PELOTE BASQUE ET GUERRE CIVILE ESPAGNOLE EN 1936.
Dès 1912, le congrès des pelotaris soumet l'idée d'une fédération de pelote basque.
GRANDE SEMAINE DE SPORTS BASQUES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Celle-ci aura pour objectif de développer, de diriger et de réglementer ce sport en France.
Après 1918, la pelote est en pleine décadence, due à l'hécatombe des jeunes gens morts dans les
combats et à la misère des campagnes, suite à la Première Guerre Mondiale, mais aussi à
l'anarchie de la pratique.
Durant l'entre-deux-guerres, le jeu se transforme en sport et sont créées dans les années 1920,
à la fois la Fédération de Pelote Basque (F.F.P.B.) et la Fédération Internationale de Pelote
Basque (F.I.P.V).
La Fédération de pelote qui va s'efforcer d'organiser ce jeu devenu sport, en homogénéisant les
règles, le poids des pelotes, de diminuer la durée des parties, est organisée par Jean
Ybarnégaray, homme politique de la droite conservatrice.
Voici ce que rapporta le journal Paris Soir, dans son édition du 2 septembre 1936, sous la
signature de Gaston Bénac, pour la 17ème édition de cette Grande Semaine des Sports Basques:
"Pour la première fois, le drapeau des sept provinces est déchiqueté.
Ici, à Tardets, on rit, on chante, on danse, on joue. Et quelques kilomètres plus loin, on se menace et on se tue. Et pourtant, ici et là, vivent des Basques qui se proclamaient frères d'un même sang, unis par les mêmes espérances, par les mêmes réalités aussi.
FRONTON TARDETS EN SOULE PAYS BASQUE D'ANTAN |
L'unité basque qui avait survécu à tous les naufrages n'est plus qu'un vain mot, en Espagne tout au moins. Et le drapeau blanc à raies rouges et vertes, celui des sept provinces (quatre de l'autre côté des Pyrénées, trois de ce côté), est déchiré.
C'est dans cette atmosphère pénible que vient de s'ouvrir, sur le fronton ensoleillé de Tardets, au cœur de la vieille province de Soule, au centre d'un cirque de petites montagnes boisées, mesurées, coquettes et discrètes même, la grande semaine de sports basques.
Les danses, les chants, les improvisations, les joutes sportives furent aussi appréciés sans doute qu'ils l'étaient les années précédentes. Mais on songeait, malgré tout, aux frères de l'autre côté de la frontière et la pensée de ceux de Navarre et d'Alava qui s'entre-tuaient avec ceux de Guipuzcoa et de Biscaye étreignait tous les cœurs.
Une sombre tragédie plane sur nos frontons, s'écria le président de la Fédération de pelote basque, le député pelotari Jean Ybarnégaray, qui, au-dessus des partis, incarne ici l'âme basque, évoquant le tragique destin du peuple basque qui s'entre-déchire.
JEAN YBARNEGARAY PAYS BASQUE D'ANTAN |
"Nous ne pouvons penser sans émotion, ajouta-t-il, aux amis basques espagnols divisés, à ces camarades que nous avons dans les deux camps. Qu'est devenu le vieux proverbe : "Les sept provinces n'en font qu'une" ? Maintenant, l'unité basque est brisée devant ces jeux tragiques qui remplacent nos jeux sportifs.
Hélas ! nos frères de même sang, de même race s'entre-tuent. Aussi avec vous, je ne fais qu'un vœu, celui-ci : que nos frères de l'autre côté de la frontière cessent au plus tôt cette lutte cruelle.
Ces jours derniers, du haut de la colline de San-Marcial, une voix s'éleva au-dessus du crépitement des mitrailleuses : "Nous sommes Basques, pourquoi continuons-nous à nous entre-tuer ?" Mais cette voix resta sans écho. Quelle est la voix qui pourra faire comprendre aux Basques des deux côtés leur folie meurtrière ?"
FORT SAN MARCIAL IRUN 1936 PAYS BASQUE D'ANTAN |
DEFENSE DE SAN MARCIAL IRUN 1936 PAYS BASQUE D"4ANTAN |
Cette évocation du déchirement basque impressionna fortement le monde des pelotaris qui suit généralement sans parti pris la lutte autour d'Irun et de Saint-Sébastien, mais avec angoisse, car des deux côtés c'est souvent le sang de frères de race qui coule.
