AU PAYS BASQUE EN 1881.
Dès la fin du 19ème siècle, de nombreux voyageurs se rendent au Pays Basque et racontent souvent leurs voyages.
ST JEAN DE LUZ EN 1865 PHOTO DE LADISLAS KONARZEWSKI |
Voici ce que rapporta à ce sujet le quotidien Phare de la Loire, le 16 septembre 1881 :
"Lettres du Pays Basque.
Saint-Jean-De-Luz, 14 Septembre.
L’année dernière, je vous datais mes impressions de voyage de Vichy. Cette année, le décor est changé ; au lieu des puys d'Auvergne, ce sont les pics des Pyrénées que j’aperçois à l’horizon ; l’eau de la Grande-Grille a fait place à l’onde amère, et c’est du fond du golfe de Gascogne, en plein pays basque, de Saint-Jean-de-Luz, que je vous écris ces lignes.
II y a trente ans, peu de personnes encore connaissaient Saint-Jean-de-Luz autrement que comme un relais de poste sur la route d’Espagne, à 10 kilomètres de la frontière. On savait vaguement que cette petite ville ruinée et rongée incessamment par la mer, s’émiettait pierre à pierre dans le golfe où viennent aboutir, en s’y répercutant comme un écho, toutes les tempêtes du large. Ceux qui se piquaient d’histoire vous disaient aussi que le mariage célèbre de Louis XIV avec une infante d'Espagne y avait été célébré en exécution du traité conclu à l’ile des Faisans, sur la Bidassoa. Et c’était tout.
ÎLE DES FAISANS BEHOBIE PAYS BASQUE D'ANTAN |
Et cependant, au moyen-âge et aux XVIe et XVIIe siècles, Saint-Jean-de-Luz avait été un port florissant ; ses marins avaient été les premiers à pêcher la morue à Terre-Neuve. Sous Louis XIV, ses armateurs, enrichis par le commerce des Indes, y faisaient construire de splendides logis, dont il subsiste encore de nombreux témoignages, mais les guerres désastreuses du XVIIe siècle portèrent un coup fatal à cette splendeur, et bientôt une cause de ruine, la plus formidable de toutes, fut suscitée à Saint-Jean-de-Luz. La mer, contenue jusque-là dans ses bornes naturelles, franchit ses rivages et marcha à l’assaut de la ville. Ses progrès incessants sur la plage et le bouleversement que de véritables raz de marée amenèrent dans le régime de la barre et du port, achevèrent l’œuvre de sa décadence commerciale.
Vauban, dont on retrouve le nom partout où il y a une oeuvre nationale à accomplir ou tout au moins à projeter, s’était préoccupé des moyens de préserver Saint-Jean-de-Luz d’une destruction complète et même d’en relever l’ancienne splendeur. Il s’agissait de fermer la baie par une muraille élevée en pleine mer pour n’y laisser que tout juste l’accès nécessaire aux navires. On recula devant les dépenses et les difficultés matérielles d’un pareil projet. Le ciment Vicat n’était pas encore connu. Louis XVI, rendons-lui cette justice, s’intéressa aussi au sort de la malheureuse ville. On construisit 90 toises courantes du mole de Sainte Barbe qui forme à gauche la pointe de la baie de St-Jean et on en éleva autant à droite du côté du fort de Socoa. Mais la négligence et l'incurie rendirent nuls ces travaux dont il ne subsista bientôt plus que des restes.
Ce n’est que dans ces dernières années que le projet de Vauban, résolument repris, a été commencé. Deux digues puissantes, partant du Socoa d’un côté, de Sainte-Barbe de l'autre, et reliées par un rocher central, l’Arta, sur lequel on a établi une autre digue, feront de Saint-Jean-de-Luz, quand ces travaux seront achevés, un des plus vastes et des plus beaux ports de refuge de l'Océan. Du côté de la terre, un seuil de garantie qui suit le contour ovale de la plage, défend désormais la ville des envahissements de la mer. Il sert en même temps de promenade sur toute son étendue d'environ deux kilomètres.
PLAGE ET CASINO SAINT-JEAN-DE-LUZ 1900 PAYS BASQUE D'ANTAN |
En même temps que semble devoir renaître, dans un avenir prochain, à la grandeur commerciale évanouie, un nouvel élément de prospérité s’est créé pour elle depuis quelques années seulement.
La fortune inouïe qui a fait de Biarritz sa voisine, l’Ostende de la France et la première de nos stations maritimes au point de vue balnéaire, devait nécessairement un jour ou l’autre ouvrir les yeux de ses voisins. Si Saint-Jean-de-Luz n'a pas les rochers pittoresques et les hautes falaises de sa rivale, sa plage encadrée pans un paysage calme et tranquille lui donne l'aspect d’un golfe italien et l'extrême douceur du climat dont on y jouit, n’est pas pour détruire une semblable illusion.
