UNE NUIT DE CONTREBANDIERS EN 1922.
Depuis la nuit des temps et tant qu'il y a eu une frontière, il y a eu des contrebandiers et en face d'eux des douaniers essayant de les attraper.
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien local La Gazette de Biarritz-Bayonne et Saint-Jean-
de-Luz, le 19 octobre 1922, sous la plume de M. Pierre-Plessis :
"Sare-Col de Saint-Ignace — Hendaye.
— Adichquideac gueretrat goua ederra iranda, dit avec bonne humeur notre chef Domingo en allumant la lanterne... Ce sera, je crois, une belle nuit pour nous, les enfants !...
Erramoun ne répondit pas. Il mordait une tige de bruyères fleurie, puis la faisait tourner dans sa main et pensait à je ne sais quoi. Il était le plus âgé de la bande après Domingo, et le plus sage aussi. Manech et Begnat, les deux inséparables, riaient probablement d'une histoire drôle, et, étendus dans un coin, sur la fougère, ils s'amusaient à siffler un air de danse aussitôt qu'ils ne par laient plus. Cayet, lui, le fameux joueur de Biriatou, discutait avec Ganich, le nouveau venu.
Nous étions tous les sept réunis, ou plus exactement tapis dans une masure délabrée, au fond du ravin. Une nuit pesante, humide, épaisse collait sa suie aux vitres de l’unique fenêtre, à hauteur d'épaules. C'est là qu’avait été fixé pour cette équipée le rendez-vous de contrebande. Nous nous connaissions tous déjà, mais pour moi, face pâle des villes, il n'avait pas été facile, je l’avoue, d’obtenir mon enrôlement. Le col Saint-Ignace est rude ; la Rhune est dangereuse, les cailloux durs, le métier plein de risque — à titre d’essai surtout — et ces risques-là, voyez-vous, les contrebandiers les admettent pour eux ; ils n'aiment pas que d'autres les partagent.
Orduan mutico hori segurra duc ? Ichillic egoin da ? demanda une fois encore Domingo à Erramoun... Alors tu es sûr de ce garçon, il ne bavardera pas ?...
Domingo, le plus âgé, était le chef de la bande. Nous n’attendions plus pour partir que les indispensables renseignements sur les postes probables des douaniers. Domingo avait donné rendez-vous à ses espions pour 10 heures et demie.
La lanterne posée sur le sol n’éclairait que nos jambes, nos sandales, nos verres et une bouteille.
— J’ai peur que tu ne sois éreinté si tu portes vingt-cinq kilos, me dit le chef... Tu ne connais pas les sentiers, tu vas te casser la figure et nous faire pincer. Tu ne portes rien cette fois-ci.
— Comme-tu voudras, répondis-je.
Begnat, qui terminait une cigarette, éleva la voix :
-— Ce que nous allons faire ce soir est ce qu'il y a de plus rude. Nous n’avons pas les douaniers avec nous. Ce sont des nouveaux. Ah ! si c’était un troupeau à passer... moi je m'en charge ! Je l’ai fait souvent au col d’Ispeguy. Cette fameuse zone neutre pour les pacages de jour, ça facilite rudement les choses ; et puis, les carabineros ferment l'œil et les nôtres aussi. C’est une convention tacite souvent !...
— Voici notre messager, cria Domingo en voyant entrer un jeune garçon un peu essoufflé... Parle, Jean !
Et Jean lui parla à l’oreille, tandis que par la porte grande ouverte la nuit s’offrait à nous comme un gouffre, pleine de mystère et d'effroi dans la complicité immobile des brouillards...
CONTREBANDIER A OLHETTE URRUGNE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Le sentier des Etoiles.
— Bien, dit le chef, à présent va-t-en vite !... Et nous, en route ! Ceux de l’avant, Manech et Begnat, peuvent partir ! Tout va bien ! Les postes ne sont pas changés, le douanier Bertrand est malade et ne bougera pas beaucoup, ceux de Sare sont allés vers la "Source des Vierges", ceux d’Ascain sont au "Trou du Loup"... Nous autres, nous ferons comme il était convenu...
Par où ? questionna Manech.
— Izarr Chendera ! répondit Domingo : le sentier des Etoiles !...
Izarr chendera... le sentier des Etoiles ! O, sombre et mystérieuse montagne, est-ce par lui, enfin, que je vais connaître, au vent de l’aventure, ta face de ténèbres et de crainte pendant que chanteront les sources ?... Tes rochers abrupts, tes ravins à pic, ta crête dominatrice, asile des vautours, cachent sous l’impénétrable suaire des heures nocturnes leurs embûches et leurs fantômes !... Fantôme, que ce premier arbre qui nous barre la route et dans les branches duquel je me heurte !... Fantôme, que ce pied géant de maïs sur le frémissement d’autres tiges mûres parmi lesquelles nous faisons en passant des déchirures cristallines... Fantômes, que ces hêtres dont nous ne devinons même pas la forme... Fantômes que ces deux châtaigniers qui se touchent du coude, là devant nous, au bord d’un trou !... Fantômes ! Fantômes ! Ah ! qui n’a pas vu la montagne par une nuit d'automne ne connaît tien de la puissance enchanteresse des ténèbres !... On commence par sentir sa griffe qui laboure. Les veux mal habitués s’ouvrent en vain et cherchent... Quelle bête étrange es-tu, ô ! Rhune ? Nous allons violer ton repos... rire peut-être de ta majesté... Rire ? Les pieds se trompent, cherchent la roche, trouvent les cailloux et glissent. On tombe. On se relève. On repart. La montagne se venge... Halte !... on s'arrête !... Allons respire !... On respire !... La gorgée d'air froid tous envahit comme une eau nouvelle... Respire encore !... Respire !... Alors on boit à pleins poumons cette fraîcheur... et tous les parfums de la terre pénètrent dans votre poitrine !...
CONTREBANDIERS PAYS BASQUE D'ANTAN |
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