RENAU D'ELISSAGARAY D'ARMENDARITS.
Bernard Renau d'Eliçagaray, né le 2 février 1652 à Armendarits (Basse-Navarre, Basses-Pyrénées) et mort le 30 septembre 1719 à Pougues-les-Eaux (Nièvre), est un ingénieur et officier de marine, à l'époque de Louis XIV.
AFFICHE PASTORALE RENAU D'ELISSAGARAY |
Voici ce que rapporta à son sujet le bulletin N° 10 de la Société des Sciences, Lettres et Arts de
Bayonne, le 1er juillet 1932, sous la plume de Jean de Bagneux :
"Un Basque illustre.
Renau d'Elissagaray 1652-1719.
... Le 21 Août, Renau croise dans le canal de Bahama, guettant les galions d’Espagne, quand un flibustier lui apprend qu’une puissante escadre est à sa recherche. Il pourrait continuer la lutte, car il a encore 3 mois de vivres, mais le scorbut a fait son apparition et plus de la moitié des matelots sont atteints par ce mal. La mortalité est effrayante. Aussi, sagement, prudemment, Renau prend le chemin du retour. La traversée est rendue pénible par une suite de fortes tempêtes et, le 28 Septembre, quand l'Intrépide entre dans la rivière de Rochefort, il s’échoue près de couler bas avec une voie d’eau qu’il est impossible d’étancher, les 3/4 de l’équipage étant morts.
Toujours infatigable, Renau va se consacrer à perfectionner la défense de nos côtes, sans pour cela, négliger ses études scientifiques. Il devient même un des savants les plus en vue de son époque et le 28 Janvier 1699 l’Académie des Sciences lui ouvre ses portes comme membre honoraire. Il est reçu le même jour que son grand ami Malebranche.
PORTRAIT DE NICOLAS MALEBRANCHE PAR PAUL JOURDY 1841 |
A la fin de cette même année, le faible Charles II d’Espagne rend à Dieu son âme indécise, laissant sa couronne au duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV et élève de Fénelon. Le jeune roi Philippe V gagne Madrid, mais, connaissant le triste état de l’Espagne, il a soin d’emmener avec lui des techniciens, tant financiers que diplomates ou militaires. Petit-Renau est du nombre. Il arrive en Espagne en Février 1701, il doit y rester huit ans et ce seront là les années les plus mouvementées de sa vie. Il va lui falloir toute sa science et tout son génie pour mettre le pays en état de défense. Il y a fort à faire. Depuis le grand Philippe II tout est allé à vau-l’eau dans la Péninsule qui est la proie de politiciens, aussi ambitieux qu’incapables et jaloux. Ils font grise mine à ces Français venus les réveiller de leur apathie, et il faut toute la longanimité de Petit-Renau, jointe à son opiniâtreté irréductible, pour supporter leur mesquinerie, leurs fanfaronnades, et venir à bout de leur suffisance et de leurs perpétuelles intrigues.
Renau se rend en hâte à Cadix ; c’est du reste à cette place, qu’il considère avec Gibraltar comme la clef de l’Espagne, qu’il consacrera le plus d’efforts. Dès la première année, les fonds manquent. Le trésor est pauvre évidemment, mais l’argent passe par tellement de mains avant de lui parvenir que Renau ne reçoit pas grand’chose. De plus, son intégrité gêne bien des gens, entre autres ce M. Orry dont les procédés l’irritent tellement qu’il entre dans une sainte colère et parle de l’envoyer à la potence. Nous possédons toute la correspondance de Renau à Pontchartrain pendant cette période et on souffre de voir combien Petit-Renau est incompris, comment il a toujours à se débattre, à se justifier, malgré la droiture de sa conduite. Non content de payer de sa personne, il paye de ses deniers. Il va même jusqu’à s’endetter et à emprunter à gros intérêt pour subvenir aux travaux de défense de Cadix ou de la Corogne. Il s’est créé des amis comme le duc d’Osuna, le duc de Fernan-Nunez, le marquis de Villadarias, M. de Leganès, mais il déplaît à la cour où il n’a pas caché sa façon de voir à l’intrigante princesse des Ursins.
