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dimanche 29 mai 2022

NOMS DE FAMILLE ET LIEUX-DITS DU PAYS BASQUE (deuxième et dernière partie)

 

NOMS DE FAMILLE ET LIEUX-DITS.


De nombreuses études ont été faites, au cours de l'Histoire, pour comprendre la signification de noms de familles et de lieux-dits du Pays Basque.



pays basque autrefois basse-navarre
LIEU-DIT A BIDACHE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet la revue Gure Herria, en août 1921, sous la plume de Jules 

Vinson :



"... Dans aucune langue les mots n'ont une signification absolue ; elle varie suivant les temps, les lieux et les circonstances. Je crois, par exemple que zur (varié en sus et chus dans Souraïde, Susperregi, bisustiak, garinchusketa, ne doit pas signifier "bois de construction", mais plutôt au singulier "arbre de haute tige réservé pour bois de construction", pris dans une acception plurielle ou collective "arbres de haute futaie, petite futaie" et les quatre mots ci-dessus pourront être traduits : chemin de la futaie, habitation au-dessous de la futaie, les arbres de haute tige d'en haut. Je ne retrouve pas la brochure de 1890 ; il me semble me souvenir qu'il y avait des inexactitudes ; les noms de maisons cités dans le Manuel Dartayet sont souvent mal expliqués : ametz est chêne tauzin et non charme ; Landerreteche et Menditeguy ne veulent pas dire "champ facile à cultiver, et au milieu des montagnes", mais "maison dans un champ inculte et habitation dans la montagne" ; la première version est une de ces explications sentimentales qu'il faut absolument proscrire parce que les peuples primitifs constatent les faits, mais ne les apprécient pas ; la seconde est causée par la méconnaissance du mot tegi. On pourrait m'objecter qu'il est emprunté au latin car il se rapproche du verbe tego, texi, textum : outre que je ne vois pas quel dérivé de ce verbe aurait pu faire tegi, le mot aurait dû être emprunté dès les premières relations entre les deux peuples ; or, dans tous les mots empruntés à cette époque, les explosives initiales sont admises : gorputz, dorre, bakalou ; quant à mendi, j'ai déjà dit que cela pouvait être une adaptation de montem ; à ce propos j'imagine que le nom de la maison mundutegi de Saint-Pée ne signifie pas habitation du monde car mundus n'a pris le sens de peuple, gens, qu'à une époque très récente, mais ce doit être une altération de menditegi, c'est-à-dire le remplacement d'un mot incompris par un mot usuel ; avant menditegi, il a dû y avoir une forme transitionnelle monditegi que je retrouve au commencement de Mondarrain. Des mots qui paraissent synonymes et appartiennent à différents dialectes expriment des nuances d'un même sens : ainsi haran et ibar sont tous les deux "vallée", mais le composé haranibar fait voir qu'ils n'expriment pas la même chose, haran doit être haute vallée, étroite et profonde et ibar vallée basse et large.




Plusieurs localités ont changé de nom à diverses époques : Béhobie qui est resté tel quel en français s'appelle aujourd'hui Pausu sans doute parce qu'après la construction du pont international on y avait mis une station, un arrêt, un repos, un relais pour diligences et voitures de poste. Je vois dans Béhobie un de ces composés mixtes que les Indiens appellent perle et corail, formé de behor "jument" et bia pour latin viam "voie" , ce dernier élément se retrouve dans Fontarabie, Urtubie et Biarritz (aujourd'hui prononcé Miarritze) ; itz "eau non courante, mer" dont le terme ordinaire itsaso est l'augmentatif.




pays basque autrefois pont frontière
BEHOBIE-PAUSU
PAYS BASQUE D'ANTAN



Au moyen âge, la plupart des villages faisaient précéder leur nom original de celui du saint auquel était consacrée l'Eglise qu'on y avait construite, on disait Saint-Pierre d'Ivarren, Saint-Vincent d'Urrugne, Saint-Jean-de-Luz ; tantôt le premier nom est seul resté comme Saint-Pée, Sempere ; tantôt c'est le second comme Urrugne, tantôt les deux ont persisté comme Saint-Jean-de-Luz, où le dernier mot n'est pas l'espagnol "lumière" mais le basque lohitze "boueux" qui s'est écrit jadis loyz.


pays basque autrefois port labourd
PORT DE SAINT-JEAN-DE-LUZ 1898
PAYS BASQUE D'ANTAN




