LES FÊTES EUSKARIENNES EN 1893.
A partir de 1851, Antoine d'Abbadie organise, chaque année, dans les 7 provinces, des concours annuels de pelote et de bertsu (versification en Basque).
Voici ce que rapporta à ce sujet Charles Bernadou, dans le livre Azpeitia, les fêtes Euskariennes
de septembre 1893 :
"Azpeitia et la vallée d'Yraurgui. Les jeux.
... La foule se disperse, les gens graves et aussi jeunes gens et jeunes filles font les cent pas sous les arcades, les cidrerias retentissent de chants joyeux et, au balcon de la posada, les bersolaris, toujours infatigables et toujours féconds, improvisent copias y versos.
Dans la soirée, un concert vocal et instrumental est donné dans une vaste salle d’école, au deuxième étage de la Casa Consistorial. La plus aimable société d’Azpeitia est accourue, avide d’entendre encore d’excellente musique et d’acclamer M. d’Abbadie.
Et pendant que violons, piano et bassons s’accordent, nous jetons un coup d’œil sur les murs de l’école qui nous rappellent trop, hélas ! que nous sommes loin des écoles officielles de notre France actuelle. Ici le Crucifix brille à la place d’honneur, au mur sont appendus des extraits de l’Écriture sainte ; nous sommes bien dans la catholique Espagne et au pays de saint Ignace !
L’ouverture de Si j’étais Roi ! est supérieurement exécutée par piano et harmonium, après quoi l’orchestre, très bien conduit, exécute à ravir une excellente symphonie, Preludio del Anillo de hierro, de Marqués.
Et enfin basses, barytons, ténors et soprani attaquent et exécutent avec âme et ensemble un chant triomphal en l’honneur de M. Antoine d’Abbadie, Bizi-bitez Euskara ta Euskaldunak ! (Vive l’Escuara ! Vivent les Escualdunaks !).
Nous nous faisons un doux devoir de donner ci-après ce beau chant, dont les vers sont du P. José Ignacio de Arana, un des meilleurs poètes basques, et la musique de D. Torribio Eleizgaray, le maestro émérite et l’organiste distingué dont nous avions goûté la veille et le matin les mélodies.
Tous les assistants, est-il besoin de le dire ? acclament, à la suite des chanteurs, M. Antoine d’Abbadie.
Les premières heures du mardi, troisième et dernier jour de ces fêtes, sont pluvieuses et sombres ; un orage a éclaté dans la nuit, et un moment la grêle a menacé les beaux maïs et les riches vergers de la vallée.
Et toutefois le marché ordinaire du mardi a attiré aux abords de la grande place une foule de paysannes coiffées de blancs mouchoirs, élalant des fruits et des légumes plantureux. Parmi ces paysannes de tout âge, que de gracieux visages et quels regards à la fois vifs et modestes ! Quels vaillants jeunes gens au regard calme et fier, aux allures décidées ! On nous avait bien dit que la vallée de Loyola est justement renommée par la beauté grave et digne de ses femmes et l’élégante vigueur de ses paisanos !
Et quelle politesse de race ! Ici pas de cris, pas de disputes malsonnantes, comme en certaines balles de nos grandes villes. On se presse un peu, on se bouscule à peine, les flâneurs et aussi les acheteurs ont quelque peine à se frayer passage ; mais tout se passe avec calme et courtoisie.
Dans les rues les boutiques sont ouvertes aux premières heures : ici une cidreria toute proprette, plus loin un métier de tisserand, près de l’église un atelier de sculpteur sur bois où l’on travaille à un très bel autel à colonnes corinthiennes. C’est une famille qui offre cet autel à une église du voisinage. Tout sculpté, mis en place et doré, il coûtera 20 à 22 000 réaux, 4 à 5 000 fr. Le ferait-on en France pour 10 000 livres ?
Dans la rue, un vieil aveugle de Castille chante ou plutôt nasille, en s’accompagnant de la guitare, une seguidilla de circonstance :
Vamos al fronton,
Vamos sin tardar,
Que los pelotaris
En la cancha estan.
— Porque es mi ilusion
Ver a un jugador,
Volver la pelota
Con fuerza otra vez.
Ce jour-là, troisième après la fête de la Nativité, il y a encore grand’messe à l’église paroissiale, avec chœur et orchestre. C’est une œuvre de Secanilla, maître de chapelle très goûté dans la province, que donne la maîtrise, et à la suite elle chante la fameuse Marcha de San Ignacio, si populaire en Guipuzcoa et dans tout le Pays Basque espagnol. Cette marche aux notes vives, entraînantes, chantée avec âme, accompagnée par un excellent orchestre et les grandes orgues, est d’un effet splendide sous les voûtes de cette belle église d’Azpeitia. C’est bien le cri de foi de ces vrais fils de saint Ignace.
