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jeudi 13 janvier 2022

LES BORDS DE LA BIDASSOA EN LABOURD AU PAYS BASQUE EN 1836

LES BORDS DE LA BIDASSOA EN 1836.


En 1836, les guerres carlistes sévissent en Pays Basque Sud et ont des conséquences de l'autre côté de la frontière.





VUE DE IRUN ET BEHOBIE 1852
FEUILLET DE HENNEBUTTE BLANCHE




Voici ce que rapporta le journal La Renommée, le 23 septembre 1836 :



"Les bords de la Bidassoa



Il y a six lieues de Bayonne à Béhobie, dernier village que l’on rencontra sur la frontière française, et que baignent les eaux de la Bidassoa.



Huit jours suffisent à la curiosité du voyageur qui arrive de Bordeaux à Bayonne, et qui, fatigué de la vue des landes interminables du Mont-de-Marsan soupire après un paysage plus pittoresque et plus gai, et après un séjour qui lui fasse moins regretter celui du chef-lieu de la Gironde.


femme bordeaux 1828
GRISETTE DE BORDEAUX 1828

A Bayonne, tout est neuf pour le voyageur, mœurs, costumes et langage. La grisette y est plus jolie et mieux coiffée qu’à Bordeaux ; le madras remplace chez elle le bonnet, et le jupon raccourci laisse voir un joli pied que recouvre un bas de coton orange et qu’emprisonne un souple maroquin. L’insouciance et le laisser-aller des femmes de Bayonne annoncent le voisinage de l’Espagne, et l’on rencontre déjà dans leurs regards la vivacité de l’Andalouse.





Bayonne offre ses remparts, ses forteresses, ses ruines, son esplanade, ses bords délicieux du fleuve de l’Adour aux larges et profondes eaux, sillonnées par de gros navires. L’air de la mer se fait sentir à Bayonne ; et pour satisfaire l’appétit qu’il excite, on y trouve tout ce qu’un palais délicat peut souhaiter de plus succulent. Le plat à la bayonnaise a laissé et laisse d’heureux souvenirs chez les gastronomies.



A l’époque où Bayonne était le point de départ des diligences de Madrid, c’était le rendez-vous de tous les pays de l’Europe ; une multitude d’étrangers encombrait ses hôtels et sillonnait ses rues ; chaque nation y envoyait son continrent de voyageurs, et cette foule d’individus, différent de mœurs, de sexe, de langage, d’opinions et d’habitudes, faisait de Bayonne l’endroit le plus curieux, le plus gai, le plus agréable de la France.



Mais depuis que la guerre civile a envahi le nord de l’Espagne, et que les bandes de don Carlos ont intercepté la grande route qui conduit à Madrid, en traversant la Navarre, ce mouvement prodigieux, ce concours, ce pêle-mêle des nations, tout a cessé à Bayonne, et l’on n’y rencontre aujourd’hui que des commis-voyageurs et quelques capitaines marins.



Un sentiment de curiosité, un vif désir d’émotions, font de temps à autre arriver à Bayonne quelques individus que la lecture des bulletins carlistes a engagés à visiter le théâtre de la guerre, et à être spectateurs tranquilles des escarmouches qui se livrent sur les bords de la Bidassoa ; ceux-là traversent rapidement l’Adour, et se font traîner à Béhobie.



Le pèlerinage ne saurait être plus attrayant, non pour les personnes qui n’aiment à voyager que dans des voitures bien suspendues et sur de moelleux coussins ; mais pour celles qui, habituées et culassées par le canotage des messageries, n’ont plus rien à souffrir dans les coucous informes qui se chargent de traîner les voyageurs de Bayonne à Béhobie, sur leurs banquettes de bois blanc dénuées de coussins et de bourrelets.



Mais quelque terrible que soit l’épreuve, on oublie facilement ses douleurs devant le paysage qui se déroule à vos yeux en quittent le pont-levis de la porte occidentale de Bayonne.



Autant le département des Landes est sec et aride, autant les Basses-Pyrénées sont vertes fertiles. Cette partie du territoire de Bayonne, abritée par la chaîne des Pyrénées à gauche, et baignée à gauche par la mer offre tout ce que l’art et la nature peuvent réunir pour satisfaire les regards.



