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dimanche 16 juin 2024

LE TRAGIQUE DESTIN D'EUSKADI EN AOÛT 1938 (cinquième partie)


LE TRAGIQUE DESTIN D'EUZKADI EN 1938.


La guerre civile espagnole, du 17 juillet 1936 au 1er avril 1939, contraint plusieurs centaines de milliers de Républicains et de Basques à l'exil dans le monde entier.


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EXIL A HENDAYE SEPTEMBRE 1936



Je vous ai parlé dans un article précédent de la quatrième publication de Pierre Dumas, au 

sujet des Basques dans la guerre civile espagnole.



Voici ce que rapporta Pierre Dumas, dans le quotidien La Petite Gironde, dans un cinquième 

article, le 30 Août 1938 :



"Le tragique destin d’Euskadi.

IV. — Un peuple en exil par Pierre Dumas.



C’est dans les épreuves que les individus, les peuples et les gouvernements donnent leur mesure.



Or. bien rares dans l’Histoire sont les groupements humains qui aient offert de plus beaux exemples de solidarité et d’esprit d'organisation que les Basques obligés d’abandonner leurs provinces espagnoles. On peut dire que jamais on ne vit un "exil mieux organisé". 



Dés que les revers militaires eurent commencé et, avec eux, les bombardements systématiques des villes et des villages, le gouvernement d'Euskadi n’eut qu’une idée : sauver les non-combattants, en commençant par les vies les plus précieuses, celles des enfants, puis celles des femmes, et enfin des vieillards. 



Au fur et à mesure que les événements pressaient, on évacue les populations valides, puis les soldats, et enfin le gouvernement qui partit avec les derniers. 



Si, pendant le gros afflux, il y eut embouteillage dans les ports français, le début de l’exode se fit avec méthode. Au commencement, surtout, des délégués du Pays Basque vinrent en France pour y louer des établissements inutilisés et y installer les fugitifs. 



Le Gouvernement.



Voici prés d’un an que l'émigration des 200 000 Basques est faite et que le gouvernement d’Euskadi est à l'étranger. 



Le siège de ce gouvernement — qui demeure autonome — est à Barcelone. Les Basques avaient jusqu'au dernier remaniement ministériel un délégué, M. Irujo, au sein du gouvernement républicain, mais leur ministère était totalement Indépendant. 




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MANUEL DE IRUJO OLLO



M. Aguirre, président de l’Etat d'Euskadi, se considère comme le représentant de tous les Basques espagnols, où qu’ils se trouvent, et il est effectivement reconnu par la quasi-unanimité de ses compatriotes. 



Certes, ses sujets sont effroyablement dispersés et placés dans des positions bien diverses. En effet, le gouvernement d’Euskadi s'occupe d'abord des 130 000 Basques émigrés dans la région de Barcelone : combattants, ouvriers agricoles ou familles ; puis, il s'occupe des 70 000 émigrés qui se trouvent en France, Belgique, Angleterre, Suisse, Scandinavie, Russie, etc., et aussi de ceux — très nombreux, hélas ! — qui se sont réfugiés dans les Républiques sud-américaines. Enfin, bien que n'ayant presque pas de rapports avec la zone de Franco, le gouvernement d'Euskadi considère comme étant ses sujets ceux qui vivent — suivant son expression — en captivité.


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AFFICHE ANGLAISE DEMANDANT DE L'AIDE
POUR LES ENFANTS BASQUES 1937


Et ne croyez pas que l'autorité du gouvernement d'Euzkadi soit seulement théorique et de principe. Comme tous les gouvernements, il s'occupe de l'orientation, du travail, de la répartition de ses ressortissants, de leur démêlés avec les administrations des pays où ils vivent. Il a organisé des centres de triage ou d'hébergement dans lesquels les arrivants ou les récupérés attendent qu'on leur désigne un lieu de séjour adapté à leurs besoins ou à leurs aptitudes.



