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mercredi 23 novembre 2022

UNE ENQUÊTE EN NAVARRE AU PAYS BASQUE EN NOVEMBRE 1931 (première partie)

UNE ENQUÊTE EN NAVARRE EN 1931.


Le 14 avril 1931 est proclamée la Deuxième République espagnole, à la suite des élections municipales et le roi Alphonse XIII part en exil sans avoir abdiqué.




pais vasco antes navarra mapa
CARTE NAVARRE 1931
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Journal, le 14 novembre 1931, sous la plume de 

Edouard Hesley : 


"Les grandes enquêtes du "Journal".

Dans le cadre de l'Espagne.

(De notre envoyé spécial).

Pampelune, octobre.



Décidément, cette affiche joue un grand rôle et les chefs du mouvement navarro-basque doivent compter beaucoup sur sa force de persuasion.



Dès mes premiers pas dans Pampelune, je tombe le nez dessus. Je la retrouverai dans tout le pays.



pais vasco antes navarra pamplona
PLAZA DEL CASTILLO PAMPELUNE 1932
PAYS BASQUE D'ANTAN



C'est qu'elle exprime avec force un sentiment simple à peu près unanime ici. A la faveur du profond bouleversement qu'entraîne pour toute l'Espagne le changement de régime, la Navarre et le pays basque veulent énergiquement reconquérir les libertés locales qui furent leurs durant des siècles.



Regardez l'affiche en question. Elle représente un livre entr'ouvert percé d'une baïonnette d'où découle une goutte de sang. Comme texte, deux dates : 1839-1931, et ces simples mots : Lege Zarak, Fueros.



Lege Zarak, les lois anciennes... Fueros, les droits coutumiers, supprimés par étapes entre 1839 et 1841. Il n'y a pas encore cent ans.



Si vous souhaitez quelques éclaircissements là-dessus, vous n'aurez pas besoin de vous promener bien longtemps dans ces parages. Je ne vous donne pas deux jours pour que vos poches soient bourrées de petits tracts de propagande, d'ailleurs fort bien faits, lesquels vous expose avec une naïve netteté d'image d'Epinal, les idées dirigeantes de l'autonomisme tel qu'il se développe ici. Voici, par exemple, une espèce de petit catéchisme, par demandes et par réponses. Lisons :


— La Navarre a-t-elle toujours fait partie de l'Etat espagnol ?

— Non, monsieur.

— Qu'était-elle autrefois ?

— Un royaume indépendant.

— Y parlait-on le castillan ?

— En aucune façon. Le castillan n'existait pas encore que les habitants de ce pays possédaient déjà une langue vieille de plusieurs siècles : le basque.

— Comment la Navarre fut-elle réunie à l'Espagne ?

— En 1512, par un pacte.

— Quelles en étaient les conditions ?

— Que l'Espagne respecterait éternellement les franchises locales de la Navarre.



Et, en effet, jusqu'en 1839, la Navarre, pour ne prendre qu'elle, fut réellement indépendante. Elle n'était rattachée à l'Espagne que par un lien dynastique. Mais elle avait ses assemblées élues, ses lois, ses tribunaux et son budget. Elle ne payait pas d'impôt à l'Etat central. Elle faisait seulement, tous les ans, au roi un don volontaire.



Les Navarrais, en temps de paix, ne faisaient pas de service militaire. En temps de guerre, ils devaient fournir des milices, mais seulement si leur propre territoire était envahi.



Les atteintes portées à ce régime furent consacrées dans un traité que l'Espagne imposa à la Navarre, et qui fut signé le 16 août 1841.



Le souvenir de cette forte indépendance locale est demeuré très vif, non seulement en Navarre, mais dans les trois provinces basques, Alava, Viscaye et Guipuzcoa. L'attachement des populations à ces vieilles libertés traditionnelles fut le principal ressort des guerres carlistes, qui ensanglantèrent le Nord de l'Espagne, il y a une soixantaine d'années. Et aujourd'hui encore, il n'est pas nécessaire de gratter bien longtemps le citoyen espagnol pour trouver le partisan basque.



