LE TRAGIQUE DESTIN D'EUSKADI EN 1938.
La guerre civile espagnole, du 17 juillet 1936 au 1er avril 1939, contraint plusieurs centaines de milliers de Républicains et de Basques à l'exil dans le monde entier.
EXIL A HENDAYE SEPTEMBRE 1936 |
Je vous ai parlé dans un article précédent de la troisième publication de Pierre Dumas, au sujet
des Basques dans la guerre civile espagnole.
Voici ce que rapporta Pierre Dumas, dans le quotidien La Petite Gironde, dans un quatrième
article, le 28 Août 1938 :
"Le tragique destin d’Euskadi.
IV. — Une résistance héroïque par Pierre Dumas.
Ni avec les rouges, ni avec Franco, telle était donc, le 18 juillet 1936, la position des nationalistes basques.
Comme pour bien marquer la réalité de ce fait, le Pays Basque, assiégé dès le début par les armées de Mola, n’entra en rapport avec le gouvernement de Madrid qu’un mois après le début des hostilités.
De plus, pendant la longue année de leur résistance, les Basques luttèrent à peu près seuls, tant par leur gouvernement que par leurs armées.
On peut dire que la guerre civile leur apporta — avec d’immenses douleurs — un gouvernement bien à eux et une armée nationale... l’autonomie en un mot.
Le gouvernement.
Le 1er octobre 1936, les Cortès, réunis à Madrid, proclament le statut basque.
Dès le 7 octobre, le peuple se réunit à Guernica dans l’enthousiasme et l’allégresse. La foule, l’ambiance, les lieux vénérés, la "Casa de Juntas", l’arbre légendaire, tout cela indique bien que, malgré les malheurs, Euzkadi ressuscite.
ARBRE DE GUERNICA BISCAYE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Dans un large esprit de tolérance, qui est à la base même du tempérament basque, un ministère est constitué avec cinq nationalistes, trois socialistes, deux républicains, un communiste.
Depuis deux ans qu’existe ce ministère, deux membres seulement y manquent : le docteur Espinosa, nationaliste catholique fusillé par Franco, et le communiste Juan Astigarrabia, qui rejoignit Valence.
Toutes les décisions de ce gouvernement, de recrutement si divers, dans la guerre comme dans l’exil, furent toutes, sans exception, même celles qui concernent le culte, prises à l’unanimité.
Dominant ce ministère de sa haute autorité, M. J.-Antonio Aguirre, qui assuma, avec la direction générale, le ministère de la guerre, présida aux destins d’Euzkadi. Renouant la tradition séculaire, en ce même jour d’octobre 1936, il s’avança au milieu de la multitude réunie à Guernica, et renouvela l’antique serment : "Incliné devant Dieu, debout sur la terre basque, et sous le chêne de Guernica, en invoquant la mémoire des aïeux, je jure de remplir mon mandat avec une entière fidélité".
Moins d’un an à peine après le triomphe de Guernica, cette ville sainte était détruite de fond en comble et le gouvernement basque vaincu s’exilait suivi de son peuple.
A peine ressuscitée, Euzkadi payait cruellement son salut.
La guerre.
La lutte — on peut même dire l’assaut incessant des armées Franco — dura un an presque jour pour jour. Il n’est pas sans intérêt de constater qu’en cette guerre, la valeur militaire des Basques se maintint à la hauteur de sa vieille réputation, ce qui ne diminue pas, au contraire, la valeur de leurs adversaires.
On peut diviser en trois grandes périodes la conquête par Franco du Pays Basque, qui ne lâcha son sol qu’en le défendant pied à pied :
1. La conquête du Guipuzcoa ;
2. l’avance sur Bilbao et la prise de cette ville ;
3. la retraite basque sur Santander.
La conquête du Guipuzcoa est la période la plus "saine" de la guerre d’Espagne. Ce sont des requêtes et des phalangistes — sans Allemands ni Italiens — et avec seulement quelques Africains, qui mènent le combat. Certes, l'armement de Franco est bien supérieur à celui des Basques. Ceux-ci, en plus de quelques mitrailleuses, trouvées dans les casernes, sont obligés de mobiliser les fusils de chasse. Cependant, il faut deux mois à l’armée de Burgos pour conquérir le Guipuzcoa.
Après un long temps d’arrêt et de préparation, commence, en avril 1937, la deuxième période, la conquête de Biscaye. Elle fut, de la part des Basques, une héroïque résistance, dont on peut dire que, dans l’histoire de ce peuple, elle pourra être comparée aux plus glorieuses pages de jadis. Certains journaux français, mal informés ont jeté sur les Basques les plus indignes soupçons. Déjà l’histoire a redressé bien des calomnies. On n’ose plus dire, par exemple, que Guernica fut détruite par les Basques eux-mêmes. Pour anéantir cette légende, dont la vie fut tenace, il fallait non seulement les témoignages du maire, des prêtres, des enfants et des femmes victimes, mais il fallut encore publier les photos des bombes allemandes non éclatées et les témoignages de quatre aviateurs également allemands faits prisonniers après que leur avion eut été abattu. Ce sont les Allemands qui ont lancé par le monde ces mensonges.
Pour ma part, j’ai interrogé des blessés, des infirmières et de nombreux enfants, de 7 à 15 ans, dont les témoignages et l’accent de sincérité ne peuvent laisser aucun doute.
Je ne reviendrai donc pas sur cette calomnie, que les Basques auraient détruit ou laissé détruire leur ville sainte.
Mais il est une autre légende qu’il importe de mettre au point : "Les Basques, a-t-on chuchoté, n'auraient pas résisté courageusement aux armées de Franco".
Ici, plus peut-être qu'en aucun autre chapitre, il importe d’apporter des documents irréfutables et de démontrer que les Basques n’ont succombé qu’à un armement formidable conjugué avec l’avalanche des troupes italiennes.
