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mardi 8 octobre 2024

LA FÊTE DE FONTARRABIE EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN 1899 (deuxième et dernière partie)

 

LA FÊTE DE FONTARRABIE EN 1899.


Tous les ans, le 8 septembre, est célébrée à Fontarrabie, en Guipuscoa, la victoire de ses habitants sur les troupes françaises en 1638.



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HUIT SEPTEMBRE FONTARRABIE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel La Grande Revue, le 1er mai 1899, sous le plume de 

Louis de Robert :



"VI La Fête de Fontarabie.

... Le propre de ce spectacle est de vous composer une âme mobile et qui ne s’appartient pas. Les impressions se succèdent si rapidement que la raison ne peut les contrôler. L'attention est sans cesse en éveil, requise à la fois de tous côtés. On n’a pas le temps de se ressaisir. On est plongé dans du bruit, dans le désordre de sentiments d’une foule en délire. De chauds effluves vous pénètrent. Bientôt on participe à la fièvre ambiante. Les soies, les ors, les formes, les couleurs, le danger, l'agonie des bêtes et le soleil ardent qui tombe sur ces choses, tout cela peu à peu agit sur vous d’une façon magnétique. Vous vous sentez cruel avec délice et la barbarie de ces jeux vous est douce. Plus tard, rendu à votre sensibilité vous ferez des réserves, ou bien vous tenterez d’expliquer au nom de la beauté plastique l’attrait que vous avez subi. En attendant, vous assistez avec une férocité sereine à cette lutte de l’instinct primitif contre l’adresse, à ces heurts de bêtes, à ces éventrements, à cette mort.



Certains tempéraments même se mirent dans ce spectacle. Ce qu’ils sentent en soi de puissances indisciplinées, d’énergies obscures de bravoure physique est dans l’élan de ce taureau qui fonce. Par contre, ce que la vie leur a insufflé de calcul et d’artifice est dans l’habileté de l’adversaire. Le conflit de ces forces contraires éclate ici magnifiquement. Sursauts intérieurs des âmes violentes, tout ce que l’éducation endigue, comprime, emprisonne, tout ce qui bout, la fougue aveugle, la colère, la haine sont là. Et c’est l’éternelle histoire de la passion vaincue avec grâce par de la jolie traîtrise.



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AFFICHE PLAZA DE TOROS FONTARRABIE 1905


Pour ma part, le geste si prompt de tuer le taureau me laisse toujours comme un étonnement. Cela se fait si vite qu’on n’a pas le temps de rien voir et que je suis tenté de croire à une supercherie. Est-ce décor de cirque, évocateur d’acrobaties ? J’ai toujours à cette minute la même impression exemple de gravité. L'émotion du combat cesse ici brusquement et l’issue à la fois trop prévue et trop soudaine me désenchante et me déçoit.



Aussi quand le second taureau franchit les portes du toril, pourrais-je croire un instant que c’est le même qui revient. Même poil, mêmes cornes courtes et aiguës, même impétuosité, même glissade sur le sable. Il ne s’arrête qu’à la barrière dont le bois vole en éclats. Puis il se retourne et bondit sur le premier cheval qu’il rencontre. C’est celui qui fut troué au poitrail tout à l’heure. Entre les deux courses on a recousu sa peau, après avoir bourré de son sa blessure. C est au poitrail encore qu’il est atteint, et le son s'échappe ce nouveau trou. Poupée qui se vide. Toujours cette apparence de supercherie. N’est-on pas dupe ici d’un artifice ? N’est-on pas, comme au théâtre, prévenu que le cadre est factice et l'action simulée, que "cela n’est pas arrivé". Par un sentiment bizarre et vite évanoui, la bête qu’on sait être une vraie bête, qu’on voit tomber et se débattre dans la douleur, vous apparaît une seconde comme un automate perfectionné qu’animerait un truc secret, et destiné, le tour joué, à retourner dormir au magasin d’accessoires.



Mais l’attention, déjà, est attirée ailleurs. Un picadore désarçonné est tombé sur la tête. Il ne bouge plus, et il faut le transporter hors de l’arène pendant que sa monture galope affolée, balançant entre ses jambes un lourd paquet d’entrailles. Deux et trois autres, bientôt, sont couchées sur le sable, expirantes. Seul le cheval au pied cassé, qui marche sur son os, n’est pas atteint. Et jusqu’à la sixième course il ira, de sa marche boiteuse et pénible à voir, s’offrir au taureau qui ne voudra pas de lui.



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CORRIDA PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Il ne demande qu’à mourir, pourtant, le pauvre estropié. Un coup de corne abrégerait son supplice. Il faut voir comme il attend résigné ce geste qui le délivrera. Le bandeau qui couvre ses yeux a dévié. Un œil est libre. Il s’ouvre sur cette étendue de sable, sur la houle du public, sur l’ennemi fougueux dont le mufle s’approche et qui repart, comme s’il ne daignait même pas lui faire grâce de la mort. Par quelle fatalité est-il sans cesse épargné ? Le sabot retourné pend lamentablement à un morceau de chair, et, chaque fois qu’il lève la jambe, il secoue cette chose inerte qui ne se détache pas. Il va il va. Un tressaillement agite, au repos, son flanc décharné. Un de ses frères est mort de peur, oui, mort de peur, foudroyé net à l'approche du taureau. Il souhaite sans doute une fin semblable. Mais pour mourir de peur il faut aimer la vie !



