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jeudi 8 septembre 2022

UN VOYAGE À FONTARRABIE EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN SEPTEMBRE 1904

UN VOYAGE À FONTARRABIE EN 1904.


Au début du vingtième siècle, les excursions de l'autre côté de la frontière, en Guipuscoa, sont fréquentes et très recherchées.



pays basque autrefois caneta passeur
EMBARCADERE D'HENDAYE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta le journal Le Rappel, le 14 septembre 1904, sous la plume de Lucien Victor-

Meunier :



"Album de voyage.


Hendaye, 10 septembre.



Moyennant une pezeta par tête, un batelier nous prend sur la rive française de la Bidassoa, à Hendaye, et nous dépose sur la rive espagnole, à Fontarabie. Comme nous avons négligé de nous munir de pezetas, nous donnons des francs à la place ; nous sommes trois ; le passeur y gagne quatre-vingt-dix-neuf centimes, le change de l'argent français en Espagne étant de 33 pour cent.



Débarqués — la traversée a été longue, car la mer est basse et il faut suivre les sinuosités de la rivière égarée au milieu des sables — nous grimpons. Encore une ascension !. Nous voici calle mayor, autrement dit : la grande rue — qui monte naturellement. Balcons en saillie, toits qui surplombent, "corniches à doubles modillons", m'explique l'architecte ; moi, je veux bien. Nous sommes bien en Espagne.



pais vasco antes calle mayor guipuzcoa
RUE PRINCIPALE FONTARRABIE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Une de ces maisons nous arrête au passage. Les balcons en sont garnis de feuilles et de fleurs, c'est très joli. Je pense que ces feuilles et ces floraisons doivent retirer aux habitants beaucoup d'air et de lumière et attirer considérablement d'insectes ; ça ne fait rien ; vu du dehors, c'est très joli.



Dans une rue adjacente, un reste de vieille bicoque, un escalier à ciel ouvert étageant ses marches de pierre contre un mur tout noir, avec, dans le fond, une baie par laquelle entre le soleil, mérite l'approbation.



Nous visitons l'église ; je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais il m'est extrêmement difficile de faire une différence entre deux églises : pour moi toutes les églises, comme tous les gendarmes, se ressemblent.




pais vasco antes iglesia guipuzcoa
EGLISE FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN




pais vasco antes iglesia guipuzcoa
INTRIEUR DE L'EGLISE FONTARRABIE
GUIPUSCOA D'ANTAN



Et nous voici devant le mur du château. Ca, par exemple, c'est impressionnant.



Ce château, actuellement démantelé, a été achevé sous le règne de Charles-Quint ; Jeanne la Folle l'a plus ou moins habité. Un mur, c'est tout. Une toute petite porte en bas ; à peine quelques étroites fenêtres garnies de fortes grilles de fer ; en haut, des créneaux. Cela barre l'horizon ; c'est terrible. Ce fut une prison autrefois.


pais vasco antes palacio guipuzcoa
PALAIS CHARLES-QUINT FONTARRABIE
GUIPUSCOA D'ANTAN





pais vasco antes murallas guipuzcoa
FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUEN D'ANTAN



Ah ! si ces pierres noires pouvaient parler ! Combien ont-elles étouffé de clameurs de souffrance, d'agonie ! Combien de têtes que le désespoir faisait vaciller se sont heurtées contre elles ! que de fois elles ont reçu, sur leur écorce - rugueuse, la rosée du sang humain !



On pense à tous ceux qui ont franchi cette porte basse et qui jamais n'ont reparu à la lumière du jour. Ou bien, on les oubliait dans leur cachot, ou bien la torture leur avait broyé les muscles et les os, et ils achevaient de mourir, gisant sur la terre froide ; on devait jeter les corps dans quelque trou ; des moines chantaient, la cagoule rabattue sur les yeux, le crucifix et le chapelet brinqueballant à leur ceinture, traînant leurs pieds nus dans la boue.



