UNE BALADE AU PAYS BASQUE EN 1917.
Le Pays Basque, au début des années 1900, est une terre d'excursions.
Voici ce que rapporta à ce sujet la revue hebdomadaire illustrée En Route, le 4 janvier 1917, sous
la plume de Robert Scheffer :
"Le Pays Basque.
... Actuellement l’entrée de la grotte est payante, et l’on en a facilité l’abord. J’avoue préférer me rappeler le temps où, peu visitée, elle était d’accès sauvage et libre. Haute arcade, elle s’étend assez loin en profondeur pour aboutir à un boyau qui est censé se terminer en Espagne. Du plafond pendent des grappes de chauves-souris qu’effarouche l’irruption des lumières qui volettent autour de vous, et s’abattent dans les petites mares formées dans les creux du sol. S’abattaient, devrais-je dire, car je crains que les chauves-souris n’aient fui devant les progrès de la civilisation.
GROTTE DE SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Les Palombières sont établies sur la frontière, et la course est assez longue. Du fond de la vallée qui y mène, un sentier s’engage au flanc d’une colline qu’il remonte doucement. Entre les fûts argentés des hêtres un paysage bleuâtre miroite. Aux éclaircies, les vallées moelleuses se déroulent, les bruyères rousses lèchent la croupe des monts, des bancs de rochers cendrés divisent l’envahissante forêt . un pic nu fend l’azur. On monte, on monte longtemps. Puis, la crête atteinte, on redescend. Et soudain, la limite de la forêt franchie, une pelouse spacieuse apparaît dans une gloire de lumière ; elle est posée comme un tapis magnifique sur l’échancrure large de la montagne. Saturée de rayons, sa verdure humide reflète le bleu du ciel. Le pays de France, riant, s’abaisse par ondulations successives jusqu’à l’océan qui pâlit à l’horizon. En une fuite éperdue, des sommets pelés s’en vont de droite et de gauche ; de la neige drape les plus éloignés.
PALOMBIERES SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Sur la pelouse s’érigent deux hampes de belle hauteur qui soutiennent l’énorme filet destiné à ramasser les palombes. Isolé, en surplomb du talus, un hêtre culminant supporte entre ses hautes branches une sorte de nid gigantesque et carré. Là se blottit le guetteur chargé d’annoncer l’approche des palombes et de les rabattre vers le filet par des cris terribles et en lançant contre elles la patelle de bois qui simule en tournoyant le vol de l’épervier. Par l’échelle fixée au tronc lisse du hêtre on arrive à l’enfourchure d’où une seconde échelle, mince et flexible, s’élève vers la guérite, où l’on pénètre par une étroite ouverture. Le logis aérien est petit, mais confortable : une cage à ciel ouvert, une épaisse couche de fougères sèches la tapisse ; à l’encoignure, une gargoulette remplie d'eau est fixée. De là-haut, l’amateur qui n’a pas craint le vertige verra s’étendre la vallée boisée joignant des collines qui se déroulent vers la plaine bleue où scintillent des blancheurs de maison, et, le vent inclinant et soulevant tour à tour la cime du hêtre, il aura la sensation d’être en ballon captif. S’il a le cœur sensible, il s’apitoiera sur le sort des malheureuses palombes prises dans les mailles, y palpitant, et ne comprenant rien à l’aventure, jusqu’au moment où, le filet s’abattant sur le sol, elles comprendront trop bien. Mais, il aura occasion de se réjouir, car, tout étant motif de fête pour le Basque, voici que, sur la pelouse, le claquement des castagnettes retentit et une guitare malhabilement pincée égrène à leur rythme des sons grêles. Les gamins dansent dans l’herbe, infatigablement, les reins ceints d’écharpes voyantes, le béret bleu sur la tête, martelant le sol de leurs talons durs, virevoltant avec légèreté, la taille cambrée et les yeux extatiques, l’allure souple et lascive.
FILET PALOMBIERES SARE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Sachant que le grand air aiguise l’appétit, il se sera muni de provisions et ne manquera de faire réchauffer, dans la maison du garde-chasse, la garbure, la soupe nationale, épaisse et assaisonnée. Et ainsi la volupté de se nourrir l’attirera au plaisir plus esthétique de dominer l’immensité d’un paysage suave...
Il est, au sommet d’une colline, une chapelle blanche, posée là comme une colombe, que l’on aperçoit d’extrêmement loin et qui attire. C’est de la chapelle d’Aïnhoa que je veux parler. Cette chapelle qui signale Aïnhoa est un lieu de pèlerinage consacré par un antique Chemin de la Croix. Mais Aïnhoa même vaut le voyage. De Sare, sous des bois de petits chênes, par des vallons jolis, un cycliste y arrivera en deux heures environ. Et, dans une solitude qui charme, il traversera le plus authentique village basque, longue rue aux bords de laquelle s’alignent les maisons aux poutrelles rouges, strictement séparées par des couloirs couverts, fleuries, précédées de platanes ébranchés, formant voûte. D’une de ces demeures, je notai jadis l’inscription que voici : 1655 (1655). Cette maison appelée Gorritia a esté racheptée par Mer cédés (D) Ejouité, mère de feu Jean d’Ochasaray, des sommes par lui envoyées des Indes, laquelle maison ne pourra vandre n’y engaiger. Fait en l’an 1662.