Il a créé des colonies d'enfants, des orphelinats, des ateliers d'apprentissage.



Le ministre de l'instruction publique répartit, partout où existent des colonies basques (en zone gouvernementale ou à l'étranger), des instituteurs et institutrices pour l'instruction primaire, des prêtres pour l'organisation du culte, des professeurs pour les centres intellectuels. 



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LIVRE LA CITADELLE DE TXOMIN HIRIART-URRUTY


Les ministres du ravitaillement, de l'agriculture, de la justice, ont chacun leurs attributions qui ne sont pas des sinécures. 



Enfin, le ministre des finances n’a pas la tâche la moins ardue. Il gère les biens du gouvernement qu’on a pu emporter — et la fortune est considérable. Il sollicite et reçoit les dons généreux des Basques à qui leur situation privilégiée ou leur travail permettent de secourir leurs frères malheureux. La solidarité basque n'est pas un vain mot. En voici un exemple entre cent : Un Basque, depuis longtemps émigré en Amérique, et lui-même sujet américain, a adopté une cinquantaine d'enfants que, par ses seules ressources, il loge, nourrit, instruit et élève... tout le temps qu’il faudra. Sa générosité est trop discrète pour que je me permette de citer son nom. Mais son exemple n'est-il pas caractéristique ? 



Le ministre des finances, s’il reçoit et gère la fortune du gouvernement, est aussi légalement —- et dans une mesure égale — un répartiteur. 



Si les Basques exilés ont accepté et acceptent encore l'aide de comités, ils entendent ne rien demander aux gouvernements des pays dans lesquels ils vivent. Ce sont les Basques qui font, avec leurs propres ressources, vivre leurs oeuvres et secourent leurs "nationaux". En un temps où tant d’émigrés subsistent aux dépens des pays d'accueil, il était bon, n'est-ce pas, de souligner cette dignité. 



La Roseraie.



L'oeuvre qui, à mon avis, constitue le meilleur exemple de l'esprit d'organisation des Basques est celle dite de "La Roseraie". 



Aux portes de Biarritz, sur une colline fameuse pour son panorama et pour son site sauvage, un casino-hôtel avait été  dressé avec tout le confort moderne... au temps de la prospérité. C'était "La Roseraie" d'Ilbaritz.



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ILBARRITZ CASINO ROSERAIE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Mais la crise avait fermé ce palais enchanteur. Devenu vide, les Basques l’ont loué pour y installer un très moderne centre médical. D’abord centre opératoire pour les blessés, puis école de rééducation... mais aussi, maintenant, clinique pour tous les réfugiés euzkadiens d’où qu’ils viennent, maison d’accouchement, hôpital de cure, etc... 



Des chiffres donneront une idée du "travail médical" réalisé d’août 1937 à juillet 1938. Opérations sur des blessés de guerre, 517. Opérations sur des réfugiés civils, 122. Naissances, 28. 



L’hôpital abrite maintenant 240 pensionnaires dont 209 blessés. 



Je ne parlerai pas du côté technique de cette œuvre. Tout y est parfait, depuis la salle d’opérations jusqu’à la moindre chambre de malades. Je veux seulement dire l'atmosphère de confiance joyeuse qui règne parmi ces blessés dont plus de trente sont amputés d’un membre, parmi ces infirmières, dont quelques-unes appartiennent aux plus grandes familles de Saint-Sébastien, parmi ces femmes qui donnent le jour à de pauvres petits exilés ! Tous, après des "coups durs" tragiques, se réadaptent à la vie. 



N’ai-je pas vu, tout à l’heure, deux manchots et un unijambiste jouer à la pelote sur le magnifique fronton et réussir leurs coups bien mieux que beaucoup de profanes ayant tous leurs moyens. 



