DOLORÈS IBARRURI "LA PASIONARIA" EN 1948.
Dolores Ibarruri Gomez, connue sous le nom de La Pasionaria, était une militante, une femme politique et une figure emblématique de la Guerre d'Espagne.
Voici ce que rapporta Dolorès Ibarruri dans le mensuel Démocratie Nouvelle, le 1er avril 1948 :
"L'Espagne, tête de pont Yankee en Europe.
... On n'achète pas un peuple !
Ainsi, la pénétration américaine se fait à marches forcées. Mais il est un aspect de cette pénétration qui revêt toutes les caractéristiques d’une colonisation ouverte et éhontée et qu’il n’est pas possible de passer sous silence : il s’agit de l’achat par les Etats-Unis de grandes propriétés. C’est l’installation de possessions étrangères au cœur même de l’Espagne.
On sait que la grande propriété agraire, — vestige du système féodal — a longtemps empêché le progrès de l’Espagne et que la république essaya d’y porter remède, bien que très timidement.
La grande propriété agraire, à l’avènement de la république, en 1931, représentait 33,29 % de la surface totale du pays, soit 7 478 029 hectares. Dans certaines provinces, comme dans celle de Séville, par exemple, la grande propriété occupe la majeure partie du territoire : 13 propriétés couvrent, à elles seules, 90 000 hectares ; par ailleurs, 30 646 hectares appartiennent à trois grands propriétaires. Et il en est de même dans toutes les provinces andalouses et dans la plus grande partie de la Castille.
Eh bien ! les aristocrates espagnols, qui se soulevèrent aux côtés de Franco pour empêcher le développement de la démocratie et la réalisation d’une réforme agraire bien modeste qui aurait donné aux paysans espagnols la possibilité de mettre en valeur des terres en friche, vendent aujourd’hui leurs grandes propriétés à des compagnies étrangères, en particulier nord-américaines, sous le prétexte d’industrialisation agricole.
En premier lieu, cette opération financière met en évidence le mensonge du patriotisme de cette caste d'aristocrates qui, aujourd’hui comme hier, et comme toujours, placent leurs intérêts au-dessus de ceux de la patrie. Ils n’hésitent pas à vendre le territoire national à des puissances étrangères.
En second lieu, elle démontre leur manque de confiance dans la stabilité du régime actuel ou d’un quelconque régime de même type : en échangeant leurs propriétés contre des dollars, ils se préparent à toute éventualité.
Mais surtout — et ceci est le plus grave — elle signifie pratiquement la transformation de l’Espagne en un pays diminué et dépendant, privé de sa liberté et de sa souveraineté pour décider de sa politique et de son destin.
Les Etats-Unis, comme tous les nouveaux riches, croient que tout peut s'acheter. Cela est vrai pour certaines gens, mais on n’achète pas la conscience des peuples. Le peuple espagnol, dont l’histoire est constituée par une lutte constante contre les oppresseurs nationaux et les envahisseurs étrangers, n’accepte pas cette situation.
Trahisons socialistes.
Les Américains n'ignorent pas l'hostilité du peuple espagnol envers le régime franquiste. Ils savent que Franco n'est pas l'homme qui peut mobiliser les masses espagnoles pour les mettre au service de l'impérialisme du dollar.
De Franco, ils acceptent tout ce que celui-ci peut leur donner — et ce n’est pas peu de chose — mais, en même temps, ils manquèrent avec d’autres hommes, espérant atteindre, par leur intermédiaire, leurs objectifs. Il s’agit de certains dirigeants socialistes espagnols — bien connus pour leur réformisme et leur anticommunisme — des anarchistes-monarchistes, et de certains hommes du camp républicain qui font déjà des déclarations publiques sur leur disposition à appuyer les prétentions américaines, prétextant les "impératifs géographiques".
Les Américains n'ont pas de mal à utiliser les dirigeants social-démocrates de droite, d'autant que ceux-ci se proclament partout des fervents partisans de la "démocratie" du dollar. Ils peuvent être, d'autre part, assurés qu'ils ne rencontreront guère de difficultés auprès des dirigeants des partis socialistes des pays du plan Marshall. Spaak et les Scandinaves, entre autres, n’ont-ils pas, les premiers, avec un "sens réaliste" de la situation, reconnu le franquisme ? Mais, à la vérité, leur réalisme consistait à sourire à l'hitlérisme. Pourquoi hésiteraient-ils à aider les impérialistes nord-américains à crucifier à nouveau le peuple espagnol ?
