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mercredi 10 août 2022

LE PAYS BASQUE ET LA RÉVOLUTION FRANÇAISE (troisième partie)

 

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET LE PAYS BASQUE.


La Révolution française a fait disparaître les institutions particulières du Pays Basque Nord.


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8 FEVRIER 1790 CREATION DES BASSES-PYRENEES




... Les inventaires seront néanmoins terminés au cours de l'année 1793 ; mais plus rigoureux encore devront être les inventaires des biens immobiliers qui seront regroupés dans des états dits de "consistances des biens". Ces états doivent recenser les biens des personnes que les municipalités ne reconnaissent pas être domiciliées dans le lieu de situation de leurs biens. Or, une assimilation rapide s'opère entre la notion d'absence et d'émigration, entraînant de ce fait de nombreuses erreurs. Donc, pour les corriger et faire lever le séquestre, les intéressés doivent fournir au directoire du département où ils sont inscrits à tort, un certificat de résidence de leur domicile habituel. Des retards entravent ainsi le séquestre et profitent aux véritables émigrés. La nation ayant tout intérêt à percevoir les fruits du séquestre au plus vite, l'administration des domaines nationaux multiplie les courriers aux élus locaux pour diligenter les opérations. Les états doivent contenir le nom et le surnom de l'émigré, son état ou grade, le lieu de son domicile, la nature et l'étendue de ses biens et leur localité ou bien encore le nombre d'arpents de terre ou de maisons ainsi que les revenus de ces biens  et le capital de ces revenus. Malgré le souci de précision, les états seront souvent incomplets mais vont permettre une estimation du patrimoine foncier des émigrés basques. Ils vont, en fait, confirmer à quelques exceptions près, leur petite condition, surtout en ce qui concerne le Labourd. En effet, d'une part, hormis celui de Martin Pages, le patrimoine des émigrés des villages frontaliers n'est pas répertorié dans les états. Inexistence ? Oubli des autorités ? Le silence des textes laisse planer un doute. D'autre part, sur les 20 émigrés ou familles d'émigrés inscrites, 13 sont des prêtres n'ayant guère plus, avec leur maison, qu'un jardin et quelques arpents de terre. La propriété des émigrés du Labourd ne représente qu'une faible partie du sol : 368, 9 ha pour une valeur estimée de 425 958 livres. Les émigrés les plus fortunés seront le vicomte de Haranader et les Logras, membres de la petite noblesse locale. Singulier est également l'état de consistance des biens de la Soule (district de Mauléon). Seul y est recensé le patrimoine de Charitte, premier président du parlement de Pau et celui de sa famille. Leurs biens sont d'une teneur de 503,2 ha pour une faible valeur de 43 195 livres car surtout constitués de terres non-labourables mais leurs biens ne se situent pas seulement dans ce district. Tout aussi intéressant est le relevé de Basse-Navarre (district de Saint-Palais). Ici se côtoient agriculteurs ou gens du peuple peu fortunés avec des membres d'une noblesse militaire ou parlementaire tels que Belzunce, d'Etchepare, d'Alçu, Noguez, Charitte, Armendaritz, Aiguillon-Navailles ou Hinx. Donc, seule se détache un peu la fortune foncière des Bas-Navarrais avec 1 515,7 ha, dont 1 342,2 ha aux seuls nobles, pour une valeur de 974 000 livres. Le patrimoine foncier des émigrés du Pays basque peut donc être évalué approximativement à 2 389,8 ha pour une valeur estimée à 1 443 223 livres.



Ce patrimoine ne concerne donc qu'environ 0,3 % des terres du département, dont la superficie totale est de 7 712 km2, ce qui est pour le moins infime. Pour comparer ces résultats ne serait-ce qu'avec le Béarn, province voisine et jointe à lui dans le même département, la propriété foncière des émigrés comprend 2 998,8 ha pour une valeur estimée à 3 192 906 livres ; elle représente donc plus du double que celle des émigrés basques pour un nombre d'hectares sensiblement égal.



