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vendredi 5 janvier 2024

UN VOYAGE AU PAYS BASQUE EN NOVEMBRE 1897 (cinquième et dernière partie)


UN VOYAGE AU PAYS BASQUE EN 1897.


Le Pays Basque est, depuis longtemps, une terre d'excursions pour les voyageurs du monde entier.



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EGLISE ET CIMETIERE ITXASSOU
PAYS BASQUE D'ANTAN


Voici ce que rapporta à ce sujet la revue mensuelle La Revue du Palais, le 1er novembre 1897, sous 

la plume de Georges Haume  :



"En Pays Basque. 



Donc, ce matin, je descends à la gare. Mais le train ne passera que dans une heure. Je m’impatiente et vais à pied à la station voisine, Lahoussoa, d’où le train m’amènera en dix minutes à Bidarray.


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HALTE DE LOUHOSSOA LABOURD
PAYS BASQUE D'ANTAN


La route grimpe sur la montagne, qui tombe, à gauche, dans un joli vallon, parmi des hêtres, qu’arrose un torrent. Cette côte n’en finit plus : à chaque détour, je me hâte davantage ; car les minutes passent rapides, et peut-être n’arriverai-je pas à parcourir les cinq kilomètres en moins d’une heure. La montagne, à droite, est toujours très haute, inondée d’eaux vives qui viennent ruisseler ensemble dans les fossés. J’atteins enfin le sommet, que couronnent trois ou quatre maisons vieilles et halées. La route, alors, dévale tout droit, dans une plaine animée de gens et de bêtes, occupée par des maisons éparses, et que la lumière d'un ciel calme fait resplendir. Le village est groupé tout au fond. Impossible d’arriver assez tôt à la gare, si je n’ai point de raccourci. La gare se trouve à droite, de l'autre côté de la montagne, dans un trou.



J’interroge des enfants qui jouent dans la poussière, à l’entrée d’une cour pleine de fumier. Ils me regardent, étonnés, sans répondre. Cependant, un cordonnier qui cousait des espadrilles sous les marches de l’escalier montant à l’unique étage de sa maison, se lève de son banc, s’approche du pas dolent de ses jambes tordues. Je le salue le plus gracieusement du monde, afin qu'il ait l’obligeance de me renseigner. Le béret sur la tête, il m'examine avec sa méfiance de Basque. Tout de même, désireux sans doute de me prouver qu’il comprend et parle le français, il m’indique le raccourci :


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SANDALIER
DESSIN DE LE TANNEUR

— Longez cette clôture qui va dans la montagne, à cette ferme noire. De là, par un sentier, vous irez directement à la gare. Vous ne pouvez pas vous tromper, il n’y a qu’un sentier.



Bien. Je longe, sur l’âpre coteau, la clôture du pré où paissent des vaches. De combien de siècles datent ces murs ? Ils pourrissent, envahis d’herbes et de ronces, sous les branches des chênes. J’essaie de courir, dans la boue des ornières. Voici la ferme noire, aux petites fenêtres closes. Ce gîte paraît mort parmi des cailloux, dans le silence de la hauteur. Une femme, sa fourche à la main, surgit à la crête d’un talus, au penchant duquel elle tassait du foin. Ahurie, elle me considère, son long visage terreux enveloppé d’un foulard noir dont les bouts flottent. Je m’explique, avec des gestes. Elle finit par me comprendre et m’indique le sentier que j’hésitais à suivre, tant il me paraît bizarre, s’en allant à l’aventure. Des rochers informes ou grotesques se dressent autour de moi. Je descends. Pendant quelques minutes, c’est parfait. Un ruisseau murmure entre des buissons, dans la sinueuse rigole qu’il a creusée. Les arbres cessent. Des fougères vivent je ne sais comme dans le roc. Mais le ruisseau s’élargissant bondit avec plus de force. Mon sentier le croise à plusieurs reprises. Pour le franchir, je saute, non sans péril. Le rocher, fendillé de toutes parts, se creuse quelquefois, et l’on pourrait bien se casser la jambe, sinon la tête, sur ces lits de pierres. Bientôt le sentier s’égare dans les fougères touffues, où subitement je patauge au milieu d’une eau glacée. Plus de fougères maintenant. Rien que des rocs entassés, écroulés en chaos. Les chèvres seules doivent se hasarder ici, certains jours de caprice.



J'avance, ou plutôt je glisse autant sur les mains que sur les pieds, sans oser regarder au-dessous de moi, tout au fond, dans la cuvette étroite où des arbres paisibles balancent leurs feuillées, où un paysan conduit les bœufs de sa charrue dans une terre brune. Les sources jaillissent des mille fissures de la montagne. Les rochers se dressent, plus tourmentés et menaçants. Mais la solitude, grâce à la voix hardie et rieuse des eaux, n'inspire aucune tristesse.