D’abord, les alentours de Bayonne, étoilés de petites maisons de campagne, rapprochées les unes des autres, placées sans symétrie et avec hardiesse sur la pente de la montagne ou sur la cime d’un mamelon, la mer qui brise l’écume de ses flots sur une plage de sable, d’immenses prairies parsemées de petits lacs, s’étendant jusqu’au rivage ; puis, pour terminer ce tableau, le rideau des Pyrénées s’avançant de gauche à droite, et contrastant par sa désespérante stérilité avec la verdure et la fraîcheur du paysage.



Après trois heures de marche, un amas de maisons et l’aiguille d’un clocher tiennent fixer les regards du voyageur ; c’est Saint-Jean-de-Luz et sa chapelle gothique. Là, le plus souvent, cesse le service du dur équipage que vous avez pris à Bayonne ; le conducteur, en vous tendant la main, vous annonce que le déjeuner vous attend, et après déjeuner, le dos raboteux d’un mulet qui fournira les trois autres lieues qui vous séparent de Béhobie.



Saint-Jean-de-Luz compte quinze quinze cents habitant environ ; sa position sur le bord de la mer le rend vivant et gai. Beaucoup de personnes vont y passer la belle saison pour y prendre les bains. En ce moment il sert de garnison à plusieurs compagnies chargées de protéger la frontière contre les invasions des carlistes.



Arrêtez vous une heure au plus à Saint-Jean-de-Luz ; visitez son église et sa grève où bondissent toujours les flots du golfe ; tâchez d’apercevoir, sous sa quasi mantille, une brune figure de femme, qu’à coup sûr vous admirerez ; puis enfourchez le bât que porte votre monture.



Le canon gronde dans le lointain ; il se mêle au mugissement de la vague qui fouette la digue de St-Jean-de-Luz ; l’odeur de la poudre semble arrivée à vous, et vous apprend qu’il y a ce jour là commencement d’hostilités, et que Béhobie a tremblé aux éclats des canons espagnols. Hâtez-vous, aiguillonnez votre bidet, et à la première guinguette payez de l’aguardiente au muletier pour qu’il vous seconde.



De Saint Jean-de-Luz à Béhobie, le coup d’œil est loin d’être aussi ravissant que de Bayonne à ce premier endroit. Là, point d’habitations qui annoncent l’aisance, aucune campagne qui dénote la proximité d’une grande ville. Cependant une maison ou plutôt un château surgit à la droite du chemin, précédé d’une avenue, accompagné de grands bosquets, de champs bien cultivés et de vergers magnifiques. Au milieu du désert, on s’étonne de voir une si riche propriété ; sa bizarre position excite la curiosité du voyageur. Alors le conducteur, habile dans la chronique de la contrée, vous racontera une longue histoire que vous ne comprenez point, parce qu’il ne vous parlera pas français, mais qui vous apprendra cependant que c’est le château d’Urtubi.



pays basque autrefois château
CHÂTEAU D'URTUBIE URRUGNE
PAYS BASQUE D'ANTAN



Au sommet d’une côte s’étend une immense plaine ; c’est la plaine ou la vallée d’Irun. Au-dessous de vous est Béhobie, vous y arrivez en quelques minutes.



Les autorités de Béhobie viennent accueillir le voyageur à sa descente de mulet. Un commissaire de police et un brigadier de gendarmerie sont les autorités civiles de Béhobie. Pour autorités militaires, on a l’honneur d’y rencontrer quelquefois un général, mais ordinairement c’est un capitaine d’infanterie. C’est que Béhobie, qui compte cent maisons au plus, est en ce moment une des plus importantes places fortes des frontières, c’est qu’on tire aujourd’hui plus de coups de canon à Béhobie que n’en ont jamais tiré les forts de Brest ou de Toulon. Aussi, c’est chose à voir que la belliqueuse et intrépide population de Béhobie.



