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dimanche 28 janvier 2024

LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1896 (septième partie)

LA FEMME AU PAYS BASQUE EN 1896.


La place de la femme, dans la société, au Pays Basque, a toujours été très importante.






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FEMME DE BASSE GUIPUSCOA


Après nous avoir parlé des enfants, des animaux domestiques, des mariages et de la mort, voici 

ce que rapporta au sujet de la femme au Pays Basque, Mme d'Abbadie d'Arrast, épouse 

d'Antoine d'Abbadie d'Arrast, dans la revue bimensuelle La Femme, le 1er avril 1896 :



"La femme du pays basque (suite).



Les Basques se calomnient eux-mêmes lorsqu'ils décochent à l'adresse de leurs braves compagnes de ces traits malicieux que l'avocat Arnauld Oihénart a aiguisés et soigneusement mis en réserve dans le recueil de ses proverbes. Les anciens usages et les moeurs démentent des plaisanteries qui sont de mauvais aloi.



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LIVRE LES PROVERBES BASQUES 
ARNAULD OIHENART


Avant la Révolution, en Soule, dans le Labourd et en Navarre, les Fors et les Coutumes générales ne s'inspiraient nullement d'un esprit de méfiance à l'égard de la femme, ils se signalaient, au contraire, par un féminisme bien tranché, pour parler le langage de notre fin de siècle. Il est facile de s'en convaincre, si l'on prend la peine de parcourir l'ouvrage de l'abbé Haristoy, intitulé : Recherches historiques sur le pays basque (Bayonne, 1884). Le second volume de l'ouvrage reproduit le texte des antiques législations de la contrée. Ces vénérables documents sont pour surprendre les personnes qui ne voient que dangereuses innovations dans les modestes réformes que des féministes dévoués tels que M. Goirand, député des Deux-Sèvres, et Mme Jeanne Schmahl sollicitent depuis si longtemps de la générosité des Chambres. On s'étonnerait d'y trouver telles dispositions qui sauvegardent les droits féminins et la sécurité des jeunes filles. Certaines de celles-là paraîtraient de nos jours plus que progressistes et bel et bien subversives. Parmi les plus anodines, citons la réforme qu'il serait si utile de faire entrer dans notre code, que la Chambre des députes a votée, de guerre lasse, mais qu'un Sénat récalcitrant s'obstine à oublier dans ses cartons, je veux dire le droit pour la femme mariée qui travaille de toucher son salaire. Une disposition analogue existait, de temps immémorial, chez les Basques. En 1520, lorsque la Coutume générale du vicomte de Soule fut publiée par devant Maître Jean d'Ibarrola, après avoir affirmé le privilège du mari de gérer les biens de la communauté, la Coutume ajoute : Si non que La femme ait des Mens acquis par son industrie. Les Fors du Labourd, révisés en 1513, sous l'épiscopat de l'évêque de Bayonne, Bernard de Lahet, s'expriment pareillement au chapitre des droits du mariage. Le mari dispose des biens qui sont communs aux deux époux, comme seigneur d'iceux, entre vifs, à son plaisir et volonté : si ce n'est que la femme les eut acquis par marchandise ou par industrie




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LIVRE RECHERCHES HISTORIQUES SUR LE PAYS BASQUE
DE PIERRE HARISTOY



Voilà des réserves féministes qui donnent un grand âge, si je ne me trompe, et de respectables aïeux aux soi-disant nouveautés de l'Avant-Courrière. La vaillante feuille n'ignore pas, du reste, l'existence de ses parchemins, elle a mis au nombre des arguments dont elle se sert l'ancienneté de sa thèse, et sait la faire valoir pour établir le bien fondé des instantes prières qu'elle fait entendre au bénéfice de la femme et de la femme pauvre surtout. Des dispositions moins douces parmi les coutumes basques sont celles qui sauvegardent la sécurité de la jeune fille. Certains articles ne parlent de rien moins que de trancher la tète des mauvais sujets trompeurs et sans scrupules ; toutes imposent au séducteur le mariage ; lui-même la doit doter (cette jeune fille), dit en propres termes un des articles de la Coutume générale, et s'il ne veut ou ne la peut prendre à femme, lui donner un douaire raisonnable selon la qualité de sa personne et à discrétion du bailli. (For général de Navarre, rédigé en 1608, sur l'ordre de Henri IV, à l'usage du royaume de Navarre et d'après un texte qui remontait au XIIe siècle, texte précédé lui-même d'un modèle d'une antiquité bien plus reculée encore.)



Sous le rapport des droits qu'on reconnaissait à la femme, il n'est pas indifférent de noter au passage que la fille aînée qui, à défaut d'un fils aîné et de préférence aux garçons cadets, héritait des biens paternels, exerçait une véritable tutelle sur ses frères et sur ses soeurs, au mariage desquels elle devait veiller, ayant égard à la qualité des biens d'iceux. Elle devait surtout veiller au mariage de ses soeurs ; elle était tenue de payer les dettes qu'avaient contractées le père et la mère : elle succédait ainsi à ses parents dans les devoirs comme dans les droits, afin de conserver à la maison dont elle était devenue le chef, le caractère sacré du foyer domestique ; ce foyer, elle l'ouvrait comme une demeure tutélaire où tous les membres de la famille pouvaient venir se retirer et vivre ; les jeunes y demeuraient avec les oncles, les tantes, les grands-parents. Le toit hospitalier était la possession inaliénable dont on portait le nom, dès qu'on en devenait propriétaire. En Navarre, paraît-il, la maison avait le privilège d'être un lieu d'asile au même titre que les églises, et les couvents. Le maître ou la maîtresse qui recevait chez eux un étranger, non voleur avéré, était autorisé à répondre à qui venait lui réclamer son hôte : "Respecte-le tant qu'il sera chez moi ; quand il n'y sera plus, tu feras valoir tes droits, si tu peux." Lorsque l'héritière appartenait par sa naissance à la noblesse, elle entrait en possession des privilèges de sa maison ; lorsqu'elle se mariait, si son père vivait encore, en s'établissant sous le toit paternel, elle recevait les droits et le titre de co-propriétaire et de co-seigneur.



