LA MODE À BIARRITZ EN 1859.
La ville de Biarritz, en 1858, compte un peu plus de 2 000 habitants et est administrée par un Maire Bonapartiste, Jean-Henri Adéma.
Voici ce que rapporta à ce sujet l'hebdomadaire Le Monde illustré, le 3 septembre 1859 :
"Causerie de la mode.
L'empereur et l'impératrice sont encore aux bains de Saint-Sauveur ; mais on les attend prochainement à Biarritz, et déjà cette plage sauvage et grandiose de la Gascogne est peuplée d'une foule élégante.
Biarritz est un vieux village qui date du onzième siècle. Des harponneurs basques poursuivirent des baleines dans le golfe de Gascogne.
Autour du port vieux de Biarritz étaient alors de vastes hangars où s'entassaient les tonnes d'huile, les fanons et tous les produits de la grande pêche. Biarritz était riche et payait une dime à l'évêché de Bayonne ; mais un jour les baleines incessamment pourchassées émigraient vers le Nord ; insensiblement la pêche cessa.
Un château du treizième siècle flanqué de tours, dominait le port et le défendait. Il n'en reste aujourd'hui que quelques vestiges. La mer détruisit le vieux port abandonné. Biarritz ne fut plus qu'un misérable hameau habité par quelques pauvres familles ; au lieu de nombreuses galères rouvertes de rameurs qui servaient à la pêche des baleines on ne vit plus sur le rivage que cinq ou six petites barques. Une baraque en bois où l'on vendait de la bière offrait l'hospitalité aux baigneurs.
ATALAYE BIARRITZ 1852 ALBUM DES 2 FRONTIERES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Mais tout à coup la mode des bains de mer ranima Biarritz. D'abord de jolies maisons se dressèrent sur le rivage, puis des villas, puis de vastes auberges, des bazars, des cafés, un splendide Casino, puis sur la plage la riante construction à minarets indous où les baigneuses font leur toilette, enfin à côté le petit pavillon de bain de l'impératrice et plus loin la calme villa Eugénie, cet Osborne français de la famille impériale.
Le soleil se couchait à l'horizon et rougissait les vagues de la mer lorsque je suis arrivée à Biarritz. C'est l'heure de la promenade du soir ; une foule d'équipages se croisent sur ce chemin sable qui domine la mer.
Dans une calèche découverte passent le comte et la comtesse de Morny, dans une autre, l'ambassadeur de Prusse et sa fille ; dans une troisième, le comte Walewski, sa femme et leurs enfants ; dans une quatrième, les princesses Vogoridès et Galitzine. Ces dames sont parées comme pour une promenade au bois de Boulogne, seulement elles portent toutes le charmant chapeau si seyant aux ailes retroussées du règne de Louis XIII ; sur ces chapeaux en paille d'Italie ou en paille anglaise, bordés de velours noir ou de couleur, flottent de longues plumes que la brise de la mer fait onduler en tous sens. On reconnaît dans ces coiffures si gracieuses la main de fée d'Alexandrine.
A mesure que j'avance, la petite cité m'apparaît toute illuminée, joyeuse et bruyante. Ma voiture s'arrête devant l'hôtel de France ; sur l'étroite place où il est situé se presse une foule compacte, riant, criant, gesticulant, chantant et gambadant ; ce sont des boutiques en plein vent de jouets d'enfants, de macarons, de chocolats et d'autres friandises ; des baraques où l'on tire des loteries, des danseurs basques et espagnols, des Africains d'Alger, brûlant des pastilles du sérail, des chanteurs, des joueurs d'orgue et de vielle, et le croisement des idiomes mêlés du Midi aux sons aigus et tantôt graves ; enfin, comme fond du tableau à tous ces bruits et à tout ce mouvement, le grand bruit et l'incommensurable agitation de la mer : on eût dit la belle scène vivante du premier acte de la Muette de Portici.
CÔTE DES FOUS ET BAINS NAPOLEON BIARRITZ 1852 ALBUM DES 2 FRONTIERES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le Casino de Biarritz est immense, la terrasse qui flanque sa façade se déroule sur la mer. Ce vaste édifice du Casino renferme des salons de lecture et de conversation ; une salle de billard, une salle de concert et une très jolie salle de spectacle où la troupe du grand théâtre de Bordeaux vient souvent donner des représentations.