Lui qui n’a jamais demandé aucune faveur malgré ses immenses services, sollicite l’Abbaye de Lucq pour son frère Jean. On lui refuse ce bénéfice. Il est malade et ne prend pas le temps de se soigner. Parfois son cœur déborde, et ce sont les lettres navrantes comme celle-ci : "Je vous supplie très humblement de considérer, Monseigneur, que j’ai épuisé entièrement mon crédit et que je suis endetté par dessus la tête ne sachant plus comment faire, car je suis sans aucune ressource et il sera triste de me sauver comme un banqueroutier, comme je serai obligé de faire, si vous n’avez pas cette bonté-là pour moi."
Le gouvernement espagnol escompte, pour alimenter ses caisses, l’arrivée des galions d’Amérique qui, n’étant pas venus depuis deux ans, apporteront une lourde cargaison de lingots d’or et d’argent. Le comte de Château-Renault a été chargé de protéger le convoi avec son escadre. Petit-Renau sachant que les flottes anglaises et hollandaises croisaient sur les côtes de l’Océan, supplie que les galions soient amenés à Cadix où, en attendant leur déchargement, ils seront à l’abri. Mais l’orgueil castillan s’accommode mal de ce conseil et il est décidé que les galions aborderont à Vigo, baie largement ouverte à tout venant et absolument indéfendable.
Après une traversée heureuse, les navires, lourdement chargés, se balancent insouciants dans la rade, se croyant protégés contre toute attaque par une estacade et 2 batteries construites à la hâte. Petit-Renau fait l’impossible pour prouver combien ces défenses sont illusoires. Rien n’y fait. Il veut du moins faire décharger les marchandises précieuses. A force de discussion, il obtient gain de cause mais trop tard ; mobilisant 400 chars dans toute la Galice, il entreprend de mettre à terre toute la cargaison. Il travaille fébrilement quand, le 22 Octobre, la flotte anglaise apparaît. C’est l’affolement. Après un combat de deux heures, Château-Renault en est réduit à brûler lui-même 15 de ses vaisseaux pour qu’ils ne soient pas pris. Renau, cependant, a pu sauver 30 millions. Tandis que le long convoi s’enfonce dans les montagnes vers Lugo et Madrid, Renau à la tête de 300 cavaliers, car la milice a fui au premier coup de mousquet, fait face à la troupe alliée débarquée pour s’emparer du riche butin. Cette triste affaire incombe pour une bonne part à la négligence de M. de Château-Renault, mais, pour se disculper, il trouve commode d’accuser M. Renau qui, selon lui, n’aurait pas fait tout le nécessaire pour protéger la baie de Vigo. Et notre pauvre ami est obligé de se défendre près du ministre dans un long rapport, mais il le fait avec quelle dignité, quelle simplicité, quelle émouvante franchise, on pourrait dire quelle candeur.
TABLEAU LA BATAILLE DE LA BAIE DE VIGO 1702 PAR LUDOLF BAKHUIZEN |
En 1704, Gibraltar tombe aux mains des Anglais. Ils n’ont pas eu grand mérite à s’en emparer. Malgré les avis réitérés de Renau, qui a multiplié les plans de défense et envoyé des avis successifs à la cour de Madrid, on ne lui a donné aucun subside pour effectuer les travaux nécessaires et, le jour de l’attaque, la garnison se montait à 60 miliciens mal armés, peu nourris, pas payé.
