LA CONTREBANDE AU PAYS BASQUE EN 1932 (deuxième partie)
LA CONTREBANDE AU PAYS BASQUE EN 1932.
En 1932, le journaliste Arthur Hérisson-Laroche fait un reportage sur la contrebande au Pays Basque.
CONTREBANDIERS PAYS BASQUE D'ANTAN
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, dans
plusieurs éditions :
le 17 juillet 1932 :
"La vie audacieuse et périlleuse des contrebandiers basques.
Grand reportage par A. Hérisson-Laroche.
Après dîner, Cochequin, qui savait mes préférences, m'avait servi une large rasade de cet anis liquoreux, de tout premier ordre, que l'on fabrique de l'autre côté de la frontière.
— Dis-moi, Quin-Quin, je crois que nous pouvons trinquer à la santé de la douane, car ton pinard et ta liqueur...
—... viennent de là-bas. Et puis ? tout le monde ici vit à peu près grâce à nous. Tout le monde, y compris les douaniers.
— Hein ?
— Comprends-moi bien. Je ne parle pas de la grosse affaire : l'alcool, le bétail. Tout cela, c'est notre grand rayon, et tu devines que les gabelous, les nôtres, ne sont jamais nos complices. Ils nous traquent, nous pourchassent, parfois même ils réussissent des prises. Non, je voulais dire qu'ils profitent, comme les autres de toutes ces bagatelles qui sont indispensables à leur ménage. C'est que, vois-tu, la vie est pour rien, de l'autre côté de l'eau. Alors on en use et ça aide.
Le véritable contrebandier n'a pas de haine : les gabelous font leur métier et nous faisons le nôtre. La nuit, nous sommes comme chiens et chats, mais dans la journée, tout s'apaise et je ne vois pas pourquoi nous laisserions crever de faim leurs femmes et leurs gosses. Sais-tu combien vaut un gabelou moyen, et encore un type ayant au moins cinq ans de service ?
— Non, je n'en ai aucune idée.
— 750 francs par mois, ni un sou de plus, ni un sou de moins. Et n'oublie pas qu'ils doivent se loger, se nourrir et s'habiller. Les célibataires qui n'ont pas de grands goûts arrivent à s'en tirer, mais les autres ?
— Il est tout de même ahurissant de songer que l'Etat laisse aux délinquants, c'est-à-dire à toi et à tes copains, le soin de venir en aide à ses représentants.
— Tout ça, c'est des mots. C'est de la théorie. La vérité, c'est que nous formons ici une petite communauté et qu'il faut s'aider les uns les autres. Tiens, fais une simple expérience. Va trouver un douanier quelconque du poste et parle lui de Okéra. Je te parie ce que tu voudras que le gabelou te répondra aussitôt : "Okéra était un homme bon et loyal, aimé de tous, dont la mort nous a causé beaucoup de peine."
— Okéra ?
— En basque, cela veut dire : "le borgne". C'était le surnom que nous avions donné au plus fort et au plus puissant contrebandier de Biriatou. Il y a déjà sept ans qu'il est mort, ou plutôt qu'on l'a tué. Pauvre Okéra.
— Tué ?
— Oui, c'est un carabinier espagnol qui a fait le coup, un matin, vers les cinq heures. On a longtemps caché la vérité, mais je peux aujourd'hui te la confier. Okéra était aimé d'une jeune Espagnole que courtisait vainement l'autre.
GENDARMES ET CARABINIERS BEHOBIE PAYS BASQUE D'ANTAN
— L'assassin ?
— Exactement. Dans la nuit du crime, Okéra avait réussi à passer un fort troupeau de vaches. L'opération avait été délicate, car tu sais que ce bétail n'est guère maniable.
Une fois la frontière franchie, du côté montagneux, non loin de l'endroit où j'ai l'intention de le conduire tout à l'heure, Okéra avait laissé à son frère, que j'ai, depuis, enrôlé dans mon équipe, la direction de ses hommes. En parfait récidiviste qu'il était, il voulait éviter, en cas d'alerte des gabelous, une forte amende, et, peut-être même, une condamnation de prison. C'est que l'affaire était grosse. Il avait donc décidé de regagner tranquillement Biriatou par la rivière, à un endroit qu'il savait libre de toute surveillance.
Il s'était jeté à l'eau tout habillé et avait franchi la Bidassoa à la nage. Au moment même où il atteignait la berge, un coup de feu retenti. Le carabinier, qui l'avait suivi et qui le guettait, avait pu viser à loisir. La balle, qui l'avait traversé de part en part, avait perforé les intestins. Okéra eut l'énergie et la force de se traîner sur la route. Ce bandit de carabinier avait compté sur une mort foudroyante. Il est certain que tout autre, à la place de Okéra, qui était doué d'une force et d'une énergie surhumaines, aurait immédiatement lâché prise. C'était alors la chute inévitable dans la rivière et jamais personne n'aurait rien su de cette tragique disparition. Ce n'est que deux heures plus tard, que son frère, inquiet de ne pas l'avoir trouvé à la maison, le découvrit étendu sur le bord de la route. Il mourut dans ses bras, après lui avoir tout fait comprendre et après lui avoir recommandé, à travers son délire, de bien s'occuper des vaches.
BEHOBIA CARABINIERS ET GENDARMES ESPAGNOLS PAYS BASQUE D'ANTAN
— Mais comment diable ce carabinier avait-il su que Okéra serait, cette nuit-là, à sa merci ?
— Comment ? C'était bien facile. Tu vas comprendre. Dans les grosses affaires de ce genre nous ne pouvons pas nous passer des carabiniers. Cela t'étonne ? Il nous faut d'abord acheter leur silence. Et puis, ils nous sont précieux pour nous aider à repérer la position de nos gabelous qui patrouillent chaque nuit dans telle ou telle direction. Nos douaniers sont naturellement obligés de changer chaque jour leur itinéraire et leurs heures de sortie. Mais, ne t'en fais pas, d'une manière ou d'une autre, nous arrivons presque toujours à savoir. Tu vois maintenant comment et par qui le criminel était renseigné.
— Qu'est devenu ce "carabinier" ?
— Deux jours après le crime, il avait disparu. On a dû le déplacer. Quant à nous, nous ne pouvions rien contre lui, et le misérable le savait bien.
"Okéra, qui ne refusait jamais à personne, fut, comme je te disais tout à l'heure, regretté par toute la population. Les douaniers eux-mêmes suivirent respectueusement son cercueil et deux cents messes furent célébrées à l'église du village pour le repos de son âme."
A suivre...
Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.
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