enfin on y voit en chaque chose tant d'abominables objets, tant de forfaits el crimes exécrables que l’air s'infecterait, si je les voulais exprimer plus au long...."
Il est manifeste qu’en de tels récits on ne saurait faire trop grande la part de l’hallucination. Ces sorcières qui ont vu une telle fantasmagorie étaient sans doute atteintes de maladie nerveuse. On les soignerait aujourd'hui à la Salpêtrière. Il est probable que la plupart de ces prétendues sorcières assistaient de leur lit et en rêve à ces imaginaires sabbats. Toutefois ne convient-il pas d’admettre, toutes réserves faites sur le caractère satanique (à cette époque) de ces réunions nocturnes, que, vers la fin du XVIe siècle et le commencement du XVIIe, il était d'usage en certains pays que des assemblées rustiques se tinssent, la nuit venue, au milieu des bois, comme dans le Jura et en Auvergne, ou sur la grève, comme dans le Labourd, pour célébrer, à l'abri de toute surveillance redoutable, des fêtes assez grossières où le peuple dansait et buvait copieusement ? On avait perdu la tradition des sabbats primitifs du moyen âge. Ces assemblées nocturnes n'exprimaient plus aucune pensée de révolte. Le diable, sans doute, devait s’en désintéresser.
SABBAT ET SORCIERES |
Mais les inquisiteurs et les les juges étaient encore fort loin d'envisager ces choses avec notre indulgence. Il fallait payer de sa vie l’aveu d'avoir assisté au sabbat. Nous allons voir, en effet, après avoir fait connaître le diable, ses suppôts et les rites de son culte, comment la chrétienté organisa sa défense.
L'on ne se faisait pas faute, à l'occasion, de jouer au diable quelque méchant tour, mais, en dépit du zèle le plus farouche, il ne fallait pas songer à exterminer un tel adversaire. Sans doute il est moins puissant que Dieu et le glaive de l'archange Michel le lui fit bien voir, mais il dépasse infiniment en malice et en puissance tous les inquisiteurs et tous les juges, qui doivent se résigner à prendre leur revanche sur les sorciers et les sorcières. C’est ce qu’ils n'ont pas manqué de faire durant plusieurs siècles avec une intrépidité et une allégresse qui déconcerteraient tout à fait notre raison, si nous pouvions ignorer que la foi fut atroce en ces temps-là et qu’elle s'excusait de l’être sur l’infaillibilité du dogme et le salut éternel des âmes.
"Le crime de sorcellerie étant exceptionnel, dit un vieil auteur, tant pour l’énormité d'iceluy que pour ce qu'il se commet le plus souvent de nuit et toujours en secret, tellement qu’à cette occasion le jugement doit être traité extraordinairement, sans qu’il soit besoin d’observer en cela l’ordre de droit ni les procédures ordinaires." Voilà qui n’est pas rassurant ! On sait ce qu’était la procédure lorsque le crime n’était pas exceptionnel, on devine ce quelle elle va devenir contre les personnes soupçonnées de sorcellerie.
Dès qu’un homme ou une femme — il s’agit presque toujours d’une femme — est accusé de maléfice par la rumeur publique, sans qu’aucune dénonciation particulière et motivée se soit produite, l’Eglise se croit en droit d’intervenir et de commencer le procès. Tout d’abord, les inquisiteurs sont chargés de rechercher les indices. Bien que cette recherche puisse paraître délicate, il ne faudrait pas supposer que les inquisiteurs seront empêchés d’aboutir. Leur perplexité ne saurait être longue, car ils sont armés de livres très complets, que l'on nomme directoria et dans lesquels tous les cas sont prévus et tranchés. Ces gros livres, rédigés d'ordinaire par demandes et réponses, font preuve de cette subtilité d’argumentation où excellaient, en ce temps-là, théologiens et philosophes. Ce sont les manuels du parfait inquisiteur. Il y trouvera des solutions à tous les cas et n’aura aucune peine, en sachant les consulter pertinemment, à confondre les malices des suppôts de Satan. Le chef-d’œuvre en ce genre est le "Marteau des Sorcières (malleus maleficarum)" de Sprenger et d'Henri Institor, qui, ayant été envoyés sur les bords du Rhin par le pape Innocent VIII pour y combattre des épidémies de sorcellerie, acquirent une rare et redoutable expérience en ces sortes de procédures. Comme ils pensèrent, en bons chrétiens, que le fruit de tant de combats livrés par eux contre le diable ne devait pas être perdu, ils firent dans le Marteau un minutieux récit de leur mission. Tous les pièges sataniques y sont décrits et l’on y apprend également la manière de les déjouer. Ce livre devint indispensable aux inquisiteurs, aussi en fit-on un abrégé d’un format très commode que l'inquisiteur put au besoin glisser dans sa poche et emporter en voyage. Armé de son petit manuel comment eût-il pu errer longtemps à la recherche des indices ?
LIVRE LE MARTEAU DES SORCIERES SPRENGER |
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