RUE PRINCIPALE AINHOA LABOURD PAYS BASQUE D'ANTAN |
Car le Basque émigre, mais n’oublie jamais son pays natal, et, s’il n’y peut revenir lui-même, souvent son argent y retourne. Une église à la nef ovale, percée de meurtrières qui en sont les fenêtres, au toit plat que surmonte une tour carrée terminée en pyramide, commande un de ces cimetières où tout est fleurs et douceur. A l’entour, des croix noires et des dalles historiées d’inscriptions héraldiques. Des écussons saillent des linteaux, car tout Basque est noble. Mais c’est le Chemin de la Croix, aux frustes stations, qu’il convient de gravir pieusement, jusqu’à la chapelle déserte en dehors des jours rituels de pèlerinage, lieu saint d’où le Labourd déploie son charme inégalable. Tout proche, de l’autre côté de la Nivelle, c’est l’Espagne et la route de Pampelune qu’on voit monter indéfiniment le long des hêtres que rousit l’automne.
PROCESSION AINHOA LABOURD PAYS BASQUE D'ANTAN |
D’Aïnhoa, par bois et collines, la route mène à Cambo, par Espelette, bourgade riante et blanche. De Cambo, station thermale, il est difficile de parler comme d’un site essentiellement basque, depuis que les Rostand en illustrèrent le domaine. Pourtant, la Nive déroule toujours son écharpe verte à la base des escarpements qui supportent la terrasse où les villas se fleurissent de roses et de camélias. Son jeu de paume est toujours un des plus beaux du pays ; et puis, c’est la patrie de Chiquito, non moins illustre dans la contrée qu’Edmond Rostand, et dont un Liszt ou un Sarasate eussent jalousé la célébrité de virtuose... de la pelote.
ARNAGA CAMBO-LES-BAINS |
Saint-Jean-Pied-de-Port, terminus de la voie ferrée qui, partant de Bayonne, passe par Cambo, est pittoresquement à cheval sur la Nive. Situé en pleine contrée montagneuse, c’est un centre de grandes excursions dans le haut pays basque. Egalement c’est un des endroits où maintes traditions indigènes se sont conservées intactes. Naguère encore le chemin de fer s’arrêtait à Ossir, et c’est en diligence qu’on achevait le parcours. Cela était moins commode et plus plaisant.
GARE DE SAINT-JEAN-PIED-DE-PORT PAYS BASQUE D'ANTAN |
Où la locomotive fait irruption, les traditions se travestissent ou s’enfuient. Mais le décor subsiste, la race résiste, et toutes les coutumes ne se sont pas abolies. Saint-Jean-Pied-de-Port a toujours ses pastorales qui attirent l’étranger légèrement narquois, rassemblent les Basques convaincus, et sont des fêtes pour le poète et le peintre.
Si de Saint-Jean-de-Luz on se dirige vers le sud, en empruntant non le chemin de fer, mais la route, on saluera en passant le château d’Urtubie, sis dans un frais vallon, entouré d’un parc séculaire, flanqué de deux grosses tours rondes, terminé par une jolie tourelle.
CHÂTEAU URTUBIE URRUGNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Urrugne propose au passant l’inscription célèbre de son horloge : Vulnerant omnes, ultima necat. De la Croix des Bouquets l’on découvre la vallée de la Bidassoa, l’estuaire face à Hendaye, la tache sombre de Fontarabie, et, descendant sur Béhobie, on arrive en Espagne. C’est de Béhobie qu’on peut visiter l’île des Faisans qui n’offre d’intérêt que par les souvenirs historiques. De Béhobie à Irun, première station espagnole, le chemin est court : une barque mènera à Fontarabie, où l’on se rendra d’ailleurs plus aisément d'Hendaye. J’ai dit, dans le précédent article, quelques mots de Fontarabie, et de cette curieuse cité, si visitée du touriste, je ne tenterai point la description, car elle ne rentre plus dans ce cadre.
LE PASSEUR DE FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Néanmoins, je voudrais recommander une excursion que l’on fait trop rarement. C’est d’aller, par le Yaizquibel, de Fontarabie à Passages. Il faut compter de cinq à six heures de marche, facile d’ailleurs, car la montée n’est jamais dure, et s’accomplit en majeure partie par des pâturages, puis sur des rochers où le pied a bonne prise et dans des bouquets d’arbres.
La première étape est constituée par Notre-Dame-de-Guadalupe, lieu de pèlerinage que généralement le touriste ne dépasse pas. Or, les flancs nus et de douce inclinaison de la montagne invitent à l’ascension.
NOTRE-DAME DE GUADALOUPE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
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