Après les formalités légales qui ordonnent l’exhibition d’un permis de séjour délivré par la sous-préfecture de Bayonne, on s’empresse de s’enquérir du théâtre de la guerre, et du grand fleuve de la Bidassoa. Alors, sur l’invitation du commissaire de police, fort obligeant du reste, vous vous acheminez vers un pont de bois qui se présente à vous ; et si jamais illusion fut cruellement déçue, si jamais réalité désespérante vint remplacer les rêves de votre imagination, c’est lorsque, arrivé à le tête du pont, vous laissez tomber vos regards sur le ruisseau qui dort à vos pieds sous le nom de la Bidassoa.



Votre ébahissement passé, le dialogue suivant s’établit entre vous et M. le commissaire.



— C’est donc là la Bidassoa ? dis-je au commissaire.

 — Oui, monsieur, le fleuve de la Bidassoa. 

— Ce fleuve, puisqu’il est convenu de l’appeler fleuve, qui coula des eaux jadis teintes du sang de tant de milliers de Français, d’Anglais et d’Espagnols, auprès duquel se passèrent tant de hauts faits d’armes, où se traitèrent entre de si grands personnages les intérêts de tant de territoires !

— Justement ; là, à une portée de fusil, voyez-vous surgir du milieu de l’eau ce morceau de terre ? c’est l'île de la Conférence, autrement île des Faisans, sur laquelle fut signé par Mazarin ce fameux traité qui fit dire à Louis XIV : Il n’y a plus de Pyrénées. Sur la gauche, cette montagne à pic, couronnée d’une chapelle blanche, c’est la montagne Saint-Martial, célèbre par cette sanglante bataille livrée, en 1813, entre les Français et les Anglais. Le maréchal Soult y commandait l’armée française. Au pied de la montagne enfin, sont les ruines de l’ancien château de Béhobie. La Bidassoa est donc célèbre à plus d’un titre.... et l’on y pêche d’excellent poisson....



pays basque mariage louis 14 île conférence
ÎLE AUX FAISANS BEHOBIE 1660
PAYS BASQUE D'ANTAN



Mais une détonation vint couper court au récit historique du commissaire. La vapeur qui s’élève à quelques pas de vous indique que la sentinelle du fort Christino, situé à l’autre extrémité du pont, a fait feu sur les retranchements carlistes. Pour ne pas servir de point de mire à la sentinelle carliste, gagnez la hauteur qui domine la Bidassoa ; là, à l’abri d’une batterie, vous jouissez tranquillement du spectacle, et vos yeux peuvent parcourir toute l’étendue du champ de bataille.



A la tête du pont qui touche au territoire espagnol, une maison inachevée est debout. La partie qui regarde la France est construite en bois, le revers de la maison est en maçonnerie et d’une moyenne épaisseur. Cette maison est le fameux fort des christinos, connu sous le nom du fort de Béhobie, ou fortin de la Bidassoa. Ainsi placé, ses communications sont libres avec Béhobie, qui fournit gratis vivres et munitions aux cent cinquante hommes qui s’y tiennent barricadés. Dans le lointain, apparaissent, grisâtres et en ruines, quelques maisons de campagne occupées par les Carlistes. Le silence le plus profond règne dans cette plaine ; il n’est interrompu que par l’explosion de l’arme d’une des sentinelles ennemies, faisant feu sur celle qui rôde le autour des retranchements ou du fort.



A droite ! à un quart de lieue est Irun, occupée par les carlistes, petite ville baignée par les eaux de la Bidassoa, et qui présente à Béhobie le derrière noirci de son église. On remarque tout près d’Irun, une maison carrée, servant aujourd’hui d’arsenal, et qui fut habitée par Napoléon, lors du passage des troupes françaises en Espagne. Derrière vous, à une demi-lieue s'élève sur un roc escarpé et noirâtre le village de Fontarabie, aujourd’hui au pouvoir des carlistes, et précédé d’une immense maison blanche, occupée par des pères capucins. Fontarabie dominant en cet endroit le lit de la Bidassoa, c’est de cette position que les carlistes bombardent et coulent à fond les trincadoures ennemies qui se hasardent dans les eaux du fleuve. Puis, des collines pelées et raboteuses se croisant dans tous les sens, et laissant un intervalle qui indique la route de Saint-Sébastien, situé à deux petites lieues."





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