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lundi 3 juin 2024

VERA DE BIDASOA-BERA EN NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1899

VERA DE BIDASOA EN 1899.


En 1899, la commune de Vera de Bidasoa, en Navarre, comporte environ 2 600 habitants.



pais vasco antes navarra bidasoa
EGLISE VERA DE BIDASOA
NAVARRE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le mensuel La Grande revue, le 1er mai 1899, sous la plume de 

Louis de Robert :



"VII Véra



Je me serais reproché d’avoir quitté le pays basque sans avoir vu Véra. C’est un petit village espagnol perdu dans la chaîne des Pyrénées. Comme un objet précieux jeté au fond d’une coupe il repose dans le creux naturel que forment à leur base des monts entrecroisés. Pour s’y rendre c'est assez compliqué, car nombreuses sont les formalisés qu’entraîne le passage d’une voiture sur la route espagnole. De loin en loin, un carabinier, fusil au poing, vous intime l’ordre de vous arrêter. Il faut acquitter un droit de péage. Et, à la porte de Véra, vous devez descendre chez le receveur qui, derrière son bureau, vous interroge comme un juge. Il est grand, très barbu, avec des yeux d'Oriental. Si vous ne parlez pas espagnol et si vous avez l’esprit enclin à la gaîté, la scène ne vous apparaît pas dénuée de comique. Cela peut devenir même du vaudeville par les malentendus qui naissent et la pantomime à laquelle on doit se livrer des deux côtés pour se faire comprendre. Le receveur inscrit sur un registre des indications interminables : vos nom, prénoms, qualités, les nom et adresse du cocher, le nom des chevaux, leur âge, leur taille, leur sexe. Après quoi il vous délivre un laissez-passer que vous payez sept pesetas. Et vous pouvez enfin franchir le seuil de Véra.



pais vasco antes navarra bidasoa
ROUTE DE BEHOBIE A VERA
NAVARRE D'ANTAN



Il faut renoncer à décrire ce vieux village. Les lignes qu’on en pourrait retracer ne feraient pas naître chez le lecteur le sentiment grave et en même temps rêveur qu’il inspire. Il est apaisant. Il vous pénètre l’âme par un charme qui semble venir de loin, de très loin, au delà des objets visibles. Il ouvre en vous comme une multitude de petites portes, et des choses qui dormaient dans l’ombre y sont par la lumière tirées de leur sommeil. Le pas se fait léger sur ses dalles. Il semble qu’insensiblement une force élastique et sûre vous caresse et vous transporte. Et ce que l’on éprouve, à la fois doux et complet, ne se saurait traduire.



Ce n’est pourtant qu’un ensemble de vieilles maisons très simples. Or, à vouloir faire tenir cela dans des mots je sens que toute la grâce s’en échappe. Elle fuit sous la plume comme fuit entre les doigts l’air qu'on voudrait étreindre, l’eau qu’on voudrait saisir. C'est fluide et imprenable. Les formes apparentes ne sont rien. C’est leur expression qui les transfigure. Comment dire, par exemple, l’adorable poésie de deux petits saules qui pleurent sur une vieille fontaine, tout contre un mur d’où tombe une marge d’ombre ? La tristesse de ces deux petits arbres sur cette fontaine, l’atmosphère qui les baigne, le soleil, le mur, la marge d’ombre : autant d’inexprimables choses !... 



pais vasco antes navarra bidasoa
FAUBOURG ILLECUETA VERA DE BIDASOA
NAVARRE D'ANTAN



Aussi n’essaierai-je pas de peindre la beauté de ce coin du monde où vivent des êtres qui sont nés là, y mourront, qui n’ont rien vu d’autre et qu’aucun rêve ne tourmente, de même que je me résigne à ne rendre ici ni la paix, ni le silence, ni la merveilleuse mélancolie de ce lieu où, dans l'ardeur de midi, les maisons semblent mortes, les vieilles maisons toutes ridées, aux fenêtres closes, derrière lesquelles pourtant s’agitent des existences. Avec cela, la couleur des pierres est chose que seuls les villages méridionaux offrent aux yeux du voyageur, nuance si particulière qui tient de la rouille, ton à la fois éteint et chaud et qui, dirait-on, rayonne tout alentour.



