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jeudi 18 janvier 2024

LETTRES DU PAYS BASQUE EN SEPTEMBRE 1881 (quatrième et dernière partie)

AU PAYS BASQUE EN 1881.


Dès la fin du 19ème siècle, de nombreux voyageurs se rendent au Pays Basque et racontent souvent leurs voyages.




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ST JEAN DE LUZ EN 1865
PHOTO DE LADISLAS KONARZEWSKI




Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Phare de la  Loire, le 29 septembre 1881 :



"Lettres du Pays Basque.


IV.

... Saint-Jean-de-Luz, le 26 septembre 1881.



Je crois vous avoir dit déjà que Saint-Jean-de-Luz n’est qu’à douze kilomètres de Hendaye, dernière station du chemin de fer français ; mais par une convention avec la ligne espagnole, les trains français passent la Bidassoa sur un pont en tôle et s’arrêtent à Irun, qui sert de tête de ligne aux railways de la péninsule. Une pareille proximité ne peut que tenter les touristes ; aussi, en est-il bien peu qui se privent du plaisir peu coûteux d’aller fouler le sol ibérique. Les deux points d'excursion les plus fréquentés par ceux qui ne veulent pas faire un véritable voyage en Espagne, sont Saint-Sébastien et Fontarabie. Cette dernière ville n’est qu’à deux kilomètres d’Irun, en descendant lu Bidassoa jusqu’à son embouchure. Le jour que nous avions choisi pour cette dernière excursion nous offrait un double attrait par la perspective d’une course de taureaux. Or, vous savez combien ce genre de divertissement est populaire eu Espagne. Je n’étais donc pas fâché de voir à la fois le spectacle et les spectateurs, car il y a dans les émotions que soulèvent les scènes de tauromaquie plus d’une élude de mœurs à faire. D ailleurs, la répugnance qu'aurait pu nous causer cette représentation, était singulièrement diminuée par cette considération qu’il ne s’agissait pas d’un de ces combats de taureaux où la course n’a pas été bonne quand le taureau n’a pas éventré au préalable, et avant de succomber lui-même sous l’épée du torero, une dizaine au moins de pauvres chevaux montés par les picadores et voués d’avance à une mort aussi certaine que si on les envoyait à l'équarisseur. Fontarabie, cité aujourd’hui déchue de son antique splendeur, n’a pas les moyens de se payer de pareilles émotions ; elle n’a pas assez d'aficionados, amateurs, et ne possède d ailleurs pas de cirque fermé. Comme dans nos Landes et quelquefois dans les arènes de Nîmes, la course devait se borner à écarter, soit, en français, à éviter le taureau, sans qu’il s’en suivit la mort de personne. Ce genre d’exercice, qui ne semble au premier abord devoir intéresser que médiocrement, donne lieu, au contraire, à des scènes fort émouvantes et où toute l’habileté et la légèreté des lutteurs leur est très souvent nécessaire, car s’il est entendu que l’on ne tuera pas le taureau, l'accord n’a rien de synallagmatique, et celui-ci y va bon jeu bon argent, fondant avec ses cornes sur ceux qui l’importunent et donnant tète baissée sur l’adversaire qui l’excite. Gare à l’imprudent qui n’est pas assez leste ; un coup de corne est aussi vite donné que reçu, et les gens qui aiment les émotions trouvent souvent à ce genre de course mainte occasion de se satisfaire.



L’arrivée à Fontarabie est tout ce que l'on peut imaginer de plus pittoresque au monde. Sans avoir jamais subi la catastrophe de Pompeï et d’Herculanum, enterrées vivantes sous les cendres de l’Etna et retrouvées intactes après deux mille ans, Fontarabie réalise ce miracle singulier d’avoir conservé, en plein air, sa physionomie du seizième siècle. L’horloge de son antique église retarde de 300 ans sur nos cadrans pneumatiques.





