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mardi 30 août 2022

LES FÊTES EUSKARIENNES D'AZPEITIA EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN SEPTEMBRE 1893 (deuxième partie)

 

LES FÊTES EUSKARIENNES EN 1893.


A partir de 1851, Antoine d'Abbadie organise, chaque année, dans les 7 provinces, des concours annuels de pelote et de bertsu (versification en Basque).




pais vasco antes fiestas abbadie
FÊTES EUSKARIENNES AZPEITIA 1893
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet Charles Bernadou, dans le livre Azpeitia, les fêtes Euskariennes 

de septembre 1893 :



"Azpeitia et la vallée d'Yraurgui. Les jeux.



Le lendemain, dimanche, premier jour de la fête, la charanga parcourt la ville dès les premières heures, jouant l'Euskaro casero, pas redoublé avec accompagnement de tambour, fort harmonieux ; nous revoyons avec un nouveau plaisir cette belle place de l'Ayuntamiento, bordée sur deux côtés de grandes maisons à arcades, anciens couvents de Dominicains et d'Augustins sécularisés en 1834 : l'un d'eux, le couvent des Augustins, faisant face à l'Urola, est aujourd'hui la Casa Consistorial, qui conserve encore à l'intérieur la vaste chapelle, un peu nue, il y a là quelques beaux retables, et M. le curé d'Azpeitia y dit la messe tous les dimanches.



Ces couvents toutefois et cette grande place, aussi bien que la place de Buztinzuri, sont en dehors de la vieille enceinte, car jadis Azpeitia était ville murée, fortifiée, avec quatre portes ; trois longues et uniques rues la composaient avec l’église et l’ancienne Casa Consistorial, transformée aujourd’hui en Alhondiga (grenier public). Dans ces vieilles rues se voient dix ou douze maisons des XVe et XVIe siècles, aux fenêtres ogivales géminées, avec cordons et losanges de briques en relief, à la mauresque, aux balcons richement sculptés, aux portes à arc d’ogive dont les battants sont ornés de gros clous finement ouvrés.



Mais le plus remarquable édifice du vieil Azpeitia, c’est l’église paroissiale, San Sébastian de Soreasu.


pais vasco antes guipuzcoa iglesia
ENTREE EGLISE PAROISSIALE AZPEITIA GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Cette église est très belle : trois vastes et larges nefs séparées par des piliers élancés, en marbre gris, très élégants ; le maître-autel avec un retable grandiose ; des autels nombreux adossés aux piliers et des chapelles latérales entre les contreforts ; dans le fond une très belle tribune, el coro, auquel on accède par un large et bel escalier. Dans ce coro, très vaste, de belles orgues actuellement en réparation : on y va dépenser 25 000 pesetas et leur donner 52 jeux ; il en manque encore dix, et déjà les morceaux exécutés sont d’un bel effet. Il est vrai que l’organiste, D. Toribio Eleizgaray, est un artiste consommé.



Dans l’une des chapelles latérales, à droite du maître-autel, est le tombeau avec statue d’un des plus illustres enfants d’Azpeitia, portant cette inscription :

AQUI YACE ENTERADO EL MUY ILLUSTRE Y MAGNIFICO SEÑOR DON MARTIN ZUMBERO, OBISPO EN TUY, DEL CONSEJO DE LOS CATOLICOS NUESTROS REYES DON FERNANDEZ Y DONA ISABEL, PRESIDENTE DE LA SAGRADA INQUISICION DE ESTOS REINOS DE ESPAÑA, MAESTRO DE SANTA TEOLOGIA, FALLECIO EN LA VILLA DE MADRID AÑO DE 1516.



A côté du sanctuaire est une très belle et vaste sacristie, d’un côté ; de l’autre, une chapelle fondée par un autre illustre fils d’Azpeitia, D. Nicolas Saez de Elola, l’un des conquistadores qui accompagnèrent au Mexique Fernand Cortez. Le vaillant capitaine laissa par testament une rente pour doter chaque année six jeunes orphelines de 50 ducats chacune, plus 100 ducats et le logement pour un maître d’école, preceptor de gramatica. La statue représente le conquistador couché, casqué et armé, sur sa pierre tombale.



pais vasco antes religion guipuzcoa iglesia
SACRISTIE SANCTUAIRE DE LOYOLA AZPEITIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Mais la perle de cette belle église, ce sont les fonts baptismaux, gardant vivant le souvenir de saint Ignace, qui fut baptisé là en 1491. Ces fonts ont été religieusement conservés, et la chapelle, située tout au bout de l’église, en face du sanctuaire, est ornée d’une grille massive très belle. Dans le haut, au pied de la statue du saint, se lit l’inscription suivante :

Emenchen Batiatuba Naiz.


