FONTARRABIE EN 1907.
En 1907, Fontarrabie, en Guipuscoa, compte environ 4 800 habitants.
FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Voici ce que rapporta le journal Le Figaro, dans son édition du 2 novembre 1907 :
Fontarabie ville héroïque.
La très noble, très loyale, très valeureuse et très sainte. (Philippe IV).
La calle Mayor, unique rue de Fontarabie, commence à la porte Santa-Maria, pavée de grosses dalles polies par les ans. Des deux côtés ses maisons s'alignent, vieux palais Renaissance, demeures tristes aux toits se prolongeant démesurément dans le vide, aux balcons de pierre ou de bois sculpté. A gauche, en montant de la porte Santa-Maria vers l'église, qui verse une ombre lourde sur les dalles, le palais de la Mairie s'élève, aux armoiries puissantes, et quelques pas plus loin, surplombant de vilaines boutiques étroites où se vendent des légumes et des fruits, un autre palais dresse ses boiseries Renaissance et son blason superbe.
CALLE MAYOR FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Entre les toits rapprochés, un mince filet de lumière bleue descend, adoucit et éclaire les ogives des balcons, les ciselures des portes, et un calme inattendu règne dans cette calle Mayor, un calme apaisant émané sans doute de cette ville du Passé.
Les voix espagnoles, puissantes d'ordinaire, exaspérantes quelquefois, semblent s'adoucir ici; les femmes, assises devant le seuil de leurs maisons, ont des yeux calmes et graves. Aux fenêtres, sur les balcons, devant les vitrines des petites boutiques, des étoffes rouges bariolées s'agitent et se tendent, secouées par un vent très léger venant de la mer, qui pénètre entre ces vieilles maisons.
L'église Santa-Maria est au haut de la rue; dès l'entrée par la Porte elle nous est apparue, mais nous ne courons pas vers elle, car à chaque pas, autour de nous, il y a un souvenir de gloire, d'héroïsme, de charme à recueillir. La masse brune et carrée de cette église est surmontée d'un clocher couleur d'ambre, d'une teinte indéfinissable de vieil ivoire, patinée depuis des siècles par les vents de la mer, les pluies torrentielles et le grand soleil fou des étés; et l'énorme cloche d'airain, qui très loin envoie ses sons fêlés, est d'une même teinte jaune, ternie par l'usure des saisons. Pendant que nous montons lentement, des femmes-espagnoles passent et nous saluent d'un "adios" spontané, et pas un cri, pas un appel ne s'élève et ne détonne entre ces palais alignés, demeures des "hidalgos".
EGLISE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le porche de l'église, où nous sommes arrivée, est Renaissance, et la Vierge douce, au visage suranné, qui, sur la porte Santa-Maria, éclaire de son sourire mystique les regards qui montent vers elle, la même Vierge, ici, sur ce porche vous accueille. L'intérieur de cette église est sombre et frais; des deux côtés, dans les ogives hautes, entre les colonnes épaisses qui soutiennent les voûtes, les Vierges espagnoles sont posées habillées de velours et de soie avec leurs visages apaisants et doux, leurs sourires figés. Des hauts vitraux patinés par la poussière, une lumière descend, rose et bleue, caressant les piliers bruns, éveillant des sourires sur le visage des madones, éclairant des fouillis de marbres aux pieds des colonnes des ogives où des fleurs sont offertes à Notre-Dame. La fraîcheur du temple est profonde; elle se dégage des voûtes sombres, elle monte des dalles humides et nous pénètre. Dans les plis des dentelles, dans les étoffes dont les madones sont vêtues, demeure un parfum d'encens doux et caressant. A droite de la nef, un Christ douloureux et auguste tend les bras, et la croix qui le porte se dresse sur un fond de paysage peint à même la muraille la scène est empreinte d'une poignante réalité.
INTERIEUR EGLISE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Des Vierges encore dans les nefs, toutes dorées, habillées de dentelles et de soie, aux sourires pâlis, aux regards surannés, se dressent dans la pénombre des voûtes.
LA VERONICA EGLISE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Dans la demeure de la Vierge, où nos pas craintifs foulent les dalles, règne un merveilleux silence. Silence bienfaisant, silence béni par Notre-Dame de la Guadelupe.