Il est essentiel de relever avec le plus grand soin, les divers noms qu'auront porté certaines localités, soit que le changement soit complet comme dans Pausu pour Béhobie, soit qu'il y ait une une ellipse comme dans Dona Zahar pour Saint-Jean-le-Vieux. Certaines variations sont difficiles à expliquer par exemple : Onize pour Abense ; a et e ont sans doute fusionné avec d et se sont labialisés en o. A initial pourrait être le préfixe dérivatif, a, e, i qu'on trouve dans agur "salut" du verbe gur "saluer" et dans egin "faire" la racine gi ; le même préfixe apparaît dans amikuze mixe. La vallée de Cize a été appelé depuis le 10ème siècle, dans divers documents Ciza, Cizia, Cizer, Cisera, Cisara et même par mimophonie Cesarea ce qui a permis de supposer un camp romain à Saint-Jean-Pied-de-Port ; le nom basque est actuellement Garaci transcription du roman Gracy pour le latin graciam devenu prénom féminin à l'époque du christianisme. Dans Santa Arazi, Sainte Engrâce le g est tombé dans Ipuscoa forme littéraire de Guipuscoa. On peut exprimer de la sorte gizon "homme" comme formé de la racine iz renforcé en itz parole ; il signifierait celui qui parle "le parleur" ; la parole est la caractéristique de l'homme...




Pour faire des étymologies sérieuses, il faut connaître la phonétique et les variations historiques du sens des mots. C'est pourquoi je rattache Ahetze, Aiciritz, Aincille, Ainharp, Ainhoa, Ahuñe au radical ai, ain, aun qu'Azkue traduit "inclinaison, pente, penchant , versant" l'analyse des lieux-dits reconstitués donnera de précieuses indications sur la phonétique, la grammaire et le vocabulaire.




pays basque autrefois labourd dancharia
BLASON VILLE AINHOA LABOURD
PAYS BASQUE D'ANTAN




Déjà, des exemples cités ci-dessus se dégagent des conclusions importantes. L'absence générale de l'article , excepté dans quelques noms très modernes, montrent qu'il s'est produit probablement, vers le 12ème siècle, à l'imitation des idiomes néo-latins qui ont formé le leur à l'aide des pronoms démonstratifs au 10ème ou au 11ème siècle ; il n'y a pas un seul article dans le plus ancien texte français que nous possédons, le serment de Strasbourg de 843. Nous ne trouvons pas non plus dans les lieux-dits le signe de pluralité mais seulement les suffixes collectifs eta, aga, egi : les variantes bisustieta et bisustiak précisent la signification de eta ; les mots de formes singulières sont évidemment bien des fois pluriels de sens : zaldibar, fagondo, gastambide doivent se traduire "vallée de chevaux, suite des hêtres, chemin des châtaigniers".



Dans les composés anciens l'adjectif précède toujours le substantif, ce qui est certainement sa position normale et régulière ; s'il en est autrement aujourd'hui, c'est sous l'influence des idiomes romans où la place du déterminant par rapport au déterminé est facultative. Nous avons des génitifs en ko, etchekopar "paire de maisons" mais très peu de génitifs en n, évidemment tout récents. Elissamboure extrémité de l'église ; il est vrai qu'on peut y voir des locatifs car ces deux cas déterminés par n expriment la position ou l'état ; du reste le suffixe en est adjectif barren, goyen, azken "dernier" eguen "solaire" ancien nom du jeudi. Lacoin pour lakoen contracté de labekoen "terrain du four à chaux" Etchecoin  pour etchecoen qu'on peut traduire "propriété de la maison".



Au point de vue phonétique, nous constatons les permutations entre t, d, r, l, n, s ; nous observons que s, ch et z se ramènent à une seule et même soufflante, quoique des mots comme ametz, chêne tauzin, et amets, rêve, ezker, gauche, esker, grâce, remerciements ne diffèrent que par les composés ; a est souvent intercalé et d'autres fois remplace, surtout dans les dialectes espagnols, la voyelle finale du premier élément : Larramendi, montagne ou lande, etchalar lande avec maison, urdeachuri (urdach), cours d'eau blanc, Hiraboure, veut-il dire extrémité de la ville ou de la fougeraie ; le nom d'Etchezar donné par M. Loti à un village français dans son roman, Ramuntcho est fort mal fait, il veut dire vieille maison et ne saurait par conséquent convenir à un village, d'ailleurs en labourdin, il faudrait Etchezahar et en guipuzcoan Echazar ; certaines altérations viennent de l'euphonie : lekuine est pour lekuyon (bonloc) où y devenu voyelle franche a amené la chute de l'o et l'addition compensatrice d'un e final d'appui.




Comme exemple de mutation entre r et s nous citerons Inchauspe pour Inchaurpé.




Devant les noms de famille on met souvent Murde pour le gascon mons de "monsieur" ce qui amène des pléonasmes comme mourdé Duhart. A cette dérivation se rattache le d initial adventice de beaucoup de noms : Dargibel, Diharce, Duhalde etc...