Un frémissement dans la foule. Reverte jouant avec le taureau lui a montré le dos et a mis, par bravade, un genou à terre. La tête retournée il le suit du coin de l’œil, pourtant, prêt à l’esquiver quand il bondira. Comme il ne bouge pas, l'homme enhardi met l’autre genou. A ce moment, le taureau fonce ; Reverte veut fuir, fait un faux pas, et, aussitôt se sentant perdu, s’aplatit sur le ventre pour offrir à la corne le moins de surface possible. Et il était perdu, en effet, si son camarade Bonbita, par quelques jeux savants de cape, n’avait attiré d’un autre côté la fureur de l’ennemi.



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TORERO ANTONIO REVERTE JIMENEZ


Ce taureau appartenait à Bonbita qui, le moment venu, l'estoque lestement avec des gestes de danseur et des grâces de clown. L’épée a disparu dans le corps de l’animal et celui-ci reste debout. On va siffler. Bonbita fait signe qu’il a son compte. C'est vrai. Il titube, fait quelques pas lourdement. Il semble convenir qu’il a son compte et dire : "Du moins je me suis défendu vaillamment." Puis, il s'agenouille, pose son mufle sur le sable, tristement, si tristement !... et se relève. Quelques pas encore et il retombe, toujours agenouillé, cherchant une place pour poser sa tète. Et c'est presque humain, cette agonie. D’un dernier effort il parvient à se redresser. Il va vers la barrière, comme pour céder la place à son adversaire, et se dirige d’instinct vers la partie de l'arène où commence l'ombre. Les banderilles dont on l’a criblé tressautent sur son dos ; le soleil avive une dernière fois le sang de ses blessures. Le voici au seuil de la région éteinte. Là, il semble dire adieu à la lumière, au combat, à la vie. Et Bonbita qui l'accompagne, le poing sur la hanche, le coude contre sa corne, un peu théâtral d’allure, attende qu’il s’abatte enfin, pose le pied sur lui et le regarde mourir, vainqueur.



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TORERO RICARDO TORRES REINA DIT "BOMBITA"



Et plus tard, la course finie, dans Fontarabie qui illuminent les derniers feux de la journée, dans la vieille rue où la foule se répand et coule comme un fleuve, c’est un bavardage du public français, des gens venus de Biarritz et des plages à la mode, et dont beaucoup ont vu ce spectacle pour la première fois ; c’est un échange d’impressions, toujours les mêmes où dominent des voix féminines : "C’est affreux, ces pauvres chevaux. — Moi je trouve ça répugnant.— Comprenez-vous le plaisir que trouve mon mari à ces jeux cruels ?"



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DEBARCADERE DE FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Près de moi, dans la barque qui me ramène à Hendaye, quelqu'un cite le fait de ce colonel de cuirassiers français qui, à Lisbonne, fit le pari de descendre dans l'arène, de prendre le taureau par les cornes et de le renverser, pari qu'il tint séance tenante aux applaudissements de l'assistance. Un autre raconte la mort de Spartero tué d’un coup de corne à Madrid. De là on parle de taureaux "collants", de ceux qui choisissent leur adversaire et ne le quittent plus. La conversation devient générale entre gens qui ne se connaissent pas et qui s'empilent dans cette barque. Et j’ai retenu l’anecdote suivante qui m’a frappé par sa dramatique simplicité :


Dans d’immenses parcs appartenant au duc de la Véragua, sont élevés à l’état sauvage des taureaux destinés aux courses et réputés pour leur férocité. Un homme, longeant à cheval la limite d'un de ces parcs, s’amusa, un jour, à frapper de son bâton les cornes d’un taureau qu’une barrière séparait de lui. Ce dernier furieux se mit à courir et l’homme satisfait de sa plaisanterie le regardait s’éloigner, quand, arrivé à une certaine distance, l’animal se retourna, revint vers la barrière et, emporté par son élan, réussit à la franchir. Alors l’homme, perdant la tête, éperonna son cheval. Le cheval sentant le danger galopa d'abord, puis s'arrêta, paralysé par la peur. L’homme se laissa glisser à terre et se mit à fuir à toutes jambes. Il sentait derrière lui souffler l’ennemi. La bête gagnait du terrain. L’homme regarda éperdu de tous côtés, vit un poteau télégraphique et y grimpa. Une fois au faîte, en sûreté pour un instant, il se mit à pousser des cris pour attirer l’attention des cavaliers qui passaient dans la campagne. Pendant ce temps le taureau, arrivé au pied du poteau, tentait de le déraciner. Mais l’obstacle manquait de surface. Il le comprit, ne s’y acharna pas, et, comme l’eût fait un être doué de raison, il se mit à attendre.


