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mercredi 6 mars 2024

LA GROTTE D'ISTURITZ EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1935 (deuxième et dernière partie)

 


LA GROTTE D'ISTURITZ EN 1935.


Les grottes d'Isturitz et d'Otsozelhaia forment une série de grottes naturelles avec habitat préhistorique situées sur le site naturel de la colline de Gaztelu, dans la vallée de l'Arberoue, en Basse-Navarre.




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VUE PANORAMIQUE DE LA TERRASSE DES GROTTES D'ISTURITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le Comte de Saint-Périer dans le Bulletin N°15, de la Société des 

Sciences, Arts et Lettres de Bayonne, du 1er janvier 1935 :



"La grotte d'Isturitz.



... Contre ces adversaires et pour se procurer la viande dont ils se nourrissaient, quelles armes possédaient les hommes d’Isturitz ? Ils ignoraient bien entendu tous les métaux et ce sont les armes en bois, massues ou casse-têtes, malheureusement non conservés dans nos gisements, qui, avec les pierres jetées à la main ou au moyen de frondes, devaient constituer une grande partie de leur armement. Les silex taillés de cette époque semblent bien plutôt destinés à fabriquer les armes, les vêtements et les parures, qu’à servir eux-mêmes d’armes. En effet, si quelques pointes de silex purent être utilisées comme armatures de flèches ou de javelots, c’est surtout l’os et le bois des Rennes et des Cerfs qui fut employé à cet usage. On en faisait des pointes de sagaies qui, liées à des hampes de bois végétal, pouvaient être projetées à distance et pénétrer profondément dans les chairs. Pour augmenter leur portée et régulariser leur trajet, on employait des propulseurs, baguettes creuses en os ou en bois de Renne sur lesquelles on plaçait la sagaie pour la lancer. Un instrument semblable était utilisé il y a peu d’années encore par les Esquimaux et les Indiens de l’Amérique centrale. Nous ne parlerons pas des harpons en bois de Cervidés, car ceux-ci n’apparaissent qu’à une époque postérieure à celle où vécurent les hommes de notre salle.



Au retour de la chasse, assemblés autour des feux dans la grotte, insensibles certainement, comme les Esquimaux actuels, à la fumée qui tourbillonnait et qui nous paraîtrait insupportable, les hommes taillaient le silex, préparaient les peaux des animaux tués, sans doute en râclant d’abord leur face intérieure au moyen des grattoirs en silex, puis, achevant la préparation avec les lissoirs en os pour rendre le cuir plus souple. Ils brisaient les os avec des pierres, suçaient la moelle de l’intérieur et taillaient les éclats au moyen de burins de silex pour en faire des sagaies, des baguettes de formes diverses, des poinçons, des lissoirs, des aiguilles à chas pour la couture des vêtements de fourrure. Le feu les éclairait, mais ils y joignaient encore des lampes, simples godets en pierre où la graisse en brûlant a laissé des résidus dont l’analyse chimique nous a révélé l’origine. Nous avons expérimenté nous-même ce mode d’éclairage au cours de nos fouilles en nous rapprochant autant qu’il était possible des conditions où se trouvaient ces hommes : une pierre creuse du gisement fut emplie de graisse naturelle, telle que s’en pouvaient procurer les Magdaléniens, une mèche en fibres végétales y fut introduite et allumée. Nous éteignîmes nos lampes à acétylène et nous obtînmes une flamme peu fixe et fumeuse, répandant une odeur fétide, mais assez éclatante pour que la lecture fut possible. Plusieurs de ces appareils primitifs, tels qu’en durent établir les Magdaléniens, suffisaient amplement à dissiper l’obscurité de leur logis et leur permettaient de poursuivre un travail minutieux.