Il y a là des murs qu’on regarde avec recueillement, et qu'on écoute aussi, comme on écoule certains vieillards quand ils se racontent. Véra est plein d’ouvertures subites, imprévues, couloirs de ruelles, fuites vers l’horizon, échappées vers de l’espace. De tous côtés à la fois, entre chaque maison, par cette baie, par ce vide, par cette fente, la nature magnifique reparaît, vous sourit, atteste quelle elle est là, s'impose à l'attention. Et il y a surtout un plateau devant l'église, un carré d'herbe, une sorte de terrasse qui domine la place et où l'on découvre le panorama des montagnes, tout un paysage prodigieux de reliefs et d’accidents. Cette terrasse est bordée d’un parapet où l’on s’accoude. Et l’on songe. Les vieilles choses, les vieilles demeures, tout ce qui longtemps enfermé de la vie, tout ce qui en a reçu le contact, jette dans l’âme de l’homme le même sentiment de rêverie. Flacons vides encore imprégnés de l’odeur qu’ils continrent ! On y respire le passé ; on y évoque ce qui n’est plus. Ici, ailleurs, partout, l'impression est la même. Grandes salles du château de Jeanne-la-Folle ! Voitures paralysées d’Hendaye ! Murs de Véra ! Les gens qui se sont assis sur ce parapet, les jambes pendantes, je les vois. Des pères, des fils, des amoureux, des fiancés. Que de promesses s'y sont faites ! Que d'allégresses, que de résignations s’y sont penchées ! Et combien d’étrangers, de curieux ont eu à cette même place cette même songerie ! De tous les gens qui, depuis des siècles, se sont appuyés sur elles, ces pierres ont gardé comme une chaleur vivante. Alors, d’où vient que loin de constater mon passage éphémère dans ce décor durable de la nature, j’aie conscience d’être très vieux, comme ces montagnes, vieux comme les pierres de ce village. Je songe que j’étais en germe dans mon premier ancêtre, que j’ai vécu dans tous les êtres de ma race, que j’en suis le prolongement pour une destinée que j’ignore et qui, peut-être, ira de moi à d’autres êtres en qui je revivrai. A ce moment, comme je me suis retourné machinalement, des lézards qui dormaient près de moi, sur les marches ensoleillées d’un escalier, s’enfuient en frétillant. Quelle indication de paix, de silence et de solitude donne au passant la sécurité d’un lézard ! Une ombre suffit à troubler cet animal timide et fier. A présent, à chaque fissure une petite tête fine apparaît qui m’interroge d’un œil prudent et malicieux. Ainsi les marches de l’escalier semblent tressaillir de vie.



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PLACE VERA DE BIDASOA
NAVARRE D'ANTAN



La porte de l’église est close. Mais, par une partie ajourée, mon regard plonge à l'intérieur. Eclat éteint de l’autel doré, galerie de bois, pénombre et mystère. C’est dans ces vieilles églises que se manifeste la force des religions, et l’incroyant n’a pas envie de sourire devant la trace muette laissée sur ces bancs par des siècles de foi. En ce pays basque surtout, si fidèle à ses traditions, l’église est l’âme du village et sa note dominante. C’est là qu’il faut chercher le secret du caractère d’immutabilité dont on est frappé sur ce sol et la clé des impressions profondes qu'il vous donne. Aussi ne comptais-je pas quitter Véra sans entrer dans ce lieu. Porte close. Prestige des choses entrevues et devinées ! Il me faut bien dire que cela avait son charme. Le bedeau ne devait pas être bien loin. Pour quelques sous il m’eût ouvert. J’avoue que j’ai préféré ne pas me mettre en quête de lui et que la réalité, par suite, n'a pu déranger ni réduire ce que j’ai imaginé au seuil de cette église.




pais vasco antes navarra bidasoa
GRAND AUTEL VERA DE BIDASOA
NAVARRE D'ANTAN



Et voici que j’arrive au bout de ces trop courtes notes, peut-être trop longues au gré du lecteur. Quelques heures de chemin de fer ont mis des distances entre moi et ce pays au charme singulier. La Bidassoa, la rive espagnole, Fontarabie, Hendaye et la ligne des montagnes bleues, tout cela est loin. Je n'ai plus comme horizon que de blanches façades et des toits. Eteints les bruits qui complétaient le paysage, chansons d’insectes, heurts de feuilles, rumeur de la mer, assaut des vagues sous ma fenêtre, vent qui passe. Comme bruit, je n’ai que celui des voilures qui cahotent sur le pavé de la rue. Et je regarde ma page où j’aurais voulu faire revivre tant de rêveries et tant d’émotions. Comment rendre par des mots assez subtils et ingénieusement assemblés tout ce qui me transporta d’allégresse ? Comment verser en des paroles froides tout ce qui me faisait chaud à l’âme ? Les mots m’apparaissent inertes. Je voudrais les rendre palpitants. Je voudrais dire la magie de certaines heures où il ne s’est rien passé, l’enchantement de certains éclairages, le langage du silence et la griserie de l’espace. Je voudrais être clair, être profond, être compris. Je voudrais trouver des nuances fuyantes par lesquelles la mobilité de mes sensations serait traduite ici. Mais elles sont comme ces ailes de papillons qui chatoient dans l’air et ne nous laissent aux doigts quand on les saisit qu'une sorte de cendre incolore. Éveils d’oiseaux, vallées au brouillard lumineux, gaze brillante des matins, tournants de routes, petites mares pensives, attelages lents des bœufs, avec le geste auguste du conducteur, dos courbés de laboureurs, comment restituer cela, comment dire ?...



Je dois me résigner. Et je le fais en songeant que d’autres, meilleurs peintres, sans doute, passeront par là et fixeront en des images définitives ce que je n’ai fait ici qu’indiquer."




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