Les cavaliers étaient trop éloignés pour entendre les cris de l’homme. Ils s’éloignèrent davantage, ne furent plus qu’un point négligeable dans la campagne nue. Quelques instants s’écoulèrent, tragiques. L’homme sentit ses forces décroître. Il se tenait accroché au poteau de toute la force de ses muscles. Ses muscles défaillirent et son étreinte se relâcha. Il se sentit glisser, fit pour se retenir un suprême effort. En bas le taureau attendait. Encore quelques secondes. L’angoisse de l’homme dut dépasser en horreur tout ce qu’on peut se représenter. Il glissa de nouveau, se retint, glissa encore. Et j'imagine qu’il devait être à demi mort en arrivant à terre, au moment où le taureau l’acheva."








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vendredi 27 septembre 2024

UNE BALADE À LA GUADELOUPE À FONTARRABIE EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN 1899 (première partie)

LA GUADELOUPE À FONTARRABIE EN 1899.



Le hameau de Guadalupe, et son sanctuaire domine la ville de Fontarrabie, en Guipuscoa.




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SANCTUAIRE NS GUADALUPE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN




Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel La Grande Revue, le 1er mai 1899, sous la plume de 

Louis de Robert :



"Flânerie au Pays Basque.


II. Guadeloupe.



Deux coups frappés à ma porte me tirent de ma rêverie. — Entrez ! C'est Marius, le vaguemestre du Javelot qui, son courrier distribué, est libre. Il a quitté aujourd'hui son costume au col bleu et mis des vêtements bourgeois parce que nous devons aller en Espagne, jusqu'à la Guadeloupe, le petit hameau perché dans la montagne qui domine Fontarabie.


— Et quoi de neuf, Marius ?

— Rien, sinon que nous serions obligés de faire le tour par Irun. Il ne faut pas songer à traverser la Bidassoa avec si peu d'eau !



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NAVIRE LE JAVELOT HENDAYE 1905
PAYS BASQUE D'ANTAN



Il me dit aussi que Savin, le second maître du Javelot, désire être des nôtres. Nous n'aurons qu'à le siffler en traversant le pont international au pied duquel le stationnaire français est amarré. Voilà qui est entendu.



Nous avons quitté ma tourelle et gagné le jardin. Le jeune fils de Loti, Samuel, devant la maison, s'amuse à grimper le long de la corde lisse qui pend du balcon. Accroché à elle par les mains, les pieds sur le noeud qui la termine, il se laisse balancer. C'est, à présent, un grand garçon de huit ans, à la fois très remuant, très joueur et très sage. Déjà sa conversation traduit un esprit réfléchi qui étonne parfois. A table, ce matin, comme nous parlions des rêves, il nous dit : "Moi j'aime mieux les mauvais rêves que les bons rêves. — Pourquoi ? lui demande son père — parce qu'après un mauvais rêve je suis content de m'éveiller, tu comprends ; tandis qu'après un non rêve ça m'ennuie, je suis jaloux... voilà." Et cette réflexion, certes, n'est pas d'un enfant.



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SAMUEL LOTI FILS DE PIERRE LOTI



En ce moment, il tue le temps. Le train de cinq heures doit amener à Hendaye ses cousines les Tototes, et c'est une fête pour lui. Depuis deux jours, il n'est question dans la maison que de leur arrivée. C'est un gros événement. "Vous verrez, m'a-t-il dit. Elles sont un peu grandes pour moi, car Totote a douze ans et Dizé onze bientôt, ce qui ne les empêche pas de jouer tout de même avec moi. C'est Totote qui est la plus sérieuse. Mais je vous préviens que Dizé est très susceptible, et comme elle est très maligne, si vous vous mettez mal avec elle, vous n'aurez pas fini." Ainsi me voilà prévenu.



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MAISON DE PIERRE LOTI HENDAYE - HENDAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Pendant que Marius, pour lui plaire, imprime à la corde un mouvement plus vif, Loti qui apparaît à la fenêtre, nous crie :


— Bonne promenade.

— Alors vous ne nous accompagnez pas ?

— Non, j'ai à travailler. 



Et puis, je crois que pour rien au monde il ne manquerait la partie de pelote qu'il fait tous les soirs de six à sept et qui constitue pour lui un des attraits du pays basque.