Miracle de "La Roseraie" ! Qui eût dit, quand on a construit ces murs somptueux, qu’ils abriteraient, un jour, au lieu des millionnaires étrangers qu'on y attendait, des mutilés exilés et pauvres... et que dans l'appartement occupé, jadis, par le banquier, trop fameux Staviskv, des épaves viendraient récupérer la santé et attendre, dans le silence et la prière des jours meilleurs pour leur patrie. 



L'art exilé.



Mais l'extraordinaire — je peux dire l’unique — puissance d’esprit des Basques, je l’ai trouvée dans le fait que, malgré l’exil et les douleurs, ils sont demeurés ce que Taine les connut : "Un peuple qui chante et qui danse au pied, des Pyrénées".



Il n’est pas une colonie, pas un refuge, pas un orphelinat, pas un hôpital, pas un camp de travailleurs, qui n'ait vu se créer des groupements artistiques, qui sans moyens techniques ni financiers, sont arrivés à la perfection artistique, dès les débuts. 



L’un d'eux, Eresoinka, a obtenu, à Paris, salle Pleyel, puis à Bruxelles, à Londres, des succès comme aucune chorale, ni aucun ballet n’en récolta. Ce groupe est déjà célèbre et doit venir à Bayonne, en septembre, pour deux représentations exceptionnelles et peut-être aussi à Bordeaux. 



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GROUPE ERESOINKA 1937
PAYS BASQUE D'ANTAN


Les danseurs Alaï-Alaï, de Guernica, ont également leur originalité et ont connu la vedette. 




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ELAI ALAI PAYS BASQUE 1937



Pour ma part, il m’a été donné d’entendre l'"Orphéon des Blessés d’Euzkadi", formé avec des convalescents de "La Roseraie". Jamais, je n'ai vu masse chorale plus émouvante, avec, au premier plan, ses mutilés et ses infirmes. Jamais non plus je n'entendis ensemble plus homogène, plus harmonieux, plus nuancé. 



C’est que le répertoire de ces Basques n’est pas banal. Chansons et danses expriment toute l’âme de ce peuple, simple, religieux, patriote, fier d’un passé unique et gonflé d’espérances. Ces gens ne chantent pas dans le but de caresser leurs oreilles avec des mélodies ; ils ne dansent pas pour le plaisir de leurs sens... Non, ils chantent et dansent pour qu’en eux leur pays vive et s’exalte et pour qu’en voyant leurs ébats et en entendant leurs chants de religion, d’amour ou de guerre, leurs auditeurs rendent témoignage qu’Euzkadi est un grand peuple.



Travail.



Je vous ai montré le sens d'organisation des Basques, et qu'ils ont emporté avec eux, leur gouvernement, leur religion, leurs coutumes, leur volonté de demeurer eux-mêmes. J’aurais voulu — mais que de chapitres il faudrait — vous présenter aussi ceux qui ont pu, sans gêner la main-d'œuvre française, se procurer du travail. Au nombre de 4 000, ils s’acharnent à un travail que les Français ont reconnu trop dur : le défrichement de nos landes incendiées. Quel spectacle ! Toutes classes mêlées, avocats et paysans, docteurs en médecine et boutiquiers, sous le soleil de feu ou sous la pluie, ils bouleversent, pour le féconder, le sol de chez nous.



Travailleurs uniques, l'Amérique les connaît bien puisqu'elle les attire chez elle en leur octroyant avantages et concessions. La France ne pourrait-elle pas, en ces temps où ses campagnes se dépeuplent, avec ces paysans durs au travail, vigoureux, repeupler ses villages ?



C’est un problème à soulever. En attendant que l’Etat et les particuliers s’en occupent, admirons au pas sage ces hommes qui campent en France en attendant la fin de leurs maux, ces Basques si proches de nous par tous leurs sentiments. 



Il est écrit dans un de leurs proverbes : "Là où se trouve un Basque, est la patrie". Ces gens ont vraiment emporté leur patrie dans leur cœur.



Elle s’est attachée, douloureuse, mais, bien vivante, à la semelle de leurs souliers."



A suivre...






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