Vers dix heures, une éclaircie se produit ; la commission en profite pour, donner, sur la grande place de l’Ayuntamiento, la course des cruches. Une dizaine de jeunes filles s’étaient exercées depuis huit jours, mais trois seulement se présentent sur la place déjà pleine de spectateurs formant de deux côtés une longue haie. Ce n’est pas, comme en Labourd, une cruche de grès que portent sur la tête ces jeunes filles, mais le sullo ou rada du pays, seau de bois cerclé de fer, en forme de cône tronqué. Au signal donné, elles partent ensemble d’un pas vif et leste ; elles parcourent trois fois la place, de la Casa Consistorial à l’Urola, prenant à chaque tour une branche d’arbre qu’elles doivent rapporter au point de départ ; mais la plus jeune, Maria Arocena, a bientôt distancé de beaucoup ses compagnes et gagne le premier prix. Elle a 14 ans et demi, et il faut voir l’enthousiasme de ces jeunes filles et leurs grands yeux quand, toutes rouges d’émotion, les trois viennent recevoir, à la Casa Consistorial, les louis d’or : 50 fr. à la première, 30 à la seconde, Inès Olarte, 10 à la troisième, Francisca Orbegozo.
Le soleil boude toujours, mais il ne pleut pas ; tout le monde court à la place du jeu de paume au blaid pour voir enfin la partie si impatiemment attendue. C’est une grande et belle esplanade tout nouvellement construite, car l’ancienne place à la longue (al largo), à côté de l’église, a été délaissée et transformée en jardin public. Les goûts changent en Guipuzcoa comme ailleurs, paraît-il, et le blaid fait actuellement fureur.
Très bien installée, d’ailleurs, la nouvelle place : sur deux des côtés, deux murs perpendiculaires de 6 à 8 mètres de haut, l’un des murs sert de but, l’autre de contre-but ; des deux autres côtés sont élevés des gradins. M. d’Abbadie, les membres de l'Ayuntamiento et de la commission des fêtes se placent au premier rang.
ANTOINE D'ABBADIE D'ARRAST |
Au-devant du banc d’honneur les trois juges sont assis à cinq ou six mètres l’un de l’autre ; un petit bonhomme, à la mine éveillée, se tient au pied du but, prêt à marquer les points sur un double cadran, rouge pour Azpeitia, noir pour Saint-Sébastien.
Quatre jeunes pilotaris sont déjà sur la place, prêts à la lutte : Luis et Vicente Eceiza Marduras, deux frères d’Azpeitia, contre Juan Arru, el Frances, et Ricardo Viquendi, el Zurdo, de Saint-Sébastien.
Mais avant la partie M. d’Abbadie fait lire, suivant l’usage, la pièce de vers qui a remporté le premier prix, le makhila d’honneur : Ama baten otsa seaskaren ondoan (chant d’une mère auprès du berceau). M. Guillermo Iguaran, d’Irun, lit d’une voix émue et sympathique ces vers harmonieux et délicats, et tout le monde applaudit le nom de l’aimable poète : D. Francisco Lopez Alen, de Saint-Sébastien.
On acclame aussi le deuxième lauréat, M. Felipe Casal Otegui, qui a obtenu le deuxième prix, une once d’or (80 francs), pour son charmant Ama Euskara eta bere umiak (la langue basque et ses fils). M. Otegui est aussi de l’heureuse ville de Saint-Sébastien, fertile en poètes et en artistes.
La partie de blaid commence, et 6 à 8 points se succèdent, chaudement disputés ; lancée par ces longs gants d’osier, la balle blanche bondit avec une merveilleuse élasticité ; mais plus merveilleuse encore est l'adresse de ces beaux jeunes gens, élégants et souples ; la balle est changée presque à chaque point, et ce sont les perdants qui acceptent la nouvelle. Mais vers midi la pluie, une pluie a cantaros, comme on dit là-bas, vient brusquement interrompre les joueurs, et tout le monde déguerpit.
Dans l’après-midi la partie est reprise à 40 points. Les pilotaris de Saint-Sébastien l’emportent enfin ; mais la victoire leur a été chaudement disputée, car les champions d’Azpeitia les ont suivis de près et ont fait 35 points.
Viquendi y el Frances reçoivent les 400 francs ; en outre ce dernier, el Frances, reçoit le prix de 100 francs réservé au meilleur des quatre joueurs.
Les spectateurs reviennent, en faisant mille commentaires sur les pilotaris, à la grande place et au balcon de l'Ayuntamiento, pour entendre les tamborileros et chistularis, Galo Iriarte, d’Oñate, et Martin Elola, de Zumarraga : ces artistes, soutenus par l’habile tamborilero d’Azpeitia, Gregorio Larralde, ont si bien joué les airs les plus connus et les plus aimés, si bien soufflé dans leurs flûtes et exécuté de si prestigieux roulements de baguettes avec leurs tambours, que le jury a dû partager le prix de 50 francs, devant une foule enthousiasmée de paysans accourus des environs et des vallées voisines pour disputer, eux aussi, le prix au concours des vaches laitières.
TAMBORILERO PAYS BASQUE D'ANTAN |
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