Le porte-voix de ce chœur de gens qui font parade d’anticommunisme et se montrent disposés à servir les Américains, est le leader socialiste Indalecio Prieto, élu président du Parti socialiste ouvrier espagnol. Cet homme est bien connu pour ses liaisons avec le capitalisme basque, qui, pour le récompenser de son travail "socialiste" parmi les ouvriers basques, lui fit cadeau, par le moyen de ses fils, il y a déjà vingt-cinq ans, du journal El Libéral de Bilbao, quotidien le plus répandu du pays basque. Grâce à El Libéral, M. Prieto put diffuser parmi la classe ouvrière de Biscaye ses idées "socialistes", si agréables à la bourgeoisie basque, par ailleurs une des plus réactionnaires de l’Espagne.
INDALECIO PRIETO 1936 PRESIDENT DU PSOE DE MARS 1948 A AVRIL 1951 |
Malheureusement, le leader socialiste de droite n’est pas seul à se montrer disposé à servir la politique nord-américaine en Espagne.
Le docteur Négrin, le dernier président du gouvernement de la république, jaloux de l’influence de M. Prieto dans les cercles nord-américains, a été plus loin que Prieto lui-même. Il a déclaré qu’il était nécessaire de faire participer l’Espagne — indépendamment de son régime — au bénéfice du plan Marshall, au moment même où, dans le monde, s’élevait une protestation éclatante à la suite de la décision du congrès nord-américain d'inclure l’Espagne dans le plan Marshall.
Unité dans le Conseil central de la Résistance.
Cependant, la lutte contre le franquisme continue à l’intérieur du pays ; lutte dispersée, fractionnée, et par conséquent pas aussi efficace quelle elle devrait et pourrait l’être. Cette situation est déterminée, non seulement par les conditions particulières dans lesquelles se développe cette lutte (groupes de guérilleros dans diverses provinces, sans aide extérieure, réduits à se battre avec leurs propres moyens face à un Etat policier, grèves dans les zones industrielles, résistance des paysans à la politique franquiste, etc.) mais aussi par le sabotage constant de la Résistance, par la propagande d'une politique de passivité et d’attente menée par les socialistes et les anarchistes qui tentent d’empêcher la lutte, sous prétexte que la libération de l’Espagne sera obtenue grâce aux bons offices des impérialistes anglo-saxons.
Dans ces conditions, la création du Conseil central de la Résistance surgit comme une nécessité impérieuse de coordination des efforts de tous les anti-franquistes afin d’élargir et de rendre plus efficace la lutte contre le franquisme.
Le Conseil central de la Résistance ne sera pas un organisme qui s’opposera aux institutions républicaines, mais un organisme d’action et de combat qui suppléera aux déficiences de la politique républicaine. Il agira en liaison avec l’organisation de la Résistance et la lutte menée à l’intérieur du pays.
Le Conseil central de la Résistance agira d'accord avec le gouvernement républicain si celui-ci est disposé à lutter pour la république, ou en marge de celui-ci si le gouvernement persiste dans son attitude de passivité et d’attente ou renonce lâchement à maintenir la représentation de la république.
Alors que la plus grande partie des forces républicaines attendent tout de la "bonne volonté" des Anglo-Américains, le parti communiste, sans refuser l’aide des grandes puissances au peuple espagnol pour se libérer de la tyrannie franquiste, soutient que la libération du pays doit être le résultat de l’action et de la lutte de toutes les forces antifranquistes, unies sur la base d’un programme dont la première condition pourrait être la réalisation d’une consultation libre, afin que le peuple, après avoir détruit le fascisme, puisse décider du régime sous lequel il entend vivre.
De cette différence d’opinion naît logiquement la différence des politiques et des attitudes. Ainsi, tandis que le parti communiste organise, à l’intérieur du pays, la lutte et la résistance populaire contre Franco, le reste des forces, à de petites exceptions près, conseille la passivité et l’attente.
Tout cela a comme conséquence que, cependant que l’influence des vieilles forces et partis politiques de la république diminue, le parti communiste croît et se développe, et son influence atteint des régions qui avaient été considérées, dans le passé, comme des forteresses de la réaction féodale et des propriétaires fonciers, et des couches de la population qui furent toujours réfractaires à la lutte et aux idées marxistes.
Malgré la résistance des dirigeants socialistes et les hésitations des républicains, le parti communiste, ainsi qu’il l’a réitéré dans son dernier Manifeste, s'efforce de trouver une base d’entente de toutes les forces démocratiques pour la lutte contre le franquisme et pour le salut de la souveraineté nationale et de l’indépendance de l’Espagne.
Sans cette unité, sans cette coordination, et sous la pression éhontée des Anglo-Saxons, qui veulent faire de l'Espagne une colonie yankee, on court le danger de voir l’Espagne, tout comme la Grèce, devenir le théâtre de luttes sanglantes entre la réaction fasciste et les forces démocratiques.
Car le peuple espagnol ne renonce ni à sa liberté, ni à la souveraineté et à l’indépendance de son pays."
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