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RUE PRINCIÄLE ET EGLISE FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN



Fontarabie n'est sans doute pas restée intacte. Ainsi que Saint-Jean-de-Luz, sa rivale, avec qui elle lutta jadis sur les mers, comme Hendaye, située en face, de l’autre côté de la Bidassoa, et avec laquelle elle a souvent échangé des boulets destructeurs, Fontarabie présente l'aspect de la désolation et des ruines. Assise sur une petite hauteur qui domine la Bidassoa et défend toute la rade, elle n’a conservé qu’une partie de l’épaisse ceinture de remparts et de tours rondes qui la faisaient imprenable. Ces ruines menaçantes, minoe ingentes murorum, portent encore sur leurs larges brèches la trace du canon des Bonnivet, des Berwick et des Lamarque. Mais, à cause même de ses malheurs et de l'abandon qui s’en est suivi, la cité déchue et dépeuplée a conservé sa couleur antique. Elle semble une apparition d’un autre âge. On y pénètre par une porte de ville d’un grand style, admirablement conservée et pourtant sculptée, en ronde bosse les armes de la ville.




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RUINES FORT FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN



La rue, très escarpée, qui part de là pour monter à la grande place, vous transporte en plein style espagnol du XVIe siècle. Blasonnée à toutes ses portes, ornée de balcons en fer forgé à tous les étages ou de ces avancées ou logettes en bois capricieusement déchiqueté, qui rappellent les moucharabys du Caire, et au pied desquelles ronronnaient jadis les guitares amoureuses, enrichie de maisons monumentales aujourd’hui inhabitées, cette rue est un véritable modèle du genre. Il faudrait aller jusqu'à Tolède ou à Burgos, pousser jusqu’à Cordoue pour en retrouver de semblables. L’église, consacrée par l’évêque de Bayonne en 1542, est très belle à l'intérieur. A l’extérieur, l’aspect en est des plus étranges ; figurez-vous un immense pignon absolument lisse, veuf de tout ornement, sculpture, baie ou ouverture quelconque, sauf le portail. Du balcon de la sacristie on jouit d’une vue merveilleuse sur toute la rade de Fontarabie. Sur la place, précisément celle où doit avoir lieu la course de taureaux, se dresse la masse imposante et nue qui forme la façade principale du château de Jeanne la Folle, dont les fondements furent bâtis par Sanche-le-Fort et qui fut achevé par Charles-Quint.



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INTERIEUR CHÂTEAU CHARLES QUINT FONTARRABIE
PAYS BASQUE D'ANTAN






La place, à notre arrivée, était déjà occupée par des légions de jeunes gamins espagnols, muchachos, juchés sur les barrières en madriers qui fermaient la place sur ses quatre côtés, en laissant toutefois sur les bas-côtés une large place à la circulation. Les balcons regorgeaient de curieux, toutes les fenêtres disponibles étaient louées. Sur un des côtés de la place un auvent, couvert ou tuiles, part d’une maison et la met en communication avec la barrière qui de ce côté est fermée par une porte en planches. C’est de la cour de cette maison que doivent partir les taureaux. Sur la couverture que nous venons de décrire trônent les musiciens. Faudra-t-il s'étonner, si par suite, il leur arrive d’être quelquefois au-dessus du ton ?




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PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN




Après une attente assez longue, motivée par des régates qui nécessitaient la présence de la musique dans le port, les commissaires des courses arrivent enfin et à leur suite les musiciens, suivis des chulos et des picadores en costume national, dont le premier brandissait un drapeau rouge. Les autres avaient des capes en soie de diverses couleurs très voyantes, destinées à exciter le taureau. Ils se répandent dans l'arène et, à un signal donné par la musique, la barrière en bois du côté de la maison dont nous venons de parler s’ouvre et livre passage à un jeune taureau ou novio, tout noir, qui s’élance en soufflant fortement des narines jusqu'au milieu de la place. Là il s’arrête court sur ses jarrets et contemple d’un air donné la foule bruyante qui l’encadre et ses adversaires disséminés, agitant leurs capes et cherchant à attirer son attention. Son choix est bientôt fait, il fond sur l’un d'eux, qui l’évite par un saut de côté. L’animal s’arrête surpris devant la barrière hérissée de spectateurs qui le gouaillent et se moquent de lui à l'envi. Pendant ce temps, un chulo s’est approché de lui par derrière. Il se retourne et reprend sa course sur ce nouvel objectif ; mais, en route, son attention est détournée par une cape qu’on lui a jetée sur les cornes et dont il se débarrasse aisément.