La tour carrée et haute du clocher est surmontée, chose rare en Guipuzcoa, d’une flèche d’ailleurs peu élégante ; mais les cloches sont très belles et surtout très harmonieuses.




Plus récemment, dans la deuxième moitié du siècle dernier, avec les pierres de marbre déjà préparées pour le couvent de Loyola, mais que l’on ne put utiliser à cause de l’expulsion des Jésuites en 1767, on a orné la grande porte latérale d'un beau et vaste porche d’ordre toscan surmonté de la statue de saint Sébastien, patron de l’église, et portant au fronton les inscriptions suivantes :


Caroli dominatus in Hispania Anno XII Salutis Reparate M DCC LXXI

Bonaventura Rodriguez Delineavit Me

Devis Sebastiano Ignatio Dedicatum

Azpeitiensum Amore Gratitudo Munificen  Monumentum Franciscus Yberole Fecit Me



Tout à côté de l’église est un lavoir bien construit, très commode, qui nous rappelle le beau lavoir de Tolosa. Et comme nous félicitions ces Messieurs d’avoir une municipalité si intelligemment dévouée au bien public : — Mais, nous dit-on, ce lavoir a été construit aux frais d’un Indiano de céans, fils d’une pauvre blanchisseuse.— Heureux pays où, bien loin de rougir de l'humble condition de leurs pères et mères, les enrichis savent s’en souvenir en se montrant généreux pour les humbles et les petits !



En dehors de son enceinte assez étroite, Azpeitia comptait jadis et compte aujourd’hui encore de nombreux barrios et de fertiles campagnes : sa population nombreuse pouvait fournir, au XVIIe siècle, six à sept cents vecinos bien armés et toujours prêts à voler à la frontière, comme ils le firent en 1638, lors du fameux siège de Fontarabie. Dans la ville, dans les barrios et dans la campagne on comptait jusqu’à 300 casas solares (maisons nobles), quelques-unes fort, anciennes, comme celles des Oñaz et des Loyola. Le sol, très fertile, très bien cultivé, produisait quinze à seize mille fanegas de blé, maïs et autres grains : l’Urola et ses affluents faisaient travailler de nombreuses forges, et les Azpeitians exportaient, bon an mal an, dix à douze mille quintaux de fer ouvré, en Castille, en Andalousie et jusqu’aux Indes, ce qui leur procurait environ 60 000 pesos (100 à 120 000 francs).



La plupart de ces forges primitives ont disparu, mais la campagne est aussi bien cultivée et offre le plus riant aspect : champs et vergers promettent une belle récolte.



Et puis, tout en conservant, comme Tolosa sa voisine, le souvenir de ses vieilles gloires, Azpeitia est une ville de progrès : l’Urola et ses affluents ne font plus marcher des forges, mais ils permettent à la ville de s’éclairer, le soir, à la luz electrica.



Sur l’Urola, trois ponts pittoresques relient la ville à la campagne : au bout d’un de ces ponts, une très belle maison forte, aux quatre angles flanqués de petites tourelles, la Casa de Emparan, autre famille illustre d’Azpeitia dont un des fils, D. Francisco José, fut lieutenant général des armées royales et gouverneur des Iles Canaries. Ce palais servit de résidence à Don Carlos lors de la dernière guerre ; à droite est un couvent de Clarisses, dont la vaste chapelle est très belle avec ses autels aux grands retables, sa chaire dorée et ses statues expressives.



pais vasco antes casa noble guipuzcoa
CASA DE EMPARAN AZPEITIA GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN


De ce pont et à cette heure matinale, la vue sur Azpeitia, l'Urola, la vallée tout entière et dans le fond la coupole de Loyola, est tout simplement merveilleuse.



pais vasco antes sanctuario guipuzcoa
SANCTUAIRE DE LOYOLA ET RIVIERE UROLA
AZPEITIA GUIPUSCOA  D'ANTAN



La petite ville endimanchée offre bientôt un air de fête et de gaieté qui réjouit les yeux : des enfants en grand nombre, des femmes, des jeunes filles coiffées de noires mantilles, saluent respectueusement le prêtre d’un Ave Maria purissima, les hommes portent la main à leur béret, les campagnards étalent fruits et légumes aux abords de la Casa Consistorial et de l'Alhondiga, ce pendant que les alguazils se promènent toujours graves et majestueux.



