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lundi 1 janvier 2024

LA CHASSE AUX SORCIÈRES AU PAYS BASQUE EN 1609 (quatrième et dernière partie)

LES SORCIÈRES AU PAYS BASQUE EN 1609.


En 1609, des centaines de personnes, en grande partie des femmes, sont accusées de sorcellerie au Pays Basque.



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SORCIERES AU SABBAT
PAYS BASQUE D'ANTAN



Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Le Mémorial Bordelais, le 8 septembre 1852, sous la 

plume d'E. Ducom :


"Sorciers et magiciens.

La chasse aux sorciers.

1609.

§ V. Pourquoi il y a tant de prêtres sorciers dans le pays de Labour, et ce que fit le diable pour sauver ceux qui étaient tombés entre les mains de de Lancre. 



De tout temps on a remarqué que lorsqu’un prêtre était sorcier, il ne gardait aucune mesure et commettait des abominations qu’un sorcier laïque n’eût pas osé commettre. Le Pic de la Mirandole déclare avoir vu brûler un prêtre sorcier, âgé de 80 ans, qui avait entretenu toute sa vie des relations avec un démon déguisé en femme, nommée Hermione, et qui avait en outre humé le sang de plusieurs enfants.



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JEAN PIC DE LA MIRANDOLE


Ce fait était d’une évidence complète pour de Lancre qui, aussitôt qu’il fut arrivé dans le pays de Labour, chercha à découvrir si ce pays ne renfermerait pas de prêtre ayant abandonné la cause de Dieu pour embrasser celle du diable. Ses recherches ne furent pas longues, et il découvrit bientôt que presque tous les prêtres du pays de Labour étaient sorciers.



Cet état de choses était dû à une propagande active faite au profit de Satan par une classe de femmes appelées Bénédictes. On leur donnait aussi le nom de Marguillières, parce que leurs fonctions consistaient à garnir l'autel, à le couvrir de fleurs, à blanchir et accommoder les nappes, et à mettre des fraises neuves aux petits saints. Dès l’aube du jour, elles étaient à l'église où elles rencontraient le prêtre et pouvaient s'enfermer avec lui en toute liberté, le matin à l'obscur et sur le midi, qui est l'heure du silence des églises, et sur le soir, lorsque l'esprit ténébreux commençait à tirer les rideaux pour faire évanouir la clarté ; c'est alors qu'elles accomplissaient la mission que Satan leur avait donnée, et elles l’accomplissaient d’autant plus sûrement, qu’elles se recrutaient parmi les jeunes veuves et les filles attardées dans le célibat, mais encore dans fleur de l’âge. Plus que toutes autres, elles étaient exposées à succomber et elles entraînaient dans leur chute le ministre du Seigneur.



Aussi, lorsque de Lancre arriva, il trouva le clergé de ce pays plongé dans les plus honteux dérèglements. Les prêtres affichaient leurs relations avec les Marguillères, et la nuit ils allaient au sabbat, y disaient la messe, et profanaient tous les sacrements de l'Eglise. 



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LIVRE PIERRE DE LANCRE


En conséquence, il fit presque immédiatement arrêter sept prêtres, et se mit en devoir de faire leur procès. L’évêque de Bayonne laissa d’abord agir la commission, et ne réclama pas, pour la juridiction ecclésiastique, la connaissance des crimes imputés à ces prêtres.



Le premier qui fut jugé fut un vieux prêtre d'Ascain, dont de Lancre ne donne pas le nom. Il avait quatre-vingts ans et appartenait à une bonne famille. Il avouait qu'il avait été au sabbat. Ses parents prétendaient qu’il était fou. Mais ce n'était pas là une raison de nature à toucher le conseiller, et il répondait avec Modestinus : Neque insanis parcendum est. Il répondait aussi à ceux qui essayaient de l’apitoyer en invoquant la vieillesse de l'accusé : In atrocibus senectus neminem excusat. Il avait réponse à tout, et il condamna le vieillard à périr par le feu. Avant l’exécution, le condamné fut dégradé par l'évêque de Dax. Il obtint de l'évêque de Bayonne la permission de communier, et fut brûlé à Ascain.