L’armement ? Prenons les chiffres officiels publiés par le journal de Franco paraissant à Bilbao, "la Gaceta del Norte", du 21 janvier 1938.
L’armée de Franco disposa de cent trente-huit appareils, soit : quarante-huit de chasse, trente-six de reconnaissance, quarante-huit de grand bombardement, six de bombardement léger. C’est sur ce secteur que furent utilisés pour la première fois contre des "objectifs vivants" les appareils allemands Dornier 17, montés par des pilotes également allemands.
AVION NAZI DORNIER 17 |
En quatre-vingts jours ces appareils lancèrent 162 000 bombes d’un poids total de trois tonnes, ce qui suppose une moyenne de 2 000 bombes par jour, d’un poids total, de 3 000 kilos. Ces avions tirèrent des balles de mitrailleuses par millions et en nombre tel qu’il ne put être évalué.
BOMBARDEMENT DE DURANGO 31 MARS 1937 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Tels sont les chiffres de "la Gaceta del Norte"», mais un aviateur italien, fait prisonnier sur ce front, estime que les appareils employés pour l’attaque de la Biscaye s’élèvent à deux cent dix.
On n’a pas de chiffres officiels pour l’artillerie. Un général français, dans une étude récente, évalue les canons de tout calibre employés par les armées de Franco, dans cette offensive, à neuf cents environ.
Récapitulons en prenant les chiffres officiels les plus bas : 138 avions modernes, 900 canons.
Qu’ont les Basques, en face de cet armement ? Dix-sept avions, dont trois inutilisables, et 93 canons.
AFFICHE OFFENSIVE POUR EUZKADI PAYS BASQUE D'ANTAN |
Je prie les anciens combattants de la Grande Guerre de me dire s’ils savent ce que représente d’héroïsme une résistance sous un déluge de fer venu de l’artillerie et déversé du ciel par des avions volant parfois à vingt mètres au-dessus des tranchées et d’autant plus audacieux qu’ils sont, pratiquement, les seuls maîtres du ciel.
Malgré cela, l’armée Franco mit quarante et un jours à parcourir les quarante-deux kilomètres qui séparaient ses points de départ (Otxandiano), de Bilbao. La même armée mit deux mois et trois jours à parcourir les trois cents kilomètres qui séparent Castro Urdiales et Avilès.
Ce n’est pas seulement par un héroïsme acharné que les Basques se distinguèrent, mais aussi par une très habile tactique. A un certain moment, une attaque de flanc organisée par l’armée basque fit reculer l’armée Mola qui s’était trop aventurée.
Pendant cette période, le Pays Basque étant cerné et les journalistes étant peu nombreux, les actions des troupes du président Aguirre ne sont pas arrivées au grand public. Il y eut, cependant des faits d’armes qui compteront parmi les plus glorieux, tels que, par exemple, la double reprise du mont Sollube, la sextuple reconquête du mont Bizkargui, ou encore les derniers et désespérés combats aux portes de Bilbao.
Comme cette ville était attaquée par les requetes au mont Archanda et par les Italiens à l’embouchure du Nervion, le gouvernement basque comprit que son ennemi tentait une grande manœuvre d’encerclement destinée à capturer dans la ville les troupes et les civils. Le commandement de Bilbao donna l’ordre à ses hommes de tenir coûte que coûte jusqu’à l’évacuation. A peine cette décision était-elle prise qu’on put voir, du centre même de Bilbao, les soldats basques repartir à l’assaut du mont Archanda, et, l’ayant réoccupé, y planter leur drapeau.
BILBAO VUE D'ARCHANDA BISCAYE D'ANTAN |
Cette opération décisive permit l’évacuation de tout Bilbao par trois ponts de fortune.
Telle fut la guerre des Basques. Inégale et cruelle... prolongée, hélas ! par la calomnie ou par l'incompréhension, mais combien méritoire et digne de respect.
Après la défaite, après ce qu’on nomme au Maroc le "baroud d’honneur", c’est-à-dire le dernier combat sous les murs de Santander, il ne restait plus au gouvernement qu’à s’en aller sur les terres d’exil.
SANTANDER 1937 |
Avec Aguirre, partit l’immense troupeau de plus de 200 0000 réfugiés. Ainsi, sur les 900 000 personnes que comptent les trois provinces, près d’un quart ont préféré l’exil à un autre gouvernement.
EXIL DE REFUGIES GUERRE CIVILE ESPAGNOLE PAYS BASQUE D'ANTAN |
C’est la grande dispersion. Hélas ! au pays Basque, l’inventaire n’est pas près d’être terminé de tout ce qu’aura coûté à ce peuple la guerre civile dont il ne voulait pas.
Des villages, des villes sont anéanties, des milliers de maisons sont maintenant des ruines, des églises, par centaines, sont aujourd’hui des décombres.
Mais voici plus navrant encore.
Sept mille combattants ou victimes des bombardements sont tombés, tous mêlés, jeunes guerriers, femmes, enfants, vieillards. Plus de 2 000 sont mutilés, incapables de gagner leur vie.
Enfin, 60 000 personnes (chiffre approximatif et difficile à contrôler), dont 3 000 femmes, sont maintenues en prison par les ordres de l'armée Franco... Mais voici un chiffre plus officiel : on connaît les noms de plus de 3 500 Basques, de toute condition, de tout âge et de tout sexe, exécutés et fusillés, parmi lesquels 70 prêtres — par les hommes des armées de Burgos... Mais ce chiffre est évidemment très inférieur à la réalité, puisque je le répète, il ne s’agit, ici, que des personnes exécutées dont on connaît les noms.
EXIL REFUGIES ESPAGNOLS |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire