LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET LE PAYS BASQUE.
La Révolution française a fait disparaître les institutions particulières du Pays Basque Nord.
8 FEVRIER 1790 CREATION DES BASSES-PYRENEES |
... (Suite) La répression de l'émigration s'appuie sur l'incrimination du fait d'émigration, c'est-à-dire, l'abandon coupable du territoire français. Cette incrimination va se faire par étapes successives accompagnées d'un durcissement progressif, atteignant son point culminant en 1794. Elle va permettre la poursuite de l'émigration et ainsi, autoriser officiellement la recherche des émigrés, ou supposés tels, sur le territoire français. Les émigrés sont en effet, depuis le 23 octobre 1792, bannis du territoire. Leur retour est considéré comme une rupture de leur ban et les rend passibles de la peine de mort après traduction devant les juridictions compétentes en cette matière.
Toute personne est réputée émigrée si elle est inscrite sur les listes d'émigrés. Ces listes sont établies, à la base, par les municipalités et à partir des états de consistance des biens, mais comportent de nombreuses erreurs dont, et surtout, celles provoquées par la confusion entre émigration et absence du domicile habituel. Malgré cela, il s'agit d'une présomption légale d'émigration qui ne peut être levée que par la production d'un certificat de résidence ininterrompue en France entraînant la radiation de la liste.
Or, les émigrés étant considérés comme les ennemis publics, leur recherche est érigée en devoir civique et particulièrement insufflée, à l'échelon local, par les représentants du peuple. Ils arrivent, à partir du printemps 1793, dans un Pays basque déjà connu pour sa tendance modérée voire hostile à la Révolution. Donc, leur première mission sera d'"épurer" les autorités locales pour y placer un personnel tout dévoué à leur cause. Ensuite, ils vont créer les comités de surveillance, chargés de la police politique, économique et sociale ainsi que de veiller à l'exécution des lois contre les émigrés et les réfractaires. Ces comités vont rapidement se multiplier et voir leurs pouvoirs s'étendre, notamment, à la possibilité d'arrêter des suspects et de les faire incarcérer. Ceci aura pour conséquence d'engendrer de nombreux abus et le comité de surveillance de Bayonne se rendra, à ce propos, tristement célèbre. Les représentants du peuple vont également stimuler la police révolutionnaire. Les signalements et avis de passage de suspects transmis par les différents services de police aux autorités locales permettront leur identification et leur localisation. Le comte de Caupenne est ainsi retrouvé à Bayonne et mis sous surveillance et Béon, "soupçonné émigré et agent d'émigré venant de Coblentz" est arrêté.
FRANCOIS-FREDERIC DE BEON Par Auteur inconnu — roglo.eu, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=54784571 |
Les municipalités elles-mêmes ne sont pas dépourvues d'importants pouvoirs propres en matière d'émigration. Elles ont des prérogatives de police qui s'exercent en particulier au travers du désarmement des citoyens suspects, des visites domiciliaires et de la violation du secret de la correspondance. Mais elles ont également d'autres pouvoirs qu'elles auront bien du mal à maîtriser, telle que la confection des listes d'émigrés et la délivrance des passeports, des certificats de civisme et de résidence. Ces derniers, instaurés dès la fin de l'année 1791 sont soumis à une législation et des exigences rigoureuses pour éviter les faux certificats ou de complaisance. Le conseil général de la commune étant souverain dans sa décision de son octroi ou non, du moins jusqu'au 25 brumaire an III, a ainsi une lourde responsabilité en cas de refus.