Le séjour des grottes constituait donc, outre un abri contre le froid intense du dehors, un refuge plein de sécurité et même de charme pour ces hommes rudes. Mais la question de la nourriture se posait constamment pour eux. Si abondant que dût être à cette époque le peuplement en animaux, la chasse continuelle devait éloigner les troupeaux et rendre leur capture de plus en plus difficile. Les hommes étaient obsédés de cette pensée et c’est leur obsession même qu’ils ont traduite en des œuvres graphiques qui sont parvenues jusqu’à nous et qui sont les témoignages les plus émouvants de ce temps aboli, ceux qui seuls nous permettent de discerner quelque peu de la mentalité de ces hommes primitifs. Ce n’est point ici le lieu de rappeler toutes les discussions qu’a soulevées le problème de l’origine de l’art, mais nous montrerons par l’examen de quelques œuvres marquantes que les Magdaléniens, et ceux d’Isturitz plus spécialement, furent de grands artistes, en dépit de l’âge reculé auquel ils appartiennent et qu’ils surent employer déjà de nombreux modes d’expression d’art: gravure sur os et sur pierre, sculpture en bas-relief et en ronde bosse en os, en bois de Renne et en pierre, contours découpés en os. Tous ces essais artistiques ne sont point des chefs-d’œuvre et l’on trouve des maladresses, des incorrections dans l’interprétation des modèles. Mais beaucoup d’entre eux, nous pourrions même dire la plupart, sont saisissants de justesse dans l’observation et d’adresse dans l’exécution. Pour obtenir ce résultat avec un silex burinant une matière rebelle comme l’os frais ou la corne, il fallait à l’artiste, outre une vigueur peu commune, une sûreté de main exceptionnelle. Il montrait aussi un coup d’œil incomparable pour saisir, sur un modèle animal sans cesse mobile et éloigné, la forme propre, l’attitude familière, le détail caractéristique, et pour les rendre ensuite avec fidélité. Car c’est le réalisme de ces œuvres qui nous frappe aujourd’hui encore, à tel point qu’il n’est pas exagéré de dire qu’aucune école d’artistes animaliers n’a surpassé cette maîtrise de nos obscurs chasseurs paléolithiques. Nous donnons ici quelques exemples de cet art, choisis parmi les œuvres recueillies au cours de nos fouilles dans la salle de St-Martin.



Voici sur une plaque de grès rose (N° 7) deux Bisons gravés d’un trait ferme et profond. Les deux profils sont opposés et le même trait a constitué la ligne du ventre des deux animaux. L’œil, la corne, la crinière hérissée, la bosse dorsale du Bison sont indiqués avec vigueur ; l’arrière train et la queue sont d’un réalisme plus saisissant encore. Sur le flanc, sont gravées des flèches, symboles de l’arme qui doit frapper l’animal, peut-être en signe d’envoûtement pour s’assurer de sa capture.



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GROTTES ISTURITS
SOCIETE SCIENCES LETTRES ARTS BAYONNE
BULLETIN N°15



Un autre profil de Bison gravé en léger champlevé sur une perche de bois de Renne polie (N° 6) est d’un tout autre caractère. L’attitude est calme, l’expression sereine et majestueuse. Ainsi cette tête fait songer aux bas-reliefs assyriens où les taureaux androcéphales présentent cette apparence de majesté paisible.



Quelquefois l’artiste s’est plu à figurer une partie seulement de l’animal ; c’est ainsi qu’une patte de Bison est gravée en léger relief sur une esquille d’os (N° 4). La minutie des détails n’exclut pas la vigueur de l’ensemble, ni la correction de la forme, où l’attitude légèrement fléchie du membre est rendue avec tant d’exactitude et de naturel.



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TÊTES DE RENNES ET DE BISONS BRISEES
GROTTES D'ISTURITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le contour découpé en os est un procédé particulier aux artistes de l’âge du Renne. Il consistait à découper dans un os plat le contour à figurer et à compléter ensuite par la gravure les divers traits du modèle. C’est à cette technique qu’appartient une tête de Cheval (N° 3) où les méplats et les reliefs, les détails du pelage de la face et la barbe sont minutieusement traités.



Enfin, la grotte d’Isturitz a fourni un nombre important de sculptures en grès tendre qui sont rares en dehors de ce gisement. Si l’on connaît les grands reliefs en frise du Cap-Blanc (Dordogne) ou sur des blocs, dans d’autres gisements du Périgord, la sculpture en ronde bosse n’est guère connue jusqu’ici que par la tête d’Ovibos de Laugerie-Haute (Dordogne), des essais fort médiocres de Laugerie-Basse et quelques œuvres meilleures de Bédeilhac (Ariège). Il semble qu’à Isturitz une véritable école de sculpture sur pierre ait fleuri au cours du Magdalénien ancien. La roche est un grès tendre, d’origine locale, recueilli sur les pentes du coteau opposé à la grotte. Nous citerons de la salle de St-Martin une petite tête gracieuse de jeune Ruminant (N° 1), une tête de Cheval massive (N° 2) et surtout une tête de Cheval avec son encolure (N° 5). Cette dernière sculpture est d’une expression saisissante: la tête est rejetée en arrière, l’oreille couchée, les naseaux frémissants, l’encolure arrondie et la crinière hérissée. Il semble que l’animal furieux se prépare à combattre, comme le font entre eux les étalons qui conduisent de petits groupes de juments dans les bandes de Chevaux sauvages des steppes asiatiques. Si la tête de Bison sur un bois de Renne évoquait déjà tes bas-reliefs de Ninive ou d’Assur, c’est à l’art grecque nous pensons devant cette œuvre, si forte dans sa simplicité qu’elle ne serait point déplacée au milieu des cavaliers qui escortent au sommet du Parthénon le cortège des Panathénées.