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 PARTIE DE PELOTE PIERRE LOTI HENDAYE - HENDAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Nous voilà donc partis, Marius et moi. Nous gagnons la gare, la grande gare d'Hendaye où s'arrêtent les lignes françaises et qui prolonge jusqu'au pont reliant les deux pays un décor de wagons immobiles, poussiéreux, livrés à l'abandon, parmi l'herbe folle, d'un bout à l'autre des mornes journées d'été. Wagons qui ont porté à travers les distances l'espoir ou la détresse d'amis, de parents appelés par télégramme, l'agrément ou le souci de gens allant les uns à leurs affaires, les autres à leurs plaisirs. Vieilles caisses de bois, compartiments, banquettes, où tout un peuple de voyageurs a passé. De quels tracas, de quelles béatitudes, de quels projets, de quels rêves, de quel tohu-bohu d'idées sombres, gaies, poétiques ou terre à terre, graves, folâtres, absurdes ou raisonnables ces objets se sont-ils imprégnés ? Quelles parcelles insaisissables restent en eux de ces vies qui se sont croisées là sans se connaître, qui eussent pu s'attacher l'une à l'autre et qui se sont éparpillées selon d'imprévoyantes destinées ? Quelles traces invisibles y demeurent de tous les drames dont ils furent témoins, de toutes les aventures comiques, tragiques, singulières ou banales que, sur la surface du vaste monde, des mémoires d'êtres revivent, en évoquant le coin capitonné, le filet, l'accoudoir, la portière dont elles s'encadrèrent ? Voitures pensives, très vieilles et respectables ! Souvent, par de chauds matins, autrefois je suis venu cueillir des fougères et des boutons d'or entre leurs roues paralysées. Alors, dans ce prolongement de gare, au milieu de ces rails, de ces disques, de ces signaux, n'entendant d'autre bruit que le bourdonnement des insectes dans l'herbe, comment dire l'étrange sentiment de tristesse et d'abandon que ces vieilles choses jetaient dans mon âme sous l'accablant soleil ?...



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GARE HENDAYE - HENDAIA
PAYS BASQUE D'ANTAN


Nous sommes à l'entrée du pont international. Voici le Javelot, tout blanc et coquet, avec ses fins cordages, sa coque légère et ses cuivres polis. Savin, qui nous y attendait, nous rejoint. Il est en tenue de coutil, casquette de marine blanche, et il lui a suffi d'enlever les galons mobiles de ses manches pour pouvoir, sans contrevenir aux règlements, franchir la frontière espagnole. Deux grands chiens, au long museau, à l'oeil intelligent raccompagnent, et comme nous nous sommes engagés sur le pont, déjà leurs folles gambades nous précèdent dans Irun, dans cet Irun si animé, si bariolé, le dimanche, et comme envahi durant la semaine par une langueur de sieste. Un petit tramway qui file sans bruit à l'ombre de ses maisons nous reçoit bientôt et nous dépose dix minutes plus tard à Fontarabie.




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NAVIRE LE JAVELOT ET PONT INTERNATIONAL HENDAYE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Là, au pied de la montagne, première halte dans la cour tapissée d'herbe d'une fonda où du cidre clair nous désaltère. Après quoi, en route ! La montée n'est pas rude jusqu'à la Guadeloupe ; elle est seulement longue. Mais les chemins en lacets, les chemins jaunes et doux aux pieds en sont pleins de caprice et de variété. Des pierres les parsèment dont la pluie des siècles a usé les arêtes et arrondi les angles. Et cela, joint à de profondes ornières creusées par les roues massives des chars à boeuf provoque chez l'excursionniste toute une ingénieuse gymnastique dont je retrouve cet après-midi, après cinq ans, le charme alerte et jeune. Les chiens, devant nous, derrière nous, se poursuivent, se rattrapent, escaladent les contreforts, dévalent par les pentes, s'ébattent parmi les mousses. Une vie nerveuse, souple, agile, infatigable, circule ainsi autour de nous, entoure, ceinture, fouette et stimule notre montée. La même joie animale s'étend de ces bêtes à nous, harmonise les mêmes forces d'instinct sous la surface différente des espèces."



A suivre...



(Source : Samuel, le fils de Pierre Loti enfant habillé en marin (t - Alienor.org))







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dimanche 8 septembre 2024

LA FÊTE DE FONTARRABIE EN GUIPUSCOA AU PAYS BASQUE EN 1899 (première partie)

LA FÊTE DE FONTARRABIE EN 1899.


Tous les ans, le 8 septembre, est célébrée à Fontarrabie, en Guipuscoa, la victoire de ses habitants sur les troupes françaises en 1638.



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HUIT SEPTEMBRE FONTARRABIE
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel La Grande Revue, le 1er mai 1899, sous le plume de 

Louis de Robert :



"VI La Fête de Fontarabie.



Quelques heures plus tard, sur la Bidassoa que sillonne la flottille des barques. C'est dimanche et c’est la fête de Fontarabie. On est venu de Bayonne, de Biarritz, de Guétary, de Saint-Jean-de-Luz pour y assister. Les bateliers sont en joie, car la journée sera bonne. Un ciel bleu. Du soleil. Des toilettes, des ombrelles : c’est un papillonnement de couleurs sur l’eau luisante et tiède de la rivière. On dirait une jonchée de confettis.




