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mardi 8 octobre 2024

LA FÊTE DE FONTARRABIE EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN 1899 (deuxième et dernière partie)

 

LA FÊTE DE FONTARRABIE EN 1899.


Tous les ans, le 8 septembre, est célébrée à Fontarrabie, en Guipuscoa, la victoire de ses habitants sur les troupes françaises en 1638.



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HUIT SEPTEMBRE FONTARRABIE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel La Grande Revue, le 1er mai 1899, sous le plume de 

Louis de Robert :



"VI La Fête de Fontarabie.

... Le propre de ce spectacle est de vous composer une âme mobile et qui ne s’appartient pas. Les impressions se succèdent si rapidement que la raison ne peut les contrôler. L'attention est sans cesse en éveil, requise à la fois de tous côtés. On n’a pas le temps de se ressaisir. On est plongé dans du bruit, dans le désordre de sentiments d’une foule en délire. De chauds effluves vous pénètrent. Bientôt on participe à la fièvre ambiante. Les soies, les ors, les formes, les couleurs, le danger, l'agonie des bêtes et le soleil ardent qui tombe sur ces choses, tout cela peu à peu agit sur vous d’une façon magnétique. Vous vous sentez cruel avec délice et la barbarie de ces jeux vous est douce. Plus tard, rendu à votre sensibilité vous ferez des réserves, ou bien vous tenterez d’expliquer au nom de la beauté plastique l’attrait que vous avez subi. En attendant, vous assistez avec une férocité sereine à cette lutte de l’instinct primitif contre l’adresse, à ces heurts de bêtes, à ces éventrements, à cette mort.



Certains tempéraments même se mirent dans ce spectacle. Ce qu’ils sentent en soi de puissances indisciplinées, d’énergies obscures de bravoure physique est dans l’élan de ce taureau qui fonce. Par contre, ce que la vie leur a insufflé de calcul et d’artifice est dans l’habileté de l’adversaire. Le conflit de ces forces contraires éclate ici magnifiquement. Sursauts intérieurs des âmes violentes, tout ce que l’éducation endigue, comprime, emprisonne, tout ce qui bout, la fougue aveugle, la colère, la haine sont là. Et c’est l’éternelle histoire de la passion vaincue avec grâce par de la jolie traîtrise.



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AFFICHE PLAZA DE TOROS FONTARRABIE 1905


Pour ma part, le geste si prompt de tuer le taureau me laisse toujours comme un étonnement. Cela se fait si vite qu’on n’a pas le temps de rien voir et que je suis tenté de croire à une supercherie. Est-ce décor de cirque, évocateur d’acrobaties ? J’ai toujours à cette minute la même impression exemple de gravité. L'émotion du combat cesse ici brusquement et l’issue à la fois trop prévue et trop soudaine me désenchante et me déçoit.



Aussi quand le second taureau franchit les portes du toril, pourrais-je croire un instant que c’est le même qui revient. Même poil, mêmes cornes courtes et aiguës, même impétuosité, même glissade sur le sable. Il ne s’arrête qu’à la barrière dont le bois vole en éclats. Puis il se retourne et bondit sur le premier cheval qu’il rencontre. C’est celui qui fut troué au poitrail tout à l’heure. Entre les deux courses on a recousu sa peau, après avoir bourré de son sa blessure. C est au poitrail encore qu’il est atteint, et le son s'échappe ce nouveau trou. Poupée qui se vide. Toujours cette apparence de supercherie. N’est-on pas dupe ici d’un artifice ? N’est-on pas, comme au théâtre, prévenu que le cadre est factice et l'action simulée, que "cela n’est pas arrivé". Par un sentiment bizarre et vite évanoui, la bête qu’on sait être une vraie bête, qu’on voit tomber et se débattre dans la douleur, vous apparaît une seconde comme un automate perfectionné qu’animerait un truc secret, et destiné, le tour joué, à retourner dormir au magasin d’accessoires.



Mais l’attention, déjà, est attirée ailleurs. Un picadore désarçonné est tombé sur la tête. Il ne bouge plus, et il faut le transporter hors de l’arène pendant que sa monture galope affolée, balançant entre ses jambes un lourd paquet d’entrailles. Deux et trois autres, bientôt, sont couchées sur le sable, expirantes. Seul le cheval au pied cassé, qui marche sur son os, n’est pas atteint. Et jusqu’à la sixième course il ira, de sa marche boiteuse et pénible à voir, s’offrir au taureau qui ne voudra pas de lui.



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CORRIDA PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Il ne demande qu’à mourir, pourtant, le pauvre estropié. Un coup de corne abrégerait son supplice. Il faut voir comme il attend résigné ce geste qui le délivrera. Le bandeau qui couvre ses yeux a dévié. Un œil est libre. Il s’ouvre sur cette étendue de sable, sur la houle du public, sur l’ennemi fougueux dont le mufle s’approche et qui repart, comme s’il ne daignait même pas lui faire grâce de la mort. Par quelle fatalité est-il sans cesse épargné ? Le sabot retourné pend lamentablement à un morceau de chair, et, chaque fois qu’il lève la jambe, il secoue cette chose inerte qui ne se détache pas. Il va il va. Un tressaillement agite, au repos, son flanc décharné. Un de ses frères est mort de peur, oui, mort de peur, foudroyé net à l'approche du taureau. Il souhaite sans doute une fin semblable. Mais pour mourir de peur il faut aimer la vie !