Soudain, j’aperçois là-bas, dans un coin du vallon, un cube de pierres blanches, la maisonnette de la station, et la femme de garde qui tient son drapeau rouge. Puis, une fumée blanche se déroule, se dissipe : c’est le train qui siffle et s’en va, verdâtre et joli comme un jouet d’enfant.



La pente se fait plus douce, dans une sorte de chemin où l’eau des orages a poussé des morceaux de roches. Je suis meurtri, les pieds trempés, les habits déchirés.



Pourtant, il faut marcher. Point d’autre passage que la voie ferrée. Elle s’allonge dans une tranchée, dont les parois scintillent. Car la montagne contient des mines de cuivre argentière, plus riches à mesure qu’on s’avance vers Saint-Étienne de Baïgorry, où un filon est exploité.



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MINES DE BAÏGORRY
PAYS BASQUE D'ANTAN


La Nive se montre dans une vallée aux coteaux rougeâtres. La route, que j’ai abandonnée tout à l’heure, tombe de la montagne. Elle est chargée de poussière jusqu’à Bidarray, vieille bourgade que la Nive égaie de ses rumeurs. Le paysage est pittoresque à cause des murailles déchiquetées de la montagne et des couloirs sinueux où l’eau se précipite. Des douaniers, abrités d'amples chapeaux de paille, pêchent à la ligne, tandis que des femmes sèchent leur lessive au soleil, sur le gravier.



Je me rends encore beaucoup trop tôt à la gare, fort éloignée du village. Alors, comme je veux aller, de l’autre côté de la voie, me reposer au bord de la Nive, qui coule aussi sage qu’un ruisseau de plaine, le chef de gare me dissuade vite.


— Gardez-vous, me dit-il, de vous coucher sous les chênes. Nous avons ici des vipères, dont la morsure est dangereuse. C’est l’heure où elles recherchent aussi l’ombre et la fraîcheur de la rivière...



Une heure après, je revois avec plaisir le noir et sonore Pas-de-Roland, les petits vallons d’Itsatsou où tout le monde est au travail.



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PAS DE ROLAND ITXASSOU - ITSASU
PAYS BASQUE D'ANTAN


A quoi bon excursionner si loin ? La route, devant nous, s’anime si gaiement de temps à autre ! Tantôt passent les longues voilures qui s’en vont, chargées de vivres et de volailles, aux foires des gros bourgs : tantôt des troupeaux de chevaux, nerveux et maigres, qui s’amusent à sauter dans les fossés, à courir dans les pâturages ; tantôt les montreurs d’ours, des bohémiens errants qui nous disent la bonne aventure.



Lorsqu’un taureau doit traverser le pays, c’est un événement. La municipalité fait annoncer à son de trompe, dans les champs, dans les divers quartiers du village, qu'à telle heure un taureau viendra de tel endroit pour aller en tel autre, par un chemin déterminé. Donc, un soir, vers cinq heures, les travailleurs ayant cessé leur ouvrage, nous attendons le taureau annoncé dès la veille.



Une poussière épaisse s’élève de la route, là-haut, sur le sommet de la route de Cambo. Des chiens courent autour d’une bande de bœufs, au milieu desquels marche le taureau, et des pâtres, le bâton levé, maintiennent compact le troupeau. Il descend lentement. On voit se balancer les têtes lourdes qui semblent menacer de leurs cornes. La campagne est vide. Nous-mêmes devons nous réfugier dans l’auberge, dont le maître barricade les portes et les fenêtres du rez-de-chaussée. Nous sentons déjà l’odeur de la poussière. Le troupeau gronde. On dirait un orage. De nos chambres, nous regardons, sans reconnaître le taureau, ces bêtes ahuries, dont quelques-unes essaient de s’échapper. Le troupeau descend encore, vers la Nive, et ce n’est que lorsqu'il a disparu au tournant de la route sous les noyers, que nous pouvons sans danger revenir sur la terrasse, où des bœufs ont renversé les bancs de bois et saccagé le parterre de fleurs.



Ce soir, il y a fête dans chaque maison. C'est la Saint-Jean. A l’auberge, le maître a certes mangé seul dans sa petite salle fraîche. Mais les enfants et leur mère, avec les domestiques, se sont réunis autour de la même table, en famille. Le maître, son repas achevé, s’arrête quelques minutes au seuil de la cuisine, le temps de plaisanter, d'adresser à l’un et à l'autre un mot de satisfaction. A la nuit commençante, on allume sur la route un amas de branches mortes et de broussailles ; chacun saute en riant à travers les flammes, même la demoiselle qui ne craint pas d’exposer ses jolies espadrilles brodées de perles multicolores. Le lendemain, Mme Camino donne sa première pensée à la maison. Elle ôte de dessus le cadre de la porte les brins de fleurs et de lauriers, qui sont la depuis la Saint-Jean dernière, et les remplace par un bouquet qu'elle vient de cueillir.



