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mardi 6 février 2024

LA GROTTE D'ISTURITZ EN BASSE-NAVARRE AU PAYS BASQUE EN 1935 (première partie)

 

LA GROTTE D'ISTURITZ EN 1935.


Les grottes d'Isturitz et d'Otsozelhaia forment une série de grottes naturelles avec habitat préhistorique situées sur le site naturel de la colline de Gaztelu, dans la vallée de l'Arberoue, en Basse-Navarre.




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VUE PANORAMIQUE DE LA TERRASSE DES GROTTES D'ISTURITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet le Comte de Saint-Périer dans le Bulletin N°15, de la Société des 

Sciences, Arts et Lettres de Bayonne, du 1er janvier 1935 :



"La grotte d'Isturitz.



Entre la route d’Hasparren à St-Palais, au Sud, et celle d’Hasparren à Bidache, au Nord, l’Arberoue, sous-affluent de l’Adour, suit un cours capricieux dans une région particulièrement isolée, en dépit de sa proximité de Bayonne. Sa vallée, étroite et sinueuse, est bordée à l’Ouest par des hauteurs abruptes, boisées çà et là, à l’Est, par l’extrémité du vaste plateau des bois de Mixe, jadis couvert de forêts, aujourd’hui lande désolée, revêtue seulement d’ajoncs et de genêts, où nul arbre ne saurait plus croître par le fait des hommes et de leurs troupeaux. Le chemin d’intérêt commun qui relie les deux routes traverse le village d’Isturitz à douze kilomètres d’Hasparren. A quelques centaines de mètres du village, sur le versant Ouest du coteau et presque à son sommet, au lieu dit Le Castelou, s’ouvre la grotte dite d’Isturitz, bien que la plus grande partie de ses salles soit située sur la commune de St-Martin d’Arberoue. Une tour ruinée, signal ou poste d’observation, plutôt que lieu de défense, et qui a motivé le nom du champtier, évidemment dérivé de Castellum, se dresse presque à l’aplomb de l’ouverture et en signale de loin l’emplacement.


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VUE PANORAMIQUE DE LA TERRASSE DU BAR DES GROTTES
ISTURIZ
PAYS BASQUE D'ANTAN


On accède à la grotte par deux entrées : celle d’Isturitz, la plus ancienne et la seule naturelle, tandis que l’autre fut ouverte artificiellement, en 1912 seulement, sur le versant opposé du coteau, que la grotte traverse ainsi entièrement. C’est, en effet, une véritable galerie naturelle, comprenant deux vastes salles et de nombreux diverticules, où s’engouffrait jadis l’Arberoue après avoir lentement agrandi les premières fissures de la roche. Plus tard, la rivière abandonnant son cours supérieur par suite de l’approfondissement de la vallée a parcouru d’autres salles plus petites, mais plus nombreuses et d’aspect plus varié, dites grottes d’Oxocelhaya, que l’on visite aujourd’hui pour leurs élégantes draperies stalagmitiques. Enfin, sous ces salles qui sont situées à douze mètres au-dessous des premières, l’Arberoue traverse encore la montagne, mais à cinquante mètres au-dessous de son premier cours. Il entre sous la roche par un large porche non loin du moulin Haristoy, sur la commune de St-Martin d’Arberoue, et revient au jour, après un trajet souterrain inexploré, sur la commune d’Isturitz, par une résurgence vauclusienne à une cinquantaine de mètres au-dessous de l’entrée naturelle de la grotte.



Nous nous occuperons seulement de la grotte supérieure, la plus anciennement connue et la seule qui ait montré jusqu’ici des témoins importants d’une habitation humaine préhistorique. Avant que l’exploration de ces divers niveaux archéologiques eût révélé son intérêt scientifique, la grotte d’Isturitz ne paraît pas avoir joué un rôle important dans l’histoire de la région. Cependant, dès l’époque romaine les hommes fréquentèrent ses abords. Nous avons recueilli au cours de nos fouilles, dans les niveaux superficiels, au-dessus de la grande nappe stalagmitique qui scelle pour ainsi dire les couches préhistoriques, de grands bronzes du Haut-Empire qui paraissent avoir été jetés par l’ouverture dans l’intérieur de la grotte. Celle-ci devait constituer alors un antre sacré, refuge, aux yeux des hommes, d’une divinité locale, qu’il fallait se rendre favorable en lui faisant au passage l’hommage de quelques sesterces, comme on le faisait en traversant les gués pour ne point provoquer l’irritation de la divinité fluviale.



Du Moyen âge, nous ne savons rien : la tradition populaire a placé dans notre grotte le séjour des Laminen ou esprits malins, comparables aux Korrigans bretons et aux Elfes germaniques, et cette croyance, à peine abolie parmi les habitants de cette région peu visitée de la Basse-Navarre, remonte sans doute à une haute époque. Mais nous n’avons pas relevé de traces d’une occupation militaire, soit de défense, soit de refuge, comme il s’en trouve dans quelques grottes des Pyrénées, qui furent fortifiées et habitées au cours de la guerre de cent ans, notamment aux environs de St-Gaudens.