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DEBARCADERE DE FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN



Et Fontarabie ressuscite. Sa vieille rue tirée de son silence et de son oubli arbore des tentures rouges qui pendent des balcons. Des gens partout, à toutes les ouvertures. Un peu de fièvre anime ce lieu et contraste avec lui. Une fièvre de réunion mondaine. Des groupes s’abordent. On se salue. On se connaît. On est chez soi. Des bruits de parlotes s’élèvent, se croisent, se confondent, dominés par des coups de fusil qui partent à chaque instant. Pétarade belliqueuse des armes à feu. La vieille Espagne dépense sa poudre et semble convier le ciel à ses réjouissances. Voici des alguazils qui font évacuer la foule, et la rue se vide comme par enchantement. Alors une procession se forme. Des musiciens coiffés du béret rouge la précèdent. Une allègre fanfare retentit. On va chercher le clergé à l'église et on le conduit à la maison du peuple. Magie de la musique ! Les sonorités des cuivres animent toutes ces ruines. L’antique église semble de toutes ses pierres dorées de soleil participer à la fête. L’air s’électrise. Les coups de fusil ne cessent pas. C’est joyeux, ardent et farouche. Et c’est curieux aussi par la réunion de tant d’éléments contraires, toute une vie bariolée et bruyante dans cette cité d’oubli, un singulier mélange de tradition et de modernisme, la vieille croyance qui passe dans l’atmosphère artificielle de ce public élégant, et cette procession pieuse parmi ces détonations qui parlent de mort et de massacre. Toute la sauvagerie des anciens âges est là. Un sentiment cruel se lève de ce sol et domine ce peuple. L’idée de mort est associée à toutes ses réjouissances. Et la mort ici fait partie de la fête. Dans la ville, au soleil, des chevaux caracolent qui usent sans le savoir leurs derniers instants. Tout à l’heure, perdant leur sang et leur vie, échoués sur le sable de la plaza de toros, au trépignement de milliers d’êtres, un homme vêtu de rouge les achèvera.




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AFFICHE PLAZA DE TOROS FONTARRABIE 1905



Il est devenu banal de s’apitoyer sur la mort du cheval et la plupart des Français et surtout des Françaises qui reviennent d’Espagne, vous disent : "Qu’on tue le taureau, soit. Il se défend. Mais les pauvres chevaux, c’est horrible". Pourtant la volupté du spectacle l'exige. Le taureau doit au cheval son plus beau geste. Traqué, forcé par ses adversaires, il s'essouffle, il piétine, il donne de la corne à tort et à travers ; il est lourd et maladroit. Mais son heurt avec le cheval est magnifique. Il apparaît là dans sa beauté brutale, dans la violence de son instinct et la puissance meurtrière de sa force.



Le voici. On vient d’ouvrir le toril et la lumière l'éblouit. Cependant il court droit devant lui, il ne sait où, d'un élan impétueux et superbe. Tout fuit à son approche, et c'est une débandade de petits bonshommes verts, bleus, jaunes ou rouges qui se ressaisissent derrière lui. Il arrive près de la barrière et s’arrête, après une glissade de quelques mètres les jambes raidies, sur le sable. Alors il renifle et regarde. Une masse se dresse, à droite : un cavalier l’invite de sa lance, pendant qu’à gauche des capes rouges l’attirent. Il semble se recueillir et se dire : "Voyons, par qui vais-je commencer. ?" Les capes rouges présentent peu de surface et bougent et fuient. C’est un jeu de moucherons. L’adversaire à cheval est plus digne de lui. Il bondit. C’est le heurt.



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CORRIDA PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN



D’abord, on ne distingue rien qu’une chose confuse et désordonnée, quelque chose comme un animal monstrueux qui aurait deux têtes et huit pattes, et sur lequel serait juché un homme bardé de fer. Cela se sépare. Le cheval, soulevé à un mètre de terre, retombe. Il a un trou au poitrail, d'où coule un ruisseau de sang, et sa peau pend déchirée, comme une toile de décor derrière laquelle il n’y a rien. Surtout les chevaux blancs donnent cette impression, bêtes si maigres qu'elles semblent vides en effet, et dont le sang vous étonne. Cependant le taureau s’est éloigné. Il ne s’acharne pas sur une victime. Il est fier et court à d’autres adversaires.



Au milieu du tumulte et du délire de tout un peuple de spectateurs passionnés, j'assiste à la course qui suit la procession. Dans l'espace rond de l'arène, sous l'ardent soleil, le taureau s'affole. Un picador est tombé. Des cris d'effroi sont partis de la foule. Il s'est relevé et on applaudit. Deux chevaux sont hors de combat. L’un a la cheville cassée, et, le pied retourné, il marche sur son os. Le public manifeste pour qu'on l’abatte. Il continue de sa marche affreuse. L’autre ne peut plus se relever. Les valets d’écurie le frappent à tour de bras. Il remue seulement la tête ; son corps demeure inerte. Alors, le mors et la bride enlevés, un des valets maintient sa tête sur le sable, pendant qu’un autre lui plante une sorte de clou dans la cervelle. L’animal frémit. Ses pattes se raidissent agitées d’un court tremblement. Sa bouche s’ouvre, découvrant de longues dents jaunes. Et c’est fini.