Mais les cloches nous appellent à la grand’messe : tamborderos et musiciens escortent l’alcalde, les membres de l'Ayuntamiento et de la commission des fêtes, M. et Mme d’Abbadie, M. le chanoine Adéma, qui prennent place au chœur et dans les premières travées, sur des bancs ornés des armes d’Azpeitia. Un excellent orchestre et le grand orgue soutiennent la maîtrise qui, du haut du coro, exécute la misa de bajos, du maestro D. Mariano Garcia, d’un accent tout triomphal. L’alcalde est à la place d’honneur, au pied du maître-autel, tenant en main la vara flexible, signe de justice et de paix tout ensemble ; à l’offertoire, ces Messieurs vont à l’offrande, et à l’élévation tous s’agenouillent, tenant en main le cierge allumé.



A l’autel, les cérémonies se déroulent avec une dignité et une pompe vraiment religieuses ; la tenue des assistants, fort nombreux, est grave et recueillie ; les enfants eux-mêmes, si pétulants tout à l’heure en acclamant Don Antonio Abbadia, témoignent d’une édifiante piété. Nous voici bien dans le pays de saint Ignace ! Les hommes et les enfants occupent, à côté de l’alcalde et des autorités, de larges bancs de chêne dans la première travée ; dans les autres travées, dames et damoiselles ont quelques chaises, mais la plupart des femmes sont à genoux et assises sur le sol en planches de l’église.



A dix heures et demie le cortège, maire en tête, se rend à la Casa Consistorial et préside aux premiers jeux du haut du balcon.



Mais tout d’abord, et sur les indications de M. d’Abbadie, il est procédé à la nomination des trois juges du premier concours : pour ce faire, trois jetons ou haricots blancs sont jetés dans une urne, mêlés à des jetons ou haricots noirs ; chacun des assistants qui ont témoigné le désir de prendre part à l’élection et dont la liste a été préalablement dressée, tire à son tour un haricot, et les trois qui ont tiré les trois haricots blancs nomment les trois juges : en cas de partage des voix entre les électeurs, les juges sont tirés au sort.



Cette curieuse cérémonie, empruntée par M. d’Abbadie aux usages des anciennes paroisses du Pays Basque, et notamment à Biriatou, se répétera avant chaque concours, et chaque fois les juges seront différents.



Le concours des coureurs (lasterkaris) commence entre dix concurrents tous pleins de feu et d’entrain, trop de feu même, car l’un d’eux se casse malheureusement la jambe. Les coureurs ont à faire un assez long parcours, dix fois la longueur de la place, du péristyle de la Casa Consistorial au bord de l’Urola, aller et retour. Chaque coureur doit, à chaque tour, prendre une pomme dans un panier au bord de l’Urola et la porter à un autre panier sous le péristyle. Le vainqueur est Arrozpide, le plus âgé des concurrents, un aizkolari (bûcheron) de la haute montagne, vigoureux et élancé ; il reçoit tout joyeux les 60 francs en or ; le second prix (30 francs) est gagné par Manuel Aizpuru, d’Azpeitia, et le troisième (10 francs) par Francisco Echeberria, d’Elgoïbar.



La course est suivie de la première partie de pelote, le jeu entre tous aimé de nos Basques : c’est une partie de blaid à mains nues entre deux enfants d’Azpeitia, Ignacio Alberdi et José-Maria Beriztain, et deux Azcoitians, Modesto et Javier Larranaga ; les points sont chaudement disputés sous un soleil ardent que M. d’Abbadie tout le premier brave avec une intrépidité juvénile et qui rappelle le voyageur en Ethiopie. Tout le monde admire le coup d’œil, l’adresse, l’étonnante agilité de ces jeunes gens ; mais à une heure et demie ils sont ex-œquo à 33 points sur 40 et à bout de forces. D’un commun accord, le jury partage le prix de 80 francs entre ces vaillants.



A quatre heures, sur la place de l'Ayuntamiento, couverte d’une foule tumultueuse et bruyante, avide d’entendre et de voir ses poètes populaires, a lieu le concours des koplakaris ou bersolaris (improvisateurs), dont la fécondité et la verve sont traditionnelles en deçà comme au delà des Pyrénées. Six concurrents montent sur l’estrade, mais le tumulte grandissant toujours, on appelle nos bardes au balcon de la Casa Consistorial.



