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mercredi 28 février 2024

LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1896 (huitième et dernière partie)

 

LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1896.


La place de la femme, dans la société, au Pays Basque, a toujours été très importante.





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FEMME DE NAVARRE ORIENTALE




Après nous avoir parlé des enfants, des animaux domestiques, des mariages et de la mort, voici 

ce que rapporta au sujet de la femme au Pays Basque, Mme d'Abbadie d'Arrast, épouse 

d'Antoine d'Abbadie d'Arrast, dans la revue bimensuelle La Femme, le 15 avril 1896 :



"La femme du pays basque (suite et fin).



... Mais avant tout, au dessus des arguments que les Codes humains peuvent nous fournir en faveur de l'autorité maternelle, il y a les indications de la nature, lesquelles sont clairement au bénéfice de la mère et ce sont ces indications qui me touchent le plus vivement. Epreuves, soucis, travail supporté pour l'amour des enfants, de qui sont-ils le lot si ce n'est de la femme ? C'est elle qui peine le plus, à commencer par l'acte premier, la fonction féminine par excellence, la maternité, que Dieu l'a chargée d'accomplir dans la douleur et par la douleur.



Pourquoi, puisque le travail et les devoirs des deux conjoints, quoique de sortes différentes, se départagent et s'équilibrent entre eux chacun dans la sphère qui leur a été dévolue, la puissance maternelle ne se départage-t-elle pas et ne s'équilibre-t-elle pas avec la puissance paternelle ? Cette inégalité de droits est une criante iniquité à l'égard de toutes les femmes, quelle que soit la classe sociale à laquelle elles appartiennent, une iniquité plus criante encore lorsqu'il s'agit de la femme du peuple, de la femme pauvre. Il n'est pas surprenant, qu'effrayées par les conditions léonines que l'homme leur impose légalement par le mariage, les filles du peuple répugnent à s'engager devant la loi et disent qu'elles préfèrent ne pas se marier pour conserver sur leurs enfants leur autorité.



Pour la paysanne en particulier, combien sont onéreuses et pénibles les multiples obligations de la maternité, la sujétion du nourrissage, le soin des petits enfants ; tandis que le père, lui, ne connaît que la joie de se sentir choyé par les petits quand il revient des champs. Une bouche de plus à nourrir, la bouche d'un de ces gamins, qu'est-ce pour lui, quel surcroît de travail cela lui impose-t-il ? Moins que rien. Mais la mère, pendant qu'à la maison et au dehors, active à sa besogne, elle va et vient, il lui faut prendre les petits dans ses bras ou les traîner suspendus à ses jupes. Pendant sa grossesse, elle ne peut s'accorder de relâche, elle travaille tous les jours, car il le faut bien. La fatigue qui se lit sur ses traits fait pitié, à force de s'épuiser cette jeune femme, à la primeur de son âge, a tout à coup revêtu l'apparence de quarante années. Ne sont-ce pas les indications de la nature pour dire, pour crier à ceux dont le coeur est capable de s'inspirer de justice, que la mère est quelqu'un, et qu'il est inique au regard des enfants, de feindre l'ignorer et de l'outrager en l'accablant d'une minorité imbécile.




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"DEPOPULATION" A SOCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN




Revenons à notre basquaise. Paysanne ou ouvrière, elle travaille pendant sa grossesse jusqu'à la dernière minute, elle ne se plaint pas, elle sait qu'il le faut. Au moment où son terme arrive, elle revient du champ en toute hâte, quelquefois la pioche à la main, ou elle rentre à la maison sa cruche d'eau sur la tête. Lorsqu'elle est pauvre, c'est souvent dans sa cuisine qu'elle met au monde son enfant ; les personnes de la maison l'entourent, on s'empresse auprès d'elle, on l'encourage, on lui prodigue des soins, on l'abreuve de vin chaud et de cordiaux. Ces soins ne sont pas des plus intelligents, il arrive que par un zèle excessif on amène la souffrante à l'état d'ébriété pour le dernier moment de la délivrance.