On comprendra que des gens de caractère aussi particulariste, fils de ceux qui s'étaient battus contre une branche régnante regardée comme usurpatrice, n'aient jamais manifesté qu'une très faible sympathie et un loyalisme des plus tièdes envers Alphonse XIII.



roi espagne 1931
ROI D'ESPAGNE ALPHONSE XIII



Dès que les choses commencèrent à mal tourner pour la dynastie, les chefs les plus qualifiés de l'opinion publique jugèrent opportun de délibérer afin de ne point se laisser surprendre par les événements.



Au mois d'août 1930, des représentants des quatre provinces se réunirent à Saint-Sébastien et jetèrent les bases d'un accord. Prévoyant l'avènement prochain de la république, on décida de n'y pas faire obstacle. On l'eût plutôt favorisé. Mais on prit, en même temps, des dispositions pour obtenir, dès le début de cette république éventuelle, la restauration des Fueros, c'est-à-dire des franchises anciennes.



Aucune nuance de séparatisme ne marquait alors ces préoccupations. Il était explicitement bien entendu que cette libération de la Navarre et des provinces basques ne s'opérerait que "dans le cadre de l'Espagne". La chose était si claire que la République espagnole, aux premiers jours de son existence, ne prit aucun ombrage de pareilles revendications. Et c'est en plein accord avec le gouvernement central que fut élaboré un statut, ou plutôt un projet de statut pour un Etat navarro-basque.



Cet Etat pourrait grouper près d'un million et demi d'habitants. Ses frontières seraient étendues. Il engloberait quatre villes importantes : Pampelune, qui deviendrait la capitale, Bilbao, Victoria et Saint-Sébastien.



Cette région est une des plus prospères de la péninsule. La propriété y est largement morcelée, le sol fertile, la culture variée, les ressources industrielles (notamment les mines et les chutes d'eau) relativement abondantes. En outre, Basques et Navarrais se distinguent par leur esprit d'entreprise, leur aptitude au travail, leur goût de l'épargne. Une part de la fortune espagnole, qu'on peut, proportionnellement à leur nombre, estimer énorme, est entre leurs mains. En un mot, ils représentent pour la nation une force et non pas une charge.



Ainsi donc, tout allait bien. Occupée à faire leur part aux exigences catalanes, la République espagnole n'avait nullement à s'alarmer du mouvement fédéraliste navarro-basque, pas plus que de l'écho qu'il trouvait en Aragon ou en Galice.



Seulement, les choses ont marché et la République d'octobre ne ressemble déjà plus tout à fait à celle d'avril. Il ne manque pas de gens ici pour dire :

— Nous en sommes déjà à Kerensky. A quand Lénine ?



Promenez-vous dans Pampelune ; c'est une charmante et paisible petite ville ; d'ailleurs la Navarre, à première vue, paraît beaucoup moins exclusive que le pays basque. La principale qualité de cette population semble bien être le sang-froid.



Très profondément catholique, elle reste attachée de cœur à la foi de ses ancêtres. Elle est, je crois, très résolue à ne pas permettre qu'on y porte atteinte. En matière de mœurs, surtout, elle demeure étroitement traditionaliste. Les récentes décisions de l'assemblée de Madrid ne pouvaient manquer de la cabrer. Séparation de l'Eglise et de l'Etat, monopole de l'enseignement, laïcisme actif, divorce, autant de nouveautés qu'elle n'accepte pas.



C'est pour s'y opposer d'une manière plus efficace qu'elle a décidé de faire corps avec les provinces d'Alava, de Viscaye et de Guipuzcoa.



Les projets de Constitution locale étudiés en juin dernier à Azpeïtia allaient déjà extrêmement loin dans le sens de l'autonomie. Les amendements d'Estella, votés en juillet, ont encore accentué le mouvement.



