LA FÊTE DE FONTARRABIE EN 1899.
Tous les ans, le 8 septembre, est célébrée à Fontarrabie, en Guipuscoa, la victoire de ses habitants sur les troupes françaises en 1638.
Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel La Grande Revue, le 1er mai 1899, sous le plume de
Louis de Robert :
"VI La Fête de Fontarabie.
Quelques heures plus tard, sur la Bidassoa que sillonne la flottille des barques. C'est dimanche et c’est la fête de Fontarabie. On est venu de Bayonne, de Biarritz, de Guétary, de Saint-Jean-de-Luz pour y assister. Les bateliers sont en joie, car la journée sera bonne. Un ciel bleu. Du soleil. Des toilettes, des ombrelles : c’est un papillonnement de couleurs sur l’eau luisante et tiède de la rivière. On dirait une jonchée de confettis.
DEBARCADERE DE FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Et Fontarabie ressuscite. Sa vieille rue tirée de son silence et de son oubli arbore des tentures rouges qui pendent des balcons. Des gens partout, à toutes les ouvertures. Un peu de fièvre anime ce lieu et contraste avec lui. Une fièvre de réunion mondaine. Des groupes s’abordent. On se salue. On se connaît. On est chez soi. Des bruits de parlotes s’élèvent, se croisent, se confondent, dominés par des coups de fusil qui partent à chaque instant. Pétarade belliqueuse des armes à feu. La vieille Espagne dépense sa poudre et semble convier le ciel à ses réjouissances. Voici des alguazils qui font évacuer la foule, et la rue se vide comme par enchantement. Alors une procession se forme. Des musiciens coiffés du béret rouge la précèdent. Une allègre fanfare retentit. On va chercher le clergé à l'église et on le conduit à la maison du peuple. Magie de la musique ! Les sonorités des cuivres animent toutes ces ruines. L’antique église semble de toutes ses pierres dorées de soleil participer à la fête. L’air s’électrise. Les coups de fusil ne cessent pas. C’est joyeux, ardent et farouche. Et c’est curieux aussi par la réunion de tant d’éléments contraires, toute une vie bariolée et bruyante dans cette cité d’oubli, un singulier mélange de tradition et de modernisme, la vieille croyance qui passe dans l’atmosphère artificielle de ce public élégant, et cette procession pieuse parmi ces détonations qui parlent de mort et de massacre. Toute la sauvagerie des anciens âges est là. Un sentiment cruel se lève de ce sol et domine ce peuple. L’idée de mort est associée à toutes ses réjouissances. Et la mort ici fait partie de la fête. Dans la ville, au soleil, des chevaux caracolent qui usent sans le savoir leurs derniers instants. Tout à l’heure, perdant leur sang et leur vie, échoués sur le sable de la plaza de toros, au trépignement de milliers d’êtres, un homme vêtu de rouge les achèvera.
AFFICHE PLAZA DE TOROS FONTARRABIE 1905 |
Il est devenu banal de s’apitoyer sur la mort du cheval et la plupart des Français et surtout des Françaises qui reviennent d’Espagne, vous disent : "Qu’on tue le taureau, soit. Il se défend. Mais les pauvres chevaux, c’est horrible". Pourtant la volupté du spectacle l'exige. Le taureau doit au cheval son plus beau geste. Traqué, forcé par ses adversaires, il s'essouffle, il piétine, il donne de la corne à tort et à travers ; il est lourd et maladroit. Mais son heurt avec le cheval est magnifique. Il apparaît là dans sa beauté brutale, dans la violence de son instinct et la puissance meurtrière de sa force.
Le voici. On vient d’ouvrir le toril et la lumière l'éblouit. Cependant il court droit devant lui, il ne sait où, d'un élan impétueux et superbe. Tout fuit à son approche, et c'est une débandade de petits bonshommes verts, bleus, jaunes ou rouges qui se ressaisissent derrière lui. Il arrive près de la barrière et s’arrête, après une glissade de quelques mètres les jambes raidies, sur le sable. Alors il renifle et regarde. Une masse se dresse, à droite : un cavalier l’invite de sa lance, pendant qu’à gauche des capes rouges l’attirent. Il semble se recueillir et se dire : "Voyons, par qui vais-je commencer. ?" Les capes rouges présentent peu de surface et bougent et fuient. C’est un jeu de moucherons. L’adversaire à cheval est plus digne de lui. Il bondit. C’est le heurt.
CORRIDA PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
D’abord, on ne distingue rien qu’une chose confuse et désordonnée, quelque chose comme un animal monstrueux qui aurait deux têtes et huit pattes, et sur lequel serait juché un homme bardé de fer. Cela se sépare. Le cheval, soulevé à un mètre de terre, retombe. Il a un trou au poitrail, d'où coule un ruisseau de sang, et sa peau pend déchirée, comme une toile de décor derrière laquelle il n’y a rien. Surtout les chevaux blancs donnent cette impression, bêtes si maigres qu'elles semblent vides en effet, et dont le sang vous étonne. Cependant le taureau s’est éloigné. Il ne s’acharne pas sur une victime. Il est fier et court à d’autres adversaires.
Au milieu du tumulte et du délire de tout un peuple de spectateurs passionnés, j'assiste à la course qui suit la procession. Dans l'espace rond de l'arène, sous l'ardent soleil, le taureau s'affole. Un picador est tombé. Des cris d'effroi sont partis de la foule. Il s'est relevé et on applaudit. Deux chevaux sont hors de combat. L’un a la cheville cassée, et, le pied retourné, il marche sur son os. Le public manifeste pour qu'on l’abatte. Il continue de sa marche affreuse. L’autre ne peut plus se relever. Les valets d’écurie le frappent à tour de bras. Il remue seulement la tête ; son corps demeure inerte. Alors, le mors et la bride enlevés, un des valets maintient sa tête sur le sable, pendant qu’un autre lui plante une sorte de clou dans la cervelle. L’animal frémit. Ses pattes se raidissent agitées d’un court tremblement. Sa bouche s’ouvre, découvrant de longues dents jaunes. Et c’est fini.
CORRIDA PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
A ce moment, une fanfare qui retentit ordonne le départ des picadores. La foule proteste. Les chevaux s'en vont. C’est la pose des banderilles. Le jeu est gracieux. Les ors des costumes brillent sous le soleil. Un élan vers le taureau, un saut de côté : c’est fait. Et la bête exaspérée cherche vainement à s’extirper ces harpons plantés dans sa chair. Des capes dansent sous ses yeux. Il bondit, donne la corne et trouve le vide. La candeur du taureau est singulière. Il manque, si l’on peut ainsi dire, de suite dans les idées. Une cape l’invite à gauche, il y va. Une cape l’appelle à droite, il y va. Attiré de tous côtés il éparpille son effort et s'épuise. Sa défaite vient de là. S’il choisissait son homme et ne le quittait plus, en cinq minutes il serait maître du lieu.
Un nouveau coup de fanfare et voici Reverte. Il est jeune, bien pris, et, nu-tête, s’avance en souriant. Il tient l’épée qui donnera la mort et le lambeau d’étoffe rouge qui trompera la bête. Sans bouger de place, par ce chiffon rouge, il la fait bondir autour de lui, achève de la fatiguer, lui fait lever, baisser la tête, choisit son moment, et, minute décisive, tire son épée, vise. La bête a fait un mouvement. C’est manqué.
TORERO ANTONIO REVERTE JIMENEZ |
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