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SABBAT
PAYS BASQUE D'ANTAN


Le second qui subit ce supplice fut un prêtre de Siboro, nommé Bacal. Celui-là était âgé de vingt-sept ans. Il soutenait qu’il n’avait jamais été au sabbat ; mais plusieurs jeunes filles âgées de onze à seize ans déclarèrent l'y avoir vu. Il servait de diacre et de sous-diacre au diable, et il avait appris à dire la messe au sabbat avant d'avoir jamais officié à Siboro ; il appartenait d'ailleurs à une famille de sorciers ; il fut condamné à mort. Au moment où il allait être brûlé, on remarqua qu’il essayait vainement de dire son Confiteor, preuve bien certaine qu'il était devenu depuis longtemps la proie de Satan.



Un troisième, nommé Magalena, eut le même sort que les deux premiers.



Cependant les pouvoirs de la commission allaient expirer ; l'époque de la rentrée du Parlement de Bordeaux approchait ; il fallait que d’Espagnet, de Lancre et Gestas se hâtassent, s’ils voulaient condamner les cinq autres avant de partir. Satan, qui veillait toujours, résolut de mettre à profit cette circonstance et de faire une dernière tentative pour sauver les prêtres sorciers.



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LIVRE DE PIERRE DE LANCRE


Laissons de Lancre lui-même raconter cet épisode du procès : 


"Ils présentèrent, dit-il, des causes de récusation contre tous les juges le propre jour que nous voulions procéder à leur jugement.


Nous députâmes M. Gestas, un de nos collègues, le substitut du procureur-général et le syndicat du pays, lesquels furent en diligence au siège de Dax, comme le plus prochain, pour faire juger leurs récusations. Elles étaient toutes impertinentes, et la plupart jugées au premier voyage que j’avais fait. Mais d’autant que, comme dit l'Italien, qui a tempo a vita , ils ajoutèrent quelque petite chose et les amplifièrent, pensant, par cet amusement, nous porter au terme de notre commission.


Le diable, qui a des chevaux qui courent la poste quand les autres vont en relais, fit en sorte que Gestas ne fut sitôt à Dax, qu’il ne trouvât l’avocat des prêtres, lequel faisait plus de bruit que lui.


C’est merveille que le diable et les sorciers puissent ainsi trouver des gens qui courent pour eux, les secourent, les appuient, leur apprennent des cautèles et revirades cent fois plus déliées que celles de Cépola.



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PAYS BASQUE D'ANTAN


Leur avocat récusa tout le siège. Gestas s'en va au siège prochain qui est celui de Saint-Sever ; leur avocat le suit, et comme le diable est tenace, sa charge portait de suivre tous les sièges de proche en proche, avec procuration expresse de proposer mêmes causes de récusation contre tout Parlement.


Notre Seigneur, qui va plus vite que Satan quand il lui plaît, porta celui qui défendait sa cause à Saint-Sever avec plus de célérité que son ennemi ne porta l’avocat des sorciers.


Celui-ci arrivé à Saint-Sever, il trouve les portes fermées, il tempête si fort, qu’il met la ville en alarmes ; on lui demande s’il est quelque courrier envoyé par le roi aux magistrats.


Il dit que non et qu'il vient au contraire de Bayonne. On s’enquiert de nouveau qui il est et ce qu’il veut à cette heure, troublant le repos de la ville. Il dit qu’il est avocat de quelques prêtres sorciers et qu’il a récusé tous les juges de Bayonne à Dax, qu'il veut défendre leur cause et soutenir leur récusation à Saint-Sever.


On le laisse enfin entrer, mais alors Dieu avait permis que les récusations proposées par eux contre les présidiaux de Dax avaient été jugées, ayant été mises au néant et déclarées impertinentes.


A la vérité, l’avocat se plaignait de ce que Gestas, plus diligent que lui en la cause de Dieu, lui eût fait fermer les portes de la ville. Mais ce sont excuses, Dieu le voulait ainsi."



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SABBAT
PAYS BASQUE D'ANTAN


Rien ne paraissait plus pouvoir sauver les malheureux prêtres, lorsque l’évêque de Bayonne intervint. Il avait permis la mort des trois premiers ; mais son cœur saignait lorsqu’il voyait les prêtres qu’il avait ordonnés lui-même, dépouillés de leurs vêtements sacerdotaux, couverts de haillons, traînés sur un échafaud, escortés du bourreau et exposés aux huées de la populace. En conséquence, il résolut de faire tous ses efforts pour sauver ceux qui restaient. Son official intervint et défendit à la commission de passer outre en ce qui concernait les autres prêtres. 



L’évêque prétendait qu’à raison de leur qualité, ils n’étaient justiciables que des tribunaux ecclésiastiques. Il produisait en outre un arrêt du Parlement de Bordeaux, rendu pendant vacation et sur requête, lequel arrêt portait inhibition à tous juges de prendre connaissance de tous les faits de sorcelleries reprochés aux prêtres.