CASINO BELLEVUE BIARRITZ PAYS BASQUE D'ANTAN |
Du Casino on descend dans la grande rue de Biarritz où le café de Madrid attire les promeneurs par ses délicieux sorbets et son exquis chocolat d'Espagne ; puis on s'arrête au bazar turc dont la porte, en forme de minaret, est illuminée par des guirlandes de lanternes chinoises. Ce bazar semble gardé par deux femmes, l'une turque et l'autre persane, revêtues de leurs splendides costumes orientaux. Ce sont deux mannequins grands comme nature, l'un venant de Constantinople et l'autre de Téhéran. Leur teint est bistré ; leur petite bouche peinte de carmin ; leurs longs yeux noirs aux cils frangés sont encore allongés par des couches de henné ; sur leur front bas ondulent des cheveux luisants, nattés sous le fer, ou flottants sous un voile brodé d'or que fixe à la tête une épingle en filigrane ; des pendeloques s'agitent à leurs jolies oreilles ; leurs mains effilées ont des ongles roses et des bagues chatoyantes. On dirait que ces deux mannequins vivent et pensent ; leur costume est superbe : chaque objet de ce ruineux ajustement est une tentation pour les femmes de l'Orient, surtout ces belles vestes flottantes en velours noir ou nacarat brodées d'or et de perles, et ces babouches éclatantes où se cache un pied paresseux. Autour de ces deux belles orientales qui fument le narguillé d'ambre s'étalent, pressées et resplendissantes, toutes les dépouilles des harems.
C'est à Alger, à Tunis, à Constantinople, à Damas et parfois jusqu'à Téhéran que M. Petit, propriétaire du bazar turc, va tour à tour recueillir ces objets charmants et somptueux qui composent le costume des femmes musulmanes. Quelle variété dans ces bijoux en sequins, en pierreries, en émail, en filigranes, en ambre et en pâtes odorantes ! Quelle splendeur dans ces tissus, chemises, pantalons turcs, vestes, mouchoirs, écharpes, voiles, burnous ! Quelle fantaisie dans ces fez, ces turbans, ces pantoufles, ces bourses, ces portefeuilles, ces sacs à tabac, ces boîtes à parfums, ces coffrets à fard tantôt en bois de santal, tantôt en ébène incrusté de nacre et d'argent !
Tout cela garde une odeur étrange et pénétrante, une senteur ambrée de femme esclave qui ne songe qu'à se parer, faire l'amour, fumer et dormir. Les vitrines du bazar turc, à Biarritz, recèlent les brillants vestiges de la mode turque, qui disparaît chaque jour envahie par la mode française. Tandis que les femmes orientales nous font des emprunts maladroits, nous leur enlevons, nous, leurs plus attrayantes fantaisies de toilette. Il n'est pas une élégante Parisienne qui n'ait adopté pour coin de feu une de ces vestes merveilleuses dont j'ai parlé ; pas une qui, en sortant du bal ou du théâtre, ne se drape comme une statue antique dans un de ces souples burnous aux plis ruisselants. Chaque soir le bazar turc, à Biarritz, est un but de promenade où se rencontrent les femmes du grand monde qui donnent le ton à la mode dans toutes les capitales de l'Europe, et qui viennent là chercher quelque combinaison ou quelques détails de parure qu'elles innoveront aux fêtes de l'hiver suivant.
BIARRITZ VUE DU PIED DU PHARE 1852 ALBUM DES 2 FRONTIERES PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il y a eu cette semaine bal et concert au Casino, et tout le luxe parisien a été déployé pour ces deux fêtes. Les jeunes femmes et les jeunes filles sont arrivées enveloppées dans les plus riches burnous choisis au bazar turc.
Mais on rejette le burnous, et les robes les plus fraîches et les plus nouvelles, expédiées à Biarritz par la maison Fauvet, se montrent aux regards charmés. Les gazes, les taffetas, les dentelles, les tulles et les rubans, s'harmonient dans les garnitures des jupes et les ornements des corsages. La maison Fauvet excelle dans ces agencements qui font une chose d'art d'une façon de robe.
Mme Tilman avait envoyé ses plus riantes parures de fleurs et ses coiffures inimitables pour ces deux fêtes du Casino. Ses nœuds princesse-Clotilde ont fait fureur. Nous en avons remarqué en plumes et en fleurs d'une élégance sans pareille. Une jeune Anglaise portait à la soirée du concert la couronne grande duchesse en nattes de velours et étoiles d'or qui est aussi une des créations de Mme Tilman. Puis c'était pour deux sœurs deux couronnes en roses thé et en petites cerises brunes ; deux autres, en ne m'oubliez pas et en roses pompons enlacés ; une, en lierre avec des raisins d'or ; une autre, en fleurs de grenades et jasmins d'Espagne. Mais c'est pour les fêtes qui seront prochainement données à la villa Eugénie, que Mme Tilman prépare des merveilles. Déjà elle a expédié à Biarritz, pour deux dames de l'impératrice, deux modèles de sa couronne Magenta et de sa couronne Solferino. Ne déflorons pas ces deux nouveautés, encore inédites, en les décrivant : nous y reviendrons plus tard.
VUE GENERALE DE BIARRITZ 1852 ALBUM DES 2 FRONTIERES PAYS BASQUE D'ANTAN |
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