A bout de ressources, écœuré, Renau demande en 1707 à rentrer en France. Il écrit : "Je n’ai jamais eu d’inquiétude dans le service, ni de volonté particulière et vous remarquerez que depuis que j’ai l’honneur de servir le Roy, qui est toute ma vie, je ne me suis jamais départi un instant, ni demandé huit jours de congé, quoiqu’elle ait été la plus ambulante qu’aucune qui ayt jamais servi Sa Majesté". Cependant, on le maintient à son poste, non sans l’avoir nommé maréchal de camp et lieutenant général des armées de terre espagnoles. En 1708, il ajoute ces lignes à sa lettre à Pontchartrain : "Certainement on me fait bien de l’honneur, mais je ne puis pourtant faire de la poudre sans machine, ny salpêtre et je n’ay point assez de force pour remuer et faire venir l’artillerie sans affûts, ustensiles de canons ny ai canoniers", et ailleurs "j’ai déjà pris plusieurs fois la liberté de vous représenter, Monseigneur, l’embarras dans lequel je me trouvais faute d’être payé de mes appointements par le trésorier de la Marine ; il y a trois ans que je vis en empruntant de tous côtés, payant douze pour cent d’intérêts, encore faut-il que je trouve des marchands qui en répondent sur leur nom." Et plus loin tout à fait découragé, il poursuit : "Il y a un temps que je voudrais être au fond des Indes condamné à y passer mes jours".
A la fin du printemps de 1709 Bernard Renau d’Elissagaray passant le port de Roncevaux rentre en France. Il revient à Armendaritz au foyer natal bien vide maintenant ; son frère Jean est curé de Gabat, Bertrand et Guillaume sont officiers et sa sœur Marie a épousé un fermier, Garat. Renau profite de ce repos pour mettre de l’ordre dans ses affaires et le 5 Octobre 1709 signe son testament chez Maître Dugolart, notaire à Bayonne, instituant son frère Jean légataire universel à charge de verser une rente viagère de 2 000 livres à chacun de ses frères et de 500 à Marie Garat.
Ceci accompli, Renau prend le chemin de Versailles où il est fort bien accueilli par le roi qui non content de le confirmer dans son grade de lieutenant général des armées de terre lui confère la grand croix de l’ordre de St Louis et l’autorise à prendre part aux Conseils de la Marine.
La guerre lui laissant du répit, Renau reprend avec ardeur ses travaux scientifiques et en 1712 publie un traité sur la méchanique des liqueurs.
En 1714 Renau est nommé vice-président pour une année à l’Académie des Sciences. Les archives de cette académie que j’ai pu consulter conservent encore un problème soumis le 5 Février 1716 par M. de Lagny à la sagacité de ses collègues ; seul Renau trouve la solution exacte. Voici le problème : "Trouver deux grandeurs telles que soustrayant l’une de l’autre il en vienne un reste, lequel étant soustrait de la petite il y ait un reste, lequel étant encore soustrait du premier reste, il y ait un reste et ainsi jusqu’à l’infini, sans qu’aucun reste puisse mesurer la dernière quantité, de laquelle on aura fait la soustraction." Petit-Renau résout le problème d’une manière très simple par des triangles semblables toujours décroissant à l’infini pris dans un cercle où est tracé un pentagone. Il élève même la question à une plus grande universalité en retranchant toujours de la plus grande grandeur, non la plus petite, mais une autre qui eût toujours à cette plus petite un certain rapport donné et constant.
En ces premières années du XVIIIe siècle la renommée de Petit-Renau est universelle, à tel point qu’en 1714 le grand-maître de l’ordre de Malte, Don Rainon Perellos de Rocaful, craignant une attaque des Turcs, prie le roi de France de lui envoyer M. Renau mettre les côtes de l’île en état de défense. L’ingénieur va se mettre en route quand on apprend que le sultan abandonne son projet : dès lors le déplacement de Petit-Renau est inutile et il renonce à entreprendre ce voyage.
Le 1er Septembre 1715, Louis XIV rend le dernier soupir. On sait par St-Simon, combien le monarque aimait Petit-Renau, combien il se plaisait à entretenir ce fils de modeste paysan des plus graves questions. Si mal récompensé qu’ait été Renau, il doit cependant son élévation à la clairvoyance du souverain qui, envers et contre tous, a découvert et mis en valeur le précoce génie du petit Basque. Renau est presque un vieillard, et on pourrait croire son rôle terminé. Il n’en est rien. Philippe d’Orléans, régent du Royaume, connaît depuis fort longtemps Petit-Renau ; il a même servi sous ses ordres en Espagne et l’estime plus qu’aucun autre.
PORTRAIT DU REGENT PHILIPPE D'ORLEANS PAR JEAN-PHILIPPE SANTERRE 1717 |
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