Le séquestre va poser un certain nombre de difficultés à la République et, par voie de conséquences, aux autorités locales. Il va falloir gérer ce patrimoine et donc veiller à son entretien et sa conservation. La location des biens immeubles urbains et le fermage des biens ruraux seront une solution pratique mais la location des biens urbains n'aura que peu de succès et on continuera à louer à ceux qui sont déjà locataires avant le séquestre et à en percevoir le loyer. En revanche, les municipalités devront entretenir les biens restants. Avec le temps, les biens se dégradent et il faut pourvoir aux réparations. À ce titre, un médecin de l'armée, logé dans la maison de Haraneder à Saint-Jean-de-Luz, effectue les réparations et en demande remboursement à la municipalité. Les dévastations sont également à craindre. Les biens de Lafaurie à Saint-Jean-Pied-de-Port font l'objet d'une lettre pressante d'un officier municipal au directoire de district qui le prie "d'envoyer des troupes pour protéger les biens de cet émigré situé à Lasse, où tout sera dévasté par les Espagnols". Les municipalités et les districts sont également chargés par un arrêté du 30 novembre 1792 de veiller à l'entretien et à l'exploitation des bois et forêts des émigrés. De ce fait, la population de Saint-Jean-Pied-de-Port ayant fortement augmenté en raison de la présence du quartier général de l'armée des pyrénées-occidentales, les officiers municipaux, s'inquiétant de leurs réserves en bois de chauffage, demandent au district de les "...autoriser à faire faire des coupes qu'elles croiront nécessaire dans les bois des émigrés et subsidiairement dans ceux des gens suspects". Malheureusement, après le départ des propriétaires, de nombreux paysans viendront également chercher du bois mort, voire procéder à des coupes de façon anarchique dans les bois des émigrés. Autres fléaux à déplorer, les dilapidations et détournements. On ne comptera plus les actes de vandalisme, les bris de scellés et les pillages. Même le château du duc de Gramont à Bidache, destiné à l'hôpital militaire, n'y échappera pas. Des poursuites seront engagées, mais peu aboutiront.



En réalité, la portée du séquestre est surtout affaiblie en raison de son application trop systématique, entraînant d'innombrables erreurs suivies de procédures de main levée et de restitution des biens, obtenues après radiation de la liste des émigrés sur la production du certificat de résidence ininterrompue en France. Ainsi, Salomon Etchegorry, "ci-devant procureur au parlement", dont l'émigration a été constatée le 13 octobre 1792, "a justifié de sa résidence et main levée lui a été accordée de ses biens" situés à Labastide-Clairence. Il faudra aussi compter sur les manœuvres des émigrés ou de leur famille restée en France pour essayer de récupérer certains de leurs biens. Au moment de leur départ, la plupart des émigrés sont mariés et certains pères de famille. Ceux qui ne sont pas partis, et en particulier les épouses, vivent dans des conditions matérielles qui vont rapidement devenir difficiles. La loi du 20 septembre 1792 instaurant le divorce, et spécialement le divorce pour motif d'émigration considéré comme un acte de patriotisme, va permettre aux épouses de provoquer la liquidation du régime matrimonial. Elles pourront ainsi parvenir à soustraire certains biens du séquestre sans, mais le plus souvent avec le consentement implicite du mari. Jeanne-Marie Betbeder, épouse du vicomte Pierre Nicolas de Haraneder va donc recouvrir une partie de ses biens après avoir prêté serment à la Constitution, brûlé ses titres de noblesse et divorcé. Une habile conservation des biens dans la famille peut également s'exercer par l'utilisation du décret du 9 floréal an III (28 avril 1795), organisant le partage de pré-succession.



Aussi, pour palier les inconvénients du séquestre et bloquer le processus de restitution, la seule solution sera la vente des biens, deuxième grande étape de la nationalisation. Elle est décidée le 2 septembre 1792. Ajoutée au désir de sanctionner la rébellion et la trahison et de ré-alimenter les caisses de l'État, la vente a une troisième finalité : continuer le transfert de propriété déjà commencé avec la nationalisation des biens du clergé.



Toujours est-il que ces opérations de vente seront, une nouvelle fois, confiées aux autorités locales. Au Pays basque, comme ailleurs, la mise en place des ventes prendra du temps car les officiers municipaux devront satisfaire aux exigences d'un stade préparatoire minutieux pour mettre les biens, surtout immobiliers, en état d'être vendus. Il faudra, tout d'abord, procéder au règlement des créances car si les débiteurs s'empressent d'oublier leurs obligations, les créanciers se font rapidement connaître dès l'annonce du séquestre. L'État va donc reconnaître la dette des absents, établir une liste avec le montant des créances tout en distinguant différentes catégories de créanciers et garantir les paiements sur la vente des biens nationaux. La publication des ventes va également provoquer un certain nombre d'oppositions. Les motifs seront multiples. Ils seront regroupés dans un "cayier contenant indication des dossiers concernant les oppositions aux ventes" et soulèveront l'existence d'une indivision ou de réserves de droits sur tel ou tel immeuble. Les oppositions concerneront également certains biens qui ont été nouvellement destinés à une école ou à un magasin militaire.



Les ventes débuteront tardivement et se prolongeront jusqu'à l'an VI, sans que tous les biens soient vendus. Bonaparte y mettra officiellement fin sous le Consulat. Malgré de fréquents rajustements des estimations, les gains seront minimisés par la dépréciation constante de la monnaie de paiement. Par ailleurs, le volume des ventes sera amputé par les réquisitions. De même, certains biens souffriront de la lenteur des ventes et se verront dépréciés par manque d'entretien.



