... Cochequin ne tarda pas à déceler et à identifier un sentier minuscule qui épousait le flanc de la montagne et qui coupait à angle droit la piste que nous suivions.
— Stop. Cette fois, nous sommes arrivés. Dis la vérité, tu dois commencer à en avoir assez.
— Je n'ai certes pas ton entraînement. Mais l'air est si doux et cette nuit tellement belle que...
— Tu dois certainement crever de faim. Tiens : la femme a pensé à toi. Grignote, en attendant mieux, ce quinon de pain dont l'intérieur est tapissé de "chichons d'oie".
— Cher Quin-Quin, tu avais tout prévu...
— Tout ! Hum !
— Où sommes-nous ici ?
— A cheval sur la frontière, exactement. Tu as un pied en France et l'autre en Espagne."
Cochequin répondait à mes questions, mais son attention était ailleurs. Sans arrêt, ses yeux fouillaient l'horizon de droite et de gauche. Le signal, qu'ils guettaient anxieusement, ne se fit pas attendre. Du côté espagnol, à quatre ou cinq mètres de nous, une lampe électrique de poche projetait dans notre direction de rapides éclairs.
— "Tu as vu ? Ce sont les guides qui m'avertissent. Le convoi n'est pas loin."
A son tour, et de la même manière, le contrebandier révéla sa présence aux nouveaux arrivants, puis se porta à leur rencontre. Il y avait 3 hommes, dont 2 convoyeurs navarrais appartenant à l'associé de Cochequin. L'autre, qui relevait de l'équipe française, les avait rejoints à deux kilomètres environ de la frontière.
Mon compagnon, donna en basque, quelques ordres très brefs. Les deux Espagnols revinrent sur leurs pas et s'en furent rapidement alerter la caravane qui s'était immobilisée, en attendant les instructions.
— Quant à toi, me lança Quin-Quin, en étouffant un éclat de rire, tu va savoir une surprise."
Je n'eus pas longtemps à patienter. Une troupe importante s'avançait vers nous dans un silence impressionnant. Dès qu'il aperçut Cochequin, le guide de tête fit un signe de la main. L'ordre d'arrêt, transmis aussitôt de proche en proche, fut rapidement exécuté, toujours sans bruit et sans le moindre heurt. J'avais hâte maintenant de m'approcher et de me rendre compte.
La colonne était composée de 20 chevaux répartis en 5 groupes de 4, séparés les uns des autres par un conducteur. Les groupes suivaient la piste unique, à la file indienne. Le museau entravé d'un fort licol, qui mettait ainsi l'animal dans l'impossibilité de hennir, chaque cheval était solidement relié au précédent, tête contre queue. Je remarquai également que les sabots des bêtes étaient recouverts d'une garniture de feutre, destinée à assourdir leurs pas.
CONTREBANDIERS PAYS BASQUE D'ANTAN
Ces chevaux, de taille uniforme, ressemblaient de façon étonnante à ces poneys anglais de Shetland qui triomphent au cirque. Même crinière abondante et soyeuse, même allure gracieuse.
Je ne pus m'empêcher d'enfreindre la consigne du silence et de manifester à Cochequin, qui examinait attentivement la condition de chacune de ces bêtes, mon étonnement et mon admiration.
— Cette espèce, me répondit-il à voix basse, sans pour cela interrompre son travail, nous vient du fond de l'Espagne où elle vit à l'état sauvage. Je les achète là-bas à bon compte, je les passe en fraude, comme tu vois, et je les revends à un intermédiaire qui les dirige ensuite sur divers départements, selon les besoins. La plupart de ces chevaux, qui rendent de grands services, sont ainsi acheminés un peu partout. Mais on les utilise surtout dans les mines et les marais salants.
Le chef contrebandier venait d'achever son inspection. Il était en train d'apposer sa signature sur le livre de prise en charge que lui tendait un des Espagnols du convoi, lorsque des bruits de pas se firent entendre. Sans aucun doute, quelqu'un gravissait le flanc de la montagne et venait à notre rencontre. Cochequin, que j'observais avec inquiétude, blêmit légèrement mais se ressaisit aussitôt.
Il ordonna à ses hommes de ne pas faire un mouvement et se mit à ramper avec prudence dans la direction du bruit.
Il ne tarda pas à revenir, suivi d'un homme dont le visage ruisselait de sueur. C'était Pétié, que mon ami avait chargé, avant notre départ de Biriatou, de surveiller la sortie de la deuxième patrouille de douaniers. En quelques mots heurtés mais clairs, Pétié, qui avait dû employer mille ruses pour surprendre l'itinéraire des gabelous et qui avait réussi à les devancer, avertissait son chef de l'imminence du péril. La douane était à nos trousses, et nous risquions d'être rejoints dans un quart d'heure au plus tard.
DOUANIERS PAYS BASQUE D'ANTAN
Cochequin n'hésita pas. Se précipitant à l'extrémité du convoi, il détacha lui-même le dernier groupe de 4 chevaux qu'il confia à Pétié. En même temps, il donnait l'ordre de départ au gros de la caravane.
Et, tandis que les 16 chevaux, flanqués de leurs guides et de leurs éclaireurs, reprenaient tranquillement la piste jusqu'au prochain relais, Pétié, partant pour une destination inconnue, gagnait rapidement le pied de la montagne avec ses 4 isolés.
Je dois avouer que je ne compris pas grand-chose à cette manoeuvre inattendue. Très calme, Cochequin prit congé des Espagnols qui s'apprêtaient à rentrer chez eux.
Il revint ensuite vers moi et m'explique :
— Dans la vie, vois-tu, mon vieux, on ne peut pas tout avoir. Il faut, parfois, savoir abandonner quelque chose pour conserver le principal. La douane sera très heureuse, dans un instant, de saisir les 4 chevaux, les moins beaux du lot, bien entendu, que Pétié va, en quelque sorte, lui offrir de ma part. Tout cela, tu le devines, demandera du temps et obligera les gabelous à reprendre avec leur capture le chemin de Biriatou. Pendant ce temps, mon convoi avancera et s'éloignera de la zone dangereuse. Mes 15 chevaux sont sauvés. Comprends-tu, maintenant ?
BIDASSOA ET FRONTIERE BIDASSOA 1929 PAYS BASQUE D'ANTAN
Je venais de féliciter mon ami de son habile stratégie, lorsque nous perçûmes un brouhaha, accompagné de clameurs, qui montait vers nous du bas de la montagne :
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