RENAU D'ELISSAGARAY D'ARMENDARITS.
Bernard Renau d'Eliçagaray, né le 2 février 1652 à Armendarits (Basse-Navarre, Basses-Pyrénées) et mort le 30 septembre 1719 à Pougues-les-Eaux (Nièvre), est un ingénieur et officier de marine, à l'époque de Louis XIV.
AFFICHE PASTORALE RENAU D'ELISSAGARAY |
Voici ce que rapporta à son sujet le bulletin N° 10 de la Société des Sciences, Lettres et Arts de
Bayonne, le 1er juillet 1932 :
"Un Basque illustre.
Renau d'Elissagaray 1652-1719.
En cette fin d’année 1681, la gloire de Louis XIV est à son apogée. Il a maté l’Europe. Une puissante armée la maintient dans la paix. La marine se charge de faire respecter le drapeau fleur de lysé sur tous les océans. Du reste quel potentat a jamais aligné pareille flotte : 198 vaisseaux de tous rangs montés par 60 000 matelots, 34 galères avec 3 000 hommes.
L’Anglais reste coi, le Hollandais se cache derrière ses digues, l’Espagnol n’ose sortir de ses ports ; seuls au monde, les Algériens tiennent tête au maître incontesté du moment. Accrochés à la côte africaine, face à notre belle Provence, ils lancent leurs corsaires à la poursuite de nos flottes de commerce. La navigation en Méditerranée devient impossible. En dépit de tout droit des gens, ils emmènent les équipages en esclavage, pillent les marchandises. Le roi leur fait faire des remontrances. Ils ricanent, et reprennent la chasse de plus belle, non sans avoir martyrisé quelques centaines de prisonniers. Il faut en finir et châtier ces Barbaresques d’une façon exemplaire. Duquesne consulté, a laissé avant de partir à la poursuite de pirates tripolitains réfugiés près du Pacha de Scio, deux plans de campagne contre Alger. Le premier consiste à boucher l’entrée du port de la ville en y coulant des vaisseaux chargés de ciment, le deuxième expose un projet d’attaque, de débarquement, d’incendie de la place. Le Conseil de la Marine, en présence du roi, discute âprement la question. La plus grande prudence est nécessaire. Que l’on se rappelle la débâcle de Charles-Quint, malgré sa formidable armée et la triste affaire de Djijelli, il y a quinze ans à peine, sous le commandement du duc de Beaufort. On va se rallier au premier plan de Duquesne, quand Renau, qui n’a encore soufflé mot et semble plongé dans une profonde rêverie, se lève soudain, et avec le plus grand calme, demande pourquoi on ne bombarderait pas la ville. Les conseillers, un moment ahuris par cette idée, haussent les épaules, se mettent à rire. Comment ce petit ingénieur, qui semblait pourtant intelligent, ose-t-il proposer une telle absurdité ? Renau se dresse de toute sa petite taille, il insiste, fort d’avoir raison, et devient éloquent : "Puisqu’on met bien, dit-il, des canons sur les navires, pourquoi n’y mettrait-on pas des mortiers ?"
PRISE DE GIRERI 1664 Par Estienne Vouillemont — Gallica.fr, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=30594894 |
— Mais le recul serait tel, lui est-il répondu, que le navire s’abîmerait dans les flots.
— Non, car il a pensé à tout.