VUE GENERALE SAINT-JEAN-DE-LUZ 1900 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Nous empruntons la description suivante à M. Léonce Goyetche, auteur d’un excellent ouvrage sur Saint-Jean-de-Luz, publié en 1856 et qui est devenu tellement rare que nous en devons la communication à l'obligeance d’un de ses parents :
"Bâtie sur une langue de sable que la Nivelle borne d’un côté, que l’Océan assiège de l'autre, la ville déploie ses rues en longues lignes uniformes et parallèles à ses deux rivages ; mais quand la marée pleine gagne la hauteur de ses quais, ses édifices baignés de toutes parts, semblent autant de vaisseaux à l’ancre, et, à la voir portée sur les eaux et pour ainsi dire flottante, on ne s’étonne pas si son histoire lut maritime et son peuple navigateur par excellence. »
La rade de Saint-Jean-de-Luz dessine une courbe à ses pieds, terminée au Nord par les hauts rochers de Sainte-Barbe, au Sud par la tour ronde et les massives jetées du Socoa. Rien de plus noble et de plus imposant que cette enceinte correctement découpée, large de 1 300 mètres, profonde de 1 000 mètres environ, montrant partout une nappe d’eau d’un sombre azur, ouvrant aux regards, du côté de l'Ouest, l’infini de l'Atlantique.
CARTE TOPOGRAPHIQUE BAIE SAINT-JEAN-DE-LUZ CIBOURE |
Dans la direction opposée et au-delà du cours de la rivière, c’est la chaîne des Pyrénées qui se dresse, déroulant sur ses pentes rapprochées le plus charmant paysage. Des coteaux boisés ou plantés de vignes, des collines en amphithéâtre, portant au faite la maison blanche aux volets rouges du paysan basque ou l’ancienne résidence d’été des riches armateurs Saint-Jean-de-Luziens se succèdent et s’étagent jusqu’aux premiers contreforts de la Rhune, dont la masse granitique et le svelte piton planent sur leurs champêtres perspectives. A la droite, les Pyrénées Espagnoles ferment l’horizon ; le pic de Haya ou des Trois-Couronnes, lève son front dentelé et une file de sommets bleus, au loin prolongés et décroissants, va se perdre insensiblement dans la mer."
En face de Saint-Jean-de-Luz et séparée seulement par la Nivelle et la largeur d’un bassin "Ciboure avec son clocher de pagode, ses maisons du quai, aux rangs inégaux et interrompus, ses faubourgs démantelés, répandus sur l’éminence de Bordagain complète et accentue le tableau."
RUE DE LA FONTAINE CIBOURE 1885 PAYS BASQUE D'ANTAN |
Il s’agissait donc d’opposer ce paysage calme et presque helvétique s’il n’était en même temps maritime, au site tourmenté, aux roches romantiques, aux grottes percées à jours de Biarritz, la vie calme et paisible que semble promettre d’avance Saint-Jean-de-Luz, à l’existence fiévreuse et tourmentée de Biarritz, à cette vie à outrance qu’on y a transportée de Paris avec tout son luxe et tous ses vices. Il fallait offrir aux amateurs de la tranquillité, à ceux qui recherchent la villégiature et les bains de mer pour y trouver le repos, s’y délasser de leurs fatigues et y fuir l'agitation des villes, un asile à la fois sûr et confortable.
Ce mouvement de réaction commença à se prononcer à l’apogée du caprice impérial qui faisait de Biarritz la station favorite de l'impératrice Eugénie et le rendez-vous des rois, des princes et des diplomates de toute l’Europe. C’est ainsi, par exemple, que Jules Favre venait se délasser en famille à Saint-Jean-de-Luz, de ses travaux oratoires et de ses luttes parlementaires au Corps législatif.
JULES FAVRE PHOTO DE PIERRE PETIT |
Ces trop courtes années furent l'âge d’or de Saint-Jean-de-Luz : logements, nourriture, prix de l’existence, tout y était à l’état primitif ; mais ce coin de terre privilégié ne pouvait rester inconnu et cette oasis économique finit par se révéler aux spéculateurs qui sont en train aujourd’hui de transformer Saint-Jean-de-Luz et d’en faire la rivale de Biarritz. Sous leurs efforts, la plage s’est couverte d’une ceinture d' hôtels splendides, de riantes villas, deux casinos rivaux s’y font chaque soir concurrence, le feu est aux enchères pour les terrains et le prix des denrées a triplé. A la tête des spéculateurs qui sont en train d’opérer cette transformation plus ou moins heureuse, nos lecteurs de Nantes ne liront peut-être pas sans étonnement un nom qui leur est bien connu, celui de M. Arnous-Rivière, frère du journaliste et dont l'existence aventureuse à travers les deux mondes défraierait, dit-on, aisément, la matière de plusieurs romans. C’est à St-Jean-de-Luz qu’il a, pour le moment, posé sa tente nomade et que cette imagination toujours inquiète, toujours en mouvement comme l’Océan, a rêvé un rêve impossible, celui de détrôner Biarritz. Ce sont les actionnaires qui paieront les déceptions du réveil."
A suivre...
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