De Lancre n'était pas d’avis d’obtempérer à cet arrêt. L'arrêt, disait-il, fait défense à tous juges de prendre connaissance des faits de sorcellerie. Nous ne sommes pas des juges : nous sommes des commissaires, et le Parlement n’a pas le droit de limiter nos pouvoirs. Nous ne les tenons pas de lui, mais bien du roi. Apres avoir vérifié notre commission, la cour à laquelle nous appartenons ne peut plus ensuite la restreindre. Nous sommes d’ailleurs parfaitement compétents.


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SABBAT
PAYS BASQUE D'ANTAN

Les juges d’église n’ont droit de demander qu’on renvoie les prêtres par devant eux que lorsque ceux ci ont commis des délits communs. Or, dans l’espèce, il s’agit d’un délit privilégié dont la connaissance a appartenu de tout temps aux Parlements. Il y a cent arrêts de Paris de Bordeaux, de Toulouse, qui décident que les prêtres accusés de crimes privilégiés, d’adultère, de blasphème, de faux, de fausse monnaie, de bigamie (lorsqu’ils ont commis ce crime avant d'avoir reçu les ordres sacrés), ceux-là même qui sont accusés d'apostasie doivent être soumis à la juridiction des juges laïque. Or, il est généralement admis que le sortilège à sacerdote est un crime privilégié. En conséquence, de Lancre s'obstinait à vouloir juger les prêtres qui étaient détenus dans les prisons de Bayonne



Cependant on était arrivé à la fin du mois d’octobre ; la commission était lasse de toutes ces histoires diaboliques d’orgies nocturnes, de messes sacrilèges, d’enfants mangés et de boucs adorés. D'Espagnet était obligé de se trouver à Nérac, pour présider la chambre de l'édit : et la commission, après avoir ordonné que les parties se pourvoiraient en règlement de juges, quitta le pays de Labour. Toutefois, elle ne lâcha pas sa proie ; tous les sorciers et les sorcières qui avaient été arrêtés furent transportés à Bordeaux, et il y en avait une si grande quantité que les prisons ordinaires de la ville furent trop petites pour les contenir, et qu’on fut contraint de mettre beaucoup de ces malheureux au fort du Hâ.



Lorsque de Lancre fut de retour à Bordeaux, il se hâta de faire juger la difficulté de droit soulevée par l'official de Bayonne. En effet, le 5 août 1610, le Parlement rendit un arrêt par lequel il déclare tous lesdits prêtres sorciers, ainsi que l’official, déboutés de leur renvoi et fut ordonné que les témoins viendraient pour être recollés et confrontés.



Le procès dura plus de trois ans. Nous croyons que plusieurs des sorciers conduits à Bordeaux furent condamnés à mort ; cependant notre opinion sur ce point n’est basée que sur une indication tirée de quelques passages des livres de de Lancre.



Quant a ce dernier, il embellit plus que jamais sa retraite de Preignac, qui fut visitée en 1620 par le roi Louis XIII. Malheureusement, pendant cette glorieuse visite, de Lancre était retenu à Bordeaux par une cruelle atteinte de goutte, ce qui le chagrina vivement, car il aimait à courtiser les grands de la terre, et nous avons de lui des dédicaces adressées au roi, écrites dans un style dont l'exaltation va jusqu’au grotesque : quand il voulait encenser quelqu’un, il l’asphyxiait.



Mais c'était là son moindre travers. Cette manie pouvait prêter à rire, mais ne faisait de mal à personne. Celle qui le poussait à faire une guerre à outrance contre les sorciers étant plus dangereuse, son expédition dans la Labour l'avait achevé ; il composait ouvrage sur ouvrage pour prouver la mécréance des sorciers, et de temps en temps, il en faisait brûler quelques-uns pour démontrer leur existence, ce qui était un argument décisif. Nous le répétons, il y a entre lui et le héros de Cervantes un point de ressemblance frappant, l’un et l’autre ont le cerveau attaqué par suite d’une lecture trop assidue et trop exclusive ; mais le pauvre chevalier, qui n’avait jamais fait répandre aucune larme, mourut pauvre, bafoué et roué de coups, tandis que de Lancre, qui fit verser tant de sang, mourut riche, honoré et conseiller d’Etat.

 (Droit, journal des tribunaux.)"




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