DES RELIGIEUX FRANÇAIS EN PAYS BASQUE SUD EN 1906.
Le 9 décembre 1905, est votée en France la loi de séparation des Eglises et de l'Etat.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Figaro, le 11 octobre 1906, sous la plume d'André
Chadourne :
"Nos religieux en Espagne.
Tandis que se prépare en France l'application intégrale de la loi de séparation, je suis allé porter l'hommage de ma respectueuse sympathie aux religieux et religieuses chassés de France et réfugiés, en Espagne. Les lecteurs du Figaro me sauront gré, je pense, de leur donner quelques nouvelles de ces nobles exilés.
LOI DE SEPARATION DES EGLISES ET DE L'ETAT 9 DECEMBRE 1905 |
Dès Irun, que deux kilomètres seulement séparent de notre frontière, et qui, par cela même, était tout désigné comme lieu d'installation pour les émigrants, on pressent que les Français doivent être là nombreux. Il y a trois ans, durant les quelques jours que je passai dans cette localité, j'avais pu souvent, m'apercevoir que presque personne ne parlait ou ne comprenait le moindre mot de français. Aujourd'hui, une foule d'enfants vous abordent ou vous répondent en notre langue, et quand je leur demande : "Qui t'a appris ça ? — Les bons Frères", répliquent-ils ; ou bien : "Les bonnes Soeurs".
A chaque instant, en effet, on croise des soutanes et des cornettes ; et, au sourire qu'on échange avec ceux ou celles qui les portent, on reconnaît tout de suite des compatriotes. Les Frères maristes, les Petites Sœurs des pauvres sont établis là et prospèrent.
A Fontarabie, qui est comme le port d'Irun, les Jésuites sont installés. La direction de la province de Toulouse, qu'on avait d'abord songé à mettre à Burgos, est venue, par raison d'économie, fixer là son siège. Le Père provincial et son "socius" dirigent de Fontarabie tout le personnel disséminé tant dans le sud de la France que dans le nord de l'Espagne. On y trouve aussi des Carmélites, des Sœurs de Nevers et des maisons d'autres ordres religieux.
Si l'on quitte Fontarabie pour se diriger vers Saint-Sébastien, on aperçoit à Pasages, le port si pittoresque illustré par un séjour de Victor Hugo, divers couvents de femmes, entre autres celui des Sœurs du Sauveur qui possédaient dans le Midi tant de maisons, dont la plus connue est celle de la Souterraine.
EGLISE ET VUE GENERALE PASAJES-PASAIA GUIPUSCOA D'ANTAN |
Saint-Sébastien, la plus belle et la plus agréable cité de toute cette région, ne pouvait manquer d'offrir une large hospitalité aux membres de nos ordres dispersés. Les couvents espagnols en ont recueilli un certain nombre ; le reste a fondé des établissements indépendants. Les Jésuites, les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, les Clarisses, les Frères de la doctrine chrétienne et autres y voisinent, y fraternisent, entremêlant leurs œuvres et s'y développant à l'aise pour le bien de tous.
INTERIEUR RESIDENCE P.P. JESUITES SAINT-SEBASTIEN DONOSTIA GUIPUSCOA D'ANTAN |
Si de Saint-Sébastien on s'enfonce en Espagne, on ne peut plus douter que toutes les provinces basques (Guipuzcoa, Biscaye, territoire d'Alava) ne soient pleines de moines et de religieuses. Qu'on aille vers la maison natale de l'illustre fondateur de la Compagnie de Jésus, au château-monastère, de Loyola, ou qu'on se dirige vers Vittoria, l'œil est aussitôt frappé, sur tout le parcours, par de longs et larges édifices neufs, surmontés de clochers et de croix. A peine s'enquiert-on du nom des propriétaires qu'on vous répond :
— C'est un couvent de Pères français, de Sœurs françaises.
EGLISE SAINT-VINCENT VITORIA-GASTEIZ ALAVA |
A Vittoria, à quelques pas du palais de la Députation provinciale, les Jésuites possèdent une immense maison où, à ma grande surprise, j'ai retrouvé, très bien portants de corps et d'esprit, deux Pères, entr'aperçus en ma lointaine enfance : le P. Bascouret, qui, comme professeur de philosophie, eut pour élèves le docteur Boissarie, aujourd'hui contrôleur général et historien des miracles de Lourdes et notre distingué confrère L. de Larmandie, délégué de la Société des Gens de lettres ; et le P. Cros, ce Savonarole d'hier, que tout le Midi a entendu, j'allais même dire applaudi.
