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jeudi 24 avril 2025

LA CONTREBANDE AU PAYS BASQUE EN 1932 (huitième et dernière partie)

  

LA CONTREBANDE AU PAYS BASQUE EN 1932.


En 1932, le journaliste Arthur Hérisson-Laroche fait un reportage sur la contrebande au Pays Basque.




pays basque autrefois douanes contrebande
CONTREBANDIERS 
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, le 

30/07/1932sous la plume de Arthur Hérisson-Laroche :



"La vie audacieuse et périlleuse des contrebandiers Basques.

Grand reportage par A. Hérisson-Laroche.



... Cochequin, dont l'imagination s'efforçait de recréer pur moi ces heures douloureuses, s'était tu brusquement. La main crispée sur le makila qui ne le quittait jamais, il ne pouvait détacher ses yeux de la faible masse d'eau qui avait été le témoin inconscient de tant de souffrances, stoïquement supportées. Nous suivions maintenant en silence l'itinéraire qu'avait choisi et que s'était imposé l'infortuné Mourguy. Nous accomplissons au milieu d'un calme impressionnant ce pèlerinage désolé : seuls, le vent, qui enflait sa voix bourrue, et le ruisseau, qui, à nos pieds, ne cessait d'émettre sa plainte monotone, nous rappelaient qu'autour de nous la vie continuait.


pays basque autrefois makila
MAKILA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Nous arrivâmes bientôt devant une maisonnette tellement délabrée qu'on aurait pu la croire abandonnée. Dès qu'elles nous aperçurent, quelques poules, qui picoraient sur le seuil, se dispersèrent en maugréant. Mon compagnon s'avança, gravit lentement les marches de l'entrée et heurta la porte du manche de sa canne. Il attendit un instant, répéta son appel, mais personne ne se présenta.



"Ses cousins habitent toujours là, mais, à cette heure-ci, pour sûr, ils travaillent aux champs. Peu importe. Approche-toi. Tu vois ces marches de pierre, c'est là où Mourguy, à bout de sang, s'affaissa et rendit le dernier soupir. Il avait eu la force de les appeler pour leur dire adieu. Au moment même où, réveillés en sursaut, ils ouvraient la fenêtre que tu aperçois là, devant toi, la vieille pendule de la ferme sonna. Le moribond, qui avait gardé toute sa connaissance, l'entendit et s'informa :


"Quelle heure est-il ?

— Orembat. Une heure.

— Ma dernière heure", répondit-il et il ajouta : "Adieu à mes enfants et à mes amis."


Ils se précipitèrent, mais ne trouvèrent plus qu'un cadavre. La mort avait enfin réussi à s'emparer de sa proie. Celui-là est mort comme un contrebandier basque sait mourir, mais, pardieu, quelle misère !"



Cochequin, que le récit détaillé de ces événements tragiques, toujours présents à sa mémoire, avait profondément remué, embrassa, une dernière fois, d'un long regard attristé, l'ensemble de cette masure, puis, me saisissant le bras, m'entraîna vers la route :


"Vois-tu petit, les gens de la ville ne nous connaissent pas, nous autres Basques. Ils nous considèrent un peu comme des bêtes curieuses, qu'il est bon d'approcher de temps en temps, parce que c'est la mode, mais à condition, bien entendu, de ne jamais pénétrer dans la cage. Je le sais bien, on nous reproche notre méfiance à l'égard de tout ce qui nous est étranger. Et comment diable pourrait-il en être autrement ?


Les uns s'obstinent à ne considérer que nos défauts. Nous en avons, certes, comme tous les autres, ni moins, ni plus. D'autres, au contraire, s'efforcent de nous entortiller dans la plus fade et la plus stupide des légendes. Pour le coup, nous devenons de petits saints, incapables de quitter les jupes des curés et de nous intéresser à tout ce qui n'est pas une partie de pelote. On s'ingénie ainsi, par tous les moyens, à nous coller sur l'échine deux ou trois étiquettes et à nous réduire à notre plus simple expression.


Pour savoir qui nous sommes, il faut prendre la peine de venir vivre chez nous et avec nous. Mes compatriotes, quoique on en dise, sont toujours très accueillants, pourvu, je le répète, qu'on n'arrive pas chez eux avec des idées préconçues. Tu as pu juger par toi-même, à leur juste valeur, certains traits de courage, de volonté et d'endurance qui font partie du capital éternel de notre race. N'aie garde d'oublier, comme le font les gens de la grande ville, que, souvent, sinon toujours, le Basque naît malin, ce qui pourra, le cas échéant, t'expliquer beaucoup d'autres choses.


— Et, en particulier, cher Quinquin, cette attirance impérieuse qu'exerce sur vous tous dame contrebande.


— Assurément, mais à condition de ne pas oublier le malentendu fondamental, qui, sur ce point particulier, divisera toujours mes compatriotes et l'Etat. Contrebande ! contrebande ! Ce gros mot est bien vite prononcé. Comment pourrions-nous admettre que nous commettons un délit, autant dire une mauvaise action, en faisant librement des affaires avec nos voisins qui, en réalité, sont nos frères ? Peut-il être question de frontière, lorsqu'il s'agit, comme ici, d'une ligne artificielle qui tend à isoler, sans succès d'ailleurs, les membres d'un même peuple et d'une même race ? Je n'ignore pas que l'Etat français répond à cela que son devoir est de protéger eux de ses nationaux qui ont placé leur argent dans le commerce et l'industrie, et qu'au surplus l'Espagne fait de même. Oui, je sais.



pays basque autrefois douanes contrebande
CONTREBANDIERS A OLHETTE
PAYS BASQUE D'ANTAN

Seulement, voilà, l'Etat n'oublie qu'une chose : cette politique de protection à outrance, qui, en définitive, ne s'exerce qu'au profit de quelques gros messieurs, bien en cour, est responsable, en très grande partie, du coût exagéré de la vie dont nous souffrons tous, à la ville comme à la campagne. Au surplus, ces méthodes maladroites rendent très difficile l'existence de nos populations qui vivent exclusivement des échanges frontaliers.


— Parfait, Cochequin, mais que deviendraient les contrebandiers sous le régime libre-échangiste que tu prônes ?


— Ce que nous deviendrons ? Tu veux plaisanter, j'imagine ! Eh bien ! Nous resterions ce que nous n'avons jamais cessé d'être : de petits commerçants. Les hors-la-loi que nous sommes feraient leur travail au grand jour, voilà tout. A la différence cependant que nous ne risquerions plus bêtement : mort, prison ou amendes, et que, comme tout le monde, nous pourrions passer enfin nos nuits dans un bon lit. Oui, mais en attendant, le bazar continue."



pays basque autrefois douanes contrebande
CONTREBANDIERS
PAYS BASQUE D'ANTAN


Cette conversation animée et pleine d'imprévus nous avait ainsi ramenés à notre point de départ où notre chauffeur bénévole, pour calmer son impatience, examinait attentivement le moteur de sa voiture. A quelques mètres de là, de nombreux enfants, divisés en deux camps, s'amusaient avec entrain. Cochequin, qui s'était approché d'eux et qui leur avait adressé deux ou trois mots, en basque, me glissa à l'oreille, tandis que nous démarrions :


"Sais-tu à quoi jouaient ces gosses ?


— Aux barres, parbleu.

—Non, mon bonhomme, les petits gars, qui m'ont tout l'air d'avoir le coeur bien accroché, jouaient aux contrebandiers".





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