LA SOULE EN 1881.
La Soule est la plus petite des 7 provinces du Pays Basque. Située dans les Pyrénées-Atlantiques, elle est peuplée d'environ 15 000 habitants et a pour capitale Mauléon-Licharre (Maule).
Voici ce que rapporta Paul Perret dans son livre "les Pyrénées françaises" en 1881 :
"Le pays de la Soule.
...Nous avons un bon guide ; nous aurions pu nous en passer, car toute une compagnie nous précède. C'est un étrange et mystérieux équipage. D'abord un mulet, portant une sorte de cacolet recouvert d'un pavillon de toile blanche ; derrière, un homme en blouse courte et en béret, une femme coiffée du capulet noir. Un autre homme est à la tête de l'animal ; un chien énorme le suit. Le chemin s'engage entre deux escarpements boisés. Machinalement je regarde cette troupe muette qui grimpe devant nous ; est-ce une fantaisie de mes yeux ?...
Il me semble que dans les paniers du cacolet j'ai vu flotter un bout de jupe et remuer des jambes. J'interroge le guide. Au même instant, deux ou trois cris rauques sortent de dessous la toile. Le brave homme fait un geste pour se signer. Nous nous étions arrêtés tout court : - Qu'est cela ? - Bon ! dit-il à voix basse ; "ça c'est une possédée"... Les cris recommencent, le chien y répond par un hurlement. A Tardets, sous les grands arbres, j'avais entendu les possédés de l'amour ; sur la route de la montagne, je me heurtais à une possédée du diable, car la prisonnière du pavillon de toile est une femme. On dit qu'une possession mène à l'autre. N'importe ! diabolique ou non, la rencontre est sinistre.
Nous répondons sur le même ton à notre guide : - Allongez le pas, mon brave, nous vous suivrons. Ce grand garçon de vingt-cinq à vingt-six, taillé en force, tout droit comme un chêne, était devenu très pâle, et si vigoureux que fussent ses genoux à l'ordinaire, ils flageolaient sûrement un peu. Les gens de la troupe, heureusement, prirent le parti de faire halte et de nous laisser passer ; ils parurent se consulter rapidement, ils parlaient basque ; l'homme qui conduisait le mulet lui fit tourner la tête vers la paroi de rochers, l'autre saisit par son collier le chien qui grognait à notre approche. La toile du cacolet tremblait quand nous passâmes, mais la possédée se taisait. Mon compagnon, vrai modèle du bourru bienfaisant, levait les épaules, exhalant entre ses dents une impatience mêlée de plus de pitié qu'il n'aurait voulu le dire ; le guide avait la bouche clouée. Quant à moi...
... La diabolisée avait écarté la toile, je crois la voir encore : vingt ans. Peut-être cette guenon n'avait-elle pas été laide avant la "possession". Maintenant tous ses traits affreusement contournés étaient en danse convulsive ; les yeux seuls demeuraient fixes au milieu de ce visage terreux. Ce qui la rendait plus horrible, c'est qu'on la laissait coiffée, comme autrefois, du joli mouchoir de soie en usage dans toute la contrée. Cette coquetterie formait un contraste poignant avec cette misère. Tous ses mouvements étaient déréglés ; elle brandit vers moi ses deux longs bras décharnés, et par un miracle d'équilibre, le mouchoir pimpant ne se dérangeait pas. Elle-même aurait dû se jeter à bas du mulet ; je vis bien qu'elle devait y être attachée solidement. Son cri sauvage, ce cri sortant d'une gorge étranglée, se fit encore attendre, et encore une fois le chien se remit à gémir. Longtemps ces accents lamentables nous poursuivirent ; la montagne est sonore.
Le guide racontait que ce mal était fréquent dans le pays ; les jeunes garçons en sont rarement atteints : - Monsieur, dit le brave homme, c'est la misère des filles ; quelquefois ça leur passe, mais il ne leur en reste jamais un bon renom, voyez-vous. Elles ne trouvent guère à se marier ; un homme ne se soucie pas !... D'autres fois, elles s'en vont lentement dans l'autre monde, et si alors elles deviennent tranquilles, c'est mauvais signe ; la fin arrive, elles sont consumées. Celle-ci, je la connais bien. La rage la tient depuis l'hiver ; on la conduit là-haut, à la Sainte. Et peut-être la Sainte la guérira.
Nous contournions en ce moment le sommet du mont. La beauté de la vue nous fit oublier notre rencontre. Deux géants dominent la longueur de la chaîne : au sud est le pic du Midi d'Ossau ; à l'ouest, noyé dans des vapeurs brillantes qui, des teintes argentées, passent en un moment au lilas, au violet plus sombre, pour reprendre leur transparence un moment après, le pic du Midi de Bigorre ; la distance est de près de trente lieues. Les deux cimes les plus proches sont, dans les deux mêmes directions, celles d'Anie et d'Orrhy. La première, le pic d'Anie, une haute pyramide blanche, nous marquait de ce côté la limite extrême de l'excursion commencée. Perdus dans la contemplation de cet horizon vraiment sublime, nous ne songions plus à la chapelle, à la Sainte, et à ses étranges pèlerins.
La chapelle n'a point d'âge ; elle a été réparée, relevée sans cesse à travers les siècles ; on serait tenté de croire qu'elle a remplacé en cet endroit désigné un temple antique, n'eût-on pas sous les yeux une inscription romaine sur un marbre encastré dans le mur de la chapelle. L'inscription manque de clarté pour les demi-savants qui me ressemblent : - A quel dieu ce sanctuaire païen était-il dédié ?... Il paraît que les obscurités à ce sujet ne sont pas dissipées. Pas une image de la divinité, pas une pierre gravée, pas une médaille pour éclairer l'enquête. Il n'y a que ce marbre, ces caractères inexpliqués et la tradition. Et comme il arrive souvent, une légende en a ici appelé une autre bien différente. Après le dieu inconnu, l'homme du miracle. Le guide nous raconte que la montagne de la Madeleine qui nous porte a été autrement plus haute ; Roland l'a découronnée.
De sa forte main qui déplantait les chênes et dispersait les roches, il en a saisi toutes la crète, et ce bloc énorme, il l'a lancé là-bas à l'est, sur un autre mont qui s'en est haussé d'autant sans vergogne. Il y avait apparemment des Sarrasins de ce côté-là, le héros en aura fait une belle bouillie !
Nous sourions, nous avons tort. Le guide nous fait observer que la cime du mont rend témoignage. Roland y a mis son sceau ; elle porte distinctement l'empreinte de ses cinq doigts.
Mais voici, à ce sujet, une autre légende bien plus latine que basque, et qui doit avoir été créée par des gens d'Eglise. Il y en avait, et de très savants, là-bas, derrière Larrau : des moines de Sauvelade. Sur le mont Bostmendiette, les Parques avaient établi leur résidence. C'est là que les trois méchantes soeurs coupaient le fil des destinées humaines ; le généreux Roland se mit en colère à la pensée d'une si vilaine besogne, et résolut de l'empêcher, en écrasant les trois mégères. C'est pourquoi il lança contre elles ce projectile colossal. Malheureusement, il ne les atteignit pas ; la pierre tomba à six cents pieds d'un col, où elles se tenaient bien à l'abri entre les contreforts des monts, et qui a gardé leur nom maudit, le col des Parques. Elles ont continué de trancher nos jours.
CHAPELLE DE LA MADELEINE BARCUS PAYS BASQUE D'ANTAN |
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