Un frémissement dans la foule. Reverte jouant avec le taureau lui a montré le dos et a mis, par bravade, un genou à terre. La tête retournée il le suit du coin de l’œil, pourtant, prêt à l’esquiver quand il bondira. Comme il ne bouge pas, l'homme enhardi met l’autre genou. A ce moment, le taureau fonce ; Reverte veut fuir, fait un faux pas, et, aussitôt se sentant perdu, s’aplatit sur le ventre pour offrir à la corne le moins de surface possible. Et il était perdu, en effet, si son camarade Bonbita, par quelques jeux savants de cape, n’avait attiré d’un autre côté la fureur de l’ennemi.



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TORERO ANTONIO REVERTE JIMENEZ


Ce taureau appartenait à Bonbita qui, le moment venu, l'estoque lestement avec des gestes de danseur et des grâces de clown. L’épée a disparu dans le corps de l’animal et celui-ci reste debout. On va siffler. Bonbita fait signe qu’il a son compte. C'est vrai. Il titube, fait quelques pas lourdement. Il semble convenir qu’il a son compte et dire : "Du moins je me suis défendu vaillamment." Puis, il s'agenouille, pose son mufle sur le sable, tristement, si tristement !... et se relève. Quelques pas encore et il retombe, toujours agenouillé, cherchant une place pour poser sa tète. Et c'est presque humain, cette agonie. D’un dernier effort il parvient à se redresser. Il va vers la barrière, comme pour céder la place à son adversaire, et se dirige d’instinct vers la partie de l'arène où commence l'ombre. Les banderilles dont on l’a criblé tressautent sur son dos ; le soleil avive une dernière fois le sang de ses blessures. Le voici au seuil de la région éteinte. Là, il semble dire adieu à la lumière, au combat, à la vie. Et Bonbita qui l'accompagne, le poing sur la hanche, le coude contre sa corne, un peu théâtral d’allure, attende qu’il s’abatte enfin, pose le pied sur lui et le regarde mourir, vainqueur.



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TORERO RICARDO TORRES REINA DIT "BOMBITA"



Et plus tard, la course finie, dans Fontarabie qui illuminent les derniers feux de la journée, dans la vieille rue où la foule se répand et coule comme un fleuve, c’est un bavardage du public français, des gens venus de Biarritz et des plages à la mode, et dont beaucoup ont vu ce spectacle pour la première fois ; c’est un échange d’impressions, toujours les mêmes où dominent des voix féminines : "C’est affreux, ces pauvres chevaux. — Moi je trouve ça répugnant.— Comprenez-vous le plaisir que trouve mon mari à ces jeux cruels ?"



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DEBARCADERE DE FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Près de moi, dans la barque qui me ramène à Hendaye, quelqu'un cite le fait de ce colonel de cuirassiers français qui, à Lisbonne, fit le pari de descendre dans l'arène, de prendre le taureau par les cornes et de le renverser, pari qu'il tint séance tenante aux applaudissements de l'assistance. Un autre raconte la mort de Spartero tué d’un coup de corne à Madrid. De là on parle de taureaux "collants", de ceux qui choisissent leur adversaire et ne le quittent plus. La conversation devient générale entre gens qui ne se connaissent pas et qui s'empilent dans cette barque. Et j’ai retenu l’anecdote suivante qui m’a frappé par sa dramatique simplicité :


Dans d’immenses parcs appartenant au duc de la Véragua, sont élevés à l’état sauvage des taureaux destinés aux courses et réputés pour leur férocité. Un homme, longeant à cheval la limite d'un de ces parcs, s’amusa, un jour, à frapper de son bâton les cornes d’un taureau qu’une barrière séparait de lui. Ce dernier furieux se mit à courir et l’homme satisfait de sa plaisanterie le regardait s’éloigner, quand, arrivé à une certaine distance, l’animal se retourna, revint vers la barrière et, emporté par son élan, réussit à la franchir. Alors l’homme, perdant la tête, éperonna son cheval. Le cheval sentant le danger galopa d'abord, puis s'arrêta, paralysé par la peur. L’homme se laissa glisser à terre et se mit à fuir à toutes jambes. Il sentait derrière lui souffler l’ennemi. La bête gagnait du terrain. L’homme regarda éperdu de tous côtés, vit un poteau télégraphique et y grimpa. Une fois au faîte, en sûreté pour un instant, il se mit à pousser des cris pour attirer l’attention des cavaliers qui passaient dans la campagne. Pendant ce temps le taureau, arrivé au pied du poteau, tentait de le déraciner. Mais l’obstacle manquait de surface. Il le comprit, ne s’y acharna pas, et, comme l’eût fait un être doué de raison, il se mit à attendre.


Les cavaliers étaient trop éloignés pour entendre les cris de l’homme. Ils s’éloignèrent davantage, ne furent plus qu’un point négligeable dans la campagne nue. Quelques instants s’écoulèrent, tragiques. L’homme sentit ses forces décroître. Il se tenait accroché au poteau de toute la force de ses muscles. Ses muscles défaillirent et son étreinte se relâcha. Il se sentit glisser, fit pour se retenir un suprême effort. En bas le taureau attendait. Encore quelques secondes. L’angoisse de l’homme dut dépasser en horreur tout ce qu’on peut se représenter. Il glissa de nouveau, se retint, glissa encore. Et j'imagine qu’il devait être à demi mort en arrivant à terre, au moment où le taureau l’acheva."








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