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vendredi 26 janvier 2024

GEORGES HÉRELLE HISTORIEN DU PAYS BASQUE EN 1933 (deuxième et dernière partie)

 

GEORGES HÉRELLE HISTORIEN DU PAYS BASQUE EN 1933.


Georges Hérelle, né le 27 août 1848 à Pougy-sur-Aube (Aube) et mort le 15 décembre 1935 à Bayonne (Basses-Pyrénées), est un traducteur, ethnographe et professeur de philosophie.




pays basque autrefois pastorale theatre soule
GEORGES HERELLE, vers 1905.
Photographie de Labat. Médiathèque Grand-Troyes - Ms3494


Voici ce que rapporta à son sujet le Bulletin du Musée basque N°5 de 1933, sous la plume de H 

Cavaillès : 



"... III. Le théâtre Basque.



Lorsque Georges Hérelle, au fil de ses travaux et de ses ans, se fut établi à Bayonne, il y resta passablement ignoré pendant les premières années. Il voyait peu de monde. Ses collègues du lycée aimaient son malicieux enjouement, sa bonne humeur, son ironie champenoise. Il honorait les plus jeunes d'un amical — et réciproque — tutoiement. Quelques gens de lettres le venaient visiter au passage. Fort occupé, et d'ailleurs jaloux de son indépendance, il goûtait la discrétion de l'hospitalière cité où il avait voulu vivre et la paix d'une plaisante demeure, toute pleine de livres et de soleil, et d'où l'on aperçoit, entre les ormes du rempart respecté par la pioche des démolisseurs, le profil des montagnes prochaines.



Mais cette maison, perchée au plus haut de la ville, n'est pas une tour d'ivoire. La porte en était libéralement ouverte aux admirateurs et aux amis que le maître de céans n'avait pas tardé à se faire dans la ville. Lui-même en descendait souvent pour se mêler au monde des vivants, car nul n'est plus sociable que ce grand laborieux. C'est ainsi qu'il connut le pays basque, ses coteaux, ses chemins sinueux, ses fougères que l'automne rougit à l'ombre éclaircie des vieux chênes, son peuple de laboureurs et de pâtres, dont il aime l'archaïque simplicité, les jeux et la gaieté... Un jour il entendit parler des pastorales.



Le pays basque n'était pas encore à la mode et personne ne s'intéressait aux représentations populaires. Seuls, quelques basquisants en connaissaient l'existence, sans les avoir sérieusement étudiées. Hérelle eut la curiosité d'assister à l'une de ces représentations : la pastorale d'Abraham, que l'on devait donner dans le petit village de Haux, sur la place que domine la vieille église noire, contemporaine de celle de Sainte-Engrâce. C'était en 1899, par une admirable journée de printemps commençant. Il fut séduit et ravi. Tout de suite, il pensa à étudier ce théâtre et à écrire une notice d'une cinquantaine de pages. Le fait est qu'il s'y intéressa pendant vingt-cinq ans et que, au lieu de cinquante pages, il publia quatre volumes.



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PASTORALE ABRAHAM
PAYS BASQUE D'ANTAN


Par ses travaux, et bien qu'il se défende d'être un vrai basquisant, M. Hérelle a rendu aux amis des études basques un double et très précieux service.



Il a d'abord recueilli et mis à l'abri un grand nombre de textes. Ils étaient, avant lieu, très dispersés. La bibliothèque municipale de Bordeaux et celle de Bayonne en avaient deux collections, d'importance inégale. La plupart se trouvaient entre les mains des "instituteurs de pastorales", de diverses familles du pays qui les avaient acquis par don ou par héritage, enfin de quelques rares basquisants français et étrangers. C'étaient, à peu près sans exception, des cahiers grossièrement cousus, sans couvertures, sans feuillets de garde, formés tantôt de feuilles emboîtées les unes dans les autres, tantôt de petits cahiers réunis en volume par un brochage rudimentaire. Beaucoup étaient en mauvais état, maculés, déchirés ou rongés par les rats. Avec l'aide de Léopold Irigay, jeune Souletin qui fut pour lui l'auxiliaire le plus diligent et le plus dévoué, Georges Hérelle entreprit d'en sauver le plus qu'il pourrait. Au total, environ deux cents furent par lui retrouvés. De quelques-uns, plus menacés ou plus intéressants, il fit faire des copies. Les autres, il les examina ou les fit examiner par son collaborateur. De tous, il dressa un catalogue, exact et détaillé, donnant la description du texte et l'analyse de la pièce. Enfin, pour achever cette oeuvre de conservation, il offrit à des dépôts publics, où ils se trouvèrent définitivement en sécurité, les manuscrits qu'il avait pu acheter et les copies exécutées par ses soins. La Bibliothèque nationale en reçut cinquante-et-un  ; la Bibliothèque de Bayonne, vingt.



Georges Hérelle a fait ainsi, pour le théâtre basque, l'équivalent de ce que Luzel avait fait, au siècle dernier, pour les mystères bretons. Il en a recueilli les éléments et les a sauvés de l'oubli. Seulement Luzel avait été aidé par le Ministère de l'Instruction publique et par les subventions de l'Etat. Lui, il a agi tout seul, et pour son plaisir.