Ce mur, tout à coup dressé devant vous, c'est la brusque évocation du passé exécrable et maudit, lourd de hontes et de crimes. Il semble qu'une buée rouge flotte sur lui. La nuit, il doit errer des spectres-là.



Et quelques pas plus loin, accoudés sur un parapet, tout baigné de soleil, nous regardons la mer, la mer d'un indigo lourd, avec la frange blanche qui roule sur le sable d'Hendaye, devant nous. A droite, ce sont les montagnes derrières lesquelles se cache Saint-Sébastien ; puis la cime des trois Couronnes ; en face, la Rhune ; ensuite, et suivant les contours de la mer, d'abord le bloc de falaises qui ferme la plage d'Hendaye, avec ses deux rochers : les Jumeaux, émergeant de l'eau calme : plus au loin, le phare de Biarritz, tout blanc ; plus loin encore, les fumées noires du Boucau, à l'embouchure de l'Adour ; et les grèves qui continuent, plates, finissant de se fondre dans l'horizon. C'est très vaste. Que ce soleil est chaud et bon ! On se sent vivre.



Nous redescendons dans la ville. Il y a le vieux Fontarabie et le Fontarabie neuf, celui ci sans intérêt, tout entier de villas et de chalets en bordure le long de la mer et habités par des Espagnols. Comme il n'y a guère de plage à Fontarabie, ils vont prendre leur bain à Hendaye ; ça fait gagner des pezetas aux passeurs.



Nous parcourons le vieux quartier des pêcheurs ; force marmaille ; tout le sexe faible a les pieds nus ; une petite fille est en train d'éplucher la noire chevelure de sa grande sœur, cherchant les poux ; oh ! nous sommes bien en Espagne, il n'y a pas à dire !



pais vasco antes pescadores guipuzcoa
QUARTIER DE LA MARINA FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN



Espagne basque, du reste. Ici on ne parle pas plus l'espagnol que le français, on parle basque, et c'est une langue, paraît il, tellement difficile que les étrangers ne parviennent guère à l'apprendre. Les mots sont très longs et hérissés de K. Le K est la lettre fondamentale des Basques. Ainsi, pour dire : merci, vous dites : eskarri kasko. Ce seul exemple suffit à vous donner une idée de l'idiome



Une des curiosités de Fontarabie c'est, sur la route d'Irun, le couvent. Vivent là environ quatre-vingt moines, dont on aperçoit toujours quelques-uns quand on passe, et qui ont ceci de remarquable qu'ils ont violemment fermé leur porte au nez des congréganistes français qui, dispersés, venaient leur demander asile. Allez vous faire pendre ailleurs ! Vous comprenez : on est frères en Jésus-Christ, sans doute, mais ce n'est pas une raison pour partager avec d'autres le fromage qu'on est déjà trop à grignoter.



Ceux que j'ai aperçus, de ces moines. m'ont paru en fort bonne santé, la bure tendue sur l'abdomen, les joues fleuries, forts répugnants à voir.



Et j'aurai épuisé Fontarabie quand je vous aurai dit que la vraie originalité de la ville, c'est le marché aux poissons.



Un bâtiment à deux étages. En bas, on prépare les lots de poissons. En haut, sont assises les marchandes dans des stalles de bois, autour d'un petit édicule également en bois à tournure de confessionnal gothique. Le crieur explique le lot et annonce le prix demandé. La femme qui en veut tire une petite poignée attenante à son siège et ressemblant beaucoup à celles des water-closets ancien style. Cette poignée allonge un fil de fer qui aboutit au confessionnal et fait glisser et tomber une petite boule qui porte le même numéro que le siège sur lequel est assis la marchande. Comme par le tuyau où passe cette boule, il ne peut en circuler qu'une à la fois, toute contestation est impossible ; personne ne dit mot ; c'est lugubre ; tout de même, il y a plus d'animation et de couleur aux Halles...



Mais pardon, voilà qu'il faut prendre le tramway pour gagner Irun d'où nous reviendrons à Hendaye par le chemin de fer."






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