En tout état de cause, ces préliminaires sont le prélude à la répression pénale proprement dite. Les émigrés arrêtés seront jugés en application de lois d'exception et par des tribunaux d'exception, imposés par la dictature de guerre et instaurant la Terreur. Au Pays basque, et ce jusqu'à l'arrivée des représentants du peuple, la recherche des émigrés et des prêtres réfractaires n'est que très relative. À partir de 1793, tout change. Avec la déclaration de guerre contre l'Espagne et la loi des suspects du 17 septembre 1793 qui définit le suspect de manière suffisamment floue pour soupçonner tout le monde, la Terreur s'installe peu à peu et les prisons se gonflent brusquement. Malgré celles existant déjà, Bayonne transforme en prisons la Citadelle, le Château-neuf, le Réduit et l'ancien couvent de la Visitation. Entre le 15 octobre et le 15 novembre 1793, 50 personnes y seront incarcérées. On y trouve Navailles, ancien maire de Pau ou bien l'évêque constitutionnel Sanadon, dénoncé pour modérantisme. Il y a également Daguerre, Dospital, Faurie, Betbeder, Poydenot, le fils du comte Cabarrus, Molinié et le marquis de Gange. Après "l'internat des basques", les prisons grossissent encore avec un certain nombre de fuyards pris avant d'avoir pu passer la frontière. C'est le cas de Marie Larraboure de Sare, "surprise émigrant", de Joannes Légasse de Sare et de son beau-père Martin Barnetche de Saint-Pée-sur-Nivelle. À Saint- Jean-de-Luz, 44 personnes seront incarcérées durant l'année 1794. Il y a d'anciens membres de la municipalité, des nobles tels que Benquet et Haraneder, rejoints par tout ou partie de leur famille. Y sont également emprisonnés des suspects de tous horizons sociaux. Les prisonniers, comme partout en France, souffriront des mauvaises conditions de détention. Ils seront souvent déplacés en raison de l'insuffisance des locaux ou pour rompre le fil des intrigues qui pourraient encore les relier avec des complices ou des protecteurs. Ils seront donc souvent conduits dans des prisons hors du département. Dominique Garat, Dithurbide, les frères Haitce et le curé Harambillet d'Itxassou seront ainsi amenés à Montauban. L'ancien maire de Bayonne, Basterreche, Dominique Cabarrus, Darrispe, Hirigoyen et quinze autres iront dans les prisons tarbaises. D'autres encore seront dirigés sur Lourdes ou Condom.
Si la plupart des suspects ne sont plus inquiétés et relâchés après la chute du gouvernement révolutionnaire, quelques-uns seront reconnus coupables de crime contre- révolutionnaire ou d'émigration. Suite aux décrets des 9 octobre 1792 et 18-19 mars 1793, les émigrés pris seront condamnés à mort après une procédure sommaire et sur simple constatation de leur inscription sur la liste des émigrés. Les tribunaux d'exception compétents seront le Tribunal révolutionnaire de Paris et les commissions militaires en province. Au Pays basque, des tribunaux de droit commun tels que le tribunal criminel de département, le tribunal militaire et très exceptionnellement le tribunal de district d'Ustaritz vont être compétents en matière d'émigration en même temps que les commissions militaires. Entre 1792 et 1804, le tribunal criminel aura à juger 59 cas de crimes révolutionnaires et contre-révolutionnaires mais peu aboutiront au prononcé de la peine capitale. Le tribunal militaire aura, quant à lui, à faire face à une délicate affaire d'émigration, celle de deux civiles, Madeleine Larralde âgée de 35 ans et Marie Harotsene, 20 ans. Elles sont accusées d'être allées en territoire espagnol pour travailler pour l'alcalde de Vera et de s'y être cachées à l'entrée des troupes françaises. Considérées comme des émigrées aux yeux de la loi, leur capture en territoire français font d'elles des émigrées en rupture de ban, donc passibles de la peine de mort. Siégeant à Saint-Jean-de-Luz le 19 septembre 1794, le tribunal militaire en jugera ainsi pour Madeleine Larralde, Marie Harotsene étant condamnée à la déportation en raison de son âge.