L'Etat navarro-basque prévu dans ces conciliabules, tout en restant organiquement lié à l'Espagne, devait former un tout vraiment indépendant, à l'intérieur duquel, d'ailleurs, chacun des quatre participants se garantissait d'avance par contrat des droits individuels très étendus, surtout en matière de budget.



Quant au point principal, la question religieuse, Basques et Navarrais ne demandent rien de moins que le droit de négocier et de conclure avec le Saint-Siège un concordat particulier, revendication qui, comme bien on pense, semble franchement inadmissible aux doctrinaires de Madrid.



Les appréhensions qui, à l'origine, ne s'étaient fait jour qu'avec timidité deviennent des résistances formelles depuis les derniers événements. Le vote des articles de la Constitution qui, pour commencer, frappent les jésuites et menacent toutes les congrégations (sinon la religion elle-même) a eu pour effet de mobiliser moralement, pour ainsi dire, toute la population de Pampelune à Bilbao.



La première réaction fut, on le sait, le geste des députés navarrais et basques quittant solennellement le Parlement, ce qui est déjà une façon de s'insurger. Mais il est clair qu'on est bien décidé à ne pas en rester là.



On attend, on observe, on se garde de toute provocation. Mais si des lois veulent imposer sur ces pentes des Pyrénées des obligations qui répugnent à la volonté populaire, tout indique qu'on n'hésiterait pas à aller plus loin.



Pour tout dire, on redoute sinon l'établissement d'un régime bolcheviste orthodoxe, à la façon de Moscou, au moins des explosions brusques d'anarchie sanglante. Des signes inquiétants apparaissent dans le Sud. Il y a eu des grèves violentes. Il y a eu pis. De véritables jacqueries, brèves et locales jusqu'à présent, se sont produites.



Les désordres récents qui ont troublé la région de Cordoue ont vivement Impressionné l'esprit pondéré des Navarrais et brutalement choqué l'opinion basque.



Pensez qu'à Villanueva, par exemple, les paysans se sont livrés à un pillage vraiment sauvage. Révoltés contre un état social séculaire, ils sont allés jusqu'à couper les quatre pattes aux chèvres et aux moutons de leurs maîtres, alarmante préface à la réforme agraire qui va remettre en question le principe même de la propriété.



Contre la contagion d'un tel emportement, Basques et Navarrais associés sont tout à fait résolus à se défendre.



Passivement d'abord, tant que cela sera suffisant. Activement ensuite, s'il le faut.



Ce sont de rudes gens à qui les combats ne font pas peur.



Le jour où ils croiraient devoir en venir aux moyens extrêmes, que pourraient-ils faire ? La question en appelle une autre : seraient-ils armés ?



A Madrid, on m'avait dit non. Ici, j'ai interrogé quelques hommes bien placés pour me répondre.



Le premier a fait seulement :

— Hé ! hé !



Le deuxième a dit carrément :

— Oui.



Le troisième a ajouté :

— Venez voir.



Ce qu'il m'a montré, j'ai promis de le garder pour moi. Mais j'ai bien le droit de conclure ceci : Basques et Navarrais ne veulent pas de mal à la république. Ils souhaitent le maintien de l'unité espagnole, qu'ils n'estiment pas incompatible avec une très large décentralisation. Mais ils ne permettront pas qu'on leur impose, autrement que par la force, des façons de vivre qu'ils trouvent mauvaises.



Or, si les choses devaient vraiment en venir là, il ne faudrait pas seulement prévoir une lutte entre le Nord et le reste de la nation. A l'intérieur même des provinces basques, l'unanimité n'est pas parfaite. On pourrait voir la guerre civile surgir en dedans même des frontières de l'Etat navarro-basque en gestation."



A suivre...



(Source : Wikipédia et El uso de la religión contra la República. Navarra, 1931-36 - Gaiak - Euskonews)





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