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CORRIDA PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN




A ce moment, une fanfare qui retentit ordonne le départ des picadores. La foule proteste. Les chevaux s'en vont. C’est la pose des banderilles. Le jeu est gracieux. Les ors des costumes brillent sous le soleil. Un élan vers le taureau, un saut de côté : c’est fait. Et la bête exaspérée cherche vainement à s’extirper ces harpons plantés dans sa chair. Des capes dansent sous ses yeux. Il bondit, donne la corne et trouve le vide. La candeur du taureau est singulière. Il manque, si l’on peut ainsi dire, de suite dans les idées. Une cape l’invite à gauche, il y va. Une cape l’appelle à droite, il y va. Attiré de tous côtés il éparpille son effort et s'épuise. Sa défaite vient de là. S’il choisissait son homme et ne le quittait plus, en cinq minutes il serait maître du lieu.



Un nouveau coup de fanfare et voici Reverte. Il est jeune, bien pris, et, nu-tête, s’avance en souriant. Il tient l’épée qui donnera la mort et le lambeau d’étoffe rouge qui trompera la bête. Sans bouger de place, par ce chiffon rouge, il la fait bondir autour de lui, achève de la fatiguer, lui fait lever, baisser la tête, choisit son moment, et, minute décisive, tire son épée, vise. La bête a fait un mouvement. C’est manqué.




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TORERO ANTONIO REVERTE JIMENEZ



Reverte sourit toujours sous les injures dont le public l’accable. L’épée s’est à demi enfoncée dans le dos du taureau. Il est averti désormais et se méfiera. L’action devient plus périlleuse. Reverte, avec adresse, saisit l’arme par la poignée, la retire sanglante et l’essuie dans un pli du lambeau rouge où elle disparaît. Et le jeu recommence. J’admire le sang-froid de l’homme qui, parmi cette foule irritée, seul, dans celle atmosphère d’orage, demeure impassible et maître de soi. Infatigable, le chiffon rouge se déploie, flotte, ondule, s’arrête soudain, offre une surface immobile à la colère de l’ennemi. Celui-ci hésite. Cette chose qui ne bouge plus là, devant lui, n’a pas de corps. C’est une chose inconsistante et légère qui fuira sous sa corne. Il semble mesurer ses forces et chercher à déjouer les finesses dont il se sent obscurément la dupe. L'étoffe remue, frétille sur le sol. Il la suit du regard. Il semble fasciné par elle. C'est une ruse. Tout à l’heure il va bondir. Cependant l’épée luit. Nouvel éclair. Un geste, une feinte. Et la foule, prête à huer, applaudit avec fureur, car l’arme s'est enfoncée entre les deux épaules, jusqu’à la garde. 



C’est fini. Le taureau oscille un instant, veut aspirer l'air, étouffe et tombe sur le côté, comme une masse. Alors, pendant que des valets d’écurie l’entourent et l’achèvent, parmi les objets qui tombent dans l’arène aux pieds du vainqueur, un chapeau claque fait rire. Il est comique. Il part fermé, franchit l’air, tombe sur le sol et s’ouvre comme un diable. Il était plat en touchant le sable ; il déploie maintenant sa forme cylindrique. Reverte, au hasard, le renvoie à la foule. Celle-ci égayée le lui relance. Cela devient un amusement. Le chapeau part fermé et revient ouvert. Mais la plaisanterie n’est pas du goût du propriétaire qui, en habit, dans une loge, au-dessus du toril, se démène. Je le vois escalader les gradins, venir jusqu’à la barrière qu’il veut enjamber. Là, un agent de police s'interpose, et l'homme après avoir parlementé vainement doit battre en retraite. Toute l'attention est portée sur lui. Son désespoir fait la joie générale. C’est l’intermède inattendu, l'incident de l’entr’acte au cirque, l’emploi d’Auguste tenu sincèrement par un monsieur qui n’a pas payé pour ça, ce qui n'en est que plus drôle. Or, le plus curieux de l’affaire c'est qu'arrivé dans sa loge, il y retrouve son chapeau qui l'attendait, son chapeau qui, au milieu de cette foule de dix mille personnes, par miracle, tranquillement, avait regagné sa place tout seul. 


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PLAZA DE TOROS ET BIDASSOA FONTARRABIE
PAYS BASQUE D'ANTAN

 



A présent une allègre sonorité de fanfare préside au départ du taureau que traînent trois mules harnachées de jaune et de rouge et pourvues de grelots. Ce départ est triomphal. Le sable vole en poussière sur le passage de la lourde bête et les mules galopent joyeusement dans un tintement de grelots et des claquements de fouets."



A suivre...



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lundi 3 juin 2024

VERA DE BIDASOA-BERA EN NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1899

VERA DE BIDASOA EN 1899.