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HERCAGE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Aux yeux de la plupart de nos lectrices, il semblera sans doute qu'une cuisine ne soit pas un lieu d'élection pour la naissance d'un enfant. Cependant, il y a des circonstances dans lesquelles il s'est rencontré pire qu'une cuisine. L'enfant divin, Lui, à son arrivée ici-bas, s'est trouvé dans un endroit encore moins discret et moins clos. La pauvreté des braves gens de la campagne porte avec soi et en soi de semblables misères. Ce sont les gênes qu'elle impose à ceux dont le logis est étroit et dont le mobilier est réduit au strict nécessaire. Demandons-nous si elle n'apporte pas en même temps, cette pauvreté que Dieu envoie selon son bon plaisir et que le Seigneur a choisie pour y vivre, certaines compensations qui rachètent les privations et renferment des leçons pour les fortunés de ce monde ? Oui, certainement, lorsque l'honnêteté préside aux rapports des gens entre eux, ce qui est de règle dans les anciennes bonnes maisons de cultivateurs où les moeurs sont pures, l'intimité forcée des membres d'une famille, parents et enfants, maîtres et serviteurs, resserre les liens de la solidarité. Dans les logements réduits on apprend à se mieux aider mutuellement, à se prêter secours, à se sacrifier les uns aux autres, les aises, les habitudes, l'égoïsme. L'égoïste est obligé de se dominer, son égoïsme revêt sa laide apparence que ni l'or, ni la soie, ni les grands airs et les belles paroles ne peuvent dissimuler. Et puis, la souffrance que l'on voit, que l'on sent, que l'on touche, exerce la pitié et l'enseigne. C'est une éducation de charité que les coeurs reçoivent.



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FERRAGE D'UN BOEUF
PAYS BASQUE D'ANTAN



La pitié a besoin de se développer par l'exercice comme toutes les vertus et les bons penchants humains. Par pratique, non par théorie, s'inculquent dans les âmes des hommes l'abnégation, la compassion vraiment agissantes dont raffinement chez ceux qui ont souffert et vu souffrir, nous fait nous écrier : "Heureux les pauvres !" Qui n'a été frappé de ce fait, qu'il y a plus de vraie et spontanée sensibilité chez la femme du peuple que chez la femme des classes aisées ; plus de sympathie pour des douleurs, qu'elle a appris à connaître par expérience ?



Dès que l'enfant est né, la jeune mère est portée dans sa chambre. On la couche, et la pauvrette va enfin pouvoir se reposer. Mais en dépit du grand besoin qu'elle aurait d'un long repos, de combien peu de jours sera la douceur qu'elle s'accorde de rester dans son lit. Vite, trop vite, après sa délivrance, la voici déjà debout, elle lave elle-même son linge, elle a fait son ménage, nourri sa volaille, pris soin de ses enfants ; elle n'a pas de servante, ni d'argent pour se payer une aide. Cependant, comme la femme riche, elle subit la montée du lait et les fatigues de la nourriture. Qu'elle est courageuse et digne d'admiration !



Et l'enfant qu'est-il devenu? Des matronnes se sont empressées de l'emporter dans leurs bras. Elles le frottent et le lavent, elles lui pétrissent la tête dans leurs mains pour l'arrondir et le frottent encore, quelquefois avec un morceau de lard. Fenêtres et portes sont ouvertes, la nuit est froide, il n'y a que quelques tisons dans le foyer. Mais qu'importe ? le petit Basque est robuste, il résiste à ces bons soins. Le père le tient dans ses grosses mains et s'émerveille d'un rejeton si frêle ; les personnes du logis lui font fête et l'examinent. On lui découvre mille beautés et mille charmes. Cela prend du temps ; il n'a pas chaud lorsqu'on songe à l'emmailloter et c'est une chance si, vu l'heure, on ne l'emporte pas à l'église pour le baptiser. Cette coutume d'emporter l'enfant immédiatement à l'église a coûté la vie à plus d'un baby basque autrefois. Ses langes sont en molleton rouge. Les deux petits bras y sont étroitement emprisonnés, ainsi que les jambes ; puis le minuscule paquetage humain est fortement serré par des lisières de drap et prend l'apparence d'un pain de sucre dont seule vient émerger la tête que l'on coiffe d'un bonnet de laine brune. Alors aussi fières que contentes, les matronnes jugent que la toilette du nouveau-né est parfaite.