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PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN



Sur ces entrefaites, un jeune homme qui, bien que mêlé aux écouteurs, ne se distinguait par aucun costume spécial, en longue veste et pantalons en drap bleu, coiffé d’un béret de même couleur, retire sa veste, la suspend à un poteau, et, un simple petit mouchoir blanc en main, va se poster devant le taureau, à très petite distance, en dansant à pieds joints devant lui et en agitant son mouchoir. Le taureau part sur lui comme un trait. Un cri s’échappe de toutes les poitrines. Les redoutables cornes vont l'embrocher, il s’eu faut d’un rien, mais une simple pirouette a suffi au nouveau venu pour éviter leur atteinte, et un tonnerre d’applaudissements rend hommage à son sang-froid. Après plusieurs passes du même genre, le taureau, abruti de son insuccès, semble renoncer à la lutte ; il est visiblement découragé, quoiqu’il écume de fureur.


Un otro ! un autre ! s'écrie la foule. Les portes s’ouvrent de nouveau, un bouvier, suivi d’une vache, entre. A cette vue, le taureau accourt se ranger à côté de la vache et reprend galamment avec elle le chemin de l'étable, au milieu de huées et des lazzis des spectateurs.



La musique du toit joue un intermède et reprend l’air caractéristique du début qui doit être la marche du taureau. Cela ressemble à quelque chose comme la marche funèbre de Chopin, que l'on aurait mariée au God save the queen.



Enfin, la barrière s’ouvre derechef pour livrer passage à un nouvel acteur. Cette fois, c'est un taureau au pelage roux. L’extrémité seule du mufle est blanche. Il boit dans son lait, comme on le dit des chevaux dont la ganache est blanche. Ses allures plus sauvages, la musculature plus vigoureuse, les jambes fines et sèches, tout révèle en lui un adversaire redoutable. Un de mes voisins le reconnaît pour avoir figuré avec honneur aux dernières courses de Saint-Sébastien, où il n’a été épargné qu’en raison de sa jeunesse. Le taureau fait lentement le tour de l’arène en touillant de ses sabots de devant en signe d’impatience. Les chulos ne lui font que de timides et lointaines agaceries ; l'un d'eux se hasarde plus près. Le novio part comme une détente et le chulo n’a que le temps de jeter sa cape et de s’élancer d’un bond sur la balustrade à une hauteur qui le met à l’abri. Le taureau revient au centre de la place et se met en observation. A cet instant, un homme caché par quelques planches se détache et lui donne un coup d'aiguillon.





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PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA
PAYS BASQUE D'ANTAN




L’animal mugit de douleur, lance une ruade dans le vide et se met à parcourir la place en rond, faisant fuir tout le monde sur son passage. A ce moment, une petite flèche en bois terminée par une pointe en fer, barbelée comme un hameçon, lui est décochée, elle vient se fixer dans la partie charnue du train de derrière, un autre lui succède presque immédiatement qui s’attache au garrot. La bête affolée multiplie ses efforts pour s’en débarrasser et ne parvient qu’à les enfoncer plus profondément. Une mousse blanche perle sur ses naseaux. L’animal fouille la terre du pied droit. On sent qu’il ne fera pas bon pour celui qui viendra le harceler. On voit alors reparaître ou plutôt se détacher du groupe des chulos, qui en général se sont toujours tenus à des distances aphélies on ne peut plus respectueuses, le jeune homme dont j’ai parlé plus haut et dont le type et le costume n’ont rien d’espagnol. toujours en manches de chemise, le béret sur la tête et un simple petit mouchoir blanc à la main droite, il vient se poster en face du taureau et exécute devant lui une pyrrhique des plus audacieuses en s’accompagnant avec ses doigts en guise de castagnettes. Le taureau se précipite sur l'audacieux qui ose ainsi le braver. L’homme l’attend de pied ferme et se jette prestement de côté au moment même ou un le croyait déjà entre les deux cornes. Les applaudissements éclatent de toutes parts, mais le taureau s’est retourné dans l’intervalle et faisant comme l'on dit, tête en queue, fond de nouveau sur son ennemi qui l’évite avec la même adresse et le même sang-froid par une simple pirouette sur place. La bête, ainsi déçue, mugit de rage, revient sur ses pas et poursuit son adversaire qui s’enfuit d’abord puis s’arrête court en faisant un bond de côté. Malheureusement ses pieds glissent sur le sol détrempé par les pluies des jours précédents et il tombe. En un clin d'œil, le taureau est sur lui et le fouille avec ses cornes, mais l’homme s’est déjà pelotonné en boule entre les jambes de l’animal qui cherche en vain à l'atteindre.