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GROTTES DE GARGAS
65 AVENTIGNAN



A l’époque moderne, la grotte fut visitée en raison des belles proportions de sa grande salle et du pittoresque de ses stalagmites. En 1859, elle reçut des hôtes notoires dont le souvenir est encore conservé dans le pays. En effet, cette année-là Napoléon III et l’Impératrice, qui se trouvaient à Biarritz, annoncèrent leur intention de venir à Isturitz. Le Conseil municipal décida l’établissement d’un pont sur un ruisseau pour faciliter leur passage, comme en témoigne le registre des délibérations. Les souverains visitèrent la grotte, déjeunèrent ensuite, nous a dit un vieil habitant du pays, dans un pré voisin sous une tente dressée à cette occasion et rentrèrent ensuite à Biarritz après avoir offert un ostensoir à la modeste église du village.



D’autres visites, moins officielles, ont laissé dans la littérature plus de traces. Pierre Loti, lors de son séjour à Hendaye, parcourut la grotte et nota ses impressions dans Figures et choses qui passaient. M. Francis Jammes a placé dans la grande salle une évocation pleine de poésie qui forme un des plus gracieux épisodes de son roman Janot-poète.



Mais, vers 1890, l’histoire de la grotte entra dans une nouvelle phase. A la suite d’une exploitation de phosphates qui y fut tentée et qui malheureusement entraîna la destruction des couches préhistoriques en plusieurs points, l’attention des préhistoriens fut éveillée par les découvertes de silex, d’os travaillés, de sculptures, faites au cours de l’extraction des terres. A ce moment, Edouard Piette dont on connaît les belles fouilles dans les grottes pyrénéennes, notamment à Gourdan, à Lortet, au Mas d’Azil, connut la grotte d’Isturitz et en comprit l’intérêt, mais, nous ignorons pour quelle raison, il n’en entreprit pas l’exploration.



Cependant, l’exploitation des phosphates avait heureusement cessé à la suite de poursuites judiciaires de la part du propriétaire de la plus grande partie de la grotte, dont les entrepreneurs avaient envahi la propriété. Une ouverture au flanc du coteau exposé à l’Est, sur la commune de St-Martin d’Arberoue, avait été pratiquée en 1912, comme nous l’avons dit plus haut, et la grotte ne recevait plus que la visite de quelques curieux, lorsque M. Emmanuel Passemard entreprit des fouilles régulières dans les assises préhistoriques du gisement. Ces fouilles durèrent jusqu’en 1922 ; elles aboutirent à la découverte de gravures figurant des Rennes, des Chevaux et un Félin sur un pilier naturel isolé au milieu de la grande salle et à la constitution d’une importante collection d’objets d’industrie et d’œuvres d’art. Acquise par les Musées nationaux, cette collection est conservée aujourd’hui au Musée de St-Germain en Laye.



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LES GROTTES D'ISTURITZ ET D'OXOCELHAYA
PAYS BASQUE D'ANTAN


C’est en 1928 que nous commençâmes nos fouilles personnelles dans la grotte d’Isturitz ; nous nous proposons d’exposer ici quelques-uns de leurs résultats.



Abstraction faite de galeries latérales peu étendues, la grotte comprend deux vastes salles, communiquant par un étroit passage qui forme un seuil rocheux entre elles. La plus grande, qui s’ouvre par l’entrée naturelle sur la commune d’Isturitz et que nous nommons pour cette raison salle d’Isturitz, est de proportions majestueuses, avec un plafond qui s’élève à plus de 15 mètres, en forme de dôme. La seconde, à laquelle on accède du côté de St-Martin d’Arberoue par l’ouverture artificielle, est beaucoup plus basse, ne dépassant pas 1 m.80 par places ; nous l’appelons salle de St-Martin. Toutes deux renferment des couches préhistoriques superposées atteignant en bien des points une épaisseur de sept mètres, qui témoignent d’une habitation très prolongée et très dense de populations paléolithiques. Nous n’avons exploré jusqu’ici que le niveau supérieur de cet ensemble, en commençant notre fouille dans la salle de St-Martin. C’est du résultat de cette exploration qu’il sera question ici.



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GROTTES D'ISTURITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Sous une épaisseur de 0 m.30 à 0 m.50 de déblais modernes, constitués par une argile humide, apparaît une nappe de stalagmite qui a couvert le premier niveau préhistorique. Cette nappe provient du ruissellement des eaux de pluie, qui ont traversé la roche calcaire fissurée de la voûte où elles se sont chargées de carbonate de chaux. Elles l’ont déposé par évaporation sur les parois où de longues traînées, formant parfois de véritables cascades solidifiées, indiquent leur passage, puis, tombant sur le sol même du gisement, elles l’ont recouvert de ce revêtement blanc et cristallin, épais de 0 m.10 à 0 m.50, qu’il faut briser à la masse de carrier ou même à la poudre de mine pour dégager le foyer préhistorique. Celui-ci se présente sous forme d’une couche de terre noirâtre, mélangée de cendres, de charbons, parfois de fragments d’ocre rouge qui colorent en teinte brique certaines parties de la couche, et d’un très grand nombre d’éclats d’os brisés, restes des repas des habitants de la grotte. C’est dans ces amas de débris, qu’encombrent encore des blocs souvent volumineux tombés du plafond, que gisent les objets de l’industrie des hommes.