En 1899, la commune de Vera de Bidasoa, en Navarre, comporte environ 2 600 habitants.



pais vasco antes navarra bidasoa
EGLISE VERA DE BIDASOA
NAVARRE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel La Grande revue, le 1er mai 1899, sous la plume de 

Louis de Robert :



"VII Véra



Je me serais reproché d’avoir quitté le pays basque sans avoir vu Véra. C’est un petit village espagnol perdu dans la chaîne des Pyrénées. Comme un objet précieux jeté au fond d’une coupe il repose dans le creux naturel que forment à leur base des monts entrecroisés. Pour s’y rendre c'est assez compliqué, car nombreuses sont les formalisés qu’entraîne le passage d’une voiture sur la route espagnole. De loin en loin, un carabinier, fusil au poing, vous intime l’ordre de vous arrêter. Il faut acquitter un droit de péage. Et, à la porte de Véra, vous devez descendre chez le receveur qui, derrière son bureau, vous interroge comme un juge. Il est grand, très barbu, avec des yeux d'Oriental. Si vous ne parlez pas espagnol et si vous avez l’esprit enclin à la gaîté, la scène ne vous apparaît pas dénuée de comique. Cela peut devenir même du vaudeville par les malentendus qui naissent et la pantomime à laquelle on doit se livrer des deux côtés pour se faire comprendre. Le receveur inscrit sur un registre des indications interminables : vos nom, prénoms, qualités, les nom et adresse du cocher, le nom des chevaux, leur âge, leur taille, leur sexe. Après quoi il vous délivre un laissez-passer que vous payez sept pesetas. Et vous pouvez enfin franchir le seuil de Véra.



pais vasco antes navarra bidasoa
ROUTE DE BEHOBIE A VERA
NAVARRE D'ANTAN



Il faut renoncer à décrire ce vieux village. Les lignes qu’on en pourrait retracer ne feraient pas naître chez le lecteur le sentiment grave et en même temps rêveur qu’il inspire. Il est apaisant. Il vous pénètre l’âme par un charme qui semble venir de loin, de très loin, au delà des objets visibles. Il ouvre en vous comme une multitude de petites portes, et des choses qui dormaient dans l’ombre y sont par la lumière tirées de leur sommeil. Le pas se fait léger sur ses dalles. Il semble qu’insensiblement une force élastique et sûre vous caresse et vous transporte. Et ce que l’on éprouve, à la fois doux et complet, ne se saurait traduire.



Ce n’est pourtant qu’un ensemble de vieilles maisons très simples. Or, à vouloir faire tenir cela dans des mots je sens que toute la grâce s’en échappe. Elle fuit sous la plume comme fuit entre les doigts l’air qu'on voudrait étreindre, l’eau qu’on voudrait saisir. C'est fluide et imprenable. Les formes apparentes ne sont rien. C’est leur expression qui les transfigure. Comment dire, par exemple, l’adorable poésie de deux petits saules qui pleurent sur une vieille fontaine, tout contre un mur d’où tombe une marge d’ombre ? La tristesse de ces deux petits arbres sur cette fontaine, l’atmosphère qui les baigne, le soleil, le mur, la marge d’ombre : autant d’inexprimables choses !... 



pais vasco antes navarra bidasoa
FAUBOURG ILLECUETA VERA DE BIDASOA
NAVARRE D'ANTAN



Aussi n’essaierai-je pas de peindre la beauté de ce coin du monde où vivent des êtres qui sont nés là, y mourront, qui n’ont rien vu d’autre et qu’aucun rêve ne tourmente, de même que je me résigne à ne rendre ici ni la paix, ni le silence, ni la merveilleuse mélancolie de ce lieu où, dans l'ardeur de midi, les maisons semblent mortes, les vieilles maisons toutes ridées, aux fenêtres closes, derrière lesquelles pourtant s’agitent des existences. Avec cela, la couleur des pierres est chose que seuls les villages méridionaux offrent aux yeux du voyageur, nuance si particulière qui tient de la rouille, ton à la fois éteint et chaud et qui, dirait-on, rayonne tout alentour.