La lutte commence, et bientôt trois des poètes se retirent. La lutte se circonscrit entre les trois autres : Pello Errota, le meunier d’Asteasu, déjà célèbre et vainqueur en maint combat, et deux paysans, José Bernardo Otaño, de Cizurquil, et Juan José Alcain, de Usurbil.



On devine ce que, en Guipuzcoa comme en Labourd, deux paysans peuvent dire d’aimable à un meunier qui s’enrichit à leurs dépens? Le meunier se défend et attaque à son tour. Est-ce sa faute si le grain qu’on lui apporte est maigre et de rendement médiocre ? Il ne peut cependant pas rendre trois fanegas de farine pour deux de blé ! Et toute la place, qui écoute en silence maintenant, accueille de ses rires et de ses applaudissements chaque couplet de huit à dix vers doucement chantonné.



Mais bientôt le ton de nos bardes s’élève, ils chantent la gloire du Pays Basque et les liens d’indissoluble fraternité des sept provinces sœurs : Biscaye, Guipuzcoa, Alava, Navarre Haute et Basse, Labourd et Soule ; les chants enthousiastes se succèdent et se répondent, célébrant avec un fougueux crescendo l’union féconde de tous les Basques.



Les applaudissements et les cris de la foule redoublent : Viva Pello ! Viva Pello ! c’est bientôt le cri dominant ; et en effet, par sa facilité d’improvisation, la grâce et aussi le piquant de ses traits, le meunier d’Asteasu l’emporte. Après délibération, les membres du jury lui décernent à l’unanimité le prix de 100 francs en or, tout en regrettant que ses deux concurrents, qui lui ont si fièrement tenu tête, ne reçoivent pas au moins un accessit couvrant les frais de leur voyage.



Cette première journée s’achève au Cercle catholique de Saint-Ignace, où nous trouvons une nombreuse et brillante assistance de dames et de demoiselles : les honneurs du Cercle sont faits avec une exquise courtoisie par le président, D. Antonio Alzuru, et les membres de la commission. Un orchestre au grand complet prélude, et la toile d’un gentil petit théâtre se lève sur vingt à trente chanteurs exécutant le beau zortziko de Iparraguirre, Nere maitiarentzat (A ma bien-aimée) ; violon et piano nous donnent des variations de Lucie, l’orchestre exécute diverses symphonies de D. Toribio Eleizgaray, l’organiste-compositeur, et enfin un trio d’amateurs joue une fine comédie, El Andalu mas templao, et chante avec verve et entrain une gracieuse zarzuela (opéra comique), Musica clasica de Chapi, qui nous rappelle, à s’y méprendre, le Maître de Chapelle. Les applaudissements et les bravos éclatent ; mais à la finn tout le monde est debout, entonnant le Guernicaco Arbola.


pais vasco antes canto
CHANT GUERNIKAKO ARBOLA

Comme nous sortions du Cercle vers les onze heures, accompagnant M. et Mme d’Abbadie et M. le chanoine Adéma, nous sommes arrêtés sous le balcon d’une posada et du Casino azpeitian par le chant monotone et doux de deux bersolaris, dont l’un est le fameux lauréat de l’après-midi. Les deux poètes se provoquent et se répondent par des strophes improvisées de huit à dix vers. C’est encore, et toujours, le Pays Basque qu’ils chantent, ses jeux, ses antiques gloires, ses fueros et libertés tant aimés, avec une grâce et une verve qui charment la foule amassée au bas des fenêtres : les applaudissements, comme toujours, couronnent le trait final de chaque strophe. Mais l’un des chanteurs a aperçu notre groupe : "Tais-toi donc, chante-t-il à son partenaire, tu bavardes et tu oublies de saluer l’illustre M. d’Abbadie, qui passe. 

— C’est bien plutôt toi qui oublies la politesse, répond l’autre, car j’aperçois Madame d’Abbadie, sa digne compagne, et chez nous, comme de l’autre côté des monts, il faut toujours chanter : Honneur aux dames !". 

Bravo, bravo, Pello ! crie la foule. Et nos infatigables bersolaris ont continué jusque près de minuit, pendant que les serenos, enveloppés de longs manteaux, la lanterne sourde à la main, chantonnaient : Las once y media, y nublado !"




A suivre...


(Source : Wikimedia Commons)








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