LES FÊTES EUSKARIENNES EN 1893.
A partir de 1851, Antoine d'Abbadie organise, chaque année, dans les 7 provinces, des concours annuels de pelote et de bertsu (versification en Basque).
Voici ce que rapporta à ce sujet Charles Bernadou, dans le livre Azpeitia, les fêtes Euskariennes
de septembre 1893 :
"Azpeitia et la vallée d'Yraurgui. Les jeux.
... Le lendemain lundi, à 8 heures, la charanga éveille les échos de son joyeux Euskaro casero et parcourt les rues et places, précédée et suivie d’une nuée de chiquillos : à neuf heures est chantée à grand orchestre, en l’église paroissiale, la messe en ré du maestro D. Hilarion Eslava, et bientôt après nous voici au balcon de la Casa Consistorial pour entendre les irrintzilaris ou ojularis jeter tour à tour l'irrintzina, ce cri de guerre et d’appel strident, suraigu, prolongé, des anciens Eskualdunak. Cinq concurrents, dont deux vieillards, l’un de 70, l’autre de 81 ans, montent sur l’estrade, au milieu de la place, et lancent tour à tour le fameux cri. Mais seuls les deux vieillards, et surtout l’octogénaire, nous paraissent avoir conservé les notes traditionnelles ; et encore avons-nous peine à reconnaître le cri élevé, prolongé, toujours harmonieux de nos paysans de Cambo ou d’Urrugne, regagnant leurs métairies dans la montagne par un beau soir de dimanche. Un des concurrents même, un jeune il est vrai, nous paraît faire de la haute fantaisie en imitant le miaulement du chat et le cri du coucou. La tradition des irrintzilaris se perdrait elle en Guipuzcoa ? Madame d’Abbadie, toutefois, qui s’intéresse tout particulièrement à ce cri si original, fait donner une gratification à l’octogénaire. Le jury décerne le prix de 40 francs en or à un casero d’Azcoitia, José Maria Lissaralde.
Le ciel s’assombrit, la pluie va venir, et il faut remettre à plus tard la partie de pelote au gant d’osier. Nous en profitons pour examiner tout à loisir la belle grand’salle de la mairie d’Azpeitia et les curieux écussons qui se détachent en vives couleurs sur les sombres boiseries.
Voici d’abord les armes de la famille de saint Ignace, mi-partie d’Oñaz et de Loyola : à gauche, les sept bandes de gueules sur fond d’argent concédées aux d’Onéaz par Alphonse le Justicier en 1321, à la suite de la bataille de Beotibar ; à droite, une chaudière suspendue à une longue chaîne et accotée de deux loups, qui sont de Loyola.
ARMES FAMILLE SAINT IGNACE |
Ce dernier écusson, si connu et qui se voit encore au-dessus de la porte de la Casa Santa, est le même que celui de la ville d’Azpeitia, peint tout à côté ; et comme nous demandions à ces messieurs quelques renseignements à ce propos, M. le Maire mit fort gracieusement à notre disposition un très curieux manuscrit extrait des archives du royaume, composé et écrit à Madrid en 1783 par Don Pasqual-Antonio de la Rua, avec l’attestation de Ruiz de Naveda, Cronista y Rey de armas de la Catolica Majestad del Señor Don Carlos Tercero (que Dios prospere), Rey de Castilla, Leon, etc. En tète sont admirablement peintes les Arma Yraurgui Azpeytyæ, puis un long historique où nous notons, en courant, quelques traits typiques.
Azpeitia faisait jadis partie de l’antique vallée de Yraurgui, comme Azcoitia sa voisine : elle doit sa première charte de fondation à D. Fernand IV de Castille, en 1310. Ce site portait d’abord le nom de Garmendia ; à dater de 1311 le même roi voulut qu’il portât le nom expressif de Salvatierra et donna à ses habitants l’église abbatiale de Soreasu avec ses montagnes, fontaines, champs et pâturages. Il leur octroya, en outre, le fuero de Vitoria. Une tradition populaire raconte que, vers cette époque, pour donner un nom à chacun des deux pueblos déjà considérables, les habitants de la vallée se réunirent et se mirent à discuter longuement, quand vint à passer une brave femme à qui l’on demanda son avis. La paysanne, croyant qu’on voulait se moquer, répondit en montrant tour à tour les deux points extrêmes de la vallée : Az gora eta az bera, d’où seraient venus Azcoitia (au haut des rochers), Azpeitia (au bas des rochers).
Le grave chroniqueur, qui paraît ne connaître pas ces étymologies peut-être fantaisistes, se contente d’affirmer que jamais Azpeitia ni la vallée n’ont fait partie de l’ancien diocèse de Bayonne, comme le veut notre Oihenart. La preuve, c’est que dans la bulle de canonisation de saint Ignace de Loyola, le pape Paul IV désigne, en 1622, les prêtres Ignace et François-Xavier comme natifs du diocèse de Pampelune !
La preuve nous paraît un peu faible : déjà, en 1350, le pape Jules III, en approuvant l’institution de la Compagnie de Jésus, désignait Ignace et Xavier comme natifs de ce diocèse. Et cependant quelques années plus tard, en 1566, une partie du diocèse de Bayonne était si bien demeurée espagnole que Philippe II, sous le spécieux prétexte de l’invasion possible de l’hérésie protestante en ses États, demanda et obtint du pape S. Pie V que cette partie fût provisoirement rattachée aux diocèses de Pampelune et de Calahorra.
Ce provisoire devint d’ailleurs bientôt définitif, encore qu’évêque et chanoines bayonnais n’aient cessé de protester et qu’ils aient perçu, au moins jusqu’en 1674, quelques-unes des dîmes de Fuenterrabia.