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SANDALIERS
PAYS BASQUE D'ANTAN



Une corbeille en osier placée auprès du lit de la mère reçoit son petit hôte. On ferme hermétiquement les volets de la chambre, afin que l'obscurité soit aussi complète que possible. L'enfant demeure pendant les trois premiers mois dans les ténèbres, parce qu'il faut qu'il dorme pour laisser sa mère plus tranquille. On pense que si l'enfant voyait la lumière, il la trouverait si belle qu'il ne dormirait plus afin d'en pouvoir jouir !



Dors donc, petit Basque, dors à poings fermés ; trois fois par jour, ta mère reviendra des champs pour t'allaiter. Ne crains pas qu'elle t'oublie, la brave femme. Elle trouve pour toi les mots les plus doux de sa langue. Tu es son "gaichoua", son pauvret bien aimé, son "bilbotcha", son petit coeur, son "maitia", son adoré, son charmant. Le soir, elle te berce avec les beaux chants graves d'autrefois :


L'oiselet dans sa cage

Chante tristement,

Bien qu'il ait là

De quoi manger, de quoi boire.

Il désire être dehors,

Parce que, parce que

La liberté est si belle.


Oiseau qui es dehors, 

Regarde la cage. 

Si cela l'est possible, 

Garde-toi de t'en approcher 

Parce que, parce que 

La liberté est si belle.

(L'Oiseau en cage, ancien chant souletin.)


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CHANSON SOULETINE XORIÑOAK KAIOLAN



Bientôt les premiers balbutiements viendront éclore sur tes lèvres. A la joie de tes parents, ils t'entendront distinctement appeler : "Aita, Aita" père, père, "Ama, Ama" mère, mère. Ainsi à ton tour, avec les milliers et les myriades de petits qui ont vécu ici-bas, tu apportes la preuve de l'antiquité du langage de ta race, puisqu'à peine as-tu agité ta langue et gonflé tes joues, que spontanément, chose merveilleuse, tu as prononcé ces deux mots si beaux : Aita, Ama, que l'Eternel Dieu Lui-même, personne ne l'ignore, a enseigné dans le paradis terrestre à Adam et à Eve qui, l'un et l'autre, ont parlé basque auprès de l'arbre de la Tentation.



Il était d'usage autrefois que la femme ne sortit pas de sa demeure avant de s'être rendue à l'église pour les relevailles. Une excellente créature craignait fort le qu'en dira-t-on et la critique de ses voisines : elle n'était pas descendue encore au village depuis ses couches. Or, un matin, elle se trouvait en grand besoin de quelques légumes de son jardin et n'avait personne sous la main qui pût lui rendre service. Elle considérait ses choux du pas de sa porte et son embarras était grand lorsqu'il lui vint à l'esprit une idée ingénieuse. Malgré qu'il lui fût pénible d'user de subterfuge, elle monte dans son grenier et par une lucarne, elle détache une tuile de son auvent, s'en coiffe comme d'une mante, puis, satisfaite, la tête couverte de sa tuile, elle se dit à elle-même : Je peux en tout repos de conscience aller choisir mon chou et le couper moi-même, on ne pourra pas dire que j'ai quitté mon toit avant d'avoir rempli mes devoirs religieux !"




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