Nous trouvons dans les lieux-dits un assez grand nombre de compositions syncopées en vertu du principe de moindre effort. Ciboure, Ibarnégaray, Iratsabal pour Iratzezabal "large fougeraie", ortzanz pour ortz-azanz, bruit du nuage, tonnerre. Par application du même principe, les voyelles initiales ainsi que les consonnes finales tombent souvent. Chegaray, Etchegaray, Dithurbide, azpiko pour azpilko "du pied", yaube, etc. On ne saurait trop le répéter, les étymologies ne sauraient être proposées qu'avec la plus grande circonspection et après mûre réflexion. Si par exemple, on voulait savoir ce que signifie arbelbide on trouverait dans le dictionnaire arbel "ardoise", chemin d'ardoise. Cela ne signifierait rien car il n'y a pas d'ardoisière dans le pays basque. Je crois qu'il faut y voir plutôt le roman arbol "arbre" avec e pour o mutation fréquente, ce serait donc "chemin des arbres", arbel est probablement abrégé de ar-beltz "pierre noire". L'abbé Inchauspé dérive les mots aizkora "hache", aiztur "pioche", aizto "couteau" de aiz "rocher, pierre" ce qui ferait remonter ces mots aux âges préhistoriques, mais il faut se méfier des explications trop simples.




Il y a des doublets comme Goyenetche et Etchegoyen, Barnetche et Etchebarne, Artetche et Etchart et des synonymes comme Aranzadi  et Aranzazu (endroit plein d'épines).



pais vasco antes religion guipuzcoa
NOTRE-DAME DE ARANZAZU
PATRONNE DU GUIPUSCOA




Des causes d'erreurs sont dans la prononciation française et espagnole et dans des fantaisies orthographiques Artxu, Echaux, Etchevers, de Ruthie (pour Duruty), uturrall, yturbide, Xavier (pour Etcheberry) ; Barneix pour Barnetche.




pays basque autrefois soule chateau
CHÂTEAU DE RUTHIE AUSSURUCQ SOULE
PAYS BASQUE D'ANTAN




L'e initial est tombé, v et b se confondent en espagnol et ç s'y prononçait ch au 17ème siècle.




Le souletin neskanegun "samedi" est pris pour nechkanegoun "jour des filles", ce qui a fait supposer que le samedi était le jour de repos des servantes, ce qui est bien improbable ; il faut corriger azkanegun, dernier jour de la lunaison ou du mois, le nom général du samedi est larumbat pour laurenbat un quart de la lunaison ; on sait que l'année antique basque se composait de douze mois lunaires, qu'on intercalait de temps en temps un treizième mois pour rétablir l'équilibre des saisons, que le mois commençait avec la pleine lune et l'année avec celle de l'équinoxe d'automne, que le jour de l'an s'appelait comme en persan moderne, jour nouveau eguberri ; après la conversion des Basques au christianisme, on a appliqué ce nom à la Noël parce que c'était cette fête qui commençait l'année chrétienne. Voici deux exemples caractéristiques empruntés aux langues européennes, dans un certain idiome de l'Océanie "je vois" se dit matau, et en grec moderne oeil est maté : on a conclu une parenté, mais le vrai mot grec est ommati ce qui exclut l'hypothèse d'une même origine ; en revanche, le grec hélios et le sanscrit sourya sont incontestablement proches parents, car sourya est contracté de sawaryas et helios vient de samlios par les intermédiaires safelios, hafelios, habelios, aélios. Faut-il citer quelques étymologies ridicules ou extravagantes, comme Egi putzua "puits de vérité" pour guipuzcoa. Bis-Caïnes pour Vizcainos "deux fois Caïn" ; Laphurdi ou Laburdi "pays de voleurs" dont la vraie étymologie est donnée par le Dr Etcheberry dans sa brochure de 1718, lau-urdi "quatre cours d'eau", sans doute la Bidassoa, la Nivelle, la Nive et la Bidouze ou la Joyeuse qui délimitent le pays. On a proposé d'expliquer par le basque le nom latin de Bayonne, Bayona par ibai-ona "la bonne rivière", parce que Baigorry serait Ibaigorry "rivière rouge", les eaux de la rivière étant colorées dans cette vallée par l'oxyde de fer qu'elles tiennent en suspension, mais je ne connais à la Nive aucun autre nom basque que Ur-handi "grande eau" ; il serait surprenant qu'elle prenne un nom basque précisément là où cette langue n'est plus parlée sur ses deux rives et pourquoi serait-elle meilleure là qu'ailleurs, enfin, ce nom aurait l'article, nous avons vu plus haut qu'il n'avait dû être formé en basque qu'au 12ème siècle ; or, c'est au 11ème que le nom antique de Lapurdum a été remplacé officiellement par celui de Bayonne qui devait être déjà populaire depuis quelque temps. J'ai signalé le synchronisme remarquable entre ce changement de noms, la formation de la légende anglaise par le divorce de Louis XII et le mariage d'Aliènor avec Henri Plangtagenet.



pays basque autrefois lapurdum labourd
BAYONNE VERS 1700
PAYS BASQUE D'ANTAN



La vraie étymologie de Bayonne doit être dans le gascon Bayonne augmentatif du bas latin baya "baie, golfe" ; après avoir reçu la Nive, l'Adour devant Bayonne, faisait une grande courbe et remontait parallèlement à la côte pour se jeter dans la mer beaucoup plus au nord ; il y avait là une longue baie qui justifie cette appellation..."







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