Mais cette partie espagnole du diocèse de Bayonne comprenait-elle, au moyen âge, et jusqu’en 1566, les provinces de Guipuzcoa et Biscaye, comme le prétend de Thou, cité par Oihenart ? Il y a sans doute là exagération manifeste. Toutefois Oihenart lui-même est-il donc si téméraire d’affirmer que toute la région du Guipuzcoa, entre la Bidassoa et l’Urola, faisait partie de l’ancien diocèse de Bayonne ? Il appuie son dire sur la fameuse carte d’Arsius, évêque de Labourd vers 980, charte confirmée dans les mêmes termes, en avril 1106, par le pape Pascal II, et qui donne pour limites du diocèse en Espagne les vallées d’Urdach et de Bastan jusqu’au Port de Velate, la vallée de Lerin en Navarre, puis en Guipuzcoa la terre d’Ernani et de Saint-Sébastien de Pusico jusqu’à Sainte-Marie de Arrosth et San Adrian. Or, San Adrian est un passage fameux entre le Guipuzcoa et la Biscaye, à 1 540 mètres au-dessus du niveau de la mer, dépendant de Cegama, formant un tunnel naturel reliant les deux provinces : y a là un antique ermitage qui a été précisément restauré cette année, et à cette occasion le curé du lieu, M. de Zabala, a fait à la commission historique de la province d’intéressantes communications sur la découverte d’antiques monnaies et de grottes préhistoriques. Pourquoi ne pas admettre, avec Oihenart, que Santa-Maria de Arrosth serait Urostil ou Urrestila, quartier d’Azpeitia, ou peut-être Arrona, autre quartier plus en aval dans la vallée de l'Urola et dépendant de Cestona ? D’autre part, n’est-il pas remarquable que Arrostéguy veut dire, en basque guipuzcoan, lieu fréquenté par les étrangers et les voyageurs ? Le scribe d’Arsius aura voulu désigner quelque autre passage du côté de la mer, indiquant ainsi les quatre points extrêmes du Guipuzcoa : Hernani et Saint-Sébastien au Nord, San Adrian et Arrosth (abréviation pour Arrostéguy) au Sud et à l’Ouest ?
Hypothèse hardie peut-être ; mais il nous serait si doux de croire, avec le docte Oihenart et le grave de Thou, que la patrie de saint Ignace, tout comme Fuenterrabia et Saint-Sébastien, a jadis fait partie du diocèse de saint Léon !
Quoi qu’il en soit, la Casa Solar de Loyola a été le noyau autour duquel vinrent peu à peu se grouper les habitants de la vallée d’Yraurgui ; et quant aux armes de la vieille maison seigneuriale, rien de plus poétique que leur origine, d’après certains historiens complaisamment cités par le manuscrit de Madrid. Un seigneur de Loyola en guerre avec un de ses voisins l’aurait surpris endormi en son castel, et comme jadis David coupant le manteau de Saül, il se contenta d’emporter la chaudière et la crémaillère : d’où lupus in aula ou lobo en olla, et par contraction Loyola.
Mais Loyola ne fut jamais latin ni castillan ; c’est du plus pur basque, et cela signifie prosaïquement oficina de alfahareros (ateliers de potiers de terre) !
L’origine de cet écu de Loyola, qui remonte au moins au Xe siècle, est bien plutôt la même que celle des armes de toutes les vieilles familles des ricos hombres de Navarre et des provinces du Nord. Vassaux des rois de Navarre, Castille et Aragon, les seigneurs portaient une chaudière sur leur écu et se nommaient caballeros de pendon y caldera, pour témoigner qu’ils étaient en état d’entretenir les hommes d'armes qu’ils menaient à la croisade contre les Maures ou aux guerres privées, si fréquentes en ces parages entre petits rois et gros seigneurs. On sait d’ailleurs là grande part que la maison de Loyola elle-même prit, aux XIVe et Xe siècles, aux sanglantes luttes des Oñecinos et des Gamboanos.
Loyola.
Tous ces vieux échos du passé nous font désirer de revoir la Casa Solar de saint Ignace ; et comme la pluie tombe plus dru que jamais, nous allons en cesta visiter Loyola.
CASA SOLAR DE SAINT IGNACE |
Nous remontons l’Urola et, à travers une averse fine et méchante, nous revoyons la vallée toute bornée de hautes montagnes : à droite, les pentes raides, nues et rougeâtres de l’Izarraitz ; à gauche, l’Arauntza, l’Oñazmendi, l’Elosua, verdoyantes et boisées, cultivées presque jusqu’aux cimes.
Qu’elle était riante et gaie, cette vallée de Loyola, au matin du 1er août, quand les pèlerins venus des quatre coins de l’Espagne l’animaient de leurs chants, de leurs cris, accompagnant la procession des Azpeitians à la Casa Santa ! En tête, à la suite de l’étendard d’Azpeitia, une douzaine d’enfants de choeur vêtus de rouge, coiffés d’une barrette rouge, portant des banderoles où étaient inscrits les principaux épisodes de la vie du saint ; puis une statue de la Sainte Vierge magnifiquement habillée et couronnée d’un riche diadème de vermeil offert par la province de Guipuzcoa ; à la suite, de nombreuses bannières des confréries et de la province, et enfin la statue d’Ignace revêtu de la chasuble, portée par quatre caseros : quand la statue arriva sous le péristyle, à l'entrée de l’église de Loyola, les caseros la retournèrent vers Azpeitia, et Azpeitia salua d’un coup de canon.
LA CASA SANTA SAINT IGNACE DE LOYOLA |
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