Pour la première fois les matches France-Espagne ne figurèrent pas cette année au calendrier de la grande semaine et hier le pays basque français semblait par instants porter le deuil du pays basque espagnol.
Puis les danses, les chants, reprenaient leur cours, mais sans entrain cette fois, tandis que s'évoquaient les combats de la frontière avec effectifs et matériels bien réduits et que chacun contait vingt anecdotes sur l'aide donnée par les uns et par les autres aux différents belligérants.
Chassant ces nuages, on arrivait cependant à se passionner bientôt au spectacle de la finale du championnat de France à main nue, aux efforts du jeune athlète Audet, de Saint-Pée, garçon solide, taillé à coups de serpe, mais frappant la balle à la manière d'un champion d'autrefois; du trépidant Haranbillet, à la finesse de jeu de Laborde aussi. On criait, on applaudissait.
PELOTARIS HARAMBILLET ET ATANO III PAYS BASQUE D'ANTAN |
Saint-Pée-sur-Nivelle battait finalement les favoris de Saint-Palais, après un émouvant retour des joueurs de cette dernière ville, et on recommençait à parler de San-Marcial, d'Oyarzun, de Biriatou, réputé autrefois par la cuisine de son restaurant et sa vue sur la Bidassoa, et qui est devenu maintenant le quartier général des envoyés spéciaux.
Moi, j'évoquais la fête populaire de San-Marcial, qui, tous les ans, amenait en haut de la colline dominant Irun, des cortèges joyeux, heureux de vivre et de danser, à grand renfort d'orchestres montés sur des chars décorés de feuillages et de guirlandes.
SAN MARCIAL IRUN PAYS BASQUE D'ANTAN |
Ma dernière visite à San-Marcial datait de deux ans. Mon cicerone, le joueur de football Anatol, avec lequel j'avais fait l'escalade, m'avait montré tout en haut de la colline la plaque commémorative de la victoire remportée par les Espagnols sur les Français en 1814, victoire qu'on fêtait tous les ans avec accompagnement de fandangos, de feux d'artifice et de beuveries.
— Cette commémoration, me disait-il, n'est qu'un prétexte car le peuple espagnol est pacifique maintenant. Ces pentes boisées sont désormais consacrées au rythme et à la joie.
Hélas ! les voici redevenues les pentes de la mort...Et pourtant, ce que l'on appelle dans les communiqués le fort de San-Marcial n'est plus un fort depuis des années et des années. Une simple chapelle et un petit restaurant encapuchonnaient le sommet de cette délicieuse colline.
Il sera dit que tout dans cette guerre au cœur du pays basque apportera aux frères de race des contradictions troublantes.
— On continue à jouer à la pelote en pleine bataille à la fois du côté des gouvernementaux et du côté des rebelles, me disait hier un pelotari français.
A Bilbao, en effet, on joue tous les jours en trinquet et à Pampelune les matches se déroulent tous les deux jours. Ainsi, d'autres balles moins meurtrières claquent sur les murs des frontons. Mais si j'en crois mon pelotari français, des amis, des frères même se trouvent dans les deux camps et abandonnent leur chistera pour prendre le fusil.
Il en est de même avec les matadors et les taureaux de corrida. On a toréé à Valence, on va toréer à Séville, à Vittoria; et si les taureaux de combat qui viennent d'arriver ces jours-ci de Séville en camions blindés, "travaillés" par Lalande et Bienvenido, sont des taureaux rebelles, d'autres places françaises vont recevoir, paraît-il, des taureaux gouvernementaux !
TORERO MARCIAL LALANDA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Même dans ces jeux paisibles du fronton, sanglants de l'arène, l'Espagne est divisée, et tout au milieu du pays basque, les villages, pépinières d'athlètes en tous sports, d'Azcoïta, d'Azpeitia, de Zumaya, de Mandragon, au milieu d'un front décimé et tourmenté, loin de résoudre l'énigme basque, ajoutent au trouble de la situation dans les sept provinces désunies.
A Tardets cependant, au cœur du pays basque français, le nuage s'efface lentement, les préoccupations de l'heure reprennent leur cours. Sare, nid de contrebandiers, et Saint-Palais, patrie du meilleur pelotari français Jean Urruty, luttent au rebot, sous le soleil du fronton pour la conquête du titre national, au milieu d'une foule en fête et des cris partisans...
JEAN URRUTY PELOTARI PAYS BASQUE D'ANTAN |
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