GUILLOTINE SOUS LA TERREUR |
Entre temps, et ce à partir de 1793, la procédure tend à disparaître devant l'impératif de la répression. Les structures ordinaires, même investies de pouvoirs exceptionnels, restent trop modérées et procédurières aux yeux des représentants du peuple. Saisissant le prétexte de la désertion de 47 chasseurs basques, Pinet et Cavaignac créent la commission militaire de Bayonne le 13 ventôse an II (3 mars 1794) : "Une commission extraordinaire sera formée sur le champ, elle tiendra ses séances dans la ville de Bayonne jusqu'à qu'il en soit autrement ordonné par les représentants du peuple". Sa composition est à majorité militaire, sa procédure sommaire et les jugements sont exécutoires dans les 24 heures. Cette "pompe à frémir les traîtres", comme se plaisent à la qualifier les représentants du peuple, va faire couler beaucoup de sang jusqu'à sa suppression cinq mois plus tard. Elle commencera par juger les prévenus directement liées à l'affaire de la désertion des 47 chasseurs basques : Un repas dans l'auberge de Dominique Garat à Itxassou est servi le soir du 1er ventôse an II "à nombre de chasseurs basques, auxquels il a été distribué de l'argent venant de la part du ci-devant curé Subibure dudit Itssassou, émigré...", manœuvre qui aurait entraîné leur désertion. Au regard des faits, la commission militaire prononcera sept condamnations à mort. Seront exécutés : Dominique Garat, Catherine Sorhainde de Cambo, Gachina Heguy ďItxassou pour laquelle il y eut sursis à exécution en raison de sa grossesse, Mánech Etcheverry d'Itxassou, Sébastien Granjean, capitaine dans le premier bataillon de la cinquième demi-brigade d'infanterie légère cantonnée aux avant-postes d'Urrugne ainsi que Jean Gorostarzu et Pierre Duhalde, respectivement juge de paix et maire d'Espelette. Ses victimes ne seront pas toutes d'origine basque ou bien des émigrés car la commission va se déplacer dans les Landes. C'est à l'occasion de cette absence de Bayonne que les représentants du peuple, décrétant qu'il y a urgence, investissent le tribunal de district d'Ustaritz de compétences exceptionnelles pour pouvoir juger le cas du comte de Ganges. Détenu à Bayonne depuis le 15 octobre 1793, il est soupçonné de commerce avec l'ennemi et d'être lui-même un émigré. Mis au courant de son transfert à Pau pour y être jugé, il profite d'un moment d'inattention pour se trancher la gorge. Ce suicide, acte "odieux", qui le soustrait à la justice révolutionnaire, va être, pour ainsi dire, éludé par les représentants du peuple. Les nouvelles compétences données au tribunal d'Ustaritz vont permettre en effet de juger le comte de Ganges post-mortem pour crime d'émigration, pour ensuite l'exposer sur la place publique et prononcer la confiscation de ses biens le 27 germinal an II (16 avril 1794) : "Attendu que le dit Louis Vissec-Ganges atteint et convaincu d'émigration... a encouru la peine de mort et attendu que pour s'y soustraire il s'est homicidé lui-même, ordonne que le cadavre dudit Louis Vissec-Ganges sera remis et délivré aux mains de l'exécuteur des jugements criminels et que celui-ci l'exposera sur le champs aux yeux du public sur l'échafaud de la place de la Liberté de cette commune, confisque les biens dudit Louis Vissec-Ganges au profit de la République...". De retour des Landes, la commission militaire fera exécuter, le 10 floréal an П (29 avril 1794) douze militaires appartenant à la légion d'émigrés de Saint-Simon ainsi que quatre membres du comité de surveillance de Bayonne. Elle va ainsi prononcer 63 condamnations à mort, ce qui la met au rang des commissions les plus répressives de France.
CLAUDE-ANNE DE ROUVROY DE SAINT-SIMON |
La paix de Bâle, signée le 22 juillet 1795, met un terme au conflit entre la France et l'Espagne. Les troupes se retirent du Pays basque laissant derrières elles de profondes cicatrices. "L'internat des basques" n'étant plus une nécessité, leur retour est officialisé le 8 vendémiaire an III (29 septembre 1794) et la réintégration dans leurs biens deux jours plus tard. Le climat de paix va également favoriser les retours des émigrés basques de la frange populaire, aidés par l'adoucissement de la législation contre l'émigration. Ils rentrent dans le courant de l'année 1795 et une liste de rentrée est dressée par la municipalité de Saint-Jean-de-Luz. De cette liste, seulement deux noms faisaient réellement partie de la liste générale des émigrés, confirmant que l'émigration qui a suivi "l'internat" a été beaucoup plus importante. La situation des prêtres ne s'améliore que lentement en raison des soubresauts terroristes de la politique du Directoire. Elle ne trouvera véritablement une solution qu'avec le Concordat de 1801. Il va donner un nouveau statut à l'Église de France et permettre le retour de l'émigration religieuse. Quant aux membres de la noblesse, certains d'entre eux se seront risqués à rentrer par petites vagues après la chute du gouvernement révolutionnaire mais la plupart attendront la politique conciliatrice de Bonaparte puis la promulgation de la loi d'amnistie du 6 floréal an X (26 avril 1802).
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