La reconnaissance de cette égalité de droits entre l'homme et la femme assurait à la famille la perpétuité et lui donnait plus de cohésion, plus de fixité. La maison ne tombait pas en quenouille et ne changeait pas de mains, malgré que le jeune maître que le mariage y faisait entrer fût d'une famille étrangère. Son adoption était complète ; ses anciens noms et qualités étaient absorbés par les nouveaux noms et les nouvelles prérogatives dont le mariage l'avait rendu possesseur. Il était implanté chez l'héritière comme un rejeton de la race qu'il allait continuer.



Les Fors sont maintenant abolis et le code civil régit les Basques. Mais les moeurs ont gardé l'empreinte des anciennes coutumes ; nous en avons déjà donné des preuves lorsque nous avons montré l'autorité de la femme pour la direction des affaires de sa maison et de ses biens. La trace en est aussi visible lorsque nous considérons la mère. Pour l'éducation des enfants, la mère jouit de toutes les prérogatives maternelles : elle instruit sa jeune progéniture, lui donne les premières notions religieuses. Il est sans exemple que le père intervienne dans des questions qu'il estime être essentiellement féminines. La grand'mère est l'associée de la mère. Cette association est un vestige des anciens Fors. Actuellement, la grand'mère n'est plus qu'une associée bénévole, mais lorsque l'on cause avec les personnes âgées du pays, on sent qu'il est resté quelque chose de plus que les rapports habituels de mère à fille et petits-enfants. La grand'mère est l'associée sur laquelle on a appris à compter de tout temps et avec laquelle on compte parce qu'on lui reconnaît une autorité que les moeurs lui donnent. Dans une famille de cultivateurs, c'est une associée précieuse. Elle garde les petits, se fait pour eux servante et mère pendant que la jeune mère est absorbée par son travail.



Les Fors prolongeaient l'autorité de la mère, ou de la grand'mère à défaut de mère, sur les enfants jusqu'à l'époque du mariage. On lit à ce sujet dans les Fors de la Navarre un article significatif : "Les fils et les filles ne se marieront pas clandestinement de leur père et mère, ou à leur défaut de leur grand'père et grand'mère, et sans leur volonté et consentement, sous peine d'être déshérités par les dits père et mère, grand'père et grand'mère de leurs biens et les dits mariages seront nuls et déclarés tels par le juge compétent."



Ainsi, lorsqu'il s'agissait de l'établissement de ses enfants, la mère avait son mot à dire, un mot qu'on écoutait parce qu'il était accompagné de deux sanctions singulièrement redoutables : la perte de l'héritage et la nullité du mariage. Voici du féminisme de la plus belle eau, et combien plus sensée la disposition de l'ancienne Coutume que notre loi française qui, dans son outrageante injustice, ignore la mère au moment le plus angoissant pour son coeur maternel, au moment du mariage de son fils ou de sa fille. Sa sollicitude n'a jamais été plus en éveil et voilà cette femme, maintenant d'âge mûr et d'expérience, qui est traitée en indifférente, en étrangère, en incapable après une vie de dévouement, en retour de ses sacrifices quotidiens. Notre code se fait par là le complice de l'esprit d'indépendance vis-à-vis de l'autorité maternelle d'enfants empressés à secouer le joug.



Du reste, de ce que nous venons de citer, il ressort que c'était conjointement que le père et la mère, le grand-père et la grand'mère devaient accorder leur consentement au mariage des enfants ou petits-enfants.



Mais alors, objectera-t-on, en cas de conflit entre les parents, qui décidait la question ? Nous ne savons s'il appartenait au juge, en Soule, au bailli, en Navarre, ou bien aux prêtres des paroisses de statuer lorsque l'assentiment de l'un ou l'autre faisait défaut ; mais c'est là une des moindres difficultés. Dans tous les pays civilisés du monde, on sait trancher les différends à l'aide d'arbitres, conseils de famille, décisions de justice. Telle est la procédure que demandent les féministes. En cas de conflit entre les parents, ils demandent l'application d'un principe que notre Code admet et applique pour les questions en litige autres que celles qui concernent des difficultés qui peuvent surgir entre le père et la mère au sujet de l'éducation et de l'établissement des enfants. Ce principe n'est autre que l'intervention du juge en chambre du conseil. Ce recours à l'autorité judiciaire est admis dans les provinces baltiques où le Code civil décide que si la mère est convaincue que la volonté du père soit de nature à causer préjudice aux enfants, elle peut s'adresser au juge..."



A suivre...




Merci ami(e) lecteur (lectrice) de m'avoir suivi dans cet article.

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