UN VOYAGE À FONTARRABIE EN 1904.
Au début du vingtième siècle, les excursions de l'autre côté de la frontière, en Guipuscoa, sont fréquentes et très recherchées.
Voici ce que rapporta le journal Le Rappel, le 14 septembre 1904, sous la plume de Lucien Victor-
Meunier :
"Album de voyage.
Hendaye, 10 septembre.
Moyennant une pezeta par tête, un batelier nous prend sur la rive française de la Bidassoa, à Hendaye, et nous dépose sur la rive espagnole, à Fontarabie. Comme nous avons négligé de nous munir de pezetas, nous donnons des francs à la place ; nous sommes trois ; le passeur y gagne quatre-vingt-dix-neuf centimes, le change de l'argent français en Espagne étant de 33 pour cent.
Débarqués — la traversée a été longue, car la mer est basse et il faut suivre les sinuosités de la rivière égarée au milieu des sables — nous grimpons. Encore une ascension !. Nous voici calle mayor, autrement dit : la grande rue — qui monte naturellement. Balcons en saillie, toits qui surplombent, "corniches à doubles modillons", m'explique l'architecte ; moi, je veux bien. Nous sommes bien en Espagne.
RUE PRINCIPALE FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Une de ces maisons nous arrête au passage. Les balcons en sont garnis de feuilles et de fleurs, c'est très joli. Je pense que ces feuilles et ces floraisons doivent retirer aux habitants beaucoup d'air et de lumière et attirer considérablement d'insectes ; ça ne fait rien ; vu du dehors, c'est très joli.
Dans une rue adjacente, un reste de vieille bicoque, un escalier à ciel ouvert étageant ses marches de pierre contre un mur tout noir, avec, dans le fond, une baie par laquelle entre le soleil, mérite l'approbation.
Nous visitons l'église ; je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais il m'est extrêmement difficile de faire une différence entre deux églises : pour moi toutes les églises, comme tous les gendarmes, se ressemblent.
EGLISE FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
INTRIEUR DE L'EGLISE FONTARRABIE GUIPUSCOA D'ANTAN |
Et nous voici devant le mur du château. Ca, par exemple, c'est impressionnant.
Ce château, actuellement démantelé, a été achevé sous le règne de Charles-Quint ; Jeanne la Folle l'a plus ou moins habité. Un mur, c'est tout. Une toute petite porte en bas ; à peine quelques étroites fenêtres garnies de fortes grilles de fer ; en haut, des créneaux. Cela barre l'horizon ; c'est terrible. Ce fut une prison autrefois.
PALAIS CHARLES-QUINT FONTARRABIE GUIPUSCOA D'ANTAN |
FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUEN D'ANTAN |
Ah ! si ces pierres noires pouvaient parler ! Combien ont-elles étouffé de clameurs de souffrance, d'agonie ! Combien de têtes que le désespoir faisait vaciller se sont heurtées contre elles ! que de fois elles ont reçu, sur leur écorce - rugueuse, la rosée du sang humain !
On pense à tous ceux qui ont franchi cette porte basse et qui jamais n'ont reparu à la lumière du jour. Ou bien, on les oubliait dans leur cachot, ou bien la torture leur avait broyé les muscles et les os, et ils achevaient de mourir, gisant sur la terre froide ; on devait jeter les corps dans quelque trou ; des moines chantaient, la cagoule rabattue sur les yeux, le crucifix et le chapelet brinqueballant à leur ceinture, traînant leurs pieds nus dans la boue.
Ce mur, tout à coup dressé devant vous, c'est la brusque évocation du passé exécrable et maudit, lourd de hontes et de crimes. Il semble qu'une buée rouge flotte sur lui. La nuit, il doit errer des spectres-là.
Et quelques pas plus loin, accoudés sur un parapet, tout baigné de soleil, nous regardons la mer, la mer d'un indigo lourd, avec la frange blanche qui roule sur le sable d'Hendaye, devant nous. A droite, ce sont les montagnes derrières lesquelles se cache Saint-Sébastien ; puis la cime des trois Couronnes ; en face, la Rhune ; ensuite, et suivant les contours de la mer, d'abord le bloc de falaises qui ferme la plage d'Hendaye, avec ses deux rochers : les Jumeaux, émergeant de l'eau calme : plus au loin, le phare de Biarritz, tout blanc ; plus loin encore, les fumées noires du Boucau, à l'embouchure de l'Adour ; et les grèves qui continuent, plates, finissant de se fondre dans l'horizon. C'est très vaste. Que ce soleil est chaud et bon ! On se sent vivre.
Nous redescendons dans la ville. Il y a le vieux Fontarabie et le Fontarabie neuf, celui ci sans intérêt, tout entier de villas et de chalets en bordure le long de la mer et habités par des Espagnols. Comme il n'y a guère de plage à Fontarabie, ils vont prendre leur bain à Hendaye ; ça fait gagner des pezetas aux passeurs.
Nous parcourons le vieux quartier des pêcheurs ; force marmaille ; tout le sexe faible a les pieds nus ; une petite fille est en train d'éplucher la noire chevelure de sa grande sœur, cherchant les poux ; oh ! nous sommes bien en Espagne, il n'y a pas à dire !
QUARTIER DE LA MARINA FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
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