Il y a là des murs qu’on regarde avec recueillement, et qu'on écoute aussi, comme on écoule certains vieillards quand ils se racontent. Véra est plein d’ouvertures subites, imprévues, couloirs de ruelles, fuites vers l’horizon, échappées vers de l’espace. De tous côtés à la fois, entre chaque maison, par cette baie, par ce vide, par cette fente, la nature magnifique reparaît, vous sourit, atteste quelle elle est là, s'impose à l'attention. Et il y a surtout un plateau devant l'église, un carré d'herbe, une sorte de terrasse qui domine la place et où l'on découvre le panorama des montagnes, tout un paysage prodigieux de reliefs et d’accidents. Cette terrasse est bordée d’un parapet où l’on s’accoude. Et l’on songe. Les vieilles choses, les vieilles demeures, tout ce qui longtemps enfermé de la vie, tout ce qui en a reçu le contact, jette dans l’âme de l’homme le même sentiment de rêverie. Flacons vides encore imprégnés de l’odeur qu’ils continrent ! On y respire le passé ; on y évoque ce qui n’est plus. Ici, ailleurs, partout, l'impression est la même. Grandes salles du château de Jeanne-la-Folle ! Voitures paralysées d’Hendaye ! Murs de Véra ! Les gens qui se sont assis sur ce parapet, les jambes pendantes, je les vois. Des pères, des fils, des amoureux, des fiancés. Que de promesses s'y sont faites ! Que d'allégresses, que de résignations s’y sont penchées ! Et combien d’étrangers, de curieux ont eu à cette même place cette même songerie ! De tous les gens qui, depuis des siècles, se sont appuyés sur elles, ces pierres ont gardé comme une chaleur vivante. Alors, d’où vient que loin de constater mon passage éphémère dans ce décor durable de la nature, j’aie conscience d’être très vieux, comme ces montagnes, vieux comme les pierres de ce village. Je songe que j’étais en germe dans mon premier ancêtre, que j’ai vécu dans tous les êtres de ma race, que j’en suis le prolongement pour une destinée que j’ignore et qui, peut-être, ira de moi à d’autres êtres en qui je revivrai. A ce moment, comme je me suis retourné machinalement, des lézards qui dormaient près de moi, sur les marches ensoleillées d’un escalier, s’enfuient en frétillant. Quelle indication de paix, de silence et de solitude donne au passant la sécurité d’un lézard ! Une ombre suffit à troubler cet animal timide et fier. A présent, à chaque fissure une petite tête fine apparaît qui m’interroge d’un œil prudent et malicieux. Ainsi les marches de l’escalier semblent tressaillir de vie.



pais vasco antes navarra bidasoa
PLACE VERA DE BIDASOA
NAVARRE D'ANTAN



La porte de l’église est close. Mais, par une partie ajourée, mon regard plonge à l'intérieur. Eclat éteint de l’autel doré, galerie de bois, pénombre et mystère. C’est dans ces vieilles églises que se manifeste la force des religions, et l’incroyant n’a pas envie de sourire devant la trace muette laissée sur ces bancs par des siècles de foi. En ce pays basque surtout, si fidèle à ses traditions, l’église est l’âme du village et sa note dominante. C’est là qu’il faut chercher le secret du caractère d’immutabilité dont on est frappé sur ce sol et la clé des impressions profondes qu'il vous donne. Aussi ne comptais-je pas quitter Véra sans entrer dans ce lieu. Porte close. Prestige des choses entrevues et devinées ! Il me faut bien dire que cela avait son charme. Le bedeau ne devait pas être bien loin. Pour quelques sous il m’eût ouvert. J’avoue que j’ai préféré ne pas me mettre en quête de lui et que la réalité, par suite, n'a pu déranger ni réduire ce que j’ai imaginé au seuil de cette église.




pais vasco antes navarra bidasoa
GRAND AUTEL VERA DE BIDASOA
NAVARRE D'ANTAN



Et voici que j’arrive au bout de ces trop courtes notes, peut-être trop longues au gré du lecteur. Quelques heures de chemin de fer ont mis des distances entre moi et ce pays au charme singulier. La Bidassoa, la rive espagnole, Fontarabie, Hendaye et la ligne des montagnes bleues, tout cela est loin. Je n'ai plus comme horizon que de blanches façades et des toits. Eteints les bruits qui complétaient le paysage, chansons d’insectes, heurts de feuilles, rumeur de la mer, assaut des vagues sous ma fenêtre, vent qui passe. Comme bruit, je n’ai que celui des voilures qui cahotent sur le pavé de la rue. Et je regarde ma page où j’aurais voulu faire revivre tant de rêveries et tant d’émotions. Comment rendre par des mots assez subtils et ingénieusement assemblés tout ce qui me transporta d’allégresse ? Comment verser en des paroles froides tout ce qui me faisait chaud à l’âme ? Les mots m’apparaissent inertes. Je voudrais les rendre palpitants. Je voudrais dire la magie de certaines heures où il ne s’est rien passé, l’enchantement de certains éclairages, le langage du silence et la griserie de l’espace. Je voudrais être clair, être profond, être compris. Je voudrais trouver des nuances fuyantes par lesquelles la mobilité de mes sensations serait traduite ici. Mais elles sont comme ces ailes de papillons qui chatoient dans l’air et ne nous laissent aux doigts quand on les saisit qu'une sorte de cendre incolore. Éveils d’oiseaux, vallées au brouillard lumineux, gaze brillante des matins, tournants de routes, petites mares pensives, attelages lents des bœufs, avec le geste auguste du conducteur, dos courbés de laboureurs, comment restituer cela, comment dire ?...



Je dois me résigner. Et je le fais en songeant que d’autres, meilleurs peintres, sans doute, passeront par là et fixeront en des images définitives ce que je n’ai fait ici qu’indiquer."




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