Se trouvent encore à Vittoria, dans la calle de la Estacion, les Dames du Sacré-Cœur de Jésus, qui y possèdent un somptueux établissement et dont les bienfaits contribuent de plus en plus au beau renom de notre pays.
COLLEGE DU SACRE-COEUR VITORIA-GASTEIZ ALAVA D'ANTAN |
A Bujedo, près de Miranda, s'élève un grand collège à niños (d'enfants) où des Frères, nos compatriotes, enseignent notre langue tant aux petits Espagnols qu'aux petits Français envoyés là par leurs parents malgré les frais et la distance.
MAISON DES NOVICES BUJEDO CASTILLE-ET-LEON D'ANTAN |
Mais c'est à Burgos, la patrie du Cid et la capitale de la vieille Castille, célèbre à si bon droit par sa superbe cathédrale et ses autres monuments, que se sont, dirait-on, donné rendez-vous les ordres religieux français.
Au pied du fameux château fort dont Napoléon s'empara en 1808, au numéro 11 de la calle San-Francisco, s'étend une large et longue bâtisse que de vastes et fertiles jardins bordent du côté de la ville. C'est l'établissement des Pères capucins, qui contient non seulement le couvent proprement dit, mais le noviciat et le juvénat ; car, qu'on me permette de le dire en passant et parce que j'en ai été témoin, la persécution n'a pas tari du tout les vocations religieuses, et chaque mois voit arriver de France en Espagne des adolescents, des enfants même, avides de revêtir l'habit de bure, de marcher pieds nus et d'aller évangéliser les peuplades sauvages de l'Afrique ou des Indes.
VUE GENERALE DE BURGOS DEPUIS LE CHÂTEAU 1904 CASTILLE-ET-LEON D'ANTAN |
Le Père gardien de la communauté de Burgos est un Français, le P. Barthélémy, homme de bel aspect, très instruit et des plus aimables.
Non loin de la gare, sont installés confortablement les Carmélites. En dehors des Jésuites et d'autres moines, Burgos compte un Collegio de niños, tenu par des Frères français, et quelques retraites d'ordres féminins, notamment d'un dont le nom m'échappe et dont les membres tout habillés de blanc, adonnés à la vie pratique et matérielle, vont en ville coudre, repasser, tenir des ménages et faire la cuisine.
Les environs de Burgos ne sont pas moins peuplés de nos pieux et zélés concitoyens. Qui ne connaît, ne serait-ce que par les beaux vers que leur a consacrés Théophile Gautier, la fameuse Cartuja ou Chartreuse de Miraflorès ? Fièrement campé sur une montagne nue, à quatre kilomètres de Burgos, ce couvent est célèbre dans le monde entier, tant par son retable en style gothique fleuri, doré avec l'or des premières pépites rapportées d'Amérique par Christophe Colomb, que par les trois tombeaux en albâtre de Jean II, de son épouse Isabelle et de leur fils l'infant don Alphonse. Eh bien ! c'est actuellement les Chartreux français qui dominent à Miraflorès. J'ai même rencontré parmi eux le Frère Siméon, qui, il y a une vingtaine d'années, à Vauclaire, en Périgord, servit, pendant ses fréquents séjours en cette solitude, un digne et saint prélat, Mgr Gouzot, archevêque d'Auch.
CARTUJA DE MIRAFLORES BURGOS CASTILLE-ET-LEON D'ANTAN |
A 7 kilomètres de la Cartuja, après avoir traversé, sans l'aide de presque aucune route, un désert de pierres et de sable horriblement sauvage, on arrive au couvent de San Pedro de Cardeña, non moins célèbre pour son église et ses cloîtres que pour les glorieux tombeaux du Cid et de Chimène renfermés en une de ses chapelles. C'est là un lieu de pèlerinage, et même des plus fatigants, car on n y accède qu'à pied ou dans de mauvaises carrioles. Ce couvent, fondé par la générosité des rois de Castille en faveur des enfants de Saint-Benoît, a été récemment cédé par eux aux enfants de Saint-François. Or, depuis le supérieur qui vient de Périgueux, presque tous les Pères ou Frères sont Français, l'un même ancien officier ; de sorte que, par un jeu assez ironique de la Providence, la tombe et la mémoire du plus illustre des gentilshommes castillans se trouvent, à cette heure, sous la garde des moines de notre nation. Et comme je demandais aux uns et aux autres de quel œil les évêques et le clergé d'Espagne, tant séculier que régulier, voyaient cette nombreuse immigration.
MONASTERE DE SAN PEDRO DE CARDEÑA BURGOS CASTILLE-ET-LEON |
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