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GROTTES D'ISTURITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


D’où venaient ces hommes à la fois si primitifs et si habiles et que sont-ils devenus ? Nos connaissances à cet égard sont encore pleines d’incertitude. Avant l’époque magdalénienne à laquelle appartient notre niveau de la salle St-Martin, bien des hommes avaient habité notre grotte, depuis l’époque si lointaine où le grand Ours, dont les squelettes jonchent les niveaux inférieurs, régnait seul dans ses galeries. Ces hommes, dont le souvenir sans doute était perdu pour les Magdaléniens, appartenaient à deux espèces ; la plus ancienne, dite de Néanderthal, éteinte bien longtemps avant les Magdaléniens et qui ne connut ni l’outillage complexe, ni l’art de la fin de l’âge du Renne ; l’autre, dite de Cro-Magnon, dont les Magdaléniens formaient peut-être une race distincte, avait déjà une industrie variée et un art assez évolué. Il est possible que son influence se soit perpétuée jusqu’à l'époque des Magdaléniens, qui devaient développer les tendances artistiques déjà en germe chez leurs devanciers.



Mais cet épisode artistique devait demeurer isolé. A la fin du Magdalénien, nous voyons déjà se manifester une dégénérescence de la figure naturaliste qui tend vers une stylisation décorative non dénuée de charme, mais qui n’est plus qu’un reflet obscurci du grand éclat de l’art réaliste. Puis, à la fin de l’âge du Renne, l’art s’éteint tout à fait. Le climat avait changé, au froid sec du Magdalénien succédait une période plus chaude, humide, qui favorisait la croissance des forêts. Le Renne, animal essentiellement habitué au froid, quitte nos régions, il ne supporte plus la douceur du climat atlantique, il lui faut la toundra glacée ou la vaste steppe où il broute le lichen et la mousse et il remonte vers le Nord, gagnant le cercle polaire, où ses descendants vivent encore aujourd’hui en grand nombre. L’homme aussi a émigré ; au Magdalénien trapu, à crâne caréné, à pommettes saillantes, voisin de l’Esquimau, succèdent d’autres peuples venus de l’Est ou du Sud qui polissent la pierre, élèvent des animaux, cultivent la terre. Bientôt ils découvriront le métal ; un monde nouveau se prépare.



Peut-être nos Magdaléniens ont-ils suivi les Rennes et, entraînés par la migration de cet animal auquel leurs mœurs et leurs besoins étaient liés, ont-ils gagné le Nord glacé où ils retrouvaient leur climat et leur mode d’existence. Et peut-être les peuples hyperboréens d’aujourd’hui, à faciès mongoloïde comme ceux de jadis, seraient-ils les descendants des troglodytes de nos grottes pyrénéennes. Ce n’est point là une hypothèse absurde ; la similitude à la fois du type physique et de l’ethnographie de ces peuplades semble la confirmer. Mais nous manquons de documents pour être affirmatif. Nous ne connaissons de cette civilisation magdalénienne, qui brilla dans nos grottes il y a peut-être quinze millénaires, que les débris perdus ou jetés par les habitants des grottes et ce sont là des renseignements un peu sommaires pour autoriser de vastes synthèses. L’art, il est vrai, encore que bien des œuvres nous parviennent à l’état de fragments, nous renseigne quelque peu sur ce qu’étaient les hommes de l’âge du Renne. Nous savons par lui qu’ils étaient non seulement de bons observateurs, mais encore de vrais artistes qui connurent l’émotion esthétique. Car on ne peut contester ce titre à ceux qui conçurent et réalisèrent de telles œuvres et, en tant qu’artistes, ils durent goûter la joie de la création et ce sentiment de plénitude que donne l’accomplissement, fût-il imparfait, d’un idéal poursuivi. Cela ne suffit point à notre curiosité et nous voudrions connaître leurs ancêtres, leurs coutumes et leurs dieux. Mais si nos fouilles ne nous permettent pas encore, si elles ne doivent jamais nous permettre, de répondre à toutes ces questions, elles nous donnent cependant sur ce lointain passé des connaissances dignes d’intérêt ; elles nous montrent quelle longue série de siècles a demandés l'évolution de l’humanité ; elles nous apportent, enfin, la joie de voir apparaître au jour une œuvre d’art qu’aucun œil humain n’avait perçue depuis des millénaires, petit ouvrage fragile, si vieux et pourtant si jeune encore, puisqu’il nous apporte la pensée toujours vivante de l’artiste. "Une œuvre de beauté, a dit Shelley, est une joie pour toujours".





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