Un cri d'effroi, dans lequel domine la note féminine, est poussé par toute la place. J'avoue qu’en ce moment mon angoisse fut telle que je détournai la tête pour ne pas voir ce qui allait se passer. Quelques secondes après, quand je regardai de nouveau, l'homme était debout, sa chemise quelque peu souillée de boue, un accroc à son pantalon et son béret disparu, mais dansant toujours les pieds joints et agitant ses deux bras pour montrer à la foule qu’il n’était pas même blessé. Les chulos avaient réussi à faire diversion en harcelant la bête, et, pendant ce temps, notre homme s'était dégagé de dessous.



Je renonce à vous décrire les vivats enthousiastes, les bravos, les muy bien ! qui accueillirent cette héroïque maladresse, se terminant si adroitement. A partir de ce moment, l’intérêt de la course ne fit plus que languir. Le taureau se lassa comme le premier et fut remplacé par un troisième dont je ne vous raconterai pas les prouesses pour ne pas retomber dans les redites. Il était évident que le héros de la course avait été celui qui avait failli y périr, et la place se vida, chacun faisant éloge du petit français, car, en effet, c’était un compatriote.



Ce ne fut qu’à ce moment que j'appris sa nationalité. Je m’en étais bien un peu douté déjà à son costume et a son béret bleu, et surtout à sa manière toute différente de harceler et d’écarter le taureau suivant la méthode landaise. Mais, comme l'on est toujours chauvin à l’étranger, je dois confesser que je ne fus pas fâché que la palme eut été remportée par un des nôtres. Il avait assurément lait preuve d’un courage, d’un sang-froid et d’une agilité qui laissaient bien loin derrière lui ses compétiteurs espagnols.



Le soir, en rentrant à St-Jean-de-Luz par Hendaye, mes suppositions furent encore mieux confirmées. On me montra à la gare le jeune héros de la journée. C'était un modeste employé de la Compagnie du chemin de fer du Midi, attaché à la station d'Hendaye et natif des environs de Dax, dans les Landes. Je fus frappé en le voyant de l'exiguïté de sa taille. Il m’avait paru beaucoup plus grand dans l’arène. Je lui fis naturellement les compliments que méritait sa bravoure et je m’assurai qu'il n’avait pas d'autre blessure que celle de son pantalon. Ce qu'il y avait d’amusant à entendre dans son français chaudement coloré par l'accent méridional, c'était l'expression de son mépris pour la façon dont les Espagnols combattent le taureau.



Il réprouvait souverainement l’emploi de la cape comme un moyen déloyal de tromper le taureau : "On ne se bat pas avec des draps de lit, me disait-il. Le taureau est brave, donc il faut être brave comme lui."



On pensera ce que l'on voudra de ce don quichotte, français cette fois, mais je prenais plaisir a entendre l’expression naïve de cette jeune loyauté. Il me semble impossible que lorsque l'on est aussi brave devant les deux cornes acérées d'un taureau, on n’apportera pas la même intrépidité à défendre un jour son pays s'il était menacé. Je réprouve sans doute les horreurs sanguinaires des courses de taureaux telles qu’elles ont lieu dans les cirques d’Espagne, mais il serait facile de plaider les circonstances atténuantes en faveur des courses landaises qui pourraient trouver grâce en faveur du courage et de l'agilité qu’elles exigent."



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