Toute la journée, les mendiants vont et viennent, les maupiteux de la contrée qui vivent de leur misère. Ils expédient très vite leur besogne aujourd’hui, afin de ne manquer aucune maison. Hommes et femmes, la mine assez gaie, s’arrêtent au seuil de l’auberge, s’agenouillent, et faisant d'innombrables signes de croix, récitent leurs prières. Puis, la main tendue, ils demandent l’aumône. Si l’aumône tarde, ils appellent avec impatience, en frappant la porte de leur bâton. Il semble vraiment qu’ils aient le droit de percevoir quelque dîme. Un peu après midi, dans l’étouffante chaleur du soleil, un de ces mendiants arrive, à califourchon sur un âne. L’âne bien éduqué, s’avance bravement par la terrasse jusqu’à la porte de la maison. Là, il se plante soudain, immobile, tandis que son maître, les yeux demi clos sous le béret, marmonne les supplications d’habitude. Mme Camino apporte sa dîme, du pain et de la saucisse, que le mendiant enfouit dans sa besace. Alors souriant et saluant : adios ! adios !.. il s’esquive, au trot de la bête docile.



Dimanche, on célèbre encore la Saint-Jean. Je retrouve mes soldats à béret rouge, armés de leurs fusils à pierre et de leurs mousquets. La jeunesse d’Itsatsou a fait venir de Bayonne un trombone et un cornet à piston. Par malheur, les paysans ont si bien soigné à table les deux messieurs de la ville, que ceux-ci ne prennent guère une attitude convenable, lorsqu’après les vêpres ils participent à la cérémonie religieuse. L’air est très doux, léger, imprégné du parfum de toutes les plantes mûres.



Le vicaire organise la procession. Les collants, dans leurs costumes clairs, marchent les premiers, ainsi que les jeunes filles dans leurs robes de communiantes. Les hommes suivent, graves, tête nue, habillés de drap noir ; et les demoiselles ensuite, les femmes, toutes en noir aussi, les cheveux à demi voilés par la mantille, la taille dissimulée par la mante à longs plis. Le dais, malgré l’ombre du Mondarrain qui déjà s'allonge vers la vallée, brille, lamé d’or et d’argent. Mais une femme déroule un large bandeau de satin blanc, sur lequel marche le prêtre. Quand le dais est passé, elle replie l'étoffe, et une seconde femme déroule un nouveau bandeau pareil. Derrière le dais, s’avance le chantre, notre voisin des bords de la Nive ; à sa droite et à sa gauche, un peu en arrière, se tiennent les deux musiciens de Bayonne qui, insolents et vulgaires, attendent l’ordre de jouer. La procession fait le tour du cimetière en chantant, puis se rend au tertre sacré, devant l’échoppe du sacristain martyr, au pied de la croix démantelée. Là, le trombone et le cornet à piston jouent une polka. Je suis stupéfait. Les fidèles se prosternent, à genoux, et communient dans la prière.



La cérémonie terminée, garçons et demoiselles se rangent en colonne. Le tambour-major lève sa canne, les deux drapeaux sont déployés, et l’on monte à la Place par les chemins sinueux.



Sur la Place, au vaste jeu de pelote, la colonne s’arrête. Les garçons, presque tous costumés en soldats, pantalon blanc et blouse rouge ; les demoiselles, la mantille épinglée dans les cheveux, se font face. Sur un signal du capitaine, la musique joue le frétillant saut basque : la musique, joueurs de fifres et de chichoulas, trombone et cornet à piston de Bayonne, installés ensemble sur un tréteau. Les demoiselles ont fermé leurs paroissiens ; les garçons, ayant posé leurs fusils contre les murs, prennent leurs mouchoirs. Danse adorable de grâce et de naïveté. Chaque garçon, les bras levés, mène par le mouchoir sa demoiselle. Et les couples sautent, tournent, s’entrelacent, en un ordre scrupuleux. Ils sautent en souriant, en échangeant des gentillesses, de timides avances, sans que jamais la main des garçons effleure la main des demoiselles. Les pompons des bérets rouges flottent, et les mantilles noires, et les mouchoirs multicolores qui servent de chaînons de couple en couple. Les couples alertes sautent, courent, s’enguirlandent, se plaisent parfois à paraître embrouillés, dans la poussière.



Il n'y a plus de lumière à la cime des arbres. Les musiciens sont las. Enfin, l’angélus sonne : la danse des mouchoirs cesse brusquement. Chacun s’en retourne chez soi. Tous les chemins s’animent, et l’on entend de temps à autre, dans la nuit tiède, s’élever le strident armera, ce cri des Basques dans la solitude de leurs campagnes, un cri de hèle heureuse que répète l’écho des collines..."





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