Les ventes de biens mobiliers au Pays basque s'effectuent jusqu'en 1794. Ils sont vendus à la criée. Comme le laissaient prévoir les estimations faites lors du séquestre, ces ventes rapporteront peu, hormis les récoltes, le bétail ou le matériel aratoire. La vente des biens immobiliers ne débute qu'à la fin de l'année 1793. Le gouvernement finit par opter pour la division par lots, même très petits, du moment que cela ne nuit pas à l'intérêt de l'agriculture. Les immeubles urbains pourront être divisés en séparant le corps central des ailes et des dépendances, comme pour l'hôtel de Charritte à Pau. Mais dans la pratique générale, les commissaires se limiteront à vendre les bâtiments un à un. La division par lot conviendra mieux pour les terres cultivables. Les terres du marquis de Belzunce sont divisées en 2 lots à Amorots, 9 à Ayherre, 8 à Beyrie et 17 à Meharin. Grâce au morcellement, la Convention veut favoriser l'accession à la propriété des plus petits, en émettant, par exemple, en leur faveur, des bons de 500 livres. Jusqu'en l'an IV, les ventes se font aux enchères. Elles se déroulent à chaque chef lieu de district, donc à Ustaritz, Saint-Palais et Mauléon. Les courtes distances pour se rendre aux lieux de ventes permettent à un grand nombre de pouvoir y assister. Généralement, les futurs acquéreurs connaissent parfaitement les biens à vendre, situés dans leur commune. Certains achèteront des parcelles avoisinantes des leurs. Des anciens métayers se porteront acquéreurs de leur métairie, tel Partarrieu, métayer de la veuve Charitte (Béla) qui achète la métairie de "Béraute" où il était fermier. Avec le système des enchères, les résultats dépasseront facilement les estimations. Malheureusement, elles monteront le plus souvent au-dessus des 500 livres et l'objectif de la promotion des plus petits à la propriété ne sera pas concrétisé. Une nouvelle stratégie est mise en place pour stimuler les ventes par un décret du 29 germinal an III (18 avril 1795) avec la loterie. Les municipalités doivent dresser une liste des biens susceptibles de composer des lots. Mais la loterie sera peu utilisée au Pays basque ; peu d'immeubles bâtis, si ce n'est aucun, convenant à ce type d'aliénation. En témoigne l'extrait de cette lettre : "II en résulte qu'il n'y a dans notre district (Saint-Palais) aucune maison ni autre bâtiment qui soit dans le cas d'être vendu par voie de loterie, en conséquence, nous vous envoyons un état négatif". 



En réalité, les ventes ralentissent sensiblement dès l'an III. Les notices décadaires d'adjudication du district de Saint-Palais indiquent 282 adjudications entre la fin de l'année 1793 et celle de 1794 puis 130 entre la fin 1794 et la fin 1795 soit une différence et donc une baisse de 158 adjudications. L'an IV va ensuite apporter de grands changements. La vente aux enchères fait place au système de soumissions et consignations et le lieu de vente devient exclusivement le chef-lieu de département, c'est-à-dire Pau. Ces modifications donnent un coup de frein brutal aux ventes et entraînent la quasi-disparition des acquéreurs basques. La lecture du tableau des acquéreurs portant soumissions après l'an IV ne fait ainsi place qu'à 20 acquéreurs originaires du Pays basque pour un total de 31 080. Donc, ces changements vont profiter aux Béarnais et provoquer une évolution de la catégorie socioprofessionnelle des acquéreurs. Étant d'origine rurale et appartenant plutôt à la paysannerie aisée avant l'an IV, ils proviendront plus tard de la moyenne et grande bourgeoisie du nouveau régime. Pour ne citer qu'un exemple, Neveu, représentant du peuple se portera acquéreur de la maison de Charitte à Mauléon. Le retour du système des enchères en l'an VI ne modifiera plus le visage des ventes. Du reste, le soupçon d'illégalité qui pèse sur ces ventes et le retour des émigrés qui se confirme font craindre d'éventuelles restitutions ou ripostes et retiennent les éventuels acquéreurs. Mais l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux sera un principe que même Louis XVIII, sous la Restauration, ne remettra pas en cause.



Les résultats financiers de la vente des biens des émigrés basques n'auront pu que respecter la logique compte tenu du faible volume à vendre. Du reste, comme ailleurs, tous les biens n'auront pu être vendus et beaucoup auront souffert des dégradations. Le manque de soin apporté aux différentes opérations par les autorités locales peut avoir également contribué à la faiblesse des chiffres. Mais le surcroît de travail, l'ignorance, la malveillance ou le manque de zèle ne sont pas des phénomènes particuliers au Pays basque ; on les retrouve partout en France. Malgré tout, l'objectif patrimonial de la répression ne sera que partiellement atteint dans cette province, ce qui va contraster avec le lourd bilan en matière pénale."



A suivre...









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