Il a là un plan de vaisseaux de son invention qui résistera à la poussée du tir. C’est une galiote aux membres épais, aux flancs larges et robustes, au fond plat et solide, sur lequel est assis dans un cadre de madriers un massif de construction maçonnée dont la partie supérieure recevra le mortier. La pièce n’est pas établie directement sur la maçonnerie qui serait bientôt démolie, mais dans un encastrement de bois de chêne et de sapin garantissant une certaine élasticité, le tout fixé sur l’œuvre de pierre. La longueur de la galiote sera de 77 pieds sur 25, soit environ 25 mètres sur 8 m 20. Le Conseil objecte qu’un tel bâtiment ne peut tenir la mer et qu’il est inutile de s’arrêter plus longtemps à ce projet. Mais le roi et Seignelay, sont convaincus par l’assurance de Renau. Ils lui font confiance et ordonnent au jeune inventeur de faire construire 5 de ces galiotes. L’impatience du souverain est très grande, les commandes sont passées immédiatement, afin que la mise en chantier des nouveaux bâtiments ait lieu sans délai. Trois galiotes seront construites au Havre et deux à Dunkerque. Ce seront respectivement la Brûlante, la Cruelle, la Menaçante, la Bombarde, et la Foudroyante. Renau se rend en premier lieu à Dunkerque, le 23 Février 1682. Les deux galiotes sont mises à l’eau, puis l’inventeur va au Havre où, en six semaines, seront construites les trois autres. Le 20 Avril, elles sont prêtes à aller terminer leur armement à Dunkerque. On est curieux de voir comment les galiotes de Renau vont tenir la mer. Il s’embarque sur la Cruelle commandée par M. de Pointis, et met à la voile le 22 Avril. Le 23, le guetteur du clocher de Dunkerque aperçoit les petits bâtiments et les signale à M. l’Intendant qui s’empresse d’en aviser M. de Seignelay. Dans la nuit, la Cruelle aborde à Gravelines. Toute la journée du 24 la Brûlante et la Menaçante louvoient pour rentrer dans le canal, mais la marée descendante les entraîne et elles doivent mouiller à une demi-lieue de la côte. Soudain, pendant la nuit, la tempête se lève, terrible, implacable. Au matin du 25, le guetteur n’aperçoit plus la galiote ancrée près de Gravelines. On parvient à secourir les deux autres et à les entrer dans le port. Mais la Cruelle a disparu. L’ouragan redouble de violence : un bastion de Dunkerque est emporté, les digues de Hollande sont rompues, 90 vaisseaux submergés. La Cruelle est-elle du nombre, entraînant son inventeur dans sa ruine ? Tout le laisse supposer. Quand l’horizon s’éclaircit, des pêcheurs retrouvent flottant à la dérive, des planches, des vergues, des mâts reconnus pour être ceux de la Cruelle. Tout espoir est perdu, et l’Intendant écrit le 28 avril à M. de Seignelay pour lui annoncer le malheur, quand on lui apprend que la Cruelle a pu s’échouer du côté de Flessingue. Voici, du reste, cet extraordinaire petit Renau, il n’est nullement défait par cette lutte de trois jours contre la mort. Il donne des ordres afin que soient réparés immédiatement les dégâts de la tempête à bord de ses galiotes. Pendant ce temps, et sans prendre le moindre repos, il court à Paris rendre compte au ministre ; le 3 Mai, il est déjà de retour. Le 26 du même mois, les cinq galiotes suivies de deux frégates quittent Dunkerque à deux heures du matin. Renau est sur la Cruelle, à sept heures la flottille a disparu, faisant voile vers Alger. Après une escale à Brest, le voyage continue et, le 17 Juillet, les galiotes arrivent à Iviça, petite île du groupe des Baléares, où a lieu le rassemblement de la flotte.
On y reste juste le temps de se ravitailler et, le 20 Juillet, Duquesne, monté sur le St-Esprit, appareille à la tête de 11 vaisseaux, 15 galères, 2 brûlots, et des 5 galiotes. Le 23 au matin, les Barbaresques stupéfaits voient s’avancer sur l’indigo cru de la Méditerranée, sur "ce toit tranquille où picoraient des focs" dirait M. Paul Valéry, les majestueuses voiles blanches des vaisseaux du roi. L’escadre stoppe assez loin de la ville hors de la portée des canons, et prend ses dispositions de combat. Jusqu’au 13 Août, les ennemis restent ainsi face à face comme des dogues, attendant le moment de se sauter à la gorge. Le 25 Août, les galères manquent d’eau, on les renvoie à Toulon. La flotte ainsi réduite est plus maniable, plus libre dans ses évolutions. Chaque galiote est protégée par un vaisseau auquel elle est attachée par un filin de 2 mille brasses, soit environ 3 000 mètres de long, auquel elle se haie pour se rendre à son poste ou en revenir. Le soir du 20 Août, la nuit est très noire, la mer plate comme de l’huile. La flotte s’approche, l’ennemi tire 150 coups de canon sans faire grand mal. Les galiotes sont à leur place, prêtes à tirer. Quelle émotion pour Renau ! Les coups partent, mais les bombes tombent dans le port sans atteindre la ville. La faute en incombe à M. Camelin ingénieur qui a mal calculé