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TÊTES DE RENNES ET DE BISONS BRISEES
GROTTES D'ISTURITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Cette première couche répond au Magdalénien, dernier terme de l’âge du Renne, période froide qui clôt l’époque paléolithique ou de la pierre taillée. C’est à la fin de cette période qu’un climat plus humide et moins froid amena de grandes précipitations atmosphériques qui ont donné naissance aux nappes stalagmitiques qui recouvrent le niveau magdalénien.  



Examinons d’abord les éclats osseux si nombreux dans la couche qu’elle prend l’apparence en certains points d’un véritable amas d’os. Ceux-ci ont été brisés au moyen d’instruments contondants, galets ou grosses pierres, percussion qui a donné des esquilles de forme spéciale, caractéristique. Tous les os longs à cavité médullaire centrale ont subi ce traitement. Les crânes ont été brisés également ; seuls sont intacts les phalanges et les os courts privés de moelle. Il est donc probable que, comme les Esquimaux actuels, les Magdaléniens recherchaient la moelle et la cervelle des animaux qu’ils tuaient à la chasse et brisaient les os et les crânes pour se procurer ces aliments. On remarque également qu’il y a très peu de vertèbres et de côtes dans le gisement et que la plupart des os appartiennent aux membres. On peut en conclure que le gibier était dépecé sur le terrain de chasse et que l’on n’apportait dans la grotte que les épaules, les cuissots et les parties molles, laissant sur place la colonne vertébrale et la cage thoracique.



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GROTTES D'ISTURITZ
PAYS BASQUE D'ANTAN



Les animaux de chasse étaient d’abord le Cheval, si abondant dans ce niveau que Piette l’avait dénommé étage hippiquien. Mais rien ne nous permet de penser que le Cheval fut alors domestiqué : il devait errer par immenses troupeaux dans les steppes d’alentour, comme les Chevaux sauvages actuels en Tartarie et dans la pampa américaine. Après lui, le Renne qui n’habite plus nos régions depuis le réchauffement du climat postérieur à la fin de l’époque glaciaire, devait aussi fréquenter en grand nombre les pâturages de lichens, car ses débris osseux sont nombreux dans la grotte et ses bois ont été constamment utilisés pour fabriquer des armes et des instruments. Venaient ensuite le Bison, dont nous verrons plusieurs représentations parmi les œuvres d’art de la grotte, le Cerf moins abondant que le Renne, mais que l’on trouve à tous les niveaux de l’époque paléolithique. C’est à tort selon nous que la présence du Cerf impliquerait un climat relativement doux avec végétation arborescente abondante, car si le Cerf est aujourd’hui cantonné exclusivement dans les bois, c’est parce qu’il est traqué par l’Homme et à l’époque où il l’était moins, non seulement il s’accommodait de la plaine, mais il y vivait volontiers. S’il était moins abondant que le Renne, c’est parce que, vivant en petites hardes et non en troupeaux comme le Renne, il se défendait moins bien dans la concurrence vitale, chassé des bons pâturages par ses trop nombreux concurrents. On le vit bien à l’époque de la pierre polie où le Renne ayant émigré vers le Nord, le Cerf devient abondant dans tous les gisements. Nous trouvons ensuite des espèces moins fréquentes : le grand Bœuf ou Urus des anciens auteurs, le Chamois qui vivait alors dans la plaine avant de se réfugier, chassé par l’homme, sur les hauts sommets des montagnes, le Bouquetin qui suivit la même loi, l’Antilope saïga, rare dans les Pyrénées, qui ne vit plus maintenant que dans les steppes de l’Asie centrale. A ces animaux que nous pouvons considérer comme formant l’alimentation principale de la tribu, il faut ajouter les espèces qui constituaient des ennemis pour elle. Le grand Ours des cavernes, bien rare déjà à cette époque, qui avait occupé avant les hommes et souvent entre deux habitations humaines tant de grottes à l’aurore de l’âge du Renne, existait encore cependant et des luttes entre les Magdaléniens et lui durent ensanglanter les salles obscures de la grotte. Le Loup, l’Hyène des cavernes, le Renard, étaient des hôtes incommodes, sinon dangereux, et leurs restes osseux montrent que l’homme dut souvent se défendre de leur approche. Enfin le Rhinocéros, puissant animal à la fourrure épaisse, aujourd’hui disparu, dut constituer un ennemi redoutable par l’impétuosité et la brutalité de sa charge."



A suivre...




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