UN CRIME À ISPOURE EN 1946.
En 1946, un crime secoue les 678 habitants du village d'Ispoure, en Basse-Navarre.
Voici ce que rapporta l'hebdomadaire Qui ?, le 5 décembre 1946, sous la plume de Jean-Pierre
Dupont (reportage photo A. Ocaña) :
" Après quatre heures d'interrogatoire, Georgette Bidanda avoue : 'j'ai tué mon mari".
Bayonne (de notre corresp. particul.)
Le mardi 26 novembre vers midi, la pluie tombait sur le pays basque.
Une pluie fine, pénétrante, noyait le paysage, abolissait l’horizon. Les montagnes toutes proches semblaient invisibles.
Un vannier, la tête abritée tant bien que mal par un vieux sac, se dirigeait vers les bois de Tellagoria, entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Saint-Jean-le-Vieux.
A peine avait-il franchi le rideau des premiers arbres qu’il s’arrêta, terrifié. Devant lui était couché un cadavre, un cadavre aux cheveux blancs, la bouche ouverte et tordue. Il portait au front plusieurs blessures. La pluie avait lavé le sang.
Le mort était connu dans le quartier. Il s’appelait Michel Irroumé, âgé de 70 ans demeurant à 500 mètres de là, maison Etcheverria.
C’est en 1943 que Michel Irroumé, alors âgé de 67 ans, avait épousé Georgette Bidanda, dont les 19 printemps avaient déjà connu quelques orages.
Jolie fille, saine, solide, elle était fort appréciée des jeunes gens du pays. Mais le vieillard n’était point un parti négligeable. Comme beaucoup de Basques, il avait émigré dans sa jeunesse en Amérique du Sud. Il avait beaucoup travaillé, beaucoup économisé. Il était propriétaire d’une maison, dont le style relativement moderne et assez laid donnait dans le village une impression de richesse. Il avait des terres, des titres de rente. On le disait' plusieurs fois millionnaire.
En somme, si l’on ne devait espérer d’un tel ménage une réalisation du bonheur parfait, du moins y avait-il pour l’un et pour l’autre des époux, des éléments de satisfaction. Le vieillard jouissait de la jeunesse de sa femme, elle de la fortune de son mari.
Malheureusement il apparut très vite que tous deux avaient fait un marché de dupes.
Trompé, il l’était avant le mariage. Il le fut bien davantage après. Mais sans doute l’eût-il supporté, si elle lui avait montré quelque gentillesse.
Elle n’en eut pas souci, car elle était furieuse contre lui. D’une avarice sordide, il vivait misérablement, comme un pauvre. Elle était obligée de travailler. Son travail, si près de la frontière, c’était facile. Il s’agissait de contrebande. Elle était née en Espagne, à Valcarlos. Sa jeune sœur Estelle, âgée de 17 ans, passait souvent la ligne idéale que gardent les pacifiques douaniers.
Le vieillard qui était encore robuste avait depuis quelques mois dégringolé la pente. Cela promettait à la jeune madame Irroumé un proche avenir brillant. Elle paraissait heureuse et s’offrait des escapades à Biarritz avec son amant préféré.
Aussitôt informés de la mort du vieux, les gendarmes de Saint-Jean-Pied-de-Port se rendirent dans sa maison. L’adjudant-chef Pintel accompagné de l’adjudant Barrier interrogèrent la jeune et joyeuse veuve.
La conversation ne fut point aisée. Elle dura quatre heures. La découverte d’un marteau taché de sang, des traces de sang dans la chambre facilitèrent les aveux.
Et voici les circonstances du drame telles qu’elle les raconta.
Michel Irroumé se sentait vieillir ; il n’était pas heureux chez lui, peut-être avait-il quelques inquiétudes (on murmure qu’elle avait essayé de l’empoisonner, on l’a vu il y a quelques jours avec des plaies au visage). Il décida de se retirer dans un hospice tout proche, à Ispoure.
Lundi, vers midi, il en discutait avec sa femme, pendant que la jeune Estelle était allée chercher de l’eau à la fontaine.
Sa malle était prête. Elle tentait de le faire revenir sur sa décision, il s’obstinait.
Elle alla chercher un marteau dans le vestibule, il était penché sur son lit.
— J’irai à Ispoure, répétait-il.
— Non tu n’iras pas.
— Oui, j’irai.
— Je t’empêcherai bien d’y aller.
Et elle frappa du marteau, quatre fois, la tête du vieillard. Celui-ci tomba au pied de son lit. Il n’était pas mort. Il parla...
Et voici la dernière conversation, telle que la raconte le seul témoin :
— Je te demande pardon, dit-elle.
— J’ai froid, répondit-il, mets-moi sous les couvertures.
Elle souleva le corps du vieillard, le borda dans son lit.
— Je te demande pardon, reprit-elle.
Et lui :
— Pourquoi as-tu fait ça ?
— parce que tu me rendais malheureuse.
— Et pourquoi te rendais-je malheureuse ?
— parce que tu ne me donnais pas d'argent.
— Il fallait me le dire, je ne le savais pas. Je te demande pardon...
Après ce dialogue touchant et peut-être imaginaire, il mourut.
A ce moment survint la jeune Estelle. Malgré ses dix-sept ans, c’est une gamine qui n’a pas froid aux yeux. Elle aida sa sœur à dissimuler le cadavre dans la maison. Et toutes deux s’en furent au marché de Saint-Jean-Pied-de-Port.
On les vit plaisanter, faire des achats. Pendant ce temps, un métayer qui venait chercher la malle du vieux pour la porter à Ispoure frappait vainement à la porte.
Le soir elles se retrouvèrent en une funèbre veillée. Des plans s’échafaudaient dans leurs jolies têtes. A trois heures du matin, elles enveloppèrent d’un veston la tête du mort et lui passèrent une corde sous le bras. Elles le firent descendre dans le raide escalier, franchirent la clôture. Puis hâlant sur la corde, le traînant à travers les prés sur un parcours de 500 mètres (les chaussures d’Irroumé étaient usées par le frottement), elles arrivèrent jusqu’au bois de Tellagoria. Epuisées, elles l’abandonnèrent.
Cette route sinistre, elles l’ont refaite, mercredi, en présence des magistrats du Parquet de Bayonne, M. Deleris, juge d’instruction, M. Lespiaux, substitut, du Dr Bardaste, médecin-légiste.
Silencieux, les regards chargés de colère, une centaine de villageois s'étaient assemblés. Pas un cri, pas un geste au passage des criminelles.
GEORGETTE BIDANDA ISPOURE 1946 |
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