la distance. Pendant deux jours, l’escadre manœuvre pour se rapprocher. Enfin, le 24 Août, tout est prêt. On a déjà lancé 86 bombes quand, soudain, une explosion se produit sur la Cruelle où se trouvent Renau avec de Pointis. Une bombe, en sortant du mortier, est retombée sur la galiote et fait explosion, lançant de la mitraille de toutes parts. L’équipage, affolé, saute à la mer. Le bâtiment est en flammes et le feu va gagner 40 autres bombes qui en éclatant causeront un désastre irréparable. Renau n’hésite pas. Aidé du brave M. de Pointis et du commissaire Landouillet, il inonde le foyer de seaux d’eau, calme l’ardeur des flammes, se précipite pour couvrir les bombes de cuir vert. Quand des navires, on accourt au secours de la Cruelle, on est stupéfait de voir ce petit être, les cheveux roussis, l’habit brûlé, se démener dans la fumée, au milieu des éclatements de la bombe. Cet incendie jette le trouble dans la flotte. Il est trop tard pour recommencer le bombardement et les galiotes se retirent près de leurs vaisseaux protecteurs. Cette nuit-là, on ne donne pas cher de l’invention de M. Renau. Les merveilleux engins de destruction se retournent contre leur auteur. Les équipages se refusent à monter ces vaisseaux infernaux. Duquesne réunit dès l’aube un conseil de guerre sur le St-Esprit. Il y a là M. Forant, MM. de Lhery, de Tourville, de Beauchêne, de Gouëston, de Combes, Beausier. Ce sont des gaillards qui ne s’en laissent pas raconter, aéropage bien plus redoutable que le Conseil du Roi. Petit Renau est là aussi. Malgré les épreuves, il ne semble pas abattu, au contraire, il redresse la taille et tient tête à ses détracteurs. Quand on a fini de l’accabler, il expose avec cette clarté et cette franchise qui lui sont coutumières qu’on n’a rien à reprocher aux galiotes. L’accident de cette nuit est dû à la bombe. Qu’on s’en prenne aux artificiers. Lui a confiance. On doit le laisser une fois encore courir sa chance. Duquesne, malgré les murmures du Conseil, accepte et, le 30 Août, les bouées ayant été rapprochées de la ville les galiotes prennent leur poste de combat. Cette nuit-là, elles lancent 114 bombes, et l’effet est atroce. Les Algériens affolés, atterrés par cette pluie de mitraille, détruisant leurs mosquées, leurs entrepôts, leurs palais, tentent une sortie héroïque, mais ils sont repoussés. Dans le clair soleil levant Renau voit s’élever la fumée des décombres et, si son cœur d’homme souffre des horreurs qu’il a causées, son patriotisme peut s’enorgueillir du désastre des ennemis du roi. Le 4 Septembre, le bombardement reprend, mais le 5, la tempête s’élevant, la prudence oblige Duquesne à s’éloigner sans avoir pu détruire complètement ce nid de pirates comme Louis XIV lui en avait donné l’ordre.
JEAN-BERNARD DE POINTIS 1645-1707 |
La flotte gagne Toulon. Renau y reste tout l’automne, perfectionnant ses galiotes, afin qu’elles puissent tirer en avant, pour offrir ainsi moins de champ aux coups de l’ennemi. Deux nouvelles galiotes sont construites : La Fulminante et l'Ardente, ce qui porte à 7 les vaisseaux de Petit Renau. Accompagné du commissaire Landouillet, Petit Renau gagne le Périgord où, pendant la fin de l’hiver et le début du printemps 1683, il fait couler les bombes nécessaires à une nouvelle expédition. Les premiers jours de Juin, Duquesne, ayant reçu des ordres formels du roi d’anéantir définitivement Alger, reprend la mer à la tête de 6 vaisseaux de haut rang, de 10 galères, de 7 galiotes et de nombreux navires de charge. Le 20 Juin, il est de nouveau devant la ville, résolu à en finir. Renau, cette fois-ci, ne monte pas un de ses bâtiments, mais le vaisseau amiral. Il est tout spécialement chargé par le marquis de Seignelay de le renseigner sur les moindres faits du siège, aussi parcourt-il sans cesse la ligne de bataille dans la chaloupe du Major. Les ancres sont touées le plus près possible des remparts. Les assiégés, persuadés que cette manœuvre n’a d’autre but que de connaître la portée de leurs canons, laissent faire. Enfin, le 26 Juin, à une heure du matin, commence le bombardement. Dans la nuit du 27, on lance 127 bombes, 3 ou 4 tombent à la fois avec un fracas épouvantable ; le palais du dey est détruit, mille personnes trouvent la mort dans les ruines, une seule bombe fait sauter plusieurs pièces de canon et tue 50 servants ; une autre tombe sur une galère ennemie et l’abîme dans les flots avec les 100 matelots de l’équipage. Personne ne doute plus de l’efficacité de l’invention de Renau. Lui, très calme, comme s’il n’était pour rien dans tout cela, note les événements sans jamais parler de lui et s’il est fier du résultat obtenu, c’est pour la gloire qui en rejaillira sur la France. Il termine sa lettre à Seignelay par ces mots : "Si le reste suit du même air, je ne crois pas qu’il puisse y avoir rien de plus glorieux pour la marine."