NOTRE DAME DE LA GUADALUPE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Dehors, plus de tiédeur, plus de lumière, plus de cris nous attendent. Les jeunes femmes espagnoles traînent en passant leurs talons sur les dalles sonores pour descendre la calle Mayor, vers la porte de la Vierge. La place d'Armes s'étend à droite, encaissée d'une part par la façade énorme et massive du château de Charles-Quint, de l'autre par les petites maisons espagnoles aux balcons Renaissance. La calle Mayor se termine ici, à cette place d'Armes, où de petites voitures aux maigres chevaux stationnent, chevaux lamentables, qui bientôt iront mourir dans quelque arène espagnole un jour de "toros de muerte". Devant les petits cafés qui s'ouvrent sur cette place héroïque, les Basques, au béret bleu, au regard grave, s'asseyent, et aux êtres qui traversent la place, aux uniformes qui miroitent, aux yeux bruns que l'on croise, on ressent l'atmosphère chaude de l'Espagne, pays des éventails et des sérénades, des Carmens et des toreros, des castagnettes et des drames. Et ce sont des carabineros espagnols qui descendent la calle Mayor, et ils croisent des matelots espagnols, et ce sont des vendeurs espagnols qui promènent leurs petites voitures de "refrescos", des arbres d'Espagne, que j'aperçois par-dessus les murs, entre les vieux palais disjoints, versant leur harmonie verte.
CARABINIERS ENTREE CASINO FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La porte principale du château par laquelle nous pénétrons ne garde plus rien de ses armoiries navarraises, ni de ses devises triomphales. Plus rien qu'un immense mur uni, d'un brun couleur de sienne, où s'ouvrent quelques étroites ouvertures en guise de fenêtres. La porte principale est simple et précède une galerie qui s'ouvre sur le patio. Et nos pensées sont prises de recueillement dans ce jardin mélancolique aux murs si hauts et qui ferment tout horizon. Des nappes de verdure s'étendent sur ces murs, lierres qui s'enlacent et s'élancent si haut qu'ils retombent en désordre, d'un vert très tendre et d'un vert très sombre. Une table ronde de marbre usé se dresse au milieu du patio, d'un ton exquis de vieille pierre et, tout autour, des rosiers dont les fleurs, aux pétales multiples et couleur de chair, sont épanouies. De vieux gradins s'élèvent d'un côté qui conduisaient sans doute à un autre patio, plus bas, vers la mer. Mais des fous sont venus bâtir, presque dans le cœur de la vieille forteresse, des édifices criards, et un mur badigeonné de blanc vient masquer l'horizon, et ce pauvre escalier ne mène plus à rien ; les marches, où les lierres s'enlacent, sont inutiles.
PORTE DE FONTARBIE 1903 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Au haut de ce château vide et sonore, où nous sommes montées par des escaliers raides, tout nouvellement construite s'étend une immense terrasse dallée de grosses pierres où poussent des plantes vertes.
Tout autour, c'est l'immensité bleue, l'immensité de l'Océan proche, du ciel d'Espagne; la majesté aussi des montagnes de France, des collines espagnoles qui se dressent devant nous.
VUE DE FONTARABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
A nos pieds, après la "plaza de Armas" qui paraît toute petite, la calle Mayor descend, avec ses maisons exquises et solennelles dont nous ne voyons d'ici que les toits bruns en bois dentelé et les briques rouges. Hendaye est vis-à-vis, après cette Bidassoa, mouvante et fluide frontière, où elle baigne ses maisons et ses arbres à cette heure de marée haute.
Près de nous, après ces quelques maisons, la plage espagnole déroule la ligne grise de ses sables que vient baigner l'Océan.
LA PLAGE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Derrière la ville, la colline monte, rapide, vers Notre-Dame de la Guadalupe, héroïque madone de Fontarahie.
A droite, c'est Irun et son église massive couleur de vieil ivoire; et partout, vers la Rhune, les Trois-Couronnes, la Jaisquibel, crêtes espagnoles ou françaises, les petites maisons basques apparaissent toutes blanches, découpées par les losanges de leurs boiseries, comme des fleurs sauvages. Plus immense que tout, l'Océan bleu submerge la côte, se confond avec l'infini bleu du ciel. Et à cette terrasse ne monte aucun bruit, aucune voix; c'est l'apaisement suprême qui s'étend sur la ville, sur cette Fontarabie ardente sous sa placidité.
EGLISE IRUN 1909 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Au bas de la calle Mayor, devant la porte Santa-Maria, tout le long d'un cours d'eau qui vient rejoindre la Bidassoa, s'étend un jardin planté d'arbres. C'est la place publique où chaque soir des saisons tièdes, en ce coin d'Espagne, se réunissent les jeunes filles et les jeunes hommes pour danser le fandango. Des Basques à béret rouge exécutent la musique montés sur une estrade, au milieu de la place. Sur le sable fin mêlé à la terre qui forme un sol assez uni, entre les arbres aux troncs noueux, où les groupes se forment au hasard, la cadence de cette danse est étrange, passionnée, languissante. Avec des sourires fixés dans les yeux et aux coins des lèvres, sourires qui perdent toute expression de joie à force d'être longs, les Basquaises et les Espagnoles dansent. Jeunes filles au corps souple et vigoureux, aux traits forts, aux regards graves et lourds, jeunes hommes dont le front est masqué par le béret, aux figures hàléés, aux dents blanches éclairant le sourire. Au son de la musique, qu'aucune voix ne trouble, les groupes vont et viennent, les tailles souples cambrées, bercées par le rythme étrange de la musique basque; mouvements lents des épaules, fixité du regard, cadence du buste, élans des bras. Sur le visage de ces jeunes êtres règne une impression d'inertie presque, d'inertie momentanée, qui dissimule l'ardente passion de ces enfants de la chaude Espagne, du vibrant pays basque. Ce n'est pas un mouvement joyeux qui les anime, pas un élan de jeunesse, mais une gravité troublante. Ce sont bien les enfants de la ville héroïque qui s'agitent sous nos yeux.