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THEÂTRE BRETON
MYSTERE DE SAINT-GUENOLE



En même temps qu'il recueillait les productions du théâtre basque, il s'attachait à en débrouiller l'histoire et à en dégager les caractères essentiels. On sait aujourd'hui, grâce à ses pénétrantes et sagaces recherches, que les pastorales sont des mystères, en tous points semblables aux mystères français du XVe et XVIe siècles, et il est même probable que les premières pastorales sont contemporaines de cette époque de notre littérature nationale.



Il y avait alors, à côté des théâtres urbains ; non pas, bien entendu, des théâtres permanents, mais des "jeux" que les paysans organisaient avec un minimum de frais, pour le plaisir et pour l'honneur de leurs villages. Il y en eut, et on ales preuves, à peu près partout. Lorsque le grand théâtre médiéval disparut, vers 1580, les petits théâtres ruraux lui survécurent et durèrent plus ou moins longtemps, suivant que la région était plus ou moins écartée du courant des idées nouvelles, plus ou moins riche ou plus ou moins pauvre, etc. La plupart disparurent d'assez bonne heure, dès le XVIIe et surtout le XVIIIe siècle. Un petit nombre se maintint jusqu'au milieu du XIXe siècle, parfois un peu plus longtemps. Il en fut ainsi du théâtre breton, du théâtre briançonnais, du théâtre catalan. Les uns après les autres, à leur tour, ils s'éteignirent.



Un seul subsista, le théâtre basque, à l'abri des montagnes de la Soule. De ses origines lointaines, il conserve les marques indélébiles : le répertoire, qui est exactement le même que celui des mystères, avec son groupement en cycles : ancien testament, nouveau testament, saints, chansons de geste et romans d'aventures, histoire légendaire ;  la fabrication, si l'on peut dire : les auteurs paraissent avoir été primitivement des prêtres et des clercs. Plus tard, des laïques écrivirent aussi des pièces. Mais ce furent toujours des villageois et des volontaires, jamais des professionnels. Au XIXe siècle, les auteurs les plus connus sont Saffores, cordonnier ; Foix, plâtrier ; Burguburu, cantonnier, etc... L'organisation du théâtre et la technique, la diction et le jeu des acteurs maintiennent aussi fidèlement la tradition des anciens mystères. Cet archaïsme, trait distinctif des pastorales, persiste même dans les pièces les plus récentes. On en a fabriqué encore au XIXe siècle et au début du XXe. Toutes, y compris la pastorale de Napoléon, sont composées sous forme de mystères, sans aucune contamination exercée par le théâtre classique. "Le théâtre basque, conclut M. Hérelle, a été importé vers la fin du XVe siècle dans la Soule lorsque les représentations des mystères faisaient fureur dans toute la France, et il a conservé jusqu'à nos jours les caractères de ses premiers modèles, parce que les Basques, en cela comme en beaucoup d'autres, ont l'esprit éminemment conservateur.



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PASTORALE NAPOLEON
PAYS BASQUE D'ANTAN


Mais M. Hérelle a fait une autre découverte. En étudiant la versification, que personne, avant lui, n'avait très bien comprise, il a constaté que les pastorales se rattachent par leur prosodie à des productions beaucoup plus anciennes encore que les mystères du XVe siècle. Toutes sont écrites en versets, chaque verset prenant indifféremment, suivant le caprice du copiste, la forme d'un quatrain ou celle d'un distique. D'autre part, cette versification, qui est amétrique et, en apparence au moins, très libre, obéit à certaines règles de rythme et d'assonance. Or ces particularités ne sont pas spéciales aux pastorales. On les observe dans des ouvrages tels que le poème espagnol du Cid, le premier et le plus fameux monument de la littérature espagnole. A une époque plus lointaine encore, on les trouve, en France, dans les anciennes cantilènes épiques, dans des drames liturgiques, versifiées dans un latin barbare. Qu'en faut-il conclure ? C'est que le verset des pastorales dérive, originairement, du verset liturgique et que les pastoraliers, dont les premiers, furent des prêtres et des clercs, ont emprunté aux chants d'église leur récitatif dramatique. Cette savante et très nouvelle explication a obtenu l'élogieux assentiment, non seulement des basquisants, mais des savants les plus autorisés en matière de versification et de métrique, notamment de M. Louis Havet. Par elle, le caractère traditionnel des pastorales apparaît avec une saisissante évidence.






Aujourd'hui, le théâtre basque, suivant le sort commun, agonise. Du moins il ne disparaîtra pas sans que nous conservions ses oeuvres et que nous connaissions son histoire. C'est à M. Hérelle que nous le devons.



Une curiosité toujours en éveil, une activité jamais démentie, une rigoureuse méthode scientifique, un beau talent d'écrivain, ainsi se résume la carrière intellectuelle de Georges Hérelle. Ceux qui l'ont approché y ajouteront eux-mêmes d'autres traits, qui ne sont pas moins rares : le désintéressement, le dédain du faste, la fidélité dans l'amitié, une naturelle et vivante sympathie pour tout ce qui est humain."










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