BOMBARDEMENT D'ALGER 1682 Par Auteur inconnu — livre: Abraham Duquesne, Michel Vergé-Franceschi, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3828305 |
Le dey Bab-Hassan demande la paix et rend 500 esclaves dont 4 femmes de la famille de Guénégaud. Mais il est renversé par son amiral Mezzo-Motto et les hostilités reprennent de pins belle. Le 9 Août on lance 230 bombes. La réponse des Barbaresques ne se fait pas attendre. Le consul de France le R. P. Levacher est attaché à la gueule d’un canon et ses membres dispersés dans l’espace. Le chevalier de Choiseul-Beaupré, prisonnier et vendu comme esclave, ne doit la vie qu’à la générosité de son maître qui demande à mourir à sa place. Jusqu’au 10 Septembre, Alger reçoit 3 193 bombes ; ce n’est plus qu’un immense tas de gravois quand, le 16, Duquesne reprend le chemin de Toulon. Louis XIV peut être satisfait. Grâce au génie du Basque Renau d’Elissagaray il est bien vengé.
Aussitôt débarqué, Renau se rend à Paris. Le duc de Vermandois, son maître, étant mort le 13 Juillet il n’a plus de place dans la marine. Aussi après avoir eu quelques entretiens avec son grand ami le P. Malebranche, qui est aux prises avec M. Arnaud de Port-Royal, il sollicite et obtient la permission d’aller rejoindre M. de Vauban qui fortifie les Flandres. Comme Renau est à l’aise avec ce grand esprit. Le printemps 1684 les trouve devant Luxembourg que le roi de France assiège pour faire respecter le traité de Nimègue, quand Louis XIV décide de châtier les Génois qui ont ravitaillé en armes les Barbaresques et sont alliés aux Espagnols. Le marquis de Seignelay, auquel la mort de son père, le grand Colbert, vient de laisser le ministère de la marine, avide de gloire, va diriger l’expédition en personne. Il veut s’entourer de compétences et réclame M. Renau. Celui-ci traverse toute la France, et, le 6 Mai 1684, s’embarque à Toulon sur la galère la Réale, commandée par le duc de Mortemart, près duquel il va jouer le rôle de conseiller, lui apprenant la construction, la navigation et la manœuvre. Gênes orgueilleuse paresse au soleil et dans ses caves fraîches les citoyens dégustent "La mousse du Freisa qui est pétrie de roses" dont rêvera plus tard M. Jules Romain, quand, le 17 Mai, Seignelay arrive devant la ville avec 14 vaisseaux, 2 brûlots, 2 frégates, 8 flûtes, 10 galiotes dont 3 nouvelles : La Belliqueuse, la Terrible et l'Eclatante, 20 galères, 21 tartanes. Ce déploiement de force fait réfléchir le Sénat génois qui demande à traiter ; mais des habitants ayant tiré sur les galiotes, le bombardement commence sans délai et dure jusqu’au 28 Mai. 3 000 maisons sont démolies, la moitié de la ville brûlée. Les Génois fuient dans les campagnes et le doge doit venir s’humilier à Versailles. Une fois de plus Renau et ses galiotes ont assuré le triomphe du drapeau blanc.
LOUIS VICTOR DE ROCHECHOUART DUC DE MORTEMART 1636-1688 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire