AU PAYS BASQUE EN 1881.
Dès la fin du 19ème siècle, de nombreux voyageurs se rendent au Pays Basque et racontent souvent leurs voyages.
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ST JEAN DE LUZ EN 1865 PHOTO DE LADISLAS KONARZEWSKI |
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Phare de la Loire, le 29 septembre 1881 :
"Lettres du Pays Basque.
IV.
... Saint-Jean-de-Luz, le 26 septembre 1881.
Je crois vous avoir dit déjà que Saint-Jean-de-Luz n’est qu’à douze kilomètres de Hendaye, dernière station du chemin de fer français ; mais par une convention avec la ligne espagnole, les trains français passent la Bidassoa sur un pont en tôle et s’arrêtent à Irun, qui sert de tête de ligne aux railways de la péninsule. Une pareille proximité ne peut que tenter les touristes ; aussi, en est-il bien peu qui se privent du plaisir peu coûteux d’aller fouler le sol ibérique. Les deux points d'excursion les plus fréquentés par ceux qui ne veulent pas faire un véritable voyage en Espagne, sont Saint-Sébastien et Fontarabie. Cette dernière ville n’est qu’à deux kilomètres d’Irun, en descendant lu Bidassoa jusqu’à son embouchure. Le jour que nous avions choisi pour cette dernière excursion nous offrait un double attrait par la perspective d’une course de taureaux. Or, vous savez combien ce genre de divertissement est populaire eu Espagne. Je n’étais donc pas fâché de voir à la fois le spectacle et les spectateurs, car il y a dans les émotions que soulèvent les scènes de tauromaquie plus d’une élude de mœurs à faire. D ailleurs, la répugnance qu'aurait pu nous causer cette représentation, était singulièrement diminuée par cette considération qu’il ne s’agissait pas d’un de ces combats de taureaux où la course n’a pas été bonne quand le taureau n’a pas éventré au préalable, et avant de succomber lui-même sous l’épée du torero, une dizaine au moins de pauvres chevaux montés par les picadores et voués d’avance à une mort aussi certaine que si on les envoyait à l'équarisseur. Fontarabie, cité aujourd’hui déchue de son antique splendeur, n’a pas les moyens de se payer de pareilles émotions ; elle n’a pas assez d'aficionados, amateurs, et ne possède d ailleurs pas de cirque fermé. Comme dans nos Landes et quelquefois dans les arènes de Nîmes, la course devait se borner à écarter, soit, en français, à éviter le taureau, sans qu’il s’en suivit la mort de personne. Ce genre d’exercice, qui ne semble au premier abord devoir intéresser que médiocrement, donne lieu, au contraire, à des scènes fort émouvantes et où toute l’habileté et la légèreté des lutteurs leur est très souvent nécessaire, car s’il est entendu que l’on ne tuera pas le taureau, l'accord n’a rien de synallagmatique, et celui-ci y va bon jeu bon argent, fondant avec ses cornes sur ceux qui l’importunent et donnant tète baissée sur l’adversaire qui l’excite. Gare à l’imprudent qui n’est pas assez leste ; un coup de corne est aussi vite donné que reçu, et les gens qui aiment les émotions trouvent souvent à ce genre de course mainte occasion de se satisfaire.
L’arrivée à Fontarabie est tout ce que l'on peut imaginer de plus pittoresque au monde. Sans avoir jamais subi la catastrophe de Pompeï et d’Herculanum, enterrées vivantes sous les cendres de l’Etna et retrouvées intactes après deux mille ans, Fontarabie réalise ce miracle singulier d’avoir conservé, en plein air, sa physionomie du seizième siècle. L’horloge de son antique église retarde de 300 ans sur nos cadrans pneumatiques.
RUE PRINCIÄLE ET EGLISE FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Fontarabie n'est sans doute pas restée intacte. Ainsi que Saint-Jean-de-Luz, sa rivale, avec qui elle lutta jadis sur les mers, comme Hendaye, située en face, de l’autre côté de la Bidassoa, et avec laquelle elle a souvent échangé des boulets destructeurs, Fontarabie présente l'aspect de la désolation et des ruines. Assise sur une petite hauteur qui domine la Bidassoa et défend toute la rade, elle n’a conservé qu’une partie de l’épaisse ceinture de remparts et de tours rondes qui la faisaient imprenable. Ces ruines menaçantes, minoe ingentes murorum, portent encore sur leurs larges brèches la trace du canon des Bonnivet, des Berwick et des Lamarque. Mais, à cause même de ses malheurs et de l'abandon qui s’en est suivi, la cité déchue et dépeuplée a conservé sa couleur antique. Elle semble une apparition d’un autre âge. On y pénètre par une porte de ville d’un grand style, admirablement conservée et pourtant sculptée, en ronde bosse les armes de la ville.
RUINES FORT FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
La rue, très escarpée, qui part de là pour monter à la grande place, vous transporte en plein style espagnol du XVIe siècle. Blasonnée à toutes ses portes, ornée de balcons en fer forgé à tous les étages ou de ces avancées ou logettes en bois capricieusement déchiqueté, qui rappellent les moucharabys du Caire, et au pied desquelles ronronnaient jadis les guitares amoureuses, enrichie de maisons monumentales aujourd’hui inhabitées, cette rue est un véritable modèle du genre. Il faudrait aller jusqu'à Tolède ou à Burgos, pousser jusqu’à Cordoue pour en retrouver de semblables. L’église, consacrée par l’évêque de Bayonne en 1542, est très belle à l'intérieur. A l’extérieur, l’aspect en est des plus étranges ; figurez-vous un immense pignon absolument lisse, veuf de tout ornement, sculpture, baie ou ouverture quelconque, sauf le portail. Du balcon de la sacristie on jouit d’une vue merveilleuse sur toute la rade de Fontarabie. Sur la place, précisément celle où doit avoir lieu la course de taureaux, se dresse la masse imposante et nue qui forme la façade principale du château de Jeanne la Folle, dont les fondements furent bâtis par Sanche-le-Fort et qui fut achevé par Charles-Quint.
INTERIEUR CHÂTEAU CHARLES QUINT FONTARRABIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
La place, à notre arrivée, était déjà occupée par des légions de jeunes gamins espagnols, muchachos, juchés sur les barrières en madriers qui fermaient la place sur ses quatre côtés, en laissant toutefois sur les bas-côtés une large place à la circulation. Les balcons regorgeaient de curieux, toutes les fenêtres disponibles étaient louées. Sur un des côtés de la place un auvent, couvert ou tuiles, part d’une maison et la met en communication avec la barrière qui de ce côté est fermée par une porte en planches. C’est de la cour de cette maison que doivent partir les taureaux. Sur la couverture que nous venons de décrire trônent les musiciens. Faudra-t-il s'étonner, si par suite, il leur arrive d’être quelquefois au-dessus du ton ?
PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Après une attente assez longue, motivée par des régates qui nécessitaient la présence de la musique dans le port, les commissaires des courses arrivent enfin et à leur suite les musiciens, suivis des chulos et des picadores en costume national, dont le premier brandissait un drapeau rouge. Les autres avaient des capes en soie de diverses couleurs très voyantes, destinées à exciter le taureau. Ils se répandent dans l'arène et, à un signal donné par la musique, la barrière en bois du côté de la maison dont nous venons de parler s’ouvre et livre passage à un jeune taureau ou novio, tout noir, qui s’élance en soufflant fortement des narines jusqu'au milieu de la place. Là il s’arrête court sur ses jarrets et contemple d’un air donné la foule bruyante qui l’encadre et ses adversaires disséminés, agitant leurs capes et cherchant à attirer son attention. Son choix est bientôt fait, il fond sur l’un d'eux, qui l’évite par un saut de côté. L’animal s’arrête surpris devant la barrière hérissée de spectateurs qui le gouaillent et se moquent de lui à l'envi. Pendant ce temps, un chulo s’est approché de lui par derrière. Il se retourne et reprend sa course sur ce nouvel objectif ; mais, en route, son attention est détournée par une cape qu’on lui a jetée sur les cornes et dont il se débarrasse aisément.
PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
Sur ces entrefaites, un jeune homme qui, bien que mêlé aux écouteurs, ne se distinguait par aucun costume spécial, en longue veste et pantalons en drap bleu, coiffé d’un béret de même couleur, retire sa veste, la suspend à un poteau, et, un simple petit mouchoir blanc en main, va se poster devant le taureau, à très petite distance, en dansant à pieds joints devant lui et en agitant son mouchoir. Le taureau part sur lui comme un trait. Un cri s’échappe de toutes les poitrines. Les redoutables cornes vont l'embrocher, il s’eu faut d’un rien, mais une simple pirouette a suffi au nouveau venu pour éviter leur atteinte, et un tonnerre d’applaudissements rend hommage à son sang-froid. Après plusieurs passes du même genre, le taureau, abruti de son insuccès, semble renoncer à la lutte ; il est visiblement découragé, quoiqu’il écume de fureur.
— Un otro ! un autre ! s'écrie la foule. Les portes s’ouvrent de nouveau, un bouvier, suivi d’une vache, entre. A cette vue, le taureau accourt se ranger à côté de la vache et reprend galamment avec elle le chemin de l'étable, au milieu de huées et des lazzis des spectateurs.
La musique du toit joue un intermède et reprend l’air caractéristique du début qui doit être la marche du taureau. Cela ressemble à quelque chose comme la marche funèbre de Chopin, que l'on aurait mariée au God save the queen.
Enfin, la barrière s’ouvre derechef pour livrer passage à un nouvel acteur. Cette fois, c'est un taureau au pelage roux. L’extrémité seule du mufle est blanche. Il boit dans son lait, comme on le dit des chevaux dont la ganache est blanche. Ses allures plus sauvages, la musculature plus vigoureuse, les jambes fines et sèches, tout révèle en lui un adversaire redoutable. Un de mes voisins le reconnaît pour avoir figuré avec honneur aux dernières courses de Saint-Sébastien, où il n’a été épargné qu’en raison de sa jeunesse. Le taureau fait lentement le tour de l’arène en touillant de ses sabots de devant en signe d’impatience. Les chulos ne lui font que de timides et lointaines agaceries ; l'un d'eux se hasarde plus près. Le novio part comme une détente et le chulo n’a que le temps de jeter sa cape et de s’élancer d’un bond sur la balustrade à une hauteur qui le met à l’abri. Le taureau revient au centre de la place et se met en observation. A cet instant, un homme caché par quelques planches se détache et lui donne un coup d'aiguillon.
PLAZA DE TOROS FONTARRABIE GUIPUSCOA PAYS BASQUE D'ANTAN |
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