PORTE PRINCIPALE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La rivière, le long de cette place, reflète tous les aspects du ciel des joncs verts y poussent, montant à la hauteur du mur qui sert de parapet et où nous sommes assises.
Devant nous continuent les danses et les promenades par groupes indolents; quand la musique s'arrête, les marchands de pastèques et de pistaches circulent, des carabineros aux vestes bleues passent, des marins stationnent, de vieux Basques à bérets penchés regardent. Quelques touristes à voiles de couleur arrivent. Les femmes espagnoles aux mantilles noires se mêlent aux groupes ; le long du mur, des enfants aux yeux bruns s'amusent avec le sable. Sur la route qui longe la place, des voitures stationnent; un tramway très pauvre, attelé d'un mulet rétif, arrive chaque quart d'heure, amenant des promeneurs d'Irun qui se déversent sur cette place des nuages de poussière s'élèvent parfois, soulevés par un pas de cheval vif; mais l'atmosphère n'en est pas troublée davantage.
TRAMWAY FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Qui se rappelle ici, en ce soir tiède, de cette Fontarabie maintes fois française, maintes fois espagnole, des rois de Navarre dont les légendes s'étendent sur la Jaisquibel ; de François Ier, roi de France, et de son armée ; de Jeanne la Folle qui, dit-on, vécut dans ce palais; de Philippe II le Brave, qui éleva ses remparts; de l'armée de Condé et du grand siège des amazones armées qui, sous les ordres de l'alcade Butron, marchèrent contre les Français; des juvéniles héroïsmes des enfants, qui montaient sur les cadavres pour tirer contre l'ennemi en ce terrible assaut de 1638 ? du Bayard espagnol don Osorio, de l'amiral de Castille, de la retraite des Français, de l'ambassade de Condé, de Philippe IV, qui appela Fontarabie "la cité très noble, très loyale et très valeureuse", de tous ceux enfin qui vécurent ici, de ses défenseurs, de ses ennemis, de ses traîtres, de ses héros ?
SIEGE DE FONTARRABIE EN 1938 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Oh ! rien de tout cela. Fontarabie n'est plus qu'une cité calme, qu'une cité défunte, qu'une cité comme les autres, oublieuse de ses gloires; une cité humaine, enfin, qui rêve dans les tiédeurs des soirs. Et je pense soudain à ce qu'elle est devenue; je pense à ses petites rues étroites où nous sommes passées devant d'humbles maisons, où des enfants aux grands yeux jouaient sur le seuil des portes, au charme mélancolique qui émane de cette ville, maisons de la calle Mayor, vieux palais branlants, à la face douloureuse, aux vieilles fenêtres où tant de beautés se sont fanées en d'inutiles attentes, vieilles rues étroites où mille cortèges de fêtes ou de mort sont passés ; vieux murs suintants et gris qui resserrent la cité, œuvres des grands rois, branlants à présent, ternis par les assauts premiers, puis par l'âge; jardins mélancoliques des demeures des hidalgos, où l'on a rêvé par des soirées de lune, bancs de pierre des palais morts, où l'on vient s'asseoir encore, armoiries des palais espagnols, Vierges dorées des églises, rosiers du château de Jeanne la Folle !
FONTARRABIE 1900 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je pense à tout cela et aux mille âmes qui ont vécu dans ces demeures et qui reviennent sans doute nous frôler, à mille héros dont le sang rouge a terni ces murs, à mille désespoirs de femmes mortes, à mille visions, à mille souvenirs qui flottent sur cette muette cité.
Et j'oublie tout à mon tour, pour ne voir ce soir que l'harmonie des choses humbles et humaines, des choses où il faut plus de cœur que d'esprit, plus de grâce que de science. Je songe au charme de cette ville silencieuse, de cette ville héroïque, au recueillement qu'amène le soir qui descend rose sur les eaux et les collines, au mysticisme de cette église, à l'âme de ces murs, au sourire de ces jeunes êtres, émus par le rythme passionné de leur danse